Il pleuvait depuis trois jours, ce n'était pas une pluie violente, non, c'était une petite pluie fine, mais elle tombait sans cesse depuis plus de 72 heures. Affublé de son anorak, Rockstar tenait la barre, Howling Gap était de vigie et le reste de l'équipage vaquait à ses occupations dans la salle d'entraînement ou dans son dortoir.
Ben, lui, s'adonnait à une partie de Go avec son Capitaine, dans sa cabine.
- Dis-moi une chose, se permit le plus âgé de but en blanc. Qu'est-ce qu'il se passe avec Juliette ?
- Comment ça ? Répondit négligemment le concerné en fronçant pourtant les sourcils.
- Que vous couchez ensemble, ça, tout le monde le sait. En revanche je suis curieux de savoir ce qu'il peut bien se passer là, dit-il en désignant sa propre tempe, ou bien là, termina-t-il en désignant son cœur.
Le Roux leva les yeux du plateau de Go, il sut dès cet instant qu'il n'allait pas aimer cette conversation. Ben avait cette capacité à se comporter parfois avec lui comme un parent, et si Shanks reconnaissait volontiers avoir besoin de temps à autre d'un garde-fou de ce type, il avait souvent la désagréable impression d'être un adolescent qui se fait apprendre la vie.
- Que veux-tu qu'il s'y passe ?
- Shanks, je t'ai vu interagir avec bien des femmes depuis toutes ces années. Tu as brisé le cœur de certaines, et peut-être bien que 2 ou 3 d'entre elles ont eu droit à ta réelle affection. Mais Juliette... elle, quand tu la regardes, c'est comme un subtil mélange entre un vieillard lubrique et un gamin amoureux.
Le Yonko ne put s'empêcher de sourire face à cette comparaison improbable.
- On ne parle pas d'amour elle et moi, répondit sobrement le pirate. À dire vrai on ne parle pas beaucoup.
- Je vois... Demain on devrait atteindre Mystoria.
- Je sais.
- Que va-t-il se passer une fois sur place ?
Shanks ne répondit pas. Qu'allait-il se passer ? Lui-même se posait la question depuis plusieurs jours. Juliette allait-elle, comme à Stonekru, enchaîner les amants et les amantes ? Allait-elle chercher à éveiller le désir chez ceux qu'elle allait rencontrer ? Si c'est ce qu'elle voulait, le Roux savait qu'il ne pourrait pas l'en empêcher. Il ne pouvait pas, il ne voulait pas, la priver de ça, de sa liberté si précieuse. Cela avait toujours été limpide : Juliette fait ce qu'elle veut, quand elle veut et avec qui elle veut. Pourtant, l'idée que sa nakama ne s'abandonne à d'autres hommes que lui, cela lui donnait fatalement envie de cogner contre quelque chose.
Ce qui lui donnait des envies de taper, c'était aussi le regard de Ben à cet instant.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise Ben ? Que j'aurais pas du ? Que j'regrette ? Eh bah non, désolé j'ai pas de regrets, nous sommes deux adultes...
- Toi plus qu'elle, se permit le second.
- Deux adultes consentants qui passent du bon temps et je ne vais certainement pas m'en excuser.
- Très bien, répondit Ben avant de laisser planer un long et pesant silence. Elle pourrait aller voir ailleurs.
- Je sais.
- Mais tu n'en as pas envie.
- Non Beck, soupira Shanks, je n'ai pas envie qu'elle aille voir ailleurs. Satisfait ?
- Est-ce que tu l'aimes ?
- Quoi ?
- De deux choses l'une, avertis le doyen. Soit tu as des sentiments pour Juliette, dans ce cas je te conseille de lui en parler. Soit t'es juste un connard possessif, dans ce cas tu n'auras qu'à la fermer et ronger ton frein tout seul.
Et après ce résumé sans concession de la situation, le pirate laissa son capitaine là, comme un imbécile, avec sa partie de Go inachevée.
À la suite d'un bruyant gémissement guttural, Shanks le Roux se laissa tomber sur son canapé et se mit à regarder le plafond. En vérité, le Yonko était un peu perdu. Il ne pouvait pas nier que sa relation, pourtant toujours indéfinie, avec Juliette avait évolué avec les semaines. Au début, c'était juste du sexe. Elle venait, ils baisaient, à l'occasion ils buvaient un saké, et puis elle repartait. Ni plus, ni moins, juste du cul entre deux personnes consentantes et, il fallait bien le dire, douées pour la chose. Peu à peu, le pirate s'était surpris à garder son amante plus longtemps contre lui après leurs ébats, il s'était fait silencieusement la réflexion que l'avoir avec lui pour la nuit ne lui poserait aucun problème, bien au contraire. Les caresses, les gestes tendres, étaient devenus monnaie courante entre eux, même en dehors de leurs moments intimes. C'était une main sur la hanche pendant qu'elle cuisinait, c'était une boutade murmurée à l'oreille, c'était ses jambes sur ses genoux sans pudeur alors qu'ils flânaient avec d'autres sur le pont.
