Appel
Bip... Bip... Bip...
« ... »
- Allô ?
- Corey...! Hum... tu vas bien ?
- Très bien, Aimée, et toi ?
- Ça va, je crois...
- Cool. Euh... tu voulais me parler de quelque chose ?
- Ah, oui... Une amie m'a invitée à sa fête d'anniversaire, samedi.
- C'est super, ça !
- Mais... c'est aussi le jour de ton anniversaire.
- On s'en fout, t'inquiète pas, va t'amuser avec tes amis. J'ai... j'ai quelque chose de prévu, moi aussi, samedi.
- Ah... okay... hum... tu vas faire quoi ?
- Euh... eh bien... Je pars en week-end en... en Angleterre ! Ma mère y est pour quelques jours et je... je vais en profiter pour passer du temps avec elle, tu vois...
- C'est bien que tu puisses la revoir. Loni aussi est absent tout le week-end. Il va dans une sorte de festival avec des amis du club d'échec. Je ne savais pas qu'il aimait ce genre d'évènement, encore moins qu'il était ami avec tout un groupe de personnes... Tu étais au courant, toi ?
- Je... euh... ouais, en partie...
- C'est bizarre, quand même... Ça ne lui ressemble pas trop.
- Hum... c'est... c'est vraiment super que tes amis t'aient invité à une fête. Profite à fond, d'accord ? Promis, on se verra lundi, on ira boire un café ensemble après les cours. Ça te dit ?
- Oui, avec plaisir.
- Nickel, alors ! Bon, je vais devoir te laisser. Le bac approche et je croule sous les révisons. Prends soin de toi, Aimée.
- Merci, Corey... je t'embrasse...
Et il raccroche.
***
22 mai. Corey s'étire dans son lit en bâillant. Le soleil vient caresser son visage et le fait sourire. Dix-huit ans. Ça y est. Il a dix-huit ans. Ce n'est qu'un nombre, une année de plus, mais cela lui fait tout drôle d'être légalement un adulte. Il rit à cette pensée. Une chose est sûre : son âme d'enfant ne disparaîtra pas pour si peu. D'ailleurs, pour appuyer sa réflexion, il bondit sur le canapé du salon comme un cow-boy par-dessus le comptoir d'un bar dans un film de western. Vincent, adossé au réfrigérateur de la cuisine, lui jette un regard las tout en touillant son café.
- Corey, je t'ai déjà dit de ne pas faire ça...
Soudain, un très léger sourire, presque invisible, adoucit son expression.
- ... Surtout que tu es un adulte, maintenant.
Vincent pose sa tasse et s'approche lentement de son fils. Perturbé par son comportement plus qu'étrange, Corey retient son souffle sans savoir à quoi s'attendre. Le sourire de son père se fait plus sincère.
- Joyeux anniversaire. Tiens.
Il attrape un petit paquet cadeau posé sur le meuble télé et le tend à Corey. Le jeune homme lance un regard perplexe à son père qui se traduirait par « pourquoi d'un coup, tu te mets à me témoigner de l'affection ? Il doit y avoir des magouilles derrière... », avant de déchirer l'emballage. Le cadeau se dévoile. Corey n'en croit pas ses yeux.
- J'ai... j'ai longuement réfléchi à ce que tu m'a annoncé, le mois dernier, débute Vincent d'une voix mal-assurée. Il m'a fallu du temps pour l'accepter, mais après avoir fait des recherches, j'ai fini par comprendre. J'ai aussi discuté avec un collègue dont la fille s'est mariée avec une femme, et il m'a dit que ça se passait très bien, qu'il suffisait de faire comme si c'était normal... enfin, je ne dis pas que c'est anormal, juste... pas commun. Bref... je tenais à te montrer que je n'étais pas contre toi et que... je te soutenais.
