Le décor était toujours le même et la forêt, morte, cette fois. Derek décida de suivre son instinct même si les arbres étaient noirs comme la nuit et nus. Pas une feuille ne les habillait. Ils étaient morts, morts, morts. Le corps immatériel du loup avança, passa à travers les mêmes chemins que la fois précédente. Il courait et gardait en mémoire le parcours qui l'avait conduit au premier Nemeton, où il avait trouvé Stiles recroquevillé sur lui-même, dans un état déplorable.
Sauf que lorsque Derek arriva, le tronc était vide de tout occupant. Un frisson d'horreur le parcourut et son loup intérieur s'affola. Où ? Où ? Où ? Ne cessa-t-il de se demander. Il regarda partout, tourna sur lui-même dans une frénésie indéniable. Si Stiles n'était pas ici, où pouvait-il se trouver ? La réponse lui vint tout naturellement.
L'autre Nemeton.
Au même moment, un hurlement glaçant fendit le silence avec une violence telle que Derek en eut le souffle coupé. Ses oreilles, déjà, saignaient. Le loup sentit le liquide chaud couler, tant et si bien que, perplexe, il amena sa main droite à son lobe et... Il se figea. Rouge. Choqué, il se força néanmoins à recentrer ses priorités. D'où venait ce hurlement ? Son instinct parla et il sortit de cette clairière qui n'avait de clair que le nom, s'enfonça entre les piliers sombres de la mort. Il courut, courut, courut. Les muscles bandés, Derek ne sentait pas la fatigue et accéléra la cadence, oubliant totalement qu'il s'agissait d'un rêve.
Réalité ou non, il sentait le venin de l'urgence fuser dans ses veines.
Derek se concentra. A droite. Ce qui le frappa alors qu'il courait plus vite que jamais, c'était ce silence des plus glaçants. Dans cette forêt née de ses rêves, rien ne vivait, pas même la végétation, pas même le moindre animal. Tout cet endroit qui bruissait de bruit et de vie la fois dernière... Nouveau hurlement. A gauche, maintenant. Profondément mal à l'aise, Derek passait entre les arbres avec une rapidité folle mais le regard incertain. Cette fois, il n'avait plus l'impression de connaître la forêt. En fait, elle ne lui était plus familière, sans doute à cause de cette ambiance de mort omniprésente. Le cœur battant à tout rompre, Derek faillit s'arrêter et se figer tant le cri qui fut poussé, le troisième, lui glaça le sang.
Parce qu'il était plus faible et plus déchirant que les autres.
Le quatrième fut quasiment inaudible.
Mais ce n'était pas grave. Derek savait qu'il se rapprochait parce qu'enfin, l'effluve si particulier de Stiles commença à lui parvenir. La peur coulant dans ses veines tout autant que l'urgence, il fut incapable d'essayer de l'appeler, de simplement... Tenter le contact. D'abord, il devait le trouver. Le voir. D'un coup, Derek oublia qu'il se trouvait dans un rêve commun, un rêve connu de lui seul... Et de Stiles. Pour lui, la situation était atrocement réelle. Tangible, elle l'était... Dans un sens. Allant à une vitesse impressionnante, c'est à peine si Derek sentit les branches des arbres l'érafler. La végétation morte semblait se resserrer autour de lui, mais il n'en avait que faire. Il allait en sortir et retrouver Stiles. Il n'en avait aucun doute, mais... Dans quel état allait-il le trouver ? La peur sembla décupler l'énergie imaginaire de Derek qui, sans trop savoir comment, comprit où il devait aller.
Quelque chose, de bien plus fort que son instinct, parlait à sa place dans sa tête. Il entendit une voix, jeune. Brisée. Derek s'arrêta un instant. Tourna sur lui-même. Tenta de déployer ses sens olfactifs à leur maximum.
Rien. Personne.
Mais cette voix, toujours.
Un appel à l'aide. Un souffle ténu. Des mots difficilement prononcés. Un nom, à peine plus articulé que les autres palabres.
