Matthew Durand était un homme charmant. Toujours bien habillé et coiffé, ses costumes moulaient ses muscles et ses cheveux châtains étaient peignés avec soin. Il avait ce besoin constant de faire plaisir à autrui, d'être le héros des gens, malgré qu'il n'était qu'un petit employé dans une entreprise d'ingénieur.
Fils ainé d'une famille aimante, il n'avait rien à envier des autres : ses parents lui donnaient l'amour qu'il souhaitait.
Puis sa petite sœur était née, rapportant une dose supplémentaire de joie dans ce foyer chaleureux. Rebecca Durand. Il l'avait tout de suite prise sous son aile, il disait qu'elle serait sa lumière qui éclairerait ses journées. Il adorait sa petite bouille d'ange et ses petits doigts qui lui tenaient fermement l'index. Le cœur de ce garçon de dix ans battait fort à chaque moment passé à ses côtés, il la considérait comme son plus précieux diamant. Rebecca était son talon d'Achille, mais aussi comme sa moitié, elle était sa huitième merveille.
Matthew voulait faire partie de son monde, être son héros. Qu'elle voit en lui un grand frère qui la protègerait tout le temps, qu'il serait l'épaule sur laquelle elle pourrait se reposer.
Mais, inconsciemment, Rebecca lui avait pris l'amour de ses parents. Lui qui recevait des câlins toutes les heures, qui avait le droit aux gros bisous baveux de sa mère et aux histoires avant de dormir, n'avait plus rien. Il était un fantôme pour ses parents et son cœur d'enfant lui avait été fracturé par ceux qui l'avaient mis au monde. Sa petite sœur avait besoin d'eux, pour les petits pots qu'elle mangeait, les bêtises qu'elle faisait à longueur de journée, pour ses premiers pas et ses crises à répétition.
Nda : Dark room - Foreign Figures.
Matthew en avait beaucoup voulu à Rebecca. Lui lançant des regards noirs, l'esquivant quand elle voulait un câlin. Ne comprenant pas pourquoi Rebecca lui faisait mal, il avait parlé à ses copains de l'école. Mais les réponses n'étaient pas comme Matthew les attendait.
- La semaine dernière, ma sœur a cassé ma collection de camions. J'avais juste envie de mettre sa tête dans le micro-ondes, lançait Tristan.
- Moi, j'ai déjà rêvé de les empoisonner pour que mes parents remarquent que je suis là, continua Gabriel en riant.
- J'ai failli étrangler mon p'tit frère pour qu'il se taise, lâcha Madeleine.
Bien sûr, ils rigolaient. Ces petits êtres qui nommaient « terreurs » ou « monstres » avaient beau les embêter, jamais ils n'avaient envisagé de le faire. Ils avaient une place dans leurs cœurs, ils étaient leurs défenseurs.
C'est vrai, qui voudrait tuer de ses propres mains un membre de sa famille ?
Pourtant, leurs paroles résonnaient sans cesse dans l'esprit tourmenté de Matthew. À chaque cris qu'elle poussait, il s'imaginait lui couper la langue, à chaque bêtise, il se voyait la mettre dehors, sous la pluie. À chaque mot doux de ces parents, il voulait lui écraser sa tête pour qu'elle devienne moche, à chaque fois qu'elle voulait de son attention, il s'imaginait la mettre dans une poubelle et la refermer.
Ses pensées morbides ne quittaient pas sa tête sans pour autant qu'il ne les réalise.
Jusqu'au jour où ses parents les laissèrent à une jeune baby-sitter qui ne savait rien faire à part téléphoner à ses amies et regarder la télé. Ils étaient partis profiter en amoureux d'un dîner dans un restaurant.
Rebecca,à ses douze mois, ne faisait que pleurer dans le lit parapluie. Matthew avait beau se retourner dans son lit, mettre son oreiller sur sa tête, rien n'empêcha les cris de sa petite sœur de résonner dans sa tête.