Le bracelet arc-en-ciel se reflète dans le regard brillant de Corey. Je suis trop sensible, se dit-il en essuyant ses yeux d'un revers de main. En le voyant dans cet état, son père se met à paniquer :
- Qu'est-ce qu'il y a ? Ça ne te plaît pas ?
- Si, c'est juste que... Ça me touche beaucoup... bredouille-t-il, ému. Merci... Merci, papa.
Par réflexe, il amorce un mouvement de bras, avant de se retenir. Par manque d'habitude, cette fois-ci. Vincent n'ose pas regarder son fils dans les yeux. Il se contente de chercher un autre paquet cadeau, toujours contre le meuble télé.
- Je crois que tu n'as pas encore ce vinyle...
- Elton John ? sourit Corey, amusé. Tu l'a choisi parce qu'il est gay ?
- Possible... Je ne connais pas de chanteur bisexuel, répond Vincent. C'est bien ça ? Tu es bisexuel ?
- C'est ça. Je suis attiré par les femmes et par les hommes.
- Et en ce moment... tu es amoureux d'un garçon, si j'ai bien suivi ?
Corey acquiesce, le rouge au joues.
- Tu te souviens de son prénom ? demande-t-il.
- Bien sûr. Il s'appelle Loni. C'est avec lui que tu vas à ton festival de musique ?
Corey hoche de nouveau la tête en triturant le bracelet LGBT entre ses doigts.
- Alors... hum... marmonne Vincent, embarrassé. Même s'il n'y a aucun risque de grossesse, tu prends ce qu'il faut, hein... Le SIDA existe toujours, comme pleins d'autres maladies d'ailleurs, donc... euh... vous vous protégez, compris ?
- Papa ! s'empourpre Corey en roulant des yeux. Je sais tout ça, j'ai le nécessaire au cas où... Mais de toute façon, je ne sors pas encore avec Loni, alors il y a peu de chance que... Roh, et puis stop ! Je ne veux pas parler de ça avec toi, c'est gênant !
Vincent se met à sourire, d'un sourire attendri et paternel. Cette vision étrange trouble Corey encore une fois. Son père ressemble enfin à un vrai père, se comporte en vrai père, lui parle comme un vrai père... C'est tellement soudain, tellement inattendu. Corey se surprend à rêver qu'il reste à jamais ce vrai père attentionné et compréhensif. Il enfile le bracelet multicolore, attrape son sac d'affaire, et sort de la maison en lui souhaitant, pour la première fois depuis longtemps, « bonne journée, papa ».
***
Loni arrive sur le quai de la gare avec, dans le sang, une excitation contenue. Il n'a pas pu cacher à Aimée qu'il se rendait à un festival, étant donné que tout finit par se savoir dans un foyer à cause d'un éducateur trop bavard. En revanche, mentir à sa sœur quant à l'identité de son accompagnateur lui noue désagréablement le ventre. C'était pourtant son idée, c'est lui qui a demandé à Corey d'inventer un alibi pour ne pas qu'Aimée face le lien entre leurs deux absences. Un alibi. Comme s'ils étaient sur le point de commettre un crime. Loni chasse cette idée malsaine de son esprit avant d'apercevoir Corey courir dans sa direction, tel une boule d'énergie sur pattes.
- Oh mais vous êtes en retard, Monsieur Cent-trente-cinq de QI ! s'exclame-t-il.
Corey fait mine de bouder en croisant les bras sur son nouveau tee-shirt du groupe britannique Arctic Monkeys. Avec tout juste deux pulls, quatre tee-shirts, trois jeans et une chemise dans sa penderie ‒ tous noirs ou de couleurs sombres ‒ , Loni se demande sérieusement d'où il sort toute cette collection.
- C'est toi qui es en avance, imbécile. Tu avais sûrement trop hâte de me voir... réplique-t-il avec un sourire taquin.
- Tu n'oublierais pas de me dire quelque chose, par hasard...?
- Hum... non. Pas vraiment.