« - Derek... »
Le loup reprit sa traque sans attendre. Il était proche, il le sentait. Qu'importe les écorchures sur ses bras, la pâleur cadavérique de sa propre peau. Qu'importe les arbres, la mort ambiante.
Dans sa tête, un visage, un seul.
« - J'arrive... Tiens le coup, j'arrive ! »
Il n'avait pas ouvert la bouche, mais il pensait ces paroles si fort que c'était comme s'il les avait prononcées.
« - Je... C'est bientôt fini. »
De nouveau, l'urgence galvanisait le loup qui, d'un coup, sembla passer au travers des arbres, devenus étrangement trop nombreux pour qu'il puisse continuer aussi rapidement qu'il le faisait. Son corps translucide allait aussi vite que le vent et semblait suivre un chemin immatériel, éclairé dans sa tête, invisible à ses yeux. La voix, tremblante et aussi forte qu'un souffle, fit rater un battement à son cœur. Mais il ne ralentit pas. Jamais il ne ralentirait.
Et son corps devint encore plus translucide. Ses pieds ? Ils frôlaient le sol tant il allait vite. Et encore, il fallait qu'il accélère ! Au fond de lui, il savait que les paroles de Stiles, celles qu'il entendait à peine dans sa tête, était réelles. Son temps était compté. Il allait bientôt lâcher.
Enfin, Derek déboula dans une nouvelle petite clairière... Qui donnait sur une falaise. A mi-distance de lui et de ladite falaise, un tronc coupé, recouvert de mousse...
... Et de sang.
- Stiles ! Hurla-t-il douloureusement.
Où était-il ? Bordel, où était-il ?! Derek ne fut même pas heureux d'avoir vraisemblablement trouvé le second Nemeton. Son cœur battait actuellement pour Stiles et menaçait de s'arrêter à tout moment... Il le sentait.
- Je... Je suis là...
Le murmure avait été d'une faiblesse telle qu'il avait failli ne pas l'entendre. Il tourna brusquement la tête et aperçut une silhouette trop fine se traîner entre les arbres. Son souffle se coupa, et il fonça.
Le corps gracile s'effondra dans ses bras et ce fut à cet instant seulement que Derek découvrit l'horreur. Si son état lors de son précédent rêve lui avait paru lamentable... Derek eut la certitude que Stiles ne survivrait pas à ce qui l'attendait si personne n'arrivait à le sauver à temps. Et même si rien de tout cela n'était réel, même si le corps de l'hyperactif était une blessure en elle-même, il le serra contre lui avec une intensité inédite. Respira son odeur pourrie par la fragrance métallique du sang qui semblait s'écouler de n'importe quel pore de sa peau. Ceux qui ne saignaient pas étaient bleus, violets, jaunes. La constellation de la violence en une image. Contre lui, le corps tremblait d'une manière étrange et les mains toutes aussi blessée que le reste peinaient à s'accrocher à son haut factice. Le front de l'hyperactif reposait contre le front de Derek qui ferma les yeux et ne put s'empêcher de pousser un discret soupir de soulagement.
Stiles était là, dans ses bras. Il l'avait retrouvé.
Il le sentit tressaillir et dans le même temps, il chercha à lui prendre sa douleur. C'est à ce moment précis qu'il se rappela de la nature irréelle de leur situation : ses veines restaient invisibles, comme si Stiles ne ressentait pas la douleur... Dans cette dimension onirique.
Mais il tremblait, ça c'était indéniable. Alors, il fit fi du fait qu'il s'agissait d'un rêve et chercha à le rassurer comme il le pouvait. Qu'importe qu'il n'ait jamais fait cela auparavant. Que cela ne soit pas dans sa nature. Il avait besoin de le sentir contre lui, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour l'apaiser parce qu'il connaissait la nature de ce rêve.
Et c'est justement cela qui le poussa à lui donner quelques informations qui pourraient peut-être lui permettre de tenir encore un peu. Contre lui, le châtain secoua doucement la tête et lui dit d'une voix enrouée qu'il ne tiendrait pas. En un sens, il était déjà mort.
Derek l'écarta doucement de lui de sorte à voir son visage tuméfié, ses yeux qu'il gardait péniblement entrouverts. Réprimant la nausée qui le prenait, le loup le maintint fermement contre lui.
