Sans dire un mot, Feitan regarda Phinks dont la silhouette était discernable grâce aux quelques rayons de lune qui perçaient au travers des nuages lourds. Celui-ci avait arrêter de hurler mais ne paraissait pas plus calme pour autant. Au bout de quelques secondes, Feitan jeta un œil à Natzora à travers le rétroviseur et lui indiqua qu'il allait rappeler Machi pour obtenir plus d'informations sur ce que venait de leur annoncer Phinks. Il sortit de la voiture et claqua la porte violemment, signe qu'il était lui aussi affecté par la nouvelle bien que son visage n'en montrât aucune évidence. Le bruit réveilla le chef de l'Araignée qui dormait toujours la tête blottie contre les jambes de la jeune femme.
— On est arrivés ? demanda-t-il avec candeur.
Elle ne se voyait pas annoncer la terrible nouvelle elle-même. Il s'agissait d'une affaire qui touchait son groupe, ses amis, sa famille. Elle avait beau les connaître, elle sentait que là n'était pas sa place. Ou peut-être ne voulait-elle tout simplement pas être celle qui annoncerait de sa propre bouche un drame aussi tragique à celui qu'elle ne voulait pas voir souffrir.
— Tu devrais aller parler avec Feitan, conseilla-t-elle en tentant de garder un visage calme.
Natzora n'était pas la meilleure pour dissimuler ses émotions et Kuroro n'eut pas de mal à lire sur les traits de son visage que quelque chose de grave était arrivé. Il s'empressa de sortir du véhicule et de rejoindre Feitan qui était encore au téléphone. Le petit brun interrompit sa discussion et Natzora put lire sur ses lèvres lorsqu'il s'adressa au chef sans prendre de pincettes :
— Korutopi et Sharnalk sont morts. Hisoka les a tués.
Voilà une nouvelle donnée qui ébranla la jeune femme restée en retrait. Que deux membres de l'Araignée soient morts étaient une chose mais que ceux-ci aient été tués de la main même de celui qui devait avoir péri sous les coups du danchô en était une autre.
Kuroro parut désarçonné une fraction de seconde puis fit apparaitre son livre de Nen et en tourna les pages frénétiquement mais les pages où étaient précédemment répertoriés les hatsus de ses amis étaient désormais vierges, ce qui lui fit comprendre que leurs propriétaires n'étaient en effet plus de ce monde.
Sous la pluie abondante et dans la lueur des éclairs qui craquaient le ciel noir, Kuroro demanda de plus amples informations à Feitan encore au téléphone et celui-ci lui raconta ce que Machi lui avait expliqué quelques minutes plus tôt. Dès que la jeune femme était arrivée à l'infirmerie de la Tour Céleste, celle-ci avait constaté l'état déplorable de Hisoka. Ainsi, elle comme ses deux camarades n'eurent aucun doute sur le fait que le magicien était bel et bien mort. Parce que ce dernier l'avait payé en avance pour ses services, elle avait souhaité rester plus longtemps pour recoudre ses blessures, Sharnalk et Korutopi avaient donc quitté l'infirmerie, la laissant seule avec le corps inerte du magicien. C'est alors qu'elle avait ressenti son aura et que d'un seul coup, sans qu'elle ne comprenne comment cela était possible, il était revenu à la vie. Le magicien reconstruit son corps en quelques tours de passe-passe et quand Machi voulut partir, il l'en empêcha. Grâce à l'effet de surprise, Hisoka réussit à l'immobiliser à l'aide de son Bungee Gum puis partit non sans proférer une menace à destination de la Brigade Fantôme au complet :
« Dorénavant, si on se croise, où que ce soit et qui que vous soyez, je ne vous laisserai pas repartir vivants... »
La jeune femme aux cheveux rose avait bataillé un bon moment pour se libérer de ses entraves et quand elle avait enfin réussi, elle s'était précipitée à l'extérieur à la recherche de Sharnalk et Korutopi. Elle ne tarda pas à les retrouver et la vision d'horreur lui donna la nausée. Dans sa perfidie inhumaine, le magicien avait pris le temps d'agencer un décor digne des films d'horreur. Tel un pantin, le corps inanimé de Sharnalk avait était disposé sur une balançoire, ses mains suspendues aux chaines par un quelconque artifice, ses yeux encore ouverts mais dénués de vie. Son corps semblait désarticulé et la quantité de sang tout autour de la scène laissait comprendre que quoiqu'il ait subi, tout s'était déroulé alors qu'il était encore en vie. Enfin, sous ses pieds gisait la tête esseulée de Korutopi.
Au loin, Natzora n'avait réussi à percevoir qu'une partie du récit de Feitan mais elle comprit facilement qu'il s'agissait d'une vengeance sanglante du magicien. Un acte barbare digne de sa réputation et qui avait aussi pour but de montrer à la Brigade Fantôme que leur querelle n'en était pas à sa fin.
Quand le trio revint dans la voiture, aucun d'eux n'adressa un mot ou un regard à la jeune femme et ce n'est que quand le véhicule opéra un demi-tour, qu'elle comprit qu'ils rebroussaient chemin vers la Tour Céleste.
L'atmosphère s'était chargée d'agressivité. Toujours au volant, Feitan roula à une vitesse insensée. Phinks et lui s'accordaient sur la manière la plus adéquate de se débarrasser de celui qui venait de prendre la position numéro une de leur liste d'ennemis. S'ils s'entendaient sur la méthode – la plus douloureuse qui soit – chacun souhaitait porter le coup fatal ce qui engendra une dispute.
Kuroro ne pipait mot. Son regard restait désespérément figé sur la route et Natzora ne savait comment lui faire comprendre qu'elle saisissait sa peine, peine qu'il ne laissait bien évidemment pas paraître mais dont elle ne doutait pas une seule seconde. Sans geste superflu, elle finit par se rapprocher de lui jusqu'à ce que leurs corps se touchent, espérant ainsi lui prouver que quelques soient ses sentiments, elle était là pour lui.
*********
Feitan suivait l'itinéraire fourni par Machi sur son écran de téléphone et tourna à la dernière intersection. La pluie avait nettement diminué ce que Natzora ne remarqua réellement que quand le chef de l'Araignée ouvrit la portière. L'homme en noir marcha vers Machi dont le visage portait encore les traces de son choc. Il observa un instant le corps de ses amis que Machi avait posés au sol puis prit la jeune femme dans ses bras. Leur étreinte ne dura que quelques secondes et quand Kuroro la libéra, Phinks vint à son tour partager sa douleur avec elle.
Natzora rejoint les quatre membres de l'Araignée tandis que Feitan et Kuroro analysaient l'état des corps. La jeune femme ne jeta qu'un regard bref sur les cadavres mutilés, préférant garder à l'esprit l'image jovial et discrète de ceux avec lesquels elle avait célébré la prétendue victoire du danchô quelques heures plus tôt.
Kuