Je lançais un regard un peu perdu à Silent Boy en baissant le téléphone. Deux jours ! J'avais besoin de m'asseoir là. Je pris appui sur le bureau du crow, mes fesses étant juste à niveau, voyant mon désarroi, Silent Boy me souleva pour me poser sur celui-ci, me poussant au fond du meuble pour que mon dos s'appuie contre le mur. Il me récupéra le téléphone des mains et reprit la conversation, m'observant attentivement. Je fuyais son regard inquisiteur en refermant mes bras sur moi. Je jouais avec mon pouce sur le tissu du t-shirt, dessinant les contours d'une partie de mon tatouage.
— Non, elle a l'air d'être sous le choc. C'est quoi ton dernier souvenir ? Me demanda-t-il inquiet.
— La nuit de l'arrivée de vos visiteurs, répondis-je d'une petite voix. Qui m'a changé ?
Il ne me répondit pas, répétant ma réponse au Doc.
— J'ai dit : "qui m'a changé ?", répétais-je un peu plus fort en affrontant son regard.
Il fronça les sourcils mais ne me parla pas, toujours en pleine conversation avec Doc.
— OK... non pas de problème... OK merci Doc, et il raccrocha sur ça. Le Doc est retenu à l'hôpital, il passera vers midi pour t'examiner, en attendant tu peux boire et manger si tu as faim.
— Tu n'as toujours pas répondu à ma question, lui reprochais-je avec angoisse.
— C'est tout ce qui t'inquiète ? Ça fait deux jours que tu dors, impossible de te réveiller complètement et toi tout ce qui t'inquiète c'est ça ! Il fit une pause, me parlant avec amertume. Annie t'a changée, mais peut être que quelqu'un d'autre aurait dû s'en charger.
J'eus un bref soupir de soulagement qui accentua sa colère et sa jalousie.
— Est-ce qu'elle t'a dit ? Lui demandais-je avec espoir.
Il m'analysa avant de répondre à la fois déçu et intrigué.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, qu'est-ce qu'elle aurait dû me dire ?
— Rien qui ne te concerne Silent Boy, répondis-je plutôt agressivement, en relâchant mon corps qui était tendu par l'anxiété.
A sa réaction, je regrettais immédiatement mon agressivité. Il fit un pas en arrière tout en serrant son poing.
— Je vais la chercher si tu préfères être avec elle ou Hurricane, c'est à toi de voir.
Je le regardais en fronçant les sourcils d'incompréhension alors qu'il sortait de la chambre de manière plutôt précipitée.
— Attends Phénix, essayais-je de l'interpeller sans succès.
Et il me laissa perchée là où je me trouvais, totalement abasourdie par cette dispute. Quelques minutes plus tard Annie se présenta devant la porte qui était restée ouverte.
— Eh bien, tu nous as fait une sacrée frousse Frenchie, commenta-t-elle dans un sourire en rentrant dans la pièce avec un smoothie dans les mains.
— J'ai cru comprendre, désolée, fis-je avec un petit sourire désolé, alors que les émotions me submergeaient. Elle ferma la porte avant de s'approcher de moi pour me frotter les bras dans un geste réconfortant.
— Allons, c'est pas une raison de te mettre dans cet état.
— Je sais... fis-je en essuyant mes larmes. Ce pays veut ma peau... Je finis d'essuyer mes larmes et me ressaisis.
— Et tes larmes n'ont rien à voir avec Phénix par hasard ? Me demanda-t-elle un peu amusée en me glissant la boisson dans les mains. Je bus une gorgée avant de lui répondre, mais après celle-ci, je me découvris une grande soif et je bus la moitié du verre.
— Doucement, prends ton temps, ça fait deux jours que tu n'as rien mangé, alors vas-y doucement.
Je reposais mon verre en hochant la tête, la sensation de faim passa un peu.
— Alors raconte-moi ce qu'il s'est passé, m'encouragea-t-elle.
— Honnêtement, j'en ai aucune idée, lui répondis-je perplexe, je regardais la chambre autour de moi avant de reporter mon attention vers elle. Je devrais peut-être retourner dans ma chambre ? Lui demandais-je incertaine.
— Ah non ! S'exclama-t-elle, surtout pas ! Phénix ne le permettrait pas. Et puis te savoir ici alimente tous les ragots. Ça fait du bien un peu de légèreté, c'est rare ces derniers temps.
