La blonde devint livide et la brune stoppa net sa descente des marches. Elles avaient peut-être bu la veille, mais pas assez pour oublier le beau visage qui avait égayé leur nuit.
Regina pouvait encore sentir le poids des yeux verts sur sa peau, la pression des doigts sur son épiderme, le souffle chaud venu s'échouer contre ses lèvres. Les évènements de la nuit dernière défilaient dans sa tête dans de lubriques images qui lui firent monter le rouge aux joues. Comme un brusque déferlement de passion dans cette vie vide de sens, la soirée de la veille avait ébranlé bien des certitudes, bousillé le lassant quotidien au profit d'une saisissante tempête de sensations, aussi bouleversantes soient-elles.
Les yeux fauves avaient perdu en confiance depuis la veille, ce qui n'enleva rien à l'emprise qu'ils exerçaient sur les orbes verts, aussi apeurés qu'ils étaient séduits en cet instant.
Emma sentit le même ravissement au creux du ventre, la même appréhension, la même déflagration qu'en croisant le regard chocolat pour la première fois. En la quittant quelques heures auparavant, elle avait fait le deuil de retrouver un jour cette mystérieuse inconnue qui l'avait possédée au premier coup d'œil. Alors en la voyant à nouveau, en haut de ces escaliers, elle jura que le destin s'acharnait à la placer sur son chemin, coûte que coûte, pour qu'elle ne puisse l'oublier. Comme pour faire perdurer une parenthèse enchantée dans cette vie d'infortune, le souvenir de la nuit dernière ne pourrait la quitter, la femme hanterait sa mémoire à jamais.
Après un temps d'arrêt qui leur parut durer une éternité, Regina détourna finalement le regard et reprit sa marche comme si de rien n'était. Emma, quant à elle, eut beaucoup de mal à dévisser ses yeux de la femme qu'elle trouvait encore plus belle, plus ensorcelante que dans ses souvenirs. Ce fut seulement lorsque la brune atteignit le rez-de-chaussée que la blonde se résigna finalement à baisser les yeux.
— Bonjour Rolland, salua poliment la maîtresse de maison.
— Bonjour Regina, répondit sobrement le jeune homme.
Ils se firent la bise puis la brune fut bien contrainte de reporter son attention sur la blonde.
Aussi gênées l'une que l'autre, elles furent incapables de se regarder dans les yeux et, face au malaise palpable qu'elles instauraient, Robin se sentit obligé d'intervenir.
— Emma, je vous présente ma femme, Regina, encouragea-t-il.
— Enchantée, Madame Hood, s'avança la blonde.
— Madame Mills, corrigea la brune en se reculant d'un pas.
— Excusez-moi, je croyais que vous étiez mariés, se justifia-t-elle.
— Oh mais nous le sommes ! Ça fait 10 ans maintenant, renseigna Robin dans un grand sourire destiné à son épouse, Seulement Regina a toujours tenu à garder son nom. Et je ne m'en plains pas, loin de là ! Ça sonne bien, Madame Mills, vous ne trouvez pas ?
— Euh, oui, je suppose, balbutia la blonde, peu intéressée par les dires de l'homme, mais démesurément déstabilisée par les yeux noirs qui la fixaient.
— Vous allez vous installer en haut ? Tu fais visiter les lieux à Emma ?, demanda Robin en s'adressant à son fils.
— Non, non, je m'en occupe, intervint aussitôt Regina, Je vais aider Emma à s'installer. Je suis sûre qu'après trois ans sans vous voir, vous avez une tonne de choses à vous raconter !
Et c'est ainsi que les deux amantes de la veille purent tranquillement s'éclipser à l'étage.
Arrivée en haut, la brune se précipita jusqu'à la chambre de Rolland dont elle claqua violemment la porte une fois la blonde entrée.
— Vous étiez au courant ?!, accusa-t-elle d'emblée.
Emma la dévisagea, sans voix. La femme était sérieuse, ridiculement sérieuse.
— Mais bien sûr, j'étais au courant !, ironisa-t-elle, Je me suis dit, tiens Emma, pourquoi tu n'irais pas te taper ta nouvelle belle-mère !
— Chut ! Baissez d'un ton, gronda Regina, une veine se dessinant au milieu de son front.
— Roh ça va, cette baraque est immense, râla la plus jeune.