Un hurlement de rage l'avait parcouru alors qu'il s'était levé pour aller ouvrir la porte de la chambre de sa sœur, armé de son oreiller. Il avait bien l'intention de la faire taire une bonne fois pour toute.
Il avait envie de l'étouffer.
La pièce était plongée dans le noir, seule sa veilleuse laissait Matthew voir son visage triste et rempli de larmes. Elle était debout, tenant le rebord de son lit de ses mains boudinées. Ses cheveux identiques à ceux de son frère tenus dans une queue de cheval mal faite, ses yeux bouffis et rouges le fixaient avec tendresse et espoir. Son pyjama était taché de morve et des filets de bave coulaient de sa bouche.
Il s'approcha, son cœur battait si fort contre sa poitrine qu'il lui faisait mal. Voyant son frère avancer vers elle, Rebecca tendit ses minuscules bras dans sa direction en poussant des cris. Devant cette image, Matthew avait relevé l'oreiller et l'avait allongé dans son lit. Mais avant de poser celui-ci sur sa tête, il entendit sa sœur prononcer un mot, son premier.
- Matt... Articula-t-elle en tendant toujours ses bras vers lui.
La surprise se lit sur le visage de son grand frère. D'un seul coup, il n'avait plus envie de la faire taire, il voulait l'entendre encore et encore dire son surnom. Un élan d'amour percuta son âme alors qu'il laissa tomber son arme.
Les larmes aux yeux, il la prit dans ses bras et s'occupa d'elle jusqu'à ce que ses parents rentrent à la maison.
Matthew lui avait changé sa couche et son pyjama, puis il l'avait mouché et défait sa coupe de cheveux pour les brosser. Ensuite, il était parti dans sa chambre pour s'installer dans son lit avec Rebecca à ses côtés et lui avait lu une histoire. Elle s'était endormie, son corps tout menu recroquevillé dans ses bras, ronflant légèrement, un pouce dans sa bouche et une main sur le torse de son frère.
- Plus rien ne ferait du mal tant que je serais là. Je suis ton héros petite sœur, promit-il avant de fermer les yeux.
Il avait été son sauveur, son gardien. Et à chaque fois qu'elle serait en position de faiblesse, il serait là pour veiller et prendre soin d'elle.
Cette soirée avait changé la vie de Matthew à tout jamais. Leur lien était devenu puissant et éternel. L'amour qu'ils se portaient était réciproque et personne n'arrivait à le retirer. L'âme de Matthew avait trouvé un refuge et celle de Rebecca, un héros. Malgré les disputes et les coups bas, si l'un était en difficulté, l'autre rappliquerait à l'instant. C'était plus fort qu'eux, ils ne pouvaient vivre l'un sans l'autre.
Matthew avait tenu sa promesse.
Il avait frappé son premier petit-copain qu'il l'avait trompé, la défendait contre les bêtises qu'elle faisait. Jouait au psychologue face à ses problèmes d'adolescente et au rôle de parents. Ceux-ci les ignoraient, trouvant qu'ils étaient assez grands pour se débrouiller tout seuls. Ils leur donnaient un toit et c'était suffisant comme ça.
Le côté sombre de Matthew ressortait rarement. Quand Rebecca le poussait à bout, il se revoyait à dix ans, où il avait failli l'étouffer avec son oreiller. Matthew avait tenté de la tuer plusieurs fois. L'égratignant le bras, plongeant sa tête sous l'eau, l'étranglant contre un mur.
Dans ces moments-là, il ne contrôlait plus rien. Seuls les mots de ses amis d'enfance résonnaient en lui, comme une mélodie qu'il écoutait sans fin.
- J'ai failli étrangler mon p'tit frère pour qu'il se taise...
Le seul moyen de faire passer sa colère, pour qu'il se sente mieux, était de la faire taire. Mais Rebecca avait trouvé son mot d'alerte, son échappatoire quand il allait trop loin. Le même qu'elle avait prononcé à l'âge d'un an.