Je soufflais pas du tout ravie et troublée d'entendre ce qu'elle me disait.
— L'objet de tous les ragots, hein ? Qu'est-ce que tout le monde a à dire sur moi pour que ça soit si intéressant ?
Elle eut un petit rire cristallin avant de me répondre.
— Oh beaucoup ! Tu es populaire auprès des Crows. Phenix n'a presque pas bougé de votre chambre en deux jours, souvent accompagné par Dyclan... et quand il n'y était pas, c'était moi ou Doc. Hurri a essayé de venir, il l'a mis à la porte au bout de cinq minutes. On ne les avait jamais vu se disputer ainsi, c'était fun.
— Fun ? Répétais-je étonnée par son choix de mot.
— Totalement, confirma-t-elle enthousiaste.
Ah jeunesse, pensais-je. Provoquer des disputes au sein du MC, elle trouvait ça fun ?! Putain, j'avais foutu la merde malgré moi et ils s'étaient tous inquiétés, à cause de moi. Je me sentais mal rien qu'à cette idée.
— Ton frère doit m'en vouloir, lui fis-je remarquer.
— Pas du tout, fit-elle dans un grand sourire et je lui lançais un regard d'incompréhension pour qu'elle s'explique, mais elle ne le fit pas. Je pris mon courage à deux mains pour lui poser la question qui me tourmentait.
— Annie, c'est important, est-ce que tu as parlé à quelqu'un de ce que tu as vu quand tu m'as changé ?
Elle m'offrit ses grands yeux bleus sincères et malicieux avec sa réponse.
— Et perdre l'avantage sur mes paris ? Je te rassure non. Et puis, ça ne concerne que toi.
— Tes paris ? M'étonnais-je.
— C'est une tradition du MC, ne t'inquiète pas, c'est inoffensif, m'expliqua-t-elle.
— Et dans mon cas vous avez parié sur quoi au sein du MC ? Lui demandais-je avec aigreur, préférant m'attarder sur ça.
— Oh tu sais, les trucs habituels, combien de temps tu resteras avec nous, avec qui tu coucheras notamment. Me regarde pas comme ça, on ne parle pas dans l'immédiat, mais dès que tu seras rétablie. D'ailleurs, il y a un pari sur dans combien de temps, alors quand tu te sentiras prête, si tu peux me le faire savoir, ça serait pas mal.
Je levais les yeux au ciel face à sa demande. Dyclan semblait être le plus mature de tous dans ce bâtiment. Je mis mon dégoût de côté et j'essayais de me concentrer sur quelque chose de plus factuel.
— Et tout le monde parie sur tout le monde sans que ça pose problème ?
— Je te l'ai dit, c'est la tradition, mais on ne sait jamais trop qui a parié sur quoi, seul Gamble a les infos.
— Gamble ? Lui demandais-je perdue.
— Tu le rencontreras à l'occasion t'en fait pas, me dit-elle confiante. La seule règle c'est qu'on n'a pas le droit de parier sur soi-même. Allez sourit un peu, ça veut dire qu'ils t'ont tous adoptée.
Je lui offris un petit sourire à cette idée, mais j'étais loin d'être ravie du reste.
— Voilà qui est mieux. Allez, bois, ça te fera du bien.
Elle me tient compagnie encore un peu, avant de se déclarer exténuée de ces derniers jours et de partir se coucher. Silent Boy ne revient pas dans la chambre et je me retrouvais à nouveau seule. Je profitais de ces moments pour envoyer un email à ma famille, je n'avais pas envie de parler à ma mère pour le moment, et me laver, passant un temps considérable sous l'eau, pour quitter ma tenue qui me servait de pyjama. J'étais en train de plier le t-shirt de Phénix sur sa commode quand il rentra à nouveau dans la chambre avec un sac un papier dont je ne voyais pas le logo, mais qui ressemblait à un doggy bag.
— Tu vas quelque part ? Me demanda-t-il acide.
Apparemment, il l'avait toujours de travers par rapport à notre précédente conversation.
— J'aurai pu descendre pour manger peut-être ? Demandais-je pleine d'espoirs en essayant d'arrondir les angles.
— Pas tant que le Doc ne donne son accord, je hochais la tête pas surprise de sa réponse, mais un peu déçue. Tu as froid, fit-il en désignant le pull que je portais.
