Le présentateur fait une annonce, et tous ceux qui souhaitent faire une course de motos de vingt tours se placent sur la bande de départ. Jake, Tyler et moi on s'avance jusqu'à la ligne en attendant les autres motards. Au final on est vingt, autant d'hommes que de femme, autant de quarantenaire que de jeunes adultes comme nous. On se regarde tous, et on baisse la visière de notre casque en même temps.
Le feu est rouge, puis il clignote orange. On démarre et fait un tour de piste pour chauffer nos moteurs. Je les laisse passer devant et m'amuse avec ma moto. Une fois de retour sur la ligne pour le vrai départ, plus personne ne s'occupe des autres. On est tous concentré sur la course qui va se jouer. Même si c'est une course d'endurance et pas un sprint, on sait tous que le départ est important pour bien se placer dès le début de la course.
Les moteurs vrombirent, les pots d'échappement fument, la musique résonne partout autour de nous et les cris d'encouragements des spectateurs ne font qu'augmenter l'adrénaline. Le sang pulse fortement et rapidement dans ma poitrine, cette douce mélodie continue jusqu'à ce que le départ soit lancé.
Dès que le feu passe au vert, tous les motards s'élancent sur la piste. La ligne droite qui s'étend sur les deux-cents premiers mètres permet de voir que nous ne sommes pas tous au même niveau. Avec chance et talent je fais partie de la tête du groupe avec Jake et Tyler qui me suivent. Le premier virage se présente à nous, et aucun blessé ne fut à déclarer comme c'est souvent le cas.
Le circuit s'étend sur six kilomètres, et chaque pilote connait toutes les courbes avec ses pièges et ses astuces. Les virages s'enchainent et le groupe se divise très rapidement. En tête, le numéro cinq donne le rythme comme un chorégraphe avec ses danseurs. Il nous impose une conduite à forte vitesse ce qui me fait plaisir.
Je me rapproche et le suis de près ce qui se ressent dans sa conduite. Derrière moi, le numéro douze me talonne et essaye en vain de me doubler, il est lui-même suivi de près par Jake puis Tyler qui essaye de rattraper son frère. Le reste du groupe est divisé en deux, entre ceux au milieu et ceux qui ferment la marche. Chacun essaye de monter d'une place sous les cris du public en folie.
Très vite, voire même trop vite à mon goût, le dernier tour est sonné. Après l'annonce, la vitesse de nos motos augmente et nous devenons tous des bêtes en quête de la victoire. Les virages sont plus serrés et les sorties de circuits plus fréquentes, la vitesse les faisant plus facilement dévier de leur trajectoire. Les genoux chauffent et l'air devient électrique.
Juste à la sortie d'un des derniers virages je double habilement le numéro cinq, puis foncé vers le reste des virages en essayant de ni me faire rattraper, ni de finir dans un fauteuil roulant. Après quelques tournants, dont un où j'ai frôlé la catastrophe, la ligne d'arrivée se dessine au loin et je sens mon taux d'adrénaline augmenter en conséquence. Je tourne la tête derrière moi et vois que mes adversaires sont loin derrière.
Accélérant une dernière fois, je passe la ligne d'arrivée un bras en l'air pointant vers le ciel. Mon cœur bat à la chamade comme s'il voulait sortir de ma poitrine. Mon corps brulant et l'adrénaline encore présente n'arrive pas à calmer l'émotion de cet instant. Je ralentis et m'arrête à l'écart du public pour savourer encore quelques instants cette sensation incroyable et si particulière. Je suis contente d'avoir gagné certes, mais ce qui fait cette victoire c'est d'avoir ressenti autant d'adrénalines, de peur et de joie en même temps. Je me sens revivre.
Juste avant d'enlever mon casque, j'enlève tout signe de joie sur mon visage et endosse mon rôle d'héritière. Cela étant, je ne peux empêcher mon sang de battre si fort que j'entends le rythme dans ma tête, ainsi que les veines pulsées sur mes tempes.
Je rejoins les autres coureurs, les félicite pour leur classement et eux aussi applaudissent à ma victoire. Malgré le visage dur qu'affichent les membres de la mafia autour de moi, je peux sentir qu'ils sont contents de nous voir. J'approche du tableau récapitulant l'ordre d'arrivée, et vois mon nom tout en haut du classement suivi du numéro cinq, de Jake puis de Tyler. Ils se rapprochent eux aussi pour voir le classement.