- Matt...
Ce simple surnom réveillait son humanité. Le forçant à s'arrêter, car il revoyait le bambin qu'elle avait été. Seule et désemparée. Pleurant pour que quelqu'un vienne la sauver de son berceau. Et il avait été là, comme une lumière dans l'obscurité de sa chambre. Son sauveur, son guerrier. Il se revoyait prendre soin d'elle et de la phrase qu'il avait dite avant de s'endormir.
Sa promesse.
Elle avait peur de lui, mais il était le seul à la comprendre, à la traiter comme une reine, quand il n'était pas en colère. Elle n'avait que lui. Leur lien les empêchait de s'éloigner, cette union si puissante était remplie d'amour, mais aussi de haine. Une relation étrange et sombre, mais c'était la leur et aucun des deux n'avait envie de briser le fil qui les réunissait.
Sauf que Rebecca avait fréquenté les mauvaises personnes malgré les conseils de son frère. Âgée de treize ans, elle travaillait dans un gang. Matthew avait tout fait pour la sortir de là, mais elle ne voulait pas. Elle se sentait à sa place parmi eux. Donc Matthew avait abandonné, lui laissant le choix.
Il n'aurait pas dû.
Un an après avoir fait ses preuves au sein du gang, elle avait été chargée d'une mission, une livraison. Mais ils avaient été trahis. Les balles avaient fusé, les corps s'étalaient au sol et seule Rebecca avait réussi à s'en sortir.
Un gros paquet d'argent avait été volé et le chef de son gang la punissait, car c'était son opération. Il lui avait donné un délai de six mois pour récupérer tout le fric, soit un demi-million d'euros. Ce qui était inimaginable pour Rebecca.
Alors elle avait fait appel à son frère, Matthew l'aiderait, la protégeant comme d'habitude, car c'était son héros.
Matthew avait vingt-quatre ans quand il se servait de ses cours de boxe pour faire des combats illégaux, récoltant toujours plus d'argent pour payer la dette de sa sœur pendant qu'elle se servait de son charme pour envoyer les hommes dépenser pour son corps dans un club.
Matthew commença à noyer ses problèmes dans l'alcool. Mais il ne devait pas abandonner, il devait tenir sa promesse, alors il avait continué pour elle. Pour Rebecca.
Pour rester à jamais son héros.
Quatre ans plus tôt, il avait rencontré Amanda. Lors de ses vacances d'été. Il a tout de suite été mordu par son côté concentré quand elle lisait, cette aura de bonne humeur qui lui donnait de l'espoir. Son rire qui lui donnait du baume au cœur et ses gestes doux envers lui quand ils se taquinaient.
Amanda avait eu son coup de foudre.
Il aimait passer la main dans ses cheveux bruns, plonger dans ses iris réconfortants. La surprendre dans sa lecture en la faisant sursauter, désirant son cœur autant que son âme.
Son âme l'avait reconnu dès qu'il avait posé les yeux sur elle, son cœur s'était emballé comme jamais, son corps avait frissonné devant sa beauté. Cette jeune femme avait ravivé son cœur et lui avait donné un autre but à sa vie.
Celui de devenir son héros à elle aussi.
Il avait réussi comme avec sa sœur. Lui offrant la vie rêvée, une vie simple et sans problèmes. Ils partaient travailler, elle dans l'écriture de son roman et lui dans son entreprise d'ingénieur. Ils passaient leur temps libre ensemble, vénérant le corps de l'autre, sortant dans la ville, se taquinant à n'en plus finir. La routine s'était installée, mais aucun des deux ne s'en lassait.
Ils étaient dans leur bulle, leur monde. Celui qu'ils avaient agrandi avec l'arrivée de leur fille.
Maintenant, Matthew avait trois femmes à protéger.
Ils filaient le parfait amour jusqu'à ce que Rebecca le réclame pour sa dette. Cet appel avait été un tournant dans leur vie.