— Non, mais c'est... mieux pour le moment. Je ne vais pas passer mon temps à te prendre tes vêtements, Annie m'en a prêté, je ne sais pas où sont mes affaires.
Il leva un sourcil mécontent avant de me passer devant pour poser le sac sur le bureau, il en sortit un plat cuisiné, ça ressemblait à un plat asiatique. L'odeur m'ouvrit l'appétit et je me rapprochais de lui curieuse.
— Je ne sais pas ce que tu aimes, alors j'ai pris plusieurs choix, commenta-t-il en sortant deux autres plats du sac en m'ignorant.
— Je m'excuse, fis-je de but en blanc alors que je l'observais et que mon cœur se pinça de le voir ainsi, toujours aussi soucieux, toujours aussi contrarié. Sans marquer d'arrêt dans sa tâche, il me demanda.
— De quoi tu veux t'excuser Frenchie ?
— De beaucoup apparemment, même si je ne suis pas sûre d'être responsable de tout. De t'avoir inquiété, d'abord. Et pour tout ce que j'aurais pu faire qui t'est énervé.
— Suffit Frenchie, fit-il en se tournant avec colère. Il passa sa main derrière sa nuque, évitant mon regard, avant de reprendre un peu plus doux. Arrête de t'excuser tout le temps et viens manger.
Il se détendit malgré tout. À sa demande, je ne rajoutais rien et m'approchais résignée pour observer les plats, des nouilles sautées et deux viandes en sauce, une avec une odeur de curry et une dernière que j'eus du mal à identifier.
— Tu veux manger quoi ? Me demanda-t-il en me tendant des baguettes.
Je les saisis de ma main valide en lui répondant.
— Ça dépend, c'est épicé ?
— Les épices sont restées dans le sac si tu en veux, me dit-il en indiquant le sac.
— Non, merci. Et qu'est-ce que c'est ? Lui demandais-je sans quitter les plats des yeux.
— Des soupes, m'informa-t-il factuellement.
— Des soupes ? Demandais-je dubitative.
— Vietnamiennes, tu n'en as jamais mangé ?
— Non. Il y a beaucoup de restaurants thaïs, pas de vietnamiens de là où je viens, lui expliquais-je.
— Soupe au poulet ou soupe au bœuf, à toi de choisir.
Je haussais les épaules avant de prendre celle au poulet.
— Prends plutôt celle au bœuf, m'ordonna-t-il fermement mais sans être abrupte.
— C'est une drôle de manière de me faire choisir, lui fis-je remarquer dans un sourire.
Il se pencha pour me prendre mon plat des mains avant de me glisser l'autre devant moi.
— La viande rouge t'aidera à guérir, argumenta-t-il trop proche de moi.
— Oui, mais je ne sais pas si je peux la mâcher, je ne voudrais pas gâcher la nourriture.
Je pris le plat à ma disposition avant de faire un tour de la chambre du regard. Les possibilités pour manger était le lit ou son bureau.
— Ça ne te dérange pas ? Lui demandais-je en désignant la chaise du bureau.
— Fais comme chez toi, m'invita-t-il du menton alors qu'il s'installait contre le bureau. Tu veux tes médicaments ?
Je niais en me débattant avec les baguettes.
— Annie me les a donnés tout à l'heure, l'informais-je.
Après plusieurs tentatives infructueuses, je réussis à prendre un morceau et le porter à la bouche. Je le mâchais doucement, du côté le moins douloureux, avant de prendre avec les mêmes difficultés un petit morceau. Il sauta des baguettes pour atterrir sur le bureau.
— Droitière ? S'informa-t-il presque avec peine en me voyant récupérer le morceau et le mettre sur une serviette avant d'essuyer les dégâts.
— Oui, mais c'est pas ça qui va m'arrêter.
— Je n'en doute pas, fit-il avec un petit sourire entendu.
Je lui rendis son sourire et repartis à la pêche à la nourriture. Il me laissa manger en salissant son bureau que je m'empressais de nettoyer systématiquement pendant un petit moment. Aucun de nous ne parla mais je le sentais m'observer. Ce fut un vrai désastre.
— Putain, c'est ridicule ! Finis-je par m'impatienter en posant les baguettes sur le bureau pour plonger mes doigts dans le plat et prendre le morceau de viande qui dépassait du bouillon pour le porter à ma bouche.