- Bravo les gars, leur dis-je en voyant leur place
- Ouais mais je n'ai pas réussi à doubler Marc, répond Jake dépité
- Je ne pense pas que tu aurais pu le dépasser, à moins d'être aussi fou que lui et de rouler aussi vite. Alors qu'à plusieurs reprises il aurait pu finir dans le décor, enchaine Tyler pour le rassurer
- Tu veux plutôt dire, rouler aussi vite que les deux, déclare Jake en me désignant du regard. Sérieusement Elena, tu veux finir à l'hôpital ce soir ? Ou tu as décidé de partir plus tôt que prévu peut-être ? Ta vitesse sur le circuit était à la limite du suicide, s'emporte-t-il
- Je gérais ne t'inquiète pas, répondis-je confiante
- Mais bien sûr, rétorque Tyler avec ironie, le dérapage au dixième tour, ça aussi tu maitrisais peut-être ?
- J'ai freiné un peu trop fort ce qui m'a déséquilibré. Lorsque je me suis penché la moto est partie vers l'arrière en faisant un virage beaucoup plus grand que prévu, répondis-je détendue
- Ouais c'est ça, s'il t'arrive quelque chose sur le circuit ne compte pas sur nous, s'énerve Jake en partant vers les vestiaires
Je comprends un peu le fait qu'ils soient énervés, mais parfois ils doutent un peu trop de mes compétences. Si j'ai roulé aussi vite, c'est que je me sens capable de le faire, je connais les risques et que j'en assume les conséquences. Cependant, ma position d'héritière transforme mes proches en père moralisateur.
Ce que j'entendais de sa bouche gamine, je le retrouve en chacun de mes amis lorsque je me mets un peu en danger. Ne voulant pas que l'on s'énerve les uns contre les autres alors que la journée s'était bien passée jusqu'ici, je les laisse se changer et rentrer de leur côté.
Ce n'est que tard dans l'après-midi que je prends la route du centre-ville. En effet, la journée était bien avancée quand on a terminé la course. Je profite d'être seule pour faire un détour par la ville avant de rentrer. Je stationne sur un parking à côté de la plage pour profiter du calme de la ville et vagabonde dans les rues, observant chacune des personnes m'entourant.
J'essaye de deviner ce qu'ils font dans la vie, ce qui les passionne, ce qui les pousse à sortir du lit le matin. Parfois, il m'arrive de regretter leurs innocences, leurs ignorances. J'imagine comment ma vie aurait été sans ma famille et les meurtres, ce que j'aurais pu être comme personne. J'aurais pu être cette dame qui vend des fleurs, ou cette mère promenant ses enfants au bord de la plage. J'aurais pu aussi être ce boulanger travaillant très tôt dans la journée ou ce barman qui connait tout de la vie de ses habitués.
J'aurais pu être n'importe qui, mais je suis moi. Et je sais malgré tout, que jamais je ne pourrais faire autre chose que ce que je fais actuellement. Je n'ai pas choisi la famille dans laquelle je suis né, et je n'ai pas choisi ce parcours de vie mais je m'y suis fait, ça fait partie de moi. Je suis né dans ce monde, il m'a construit, élevée, et ma vue grandir. On s'habitue à la longue, c'est horrible de le dire mais c'est vrai. A l'époque on a fait ce que l'on a pu pour survivre, et c'est de notre héritage aussi lourd soit-il, que l'on tire notre force.
Je m'avance vers la plage et marche sur le chemin de pierres la bordant, quand tout à coup une toux me pris. Je n'arrive pas à m'arrêter et essaye tant bien que mal de me calmer tout en cherchant avidement mon médicament. Mais je ne trouve rien dans mes poches de pantalon. Je commence à respirer difficilement et à paniquer par la même occasion.
J'essaye de faire comme le médecin m'a dit, de respirer lentement, mais je n'y arrive pas. L'air rentre difficilement dans mes poumons, et le peu que j'arrive à inspirer ne suffit pas. C'est alors que je commence à voir des points noirs danser devant mes yeux, mes jambes ne me tiennent plus et je tombe sur le sol.
Allongé par terre, la tête dirigée vers la mer, je respire difficilement et tente d'attraper mon téléphone. J'entends plusieurs personnes approcher et au lieu de saisir mon téléphone, ma main gauche se dirige vers le couteau qui est caché dans ma poche.