- Allez...
- Je vois pas.
- C'est pas drôle d'oublier mon anniversaire, Loni !
Ce dernier rit à la mine offusquée de Corey.
- Décidément, tu es toujours en avance, toi ! Je te signale que tu vois le jour à vingt-trois heures quarante-neuf, il y a exactement dix-huit ans. Donc, en théorie, je ne peux pas encore te fêter ton anniversaire.
- Tu déconnes, là ? Je vais pas attendre minuit moins dix pour mon gâteau et mes bougies ! se lamente Corey.
- T'inquiète pas, il n'y a pas l'heure de naissance sur ta carte d'identité, donc je peux au moins te souhaiter... joyeuse majorité, mon vieux !
Corey grimace à l'entente de ce surnom qu'il qualifierait de « beaucoup trop amical », puis se met à fièrement narguer Loni avec sa carte d'identité d'adulte majeur et vacciné.
Le trajet en RER se passe dans la bonne humeur des deux garçons, tout aussi enthousiastes l'un que l'autre. Une heure s'écoule, ainsi que quelques changements de lignes et de bus, avant qu'ils n'arrivent enfin à destination. Ils marchent quelques minutes jusqu'à atteindre une immense structure sur laquelle est accrochée une bannière au nom du festival et les indications à suivre pour entrer. La route, interdite aux véhicules pour l'occasion, grouille littéralement de monde. On repère une écrasante majorité d'étudiants venus passer du bon temps entre amis, mais aussi quelques familles avec des adolescents plus jeunes, ou encore une poignée de soixantenaires nostalgiques des folies de leurs vingt ans. Afin de ne pas être séparés par la foule, Corey et Loni se prennent instinctivement la main avant de s'engager dans la queue. Ils trépignent longtemps, passent enfin la fouille, et présentent leurs billets ‒ qui, rappelons-le, ont coûté la peau du cul à Loni. Plus ils avancent vers la véritable entrée du festival, plus ils semblent traverser un faille spatio-temporelle vers un autre univers. Aux portes de ce monde festif et bruyant de joie, Corey demande avec un clin d'œil :
- Prêt pour le grand voyage ?
Loni lui sourit légèrement dans un regard de défi.
- Ce n'est pas un petit festival qui va m'effrayer. Par contre te supporter pendant deux jours, ça, ce ne sera pas une mince affaire.
Corey hausse les sourcils, l'air de dire : « tu ne pourras plus te passer de moi après ça » et, comme le grand enfant qu'il restera toujours, saute pieds joints dans le premier mètre carré de pelouse du festival.
Ils sont immédiatement transportés par l'ambiance loufoque du lieu. La musique émane de tous les côtés, vibrante par ses airs de rock'n'roll. Partout dans le festival et à tout instant, la foule dansante s'agglutine devant une des cinq scènes où se produisent des artistes parfois célèbres, souvent inconnus. L'odeur douceâtre de la friture et du sucre se mêle à celle de l'herbe des joints allumés. Des fumées multicolores flottent dans l'air, semblables à des arc-en-ciel fondus et, par-dessus les milles chevelures, claquent des banderoles et des rubans.
Malgré son expression impassible, Loni ne peut s'empêcher d'être impressionné par la superficie du lieu et la foule de jeunes aux vêtements colorés qui chantent et rient entre amis. En temps normal, il détesterait ce genre d'endroit bruyant et sale où la pudeur n'a plus lieu d'être, et pourtant il se sent contaminé par cette joie libératrice. Ce doit être pour cette raison que Corey a l'air d'un poisson dans l'eau. La liberté, cela coule dans ses veines.
- Oh, bordel ! s'écrie-t-il à la vue du programme des concerts. C'est à quinze heures, Loni ! Arctic Monkeys, sur scène à quinze heures ! Aaaaah ! Dépêchons-nous, vite ! Vite avant qu'il n'y ait trop de monde !!!