Il fallait l'admettre, il n'était plus seulement question de sexe, mais de là à savoir ce qu'il en était, c'était une autre paire de manches...
Souhaitant noyer ses élucubrations au fond d'une chope de bière, le capitaine prit la direction de la cuisine. Une fois arrivé devant les différents placards et frigos, il se dit qu'il s'accorderait bien un morceau de charcuterie avec sa bibine.
- Je peux savoir ce que vous faites, Capitaine ? Entendit-il derrière lui, ce qui ne le fit cependant pas broncher.
- Eh bien comme tu le vois, répondit-il en installant sur le plan de travail pain, saucisson et beurre, j'enfile des perles.
- Je vous signale qu'il y a un placard dédié au grignotage, gronda Juliette en désignant ledit buffet dont le contenu était effectivement mis en libre service pour les goûters et autres fringales nocturnes.
- Ton placard est vide.
- Ça, il faudra vous en plaindre à Rock et Lucky.
Avec un regard volontairement provocant, Shanks mordit goulûment dans la tartine qu'il s'était confectionné en discutant. La cuisinière eut une moue à la fois amusée et réprobatrice avant de se servir elle-même une tranche de saucisson. Face à face, les deux pirates étaient accoudés sur le plan de travail.
- Les gars disent qu'on va accoster à Mystoria demain...
- C'est exact.
- À quoi ça ressemble ? Questionna la blonde, le roux prit un instant de réflexion.
- Imagine une cité aussi développée que Water Seven, mais au milieu de la jungle.
À l'entente de cette description, la jeune Sforza fronça les sourcils en penchant la tête sur le côté, ce qui fit sourire son capitaine.
- Tu verras quand nous y serons, conclut le Yonko. Mais une fois là-bas, je veux que tu aies toujours un mini-escargophone sur toi et que tu évites de disparaître. Mystoria ne fait pas partie de mes territoires, on peut y rencontrer toutes sortes de gens.
- Très bien Capitaine, promis je ferai de mon mieux pour ne pas me laisser embarquer dans le premier gangbang qui se profile.
Pourtant habitué au franc parler de sa nakama en la matière, Shanks avala une petite gorgée de sa bière de travers. Ainsi, la messe était dite. Sachant que la conversation s'annonçait particulièrement sensible, le Roux prit le temps de peser ses mots.
- Donc, tu as des projets pour Mystoria ?
- Pas vraiment, répondit-elle en haussant les épaules, je n'y suis jamais allée alors je sais pas à quoi m'attendre. On verra bien sur place. Quoi ? Ajouta la blonde face au silence de son capitaine.
- Tu as l'intention de coucher avec d'autres personnes ?
Résigné à passer par un moment déplaisant, Shanks avait finalement posé la question de but en blanc. La mine soudainement grave, Juliette le fixa des yeux, chaque fibre de son être montrait qu'elle n'appréciait pas du tout la tournure de la discussion.
- Et quand bien même ce serait le cas ? Défia la nakama.
- Tu fais ce que tu veux Juliette, tu le sais bien.
- Nous sommes d'accord.
Dans le but d'échapper au regard transperçant du capitaine, la cuisinière lui tourna le dos pour se diriger vers ses fourneaux. Mais rien n'y fit, elle sentait dans son échine le poids de ses yeux. Face au silence entêté de sa subordonnée, Shanks entama de sortir pour la laisser à sa cuisine.
- Je m'enverrai en l'air avec la moitié de l'île si j'en ai envie. Cracha-t-elle, fermant les yeux, la main sur la poignée de la porte, Shanks soupira avant de répondre.
- Je sais bien, je préférerais seulement que tu n'en aies pas envie.
Une fois seule dans la cuisine, Juliette étouffa une crise de larmes qui menaçait. Au contraire de son amant occasionnel, elle était tout à fait consciente de ce qu'il se passait, de ce qu'elle ressentait envers Shanks le Roux, envers les membres de l'équipage. Elle voyait bien cette façon qu'elle avait de se blottir contre le torse de Shanks après leurs ébats, d'entrelacer leurs doigts en les regardant danser avant de se rendre compte de son geste et de fuir sous couvert d'une relation dénuée de sentiments. Elle constatait, jour après jour, la complicité qui grandissait entre elle et Yasopp, entre elle et Rockstar malgré leur gué-guerre, entre elle et Lucky Roo, Limejuice, Bonk et son singe. Elle sentait bien que le Red Force, c'était un peu devenu chez elle.
Et au lieu de se laisser aller, d'embrasser cette sensation d'avoir enfin trouvé un foyer et des gens à aimer, Juliette luttait. Elle luttait de toutes ses forces contre ces sentiments qu'elle s'était juré, des années auparavant, de ne plus ressentir. Question de survie, justifiait la petite voix dans sa tête.