— Et bien isolée, ajouta la brune, Heureusement, puisque vous semblez incapable de chuchoter.
— Vous étiez plus agréable hier soir, fit remarquer la blonde, C'est la gueule de bois qui vous rend si antipathique ?
Regina la fusilla du regard.
— Vous semblez prendre toute cette situation avec beaucoup de légèreté, beaucoup trop à mon goût, bouillonna-t-elle, Je ne sais rien de votre relation avec Rolland, mais j'espère que nous sommes d'accord sur le fait qu'il est absolument hors de question que cette histoire s'ébruite.
— Et zut, moi qui pensais avoir trouvé un prétexte pour larguer Rolland, surjoua-t-elle.
La blonde se montrait espiègle, la brune aurait adoré ça la veille, seulement aujourd'hui, son comportement l'excédait au plus haut point.
— Je ne plaisante pas avec vous, Mademoiselle..., elle s'arrêta en réalisant qu'en dépit de connaître toute son anatomie sur le bout des doigts, elle ne connaissait même pas son nom.
— Swan, Mademoiselle Swan, compléta la blonde, Mais vous pouvez m'appeler Emma.
— Je ne plaisante pas avec vous, Mademoiselle Swan, ignora la brune, Si vous avez le malheur d'en parler à qui que ce soit ou de faire la moindre allusion à la nuit dernière, je vous promets que—
— Gardez vos menaces pour d'autres, Madame Mills, la coupa Emma, Je ne suis pas du genre briseuse de ménage et je ne suis pas assez bête pour m'amuser à contrarier Rolland. Alors croyez-moi, je ne dirai rien.
— Très bien... Parfait alors, se calma-t-elle avant de s'inquiéter à nouveau, Qu'est-ce que vous lui avez raconté pour hier soir ? Il ne se doute de rien ?
— Je lui ai dit que j'avais passé la soirée au Rabbit Hole et que j'avais trop bu, raconta Emma, En fait je lui ai plus ou moins dit la vérité...
— Si ça peut vous rassurer de le penser, commenta la brune en levant les yeux au ciel, En tout cas, vous n'êtes pas allée chercher bien loin.
— Qu'est-ce que vous vouliez que je lui dise ? Je n'étais pas des plus fraîches quand il est arrivé ce matin et je ne connais aucun autre bar ici à StoryBrooke, se justifia-t-elle, Vous, qu'est-ce que vous avez raconté à votre mari ?
— Je lui ai dit que j'avais dîné chez mon amie Kathryn et que nous n'avions pas vu le temps passer.
— Ouais, pas très original, mais au moins, ça a le mérite d'être crédible. Elle sait qu'elle est votre alibi ?, vérifia Emma.
— Non, pas besoin, Robin n'est pas du genre à aller enquêter parce que j'ai eu le malheur de découcher une nuit, certifia Regina.
La blonde fit les gros yeux, ne disait-on pas tel père tel fils ?
— Tant mieux alors, nous n'avons plus qu'à nous ignorer le temps d'une semaine et puis c'est réglé !
— Ça ne risque pas d'être bien compliqué, affirma la brune.
— Ah oui ? Vous avez pourtant eu bien du mal à m'ignorer hier soir, fit remarquer la blonde.
— Cessez vos allusions, je vous prie, protesta Regina, Nul besoin de remettre notre bêtise sur le tapis.
— Notre bêtise ?, s'offusqua Emma.
— J'ai trompé mon mari, vous avez trompé votre petit-ami, et pour couronner le tout, nous nous retrouvons tous ensemble pour une "semaine en famille", rappela-t-elle, Si ce n'est pas une bêtise, comment est-ce que vous appelez ça, vous ?
La blonde se creusa les méninges une seconde ou deux pour trouver la dénomination adéquate.
— Un beau bordel, finit-elle par lâcher.
— Langage !, réprimanda la brune, Si vous n'êtes pas capable de formuler la moindre phrase sans grossièreté, il me sera d'autant plus facile de vous ignorer toute une semaine, piqua-t-elle.
— Allez-y, ignorez moi Madame Mills !, lança-t-elle comme un défi, sans réellement savoir ce qu'elle faisait vraiment.