- Corey, il est même pas midi, putain !
Excité comme une puce, Corey se met à traîner Loni devant tous les concerts du programme, découvrant de nouvelles chansons et de petits groupes prometteurs. Son enthousiasme attendrissant, voire adorable, ne laisse pas Loni indifférent. Il trouve Corey encore plus beau ainsi, tellement rayonnant. Si seulement il parvenait à lâcher prise, il pourrait peut-être ressentir la même légèreté que lui, et danser avec lui, sans se soucier du regard des autres, de ce rôle sérieux dans lequel il s'est enfermé, d'Aimée... Corey a déjà commencé à crocheter la serrure de son cœur, mais sera-t-il assez habile pour en faire tomber le cadenas ?
Après trois concerts à se casser la voix sur des chansons qu'ils ne connaissaient même pas, les deux garçons décident enfin de satisfaire leur estomac gargouillant. Ils partent à la conquête des stands de nourriture pour s'acheter des hot-dogs et une grande barquette de frites à partager. Avec ce-ci, Loni paye discrètement deux parts de gâteau tandis que Corey l'attend assis à une table de pique-nique. Il le rejoint en cachant les assiettes sur son banc, avant d'entamer son repas.
- Mais qu'est-ce que je suis en train de bouffer ? grimace-t-il en zieutant son hot-dog. Mes doigts sont plus luisants que mon avenir !
- Euuh... Loni, tu vas devenir un brillant ingénieur à la NASA et révolutionner la technologie spatiale, alors je ne crois pas que de la malbouffe soit plus luisante que ton avenir, rétorque Corey.
- Je devrais plutôt devenir médecin pour te sauver d'un excès de cholestérol à cause de cette merde pleine d'huile !
- Simple question : tu me feras du bouche-bouche si je fais un arrêt cardiaque à cause de « cette merde pleine d'huile » ?
- Tu es vraiment stupide ou tu le fais exprès ?
- Oh, à toi de me le dire...
Corey tend ses mains toute grasses vers le visage de Loni qui a aussitôt un mouvement de recul et manque de tomber de son siège.
- D'accord, tu fais clairement exprès d'être stupide ! conclut-il.
- J'adore juste t'embêter, lui sourit Corey en s'essuyant les mains. T'es mignon quand tu boudes.
Loni répond par un son monosyllabique, mais la chaleur de ses joues parle d'elle-même. Pour se donner un peu de contenance, il sort une boîte d'allumettes et une bougie de son sac qu'il plante sur une des parts de gâteau. Il l'allume sous le regard mi-étonné, mi-amusé de Corey, et pousse l'assiette dans sa direction.
- Oh, Loni... tu chantes pour moi ?
- Faut pas trop m'en demander.
- Allez, c'est mon anniversaire, steuplé, steuplé, steupléééé...
Loni soupire mais, face à son regard implorant, finit par lui chanter un joyeux anniversaire de sa voix claire et délicate. Corey le contemple avec des étoiles plein les yeux, complètement envoûté par la douce mélodie que le jeune homme lui chante, rien que pour lui. Une fois la chanson terminée, il quémande dans un sourire béat :
- En anglais maintenant...
- Cours toujours, Monsieur Pas-Encore-Né.
Corey souffle sa bougie sans détacher de Loni son regard enjôleur. C'est alors que sans prévenir, il se penche par-dessus la table, accoudé à seulement quelques centimètres de son visage. Ses mèches brunes balayent son front lorsqu'il susurre un petit « méchant » qui excite sensiblement le concerné. À une proximité aussi intime, Loni jurerait que Corey est sur le point de l'embrasser. Peut-être l'aurait-il fait si le jeune homme n'avait pas détourné le regard.
Lâche.
- Il... il y a de la... de la cire qui coule sur ta part... balbutie-t-il.
