Hôpital de Sacramento, environ 1h30 du matin.
" Je suis désolé, nous n'avons rien pu faire."
Ces mots énoncés d'une voix douce par la médecin urgentiste, résonnaient en boucle dans mon esprit fatigué et las, depuis déjà plusieurs heures.
Dès l'instant où j'avais senti mon cœur se fissurer un peu plus, et un torrent de rage incontrôlable me submerger, j'étais parti de ce foutu hôpital, sans même me retourner.
Je n'avais pas le droit de craquer, pas comme ça, pas devant tout le monde. Mon père, mes frères, l'équipe entière, ils étaient tous là.
"Ne laisse jamais voir tes faiblesses ! Sinon, ils les retourneront contre toi !"
Ce putain de mantra que mon père m'avait répété durant toute mon enfance, me revenait sans cesse en tête, tel un foutu boomerang. Surtout lorsque mes sentiments devenaient trop durs à gérer.
Mais, grâce à celui-ci, aux yeux de tous, je paraissais toujours froid et distant.
C'était parfait !
Puisque depuis quelques années, il était primordial que les autres me voient ainsi.
Lorsque la Doc s'était adressée à moi, j'avais immédiatement senti le regard de chacun présent dans cette foutue salle d'attente, se posait avec une attention toute particulière sur moi.
Essayant de jauger mon humeur sans un mot, et de savoir comment je prenais " LA " nouvelle.
Celle que je redoutais depuis que mon pote avait été évacué de la carcasse en feu, celle dans laquelle mon ami Dino était mort par ma faute.
Tous attendant patiemment, de voir si j'allais exploser telle une grenade dégoupillée et retourner complètement l'hôpital, ou si j'arriverais à me canaliser cette fois-ci.
Je ne pouvais pas leur en vouloir.
Tous ceux présents, me connaissaient assez bien, moi et mes pétages de câbles incontrôlables.
Lancé par ma colère, je devenais une toute autre personne.
Depuis tout petit, j'avais un sérieux problème pour gérer mes émotions, en particulier lorsque j'étais bouffé par cette colère noir qui m'habitait. Pouvant franchement exploser pour trois fois rien. Donc dans un moment comme aujourd'hui, il valait mieux ne pas croiser mon chemin.
Les vieux murs jaunes de la clinique, tous leur regards fixaient sur moi, ainsi que cette triste nouvelle m'avaient oppressé de plus en plus. Ne sachant pas comment réagir, j'avais tout simplement fui comme un putain de gosse apeuré.
"Respirer, j'avais juste besoin de respirer."
Suffoquant de plus en plus, les mains tremblantes de rage, j'avais directement grimpé dans mon pick-up et j'avais pris la route sans réel but. J'avais juste le besoin viscéral de m'éloigner de tout ce merdier pour enfin respirer normalement.
Et, plus les kilomètres étaient avalés par le moteur en m'éloignant de cette maudite clinique, et plus ma respiration était moins chaotique.
"J'aurai dû être à sa place, c'est moi qui étais visé putain..."
Au bout de deux bonnes heures à conduire sous les reflets de la lune, mon esprit embrumé se réveilla soudain. Je venais enfin de tilter que j'étais sur la highway et presque arrivé à Madera, non loin de Fresno.
"Putain, qu'est-ce que tu fous mec ?"
Pendant que ma conscience et moi-même étions bien trop préoccupés à pleurer sur le sort de mon ami, et à refaire le fil de la soirée pour tenter de comprendre ce qui m'avait échappé.
Mon inconscient avait choisi la destination, tout droit en direction de la dernière personne auprès de qui on m'aurait soupçonné d'aller chercher du réconfort.
Car oui ! Il existait bien une personne dans ce monde, avec qui je ne m'étais jamais embarrassé de paraître irréprochable. Essentiellement, parce qu'elle avait toujours lu en moi comme dans un putain de livre ouvert, et aussi parce qu'elle m'avait déjà vu dans tous mes états.
Les bornes défilaient sur mon compteur, tandis que je me rapprochais de celle qui s'était autoproclamée mon ennemie jurée, un beau jour de printemps.
Et étrangement, le fait de penser à elle, soulageait déjà grandement l'angoisse dont j'étais prisonnier depuis plusieurs heures.
Elle allait certainement me dégager à grand coup de pied au cul et me renvoyer de là où je venais sans aucun remords, et pour être honnête elle aurait totalement raison.
Elle était l'une des rares personnes dans ce monde qui réussissait à m'intimider. Elle était surtout la seule fille que j'avais rejetée par simple précaution, puisque dans mon esprit d'ado, c'était couru d'avance: elle méritait une vie simple que je ne pourrai jamais lui offrir.
Sans vraiment réfléchir à l'époque, j'avais écouté mes peurs, et j'avais tout bonnement fini par la blesser, plus que de raison.
Pourtant, aujourd'hui, c'était elle
que j'avais envie de voir.
Mais, à ce moment-là, visé derrière mon volant, tout ce dont j'étais vraiment sûr, c'était qu'elle était la personne dont j'avais le plus besoin pour m'aider.
M'aider à pouvoir fermer les yeux et oublier le monde, le temps de faire disparaître le vide douloureux au creux de ma poitrine. M'aider comme elle avait toujours su le faire avant que je ne lui brise le cœur.
J'avais juste besoin de respirer.
De la respirer.