Regina leva les yeux au ciel puis sortit de la chambre, Emma sur ses talons. Et alors qu'elles avançaient en direction de la salle à manger où Robin et Rolland les attendaient, la plus jeune ne put détacher ses yeux de la femme qui la devançait. Parce que si la demeure était somptueuse, la maîtresse des lieux l'était plus encore.
— Ah vous voilà !, s'exclama Robin en les voyant arriver.
— On commençait à s'impatienter, ajouta Rolland.
— Elles n'ont pas été si longues, défendit le père Hood, Comment trouvez vous la maison, Emma ?
— Elle est superbe ! Tout est superbe chez vous, ajouta-t-elle en lançant un furtif mais signifiant regard en direction de Regina.
— Et vous n'avez pas encore vu la piscine, l'eau est encore trop froide, mais revenez d'ici un mois et je vous promets que vous ne voudrez plus repartir !, assura-t-il.
— Ah ça, je veux bien vous croire, s'esclaffa-t-elle nerveusement.
À l'image de son fils, Robin était charmant et solaire, mais il dégageait aussi une sorte de gentillesse profonde et véritable que Rolland était loin de posséder.
— En tout cas, sachez que Rolland et vous êtes les bienvenus, encouragea-t-il, Vous pouvez venir quand vous voulez, la maison vous est ouverte !
— C'est très gentil—
— Mais comme tu le sais déjà, j'ai beaucoup de travail, coupa Rolland, Alors ça m'étonnerait qu'on ait le temps de repasser de si tôt.
— Tu travailles pour moi, Rolland, rappela Robin, Alors je sais bien que tu as du travail.
— Je ne travaille pas pour toi, refusa le jeune Hood.
— Tu travailles pour mon entreprise, reformula Robin en soupirant.
— Je fais évoluer Hood&Co à l'international, précisa Rolland.
— Et tu fais du très bon travail, souligna le patriarche, Tu fais même de l'excellent travail, enfin, si l'on enlève la communication avec ta hiérarchie...
— Et c'est reparti !, râla déjà le jeune homme.
— Trois ans sans rendre visite à ton patron, patron qui s'avère en plus être ton vieux père, tu accorderas que ce n'est pas quelque chose d'anodin, n'abandonna-t-il pas.
— Je te l'ai déjà dit, j'ai été très occupé ces derniers temps, souffla Rolland.
— Occupé au point de ne pas pouvoir libérer un week-end pour me voir ?, insista Robin.
Depuis qu'il avait quitté le foyer à ses dix-huit ans, Rolland s'était appliqué à éviter le moindre retour à StoryBrooke, si bien que les visites qu'avait rendu le jeune homme au cours de ces douze dernières années pouvaient se compter sur les doigts des deux mains. Durant ses années d'études, il n'avait eu d'échanges avec son père que les bulletins de notes excellents qu'il se plaisait à lui envoyer. À part cela, rien du tout, il avait soigneusement évité appels, visites et invitations, au point qu'il n'avait même pas daigné se déplacer pour le mariage de son père avec Regina. Et s'il n'avait pas beaucoup fréquenté sa belle-mère les années suivantes, cela ne l'empêchait pas de l'exécrer peut-être autant qu'il détestait son père. Cet éloignement délibéré de la part de Rolland avait toujours blessé Robin, mais ce dernier, par fierté sans doute, avait toujours prétendu le contraire.
— Si on passait à table ?, proposa Regina en espérant ainsi détendre l'atmosphère.
— Oui, tu as raison, passons à table !, décida Robin.
Ils s'installèrent et les deux femmes, l'une face à l'autre, furent contraintes de se regarder dans le blanc des yeux en silence pendant que Robin tentait vainement d'instaurer un quelconque dialogue avec son fils.
— Vous Emma, je suis sûr que vous entretenez de meilleurs rapports avec vos parents, n'est-ce pas ?, finit-il par rebondir, las du peu de sympathie que son propre fils lui accordait.
Les joues de la blonde s'empourprèrent d'embarras et cela n'échappa guère à Regina.
— Et bien, c'est compliqué..., essaya-t-elle d'esquiver.
— Compliqué ?, interrogea Robin, C'est vraiment si compliqué que ça de garder contact avec ses parents ?
— Je n'ai pas de parents, lâcha alors Emma, Je suis orpheline et j'ai grandi entre foyers et familles d'accueil, alors oui, c'est plutôt compliqué de garder contact, répliqua-t-elle avec humour.