Laissant échapper un léger soupir, Corey se recule tandis que Loni reprend enfin ce souffle. Il brûle d'envie d'attraper ce garçon incroyablement sexy par le col de son tee-shirt Arctic Monkeys et de l'embrasser à pleine bouche jusqu'à ce qu'asphyxie s'en suive. C'est à croire que plus Corey le regarde, lui sourit et le frôle de ses mains habiles, plus Loni doit fournir des efforts surhumains pour résister à ses désirs.
Essayant de chercher une échappatoire à cet excès de sex-appeal visuel, Loni accroche son regard au bracelet arc-en-ciel que porte Corey au poignet gauche. Son détenteur le remarque et lui chuchote en guise d'explication :
- C'est mon père qui me l'a offert.
- Ton... ton père ? répète Loni, sourcils froncé.
- Aussi étonnant que cela puisse paraître, oui. Il voulait me montrer qu'il m'acceptait après mon...
Sa phrase reste en suspend. Corey a bien envie de ne jamais la terminer, mais le regard interrogateur de Loni l'en empêche.
- ... mon coming-out bi, achève-t-il avec réticence.
- Ton coming-out b... Par... pardon ?! s'étouffe Loni.
- Ouais, alors en fait...
- J'ai raté un épisode là. Tu es bi ? Genre... bi comme bisexuel ? Le B de LGBT ?
- Ben oui, ça veut pas dire « biscotte »...
- Mais tu... s'emmêle Loni, complètement perdu. Tu l'as découvert quand ? Comment ?
En tombant amoureux de toi, imbécile ! meurt d'envie de lui crier Corey. Oh merde, je ne peux définitivement pas lui répondre ça !
- Je ne sais pas... je l'ai toujours senti, je crois. Pareil que toi. C'est juste que ces dernières semaines, j'ai fait des recherches et je me suis reconnu dans cette sexualité. Rien de... de bien particulier, ha ha...
Loni le dévisage, comme pour sonder son mensonge avec son regard suspicieux. Corey a soudain très très chaud. Quelle idée de mettre en tee-shirt noir sous un soleil de plomb, en même temps !
- Ah eh bien, content que tu aies pu posé un mot sur ce que tu ressens, finit par répondre Loni dont les traits du visage se détendent. C'est cool, on fait partie de la même communauté.
Corey acquiesce joyeusement en brandissant son bracelet multicolore. Ouf... il l'a échappé bel ! Même si connaissant Loni, l'excuse du « je l'ai toujours senti, je crois » ne l'a pas convaincu à cent pourcent. Corey doit se montrer prudent s'il veut garder ses sentiments encore secrets.
L'heure a sonné. La grande heure. Quinze heure ! À moins vingt, Corey se précipite devant la scène dans l'espoir d'être dans les premiers. Il se désenchante bien vite en constatant que nombre de festivaliers ont eu la même idée de génie que lui. Loni lui rit au nez :
- C'est pas grave, tu les verras comme d'habitude : sur le grand écran !
- Toi peut-être avec ton mètre soixante, mais moi du sommet, je vois la scène, pardi !
- Un mètre soixante-trois, pauvre crétin !
Puis ils repartent dans leurs éternelles chamailleries constellées de tendresses sous-entendues et d'amour refoulé. Sans doute que les gens autour les prennent pour deux meilleurs amis, tandis que les plus perspicaces décerneront les sentiments enfouis derrière. Sans doute... se dit Loni. Et il se met alors à craindre que la foule qui les entoure soit remplie de mentalistes qui décryptent leurs moindres faits et gestes en se murmurant à l'oreille : « Tu vois ce que je vois ? » « Je vois très bien. » « Et eux, le voient-ils ? » « Je vois qu'ils le voient aussi. » « Alors pourquoi font-ils semblant de ne pas le voir ? » « Ils jouent les aveugles du cœur, mon ami »...