Depuis, il n'avait plus été le même avec son épouse.
Il savait qu'Amanda avait senti son changement de comportement. Il restait attentif et passionné avec elle, mais il était froid. Il buvait une bouteille d'alcool dès le matin avant de filer au travail. Puis il rentrait, se douchait, mangeait avec Amanda et Azalea avant de partir pour un bout de la nuit.
Il faisait plusieurs combats, puis se rendait dans le club de sa sœur pour la ramener chez elle avant de repartir chez lui et de s'endormir auprès de sa femme.
Cette routine plaisait de moins en moins à Amanda, mais à chaque fois qu'elle osait en parler, il lui disait que Rebecca avait besoin de lui. Et quoi qu'il en dise, Rebecca passera toujours avant son épouse et sa fille.
L'univers s'était abattu sur Matthew quand sa boîte avait fait faillite, le laissant sans emploi et sans argent pour sa famille. Mais il n'avait pas lâché, il devait travailler et vite, chose que personne ne lui donna. Sauf une prostituée du club de Rebecca.
- Elle est la responsable du domaine de la drogue, lui avait-elle expliqué. Elle recherche des dealeurs pour la revendre, tu pourrais tenter ta chance. Elle s'appelle Léo.
Alors il l'avait fait, un soir, il s'était rendu au club et l'avait trouvé. Sauf que pour s'engager, il fallait qu'elle profite de lui avant. Elle manipulait ses employés, les utilisait pour son propre plaisir. Léo savait qu'ils étaient tous dans de mauvaises situations, certains se trouvaient à la rue, d'autres, comme Matthew, voulaient juste subvenir à leurs besoins.
Mais même si Matthew avait une partie de démon en lui, jamais il ne trahirait la femme qu'il aimait. Il en était persuadé, jusqu'au soir où il avait cédé, comme un débutant.
À chaque caresse, il se sentait coupable, à chaque gémissement, il se répétait que c'était pour sa famille. À chaque souffle mélangé à Léo, il pensait à Azalea qui l'attendait pour son histoire du soir. À chaque coup qu'il donnait, il fermait les yeux en remplaçant Léo par Amanda.
Mais plus les mois défilaient, plus il prenait du plaisir à donner son corps à Léo. La culpabilité s'était envolée pour laisser place aux talents de celle qui partageait maintenant ses nuits. Il lui arrivait même de rentrer dans ce club la journée pour l'avoir cinq minutes à lui.
Il se laissa sombrer dans un monde rempli de coups, de sexe et d'alcool.
Léo était différent à ses yeux, il ne l'aimait pas et ne l'aimera jamais autant qu'Amanda. Mais avec elle, il n'avait pas besoin de porter un masque de super héros, elle n'en avait pas besoin. Il se sentait libre et enfin lui-même en sa présence, pas de larmes qui coulent, pas d'amour infini et pas de liens. Il était simplement Matthew Durand et cela lui convenait parfaitement.
C'était tout ce qui lui fallait.
En l'espace de quelques mois, il était devenu le jouet de Léo, le dealeur des sans-abris, le combattant de Rebecca et le fantôme d'Amanda et d'Azalea.
Mais un jour, Amanda avait attendu qu'il rentre à la maison. Elle lui avait dit tout ce qu'elle avait sur le cœur, lui reprochant son éloignement, son absence face à sa fille, insultant sa sœur de lui prendre son amour. Amanda voulait retrouver son mari, mais à la place, elle avait réveillé le petit garçon de dix ans.
Alors, il avait laissé son démon sortir, prendre sa place. Il n'était plus son héros, il était devenu son pire cauchemar. Amanda avait tout fait pour l'arrêter, le suppliant, s'excusant, lui donnant tout son amour dans ses paroles.
Sauf qu'Amanda n'était pas comme Rebecca. Elle n'avait pas le mot de passe.
Et lui n'était pas destiné à devenir son héros.