— Oh je suis vraiment désolé, s'excusa-t-il, sans doute plus gêné que la jeune femme.
— Il n'y a aucun souci, rassura-t-elle.
— Et vous n'avez plus aucun rapport avec votre famille d'accueil ?, questionna-t-il tout de même.
— Non, on va dire que je n'ai pas eu la chance de tomber sur ce genre de famille d'accueil..., répondit-elle dans une grimace qui se voulait souriante mais qui faisait pourtant peine à voir.
Robin, dans sa bienveillance dénuée du moindre tact, s'apprêtait à poser de nouvelles questions désobligeantes, mais Regina l'en empêcha à temps.
— Tu pourrais peut-être changer de sujet et arrêter de te montrer si indiscret, suggéra-t-elle.
— Oui tu as raison, acquiesça-t-il, Excusez-moi Emma, je suis parfois un peu trop curieux.
— Ne vous en faites pas, je suis habituée à ce genre de questions, tempéra la blonde.
— Mais ça ne les rend sans doute pas moins désagréables, appuya la brune.
— C'est vrai, admit la jeune femme.
— Alors changeons de sujet, enchaîna Robin, Rolland, qu'as-tu donc prévu pour notre prochaine campagne au Royaume-Uni ?
Le repas reprit son cours, les deux hommes discutèrent de leur entreprise et les deux femmes reposèrent dans un silence volontaire qu'elles ponctuèrent prudemment de quelques brèves interventions.
Mais dans ce prétendu silence,
les regards parlaient beaucoup.
— Je vais débarrasser, déclara soudainement Regina en se levant avec hâte.
Elle avait, pour la dixième fois au moins, laissé un peu trop longtemps traîner ses yeux sur la jeune femme et avait même fini par se faire surprendre par les prunelles vertes.
— Et moi je vais monter faire une sieste, en profita Rolland, Tu viens avec moi Emma ?
— Oui, j'aide à débarrasser et j'arrive, accepta-t-elle alors que le jeune homme quittait déjà la pièce.
— Non, allez vous reposer toutes les deux, je m'en occupe, décréta Robin en se levant à son tour.
— Je vais t'aider, refusa Regina en rassemblant les assiettes.
— Non ma chérie, toi tu vas te reposer, insista-t-il en lui volant les assiettes et un baiser au passage, Après toute une nuit à faire la fête avec Kathryn, tu mérites bien une petite sieste. N'oublie pas que l'on sort ce soir !
— Tu as raison, j'y vais, accepta-t-elle dans un léger sourire suintant de culpabilité.
— Vous aussi Emma, allez vous reposer, il faut être en forme pour ce soir !
— À vos ordres, Monsieur Hood !, plaisanta-t-elle en sortant juste derrière la brune.
Robin lança une musique, sans doute pour se motiver à débarrasser la grande tablée, et les deux femmes se retrouvèrent seule à seule dans le hall d'entrée.
Après avoir fait mine de s'ignorer pendant de trop longues heures, Emma ne put résister davantage et posa la question qui lui brûlait les lèvres :
— Qu'est-ce que vous étiez venue chercher ?
Regina, qui s'apprêtait à gravir l'escalier, s'arrêta pour toiser la perturbatrice du regard.
— Je vous demande pardon ?
— Dans ce bar, hier soir, qu'est-ce que vous cherchiez ?, reformula la blonde.
— Rien du tout.
— Ne mentez pas, vous n'étiez pas là par hasard. Vous n'êtes pas le genre de personne à traîner seule accoudée au comptoir, s'obstina-t-elle, Qu'est-ce que vous faisiez là ? Qu'est-ce que vous veniez chercher ?
Le regard dans le vague, l'esprit embrumé, Regina considéra la question d'Emma en cherchant désespérément à y répondre.
— Je voulais juste ressentir quelque chose, finit-elle par verbaliser avant de se reprendre, Mais je ne cherchais rien. Et si je cherchais quelque chose, ce n'était certainement pas vous.
Puis elle lâcha la blonde des yeux et reprit sa montée des marches.
— Moi aussi, je cherchais juste à ressentir quelque chose..., confia Emma en reprenant les mots de Regina qu'elle trouvait si justes.
La femme s'arrêta sans prendre la peine de se retourner.
— ...Et j'ai ressenti quelque chose.