Les hurlements des fans le tirent brutalement de ses réflexions. Sur scène, le célèbre groupe britannique fait son apparition en saluant le public. Corey semble parti dans une crise d'hystérie totale :
- Bordel ! Oh ! Ah ! J'y crois pas ! Arctic Monkeys ! En vrai ! Je les vois ! Putain ! C'est trop bien ! Pas vrai, Loni, que c'est putain de bordel de trop bien ?!
Il se met à secouer Loni comme un pauvre shaker avant de vite se calmer face à son regard assassin. Malgré tout, le jeune homme se fait plus doux et joyeux devant le sourire éclatant de Corey. Il a l'air si comblé que Loni ne peut s'empêcher de l'être à son tour. Rendre Corey heureux le remplit lui-même de joie. C'est contagieux, ce virus du bonheur qu'ils se partagent entre eux, comme un secret qui leur appartient.
« Do I Wanna Know ? » chante la foule en même temps qu'Alex Turner. Pour la première fois depuis qu'il écoute cette chanson, Corey s'aperçoit qu'elle produit un écho effrayant avec sa propre situation :
I've dreamt about you nearly every night this week
(J'ai rêvé de toi presque toutes les nuits cette semaine)
How many secrets can you keep?
(Combien de secrets peux-tu garder ?)
Cause there's this tune I found that makes me think of you somehow
(Parce qu'il y a cette chanson que j'ai trouvée qui me fait penser à toi d'une certaine façon)
And I play it on repeat
(Et je l'écoute sans arrêt)
Until I fall asleep
(Jusqu'à ce que je m'endorme)
Spilling drinks on my settee
(En renversant des verres sur mon canapé)
Le concert se poursuit dans une énergie incroyable, entrecoupé par les applaudissements des fans. Corey se casse la voix à chanter, bras dessus bras dessous avec Loni. La main du jeune homme posée sur sa taille le rend limite euphorique. Il se sent soudain capable de monter sur scène pour lui chanter son amour dans le micro, lui dire à quel point il l'aime malgré la situation actuelle qui rend leur idylle impossible. Ha ha... quelle idée stupide.
- C'était génial ! déclare Loni une fois le concert terminé. J'ai bien aimé la dernière chanson, et toi ?
Si tu pouvais juste arrêter d'être aussi mignon...
- C'est... c'est aussi ma préférée... bafouille Corey.
Comment je suis censé te voir comme un ami, sinon ?
- Tu viens ? dit-il en lui prenant la main.
Comment je suis censé ne pas penser à toi de cette façon ?
Ils s'installent sur l'herbe fraîche, à l'écart des concerts et des stands de nourriture. Un groupe de jeunes s'amuse non loin. Une odeur âcre flotte dans l'air. Elle vient piquer le nez de Loni et raviver des souvenirs douloureux. Les effluves des joints. De la marijuana. De maman, défoncée. Sans prévenir, il attrape la manche de Corey et s'éloigne du groupe en marmonnant :
- J'déteste l'odeur de cette merde...
Ils se rassoient plus loin, dans un espace où l'air est respirable. Loni ferme un instant les yeux afin de se confronter aux souvenirs qui l'assaillent. Sa mère étendue sur le canapé, qui fume au début, se pique à la fin, boit jusqu'à devenir ivre, molle, presque sans vie, elle finit dans les toilettes où elle vomit ses tripes en sanglotant, et son fils de neuf ans tente de la consoler, ramasse les mégots sur la moquette, essuie la bière qui a coulé, ouvre grand les fenêtres du salon qui empeste l'alcool et le désespoir. Puis après tout ça, il va s'occuper de sa petite sœur, lui chanter une berceuse, la border, rester à ses côtés jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Et enfin, il peut pleurer pour lui. Tout seul. En silence. Pleurer, pleurer, pleurer...
- Loni, ça va ?
Il ouvre les yeux en sursautant.
- Ouais... bredouille-t-il.
- C'est à cause de l'odeur des joints ?
Il acquiesce.