- Tu n'es pas mort. On va te sortir de là, Stiles. Tu peux tenir et tu sais pourquoi ? Parce que tu es plus fort que tu ne le penses. Tu es un ange, Stiles ! S'exclama-t-il.
- Ils... Ils ont employé ce mot, ils... Ils disent que je suis leur ange, murmura péniblement l'hyperactif, dont le corps tremblait atrocement. L'alpha...
- L'alpha ? L'encouragea le loup sans cesser une seconde de le regarder malgré l'horreur de ses blessures.
- Il dit que je suis... Son petit ange, souffla le châtain d'un air brisé. Il s'amuse avec moi et chaque fois... Chaque fois, il m'appelle comme ça.
Même sans regarder l'état de son visage et de son corps, Derek savait que l'humain – pas si humain que cela – était à bout. Il n'alla pas lui demander ce qui lui avait été fait, le tableau de ses souffrances s'étalait là, sous ses yeux. Et ce qui n'était pas physique trônait dans le regard vitreux de l'hyperactif. C'était morbide et cela ne participait qu'à une chose.
Poser ses yeux sur Stiles réveillait son besoin de sang.
S'il avait l'occasion, ce soir de pleine lune, de planter ses griffes dans la chair de ces monstres, il le ferait. En fait, Derek s'occuperait de leur faire payer au centuple chacune des blessures que ces psychopathes avaient osé infliger à son hyperactif.
Pourquoi le sien ?
Parce que malgré leur relation pour le moins inexistante, ils faisaient partie de la même meute et Derek se sentait plus proche de lui que jamais. Un lien s'était tissé entre eux malgré le secret de la véritable nature de Stiles qui, doucement, éclatait au grand jour. Là, dans cette forêt morte, Derek sut que tout avait déjà changé depuis un moment et que ce qui les reliait désormais était plus qu'un sentiment d'urgence, plus qu'un danger.
Il leva les yeux, regarda un instant le ciel rempli d'étoiles par instinct. Puis, il planta à nouveau son regard dans celui, vacillant, de l'hyperactif.
- Je vais venir te chercher, Stiles, dit-il d'un ton sûr de lui.
- Tu penses pouvoir me trouver ? Murmura le châtain avec espoir.
L'entendre lui parler alors qu'il était dans un état des plus déplorables était étrange, mais Derek comprit que les incohérences de ce type faisaient partie du monde particulier des rêves alors, il l'accepta. Contre lui, Stiles avait, il le sentait, plus d'énergie mentale que physique en ce moment.
- Je ne le pense pas. Je le sais.
Et Derek ne sut pas si c'était le fait qu'il était étranger au monde du rêve en général, mais il assista à une bizarrerie magnifique. Sous ses yeux, les iris de Stiles devinrent un puits d'étoiles. Deux petites galaxies. Un spectacle splendide qui le laissa sans voix et dont il ne put profiter d'aucune manière. Parce qu'au même moment, le corps malmené qu'il tenait contre lui commença à perdre en consistance et à devenir translucide. Complètement dérouté, le loup tenta de l'agripper par tous les moyens, sans succès.
- Non, non... Non !
La silhouette de Stiles, dont les yeux étaient grands ouverts, devint fantomatique et sa bouche laissa échapper des mots qu'il n'entendit pas. Mais les larmes, il les vit couler sur ses joues constellées d'ecchymoses.
- Non ! Hurla-t-il à nouveau.
Il tenta de l'attraper, de le ramener à lui de toutes les manières possibles, en vain.
Autour de lui, l'image de la forêt s'effondra brutalement sur elle-même. Derek se sentit tomber. Passer au travers de la terre sans vie, basculer dans un vide effrayant. Au-dessus de lui, le ciel étoilé. Il hurla, appela Stiles à s'en briser la voix. Parce qu'il avait terriblement peur pour lui et ne pouvait pas le laisser partir.
Oui, il était véritablement terrifié. Terrifié à l'idée que Stiles n'arrive pas à tenir jusqu'à ce qu'il arrive.
Et tout devint noir.