Alors, par réflexe, à cause d'un abruti de mécanisme de défense, la blonde se mit à l'écart. Ce soir-là, après le repas, elle ne rejoignit ni Yasopp pour une discussion existentielle sur l'existence présumée des genoux des pingouins, ni le Capitaine pour une relaxante partie de jambes en l'air. Elle ne rejoignit pas Benn pour un cours sur l'art de récolter des informations l'air de rien, elle ne demanda pas à Rockstar de lui montrer encore une fois sa botte secrète. Non, elle ne fit rien de tout cela, à la place elle s'isola dans son lit avec un bouquin rasoir qu'elle n'avait même pas envie de lire. Elle fit rapidement semblant de dormir, pour que ses camarades de dortoir ne lui fassent aucune conversation.
Le lendemain, elle se montra distante, froide. Lors de la distribution des berrys, avant d'accoster, elle ne dit pas un mot, elle ne réagit même pas quand Limejuice plaisanta sur le fait de ne pas tout dépenser d'un coup cette fois.
Une fois sur terre, elle s'éloigna rapidement du groupe, tout en restant dans leurs environs immédiats, par prudence. La découverte de l'île de Mystoria améliora quelque peu son humeur, lui faisant penser à autre chose qu'à ses sentiments personnels.
Comme Shanks l'avait décrit, la ville de Mystoria était une cité tout à fait développée, pleine de hauts bâtiments faisant penser à des gratte-ciel new-yorkais, les enseignes des magasins, restaurants et autres infrastructures étaient faîtes de tissus peint mais étaient si flamboyantes qu'on les aurait crus lumineuses. Juliette se serait cru à Tokyo, à un détail près, elle était au milieu de la jungle. Cela donnait lieu à un mélange à la fois étrange et fascinant, on pouvait rentrer dans un building abritant un centre commercial tout en esquivant une créature exotique.
Plusieurs heures plus tard, après une minutieuse exploration des points névralgiques de la cité et un passage sur le Red Force, Juliette prit le chemin du bar 'Mystoria's secrets' où elle savait que le Capitaine et ses compagnons avaient prévu de passer la soirée.
Vêtue d'un jean taille haute qui mettait particulièrement en valeur ses fesses, d'un haut vert sapin fait d'une unique bande de tissu croisée dans un dos nu et un col ras de cou, affublée d'une paire de talons aiguilles et d'une paire de boucles d'oreilles en argent, la pirate se targua d'un regard appuyé vers le Yonko, au fond de la pièce, avant de se diriger vers le bar.
Elle le défiait, c'était une évidence. Sa manière de passer sa main dans ses cheveux, qu'elle avait laissé lâchés pour l'occasion, sa façon de se cambrer sur son tabouret en attendant qu'un quidam vienne lui payer un verre... C'était ainsi qu'elle disait, qu'elle hurlait, à Shanks 'Ah tu ne veux pas que j'aille voir ailleurs ? Tiens, regarde-moi faire !'.
Le capitaine, de son côté, serrait les dents tout en buvant plus vite qu'il ne l'avait prévu. Il voyait clair dans le petit manège de sa nakama et regrettait de lui avoir parlé, la veille, de ce qu'elle prévoyait de faire. Après tout, s'il avait fermé sa gueule, aurait-elle ressenti ce besoin de lui prouver qu'elle pouvait aller voir ailleurs ? Le pirate ne pouvait s'empêcher de penser que non, mais au fond c'était une question à laquelle on ne saurait jamais répondre. Tout ce qu'il pouvait faire maintenant, c'était regarder, assister, impuissant, à cette parade de séduction à laquelle Juliette se donnait sans vergogne sous ses yeux. Et qu'elle riait à des blagues, probablement dénuées d'intérêt, et qu'elle posait une main sur le bras du Don Juan du dimanche qui la draguait, et qu'elle jouait avec une mèche de ses cheveux, et qu'elle s'humectait érotiquement les lèvres.
Décidant qu'il n'avait pas besoin d'en supporter davantage, Shanks quitta l'endroit non sans souffrir le regard satisfait de Juliette qui le regardait partir.
Une fois son capitaine hors de son champ de vision, la blonde put enfin se concentrer sur les quelques hommes qui quémandaient son attention. Il se passa alors une chose à laquelle elle ne s'attendait pas...
Le premier était un grand blond avec des yeux azur, le second était brun, environ sa taille mais avec des magnifiques épaules, le troisième avait la peau foncée et des dreadlocks ainsi qu'un sourire aventureux qui promettait une nuit folle. Pourtant, malgré ces 3 apollons qui se présentèrent à elle et qui ne demandaient qu'à la combler, Juliette se rendit compte d'une chose qui la terrifia.
Elle n'en avait, irrémédiablement, pas envie.
Bonjour,
Voilà que les choses se compliquent entre nos deux protagonistes. Que pensez-vous de l'évolution des sentiments de Shanks ? De la réaction de Juliette ?
Comment tout cela finira ? L'avenir nous le dira mes bons amis. Non, en fait, c'est moi qui vous l'écrirai mais vous avez compris l'idée !
J'espère que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez pas à voter pour lui (tel un homme politique véreux il aime les scrutins) et/ou a laisser un petit mot sur vos impressions ;)
À très bientôt !
- Henriette