- T'en fumes encore ? balance-t-il d'un ton sec.
- Non, répond aussitôt Corey. Je suis même en train d'arrêter la cigarette, tu sais ?
Loni lâche un rire d'incrédulité.
- Toi ? À d'autres.
- Je te le jure.
Pour appuyer ses propos, Corey soulève un pan de son tee-shirt et dévoile un patch collé sur sa peau blanche.
- Patch à la nicotine. Ça atténue le manque pendant le sevrage. J'ai essayé d'arrêté de fumer d'un coup mais avec les migraines, je n'ai pas réussi à tenir... Alors j'ai opté pour la méthode progressive. Maintenant, je ne fumes que deux cigarettes par semaine, et à partir de lundi, ce sera une seule max. Dans deux semaines, plus rien, fini de cher finito. C'est pas facile mais je m'accroche. Je veux vraiment arrêter de fumer, je sais que j'en suis capable.
Loni en reste sans voix.
- Mais... pourquoi maintenant ? finit-il par demander. Enfin je veux dire... tu ne vas pas me faire croire qu'un matin, tu t'es juste réveillé en te disant « tiens, j'ai pas envie de crever d'un cancer des poumons à quarante ans, donc je vais arrêter la clope parce qu'en fait, la vie c'est cool » !
- Non, tu as raison... avoue Corey en rougissant. Il y avait une autre motivation derrière...
C'est le moment, lui souffle sa conscience. Ça fait peur, mais il faut se lancer ! Allez, c'est maintenant ou jamais !
- Il y a un peu plus d'un mois, je t'ai demandé de quel genre de mecs tu pouvais tomber amoureux...
Dis-lui.
- ... et tu m'as répondu non-fumeurs, Loni.
Silence. Loni sent que son cœur va exploser. Comment ? Qu'est-ce qu'il vient de dire ? Qu'est-ce qui se passe ? pense-t-il à tout allure. Les idées s'emmêlent dans sa tête telles un tourbillon de questions et d'émotions incontrôlables.
Calme-toi.
Respire.
Contrôle-toi !
- Tu veux la vérité ? J'ai envie de te plaire. J'ai envie que tu me regardes différemment. Parce que moi, c'est comme ça que je te vois.
Loni n'a pas fait un mouvement, n'a pas ouvert la bouche, n'a pas respiré une seule fois. Le regard vert de Corey le consume, et sa tête inclinée, son visage si beau, si attirant, s'approche du sien sans qu'il ne puisse l'en empêcher.
Sauf que cette fois-ci...
J'ai envie de l'embrasser.
Il ne s'arrête pas.
Ses lèvres effleurent les siennes, les rencontrent, puis les goûtent avec délice. Loni se laisse faire le temps d'un instant, d'une seconde, d'un rêve seulement...
« Lonini, tu me portes sur ton dos ? »
... Le temps de réaliser ce qu'il se produit réellement et ce que cela engendrera s'il n'y met pas fin tout de suite.
D'un coup, il s'arrache à ses lèvres comme une fleur déracinée à la terre. Il tourne la tête, les ongles plantées dans l'herbe fraîche. L'envie et la culpabilité se battent en duel sur son visage lorsqu'il lâche froidement :
- Arrête. On ne peut pas faire ça. Tu es... merde, Corey ! Tu es le mec de ma sœur !
- Mais tu sais très bien que je ne suis pas amoureux d'Aimée ! proteste-t-il vivement. Ça, je ne te l'ai jamais caché, et tu sais aussi bien que moi pourquoi je sors encore avec elle aujourd'hui...
Loni enlève brusquement sa main quand Corey essaye de le toucher.
- C'est toi que j'aime, Loni ! Tu as dit qu'on ne pouvait pas choisir qui nous attirait, eh bien c'est toi que mon cœur a choisi et je n'y peux rien !
- Non, tais-toi...! s'étrangle-t-il. On ne peut pas... on n'a pas le droit... alors arrête de me faire ça !
Les larmes lui brûlent les yeux alors qu'il essaye vainement de mettre de l'ordre dans le chaos de ses pensées. Mais malgré toutes ses protestations, Corey renchérit de plus bel, laissant ses sentiments éclater au grand jour :
- Moi aussi j'ai essayé de résister ! Mais c'est devenu trop dur, trop lourd à garder pour moi maintenant ! Je sais que tu ressens la même chose, ne me mens pas ! Je sais contre quoi tu te bats, et pour toi ce doit être encore plus difficile ! Mais... si on oubliait tout ça rien qu'un week-end ? Un week-end où on ferait ce qu'on voudrait, où on serait libre de s'aimer sans que personne ne le sache ?
- Corey...
- Juste vingt-quatre heures ! insiste-t-il désespérément. Rien de ce qui se passera entre nous ne sortira du festival, et après ça, tout redeviendra comme avant. Je t'en fais la promesse...
Loni ne bouge pas. Il voudrait contenir ses tremblements, cacher son excitation qui n'a pas lieu d'être, qu'il n'a pas le droit de ressentir. Il se sent déchirer entre ses désirs et son devoir envers sa sœur, car est-ce une trahison ? Et si cela l'était bel et bien, a-t-il une raison valable de la trahir ? Aimée le comprendrait-elle ? Ou va-t-elle le rejeter, le haïr ?
Puis il fait l'erreur de tourner la tête vers Corey.
L'erreur de se noyer dans son regard, de rallumer la flamme traîtresse qui lui brûle le cœur.
Vas-y, lui souffle une petite voix.
Cède à tes désirs.
Tu en as bien le droit.
Car après tout...
« On ne choisit pas qui nous attire »
... Aimée ne le saura jamais.
Tout à coup, Loni attrape Corey par le col et plaque brutalement ses lèvres contre les siennes. Un instinct presque animal prend le dessus sur leur raison et leurs désirs éclatent comme des ballons de baudruches sous la pression du gaz. Corey s'empare du visage de Loni pour mieux dévorer sa bouche tandis que les mains brûlantes de son partenaire s'insinuent sous son tee-shirt et courent sur sa peau agitée de violents frissons. Leur baiser reflète en tous points leur relation : brutale, enivrante et chaotique.
À bout de souffle, Loni abandonne les lèvres de Corey pour revenir peu à peu sur Terre. C'est d'ailleurs la première fois qu'il l'a réellement quittée, sans les chaînes de sa raison qui le clouaient au sol. Embrasser Corey lui a prodigué un tel plaisir qu'il a eu, pendant un instant, l'impression folle de s'envoler. Comme un oiseau. Un être libre.
- Vingt-quatre heures... murmure-t-il, le visage niché au creux de son cou. Vingt-quatre heures de liberté...
- Loni... souffle Corey dans ses cheveux. Merci... Je t'aime, je t'aime...
Et Loni se laisse aller dans ses bras, comme il ne l'a jamais fait avec personne auparavant. Trop vulnérable, trop naïf, trop... libre. Qu'il le soit, aujourd'hui. Qu'il lâche prise. Qu'il envoie tout valser ! Car si dans tous les cas, il doit ressortir blesser de ce dilemme, autant s'abandonner pleinement aux plaisirs coupables avant la souffrance, oublier de penser, goûter au Paradis avec Corey, et rien qu'une fois...
Perdre le contrôle.
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Vous le sentez venir le champagne ? 🍾🥂
Z'EST ARRIVÉÉÉÉÉÉ WOUHOUUU !!! AU 39ÈME CHAPITRE !!!!
Avez-vous des idées concernant la suite ? :)
À votre avis, qu'est-ce que ça donne quand Loni se laisse aller ? *insère un sourire malicieux*
Merci pour votre lecture !
À bientôt !
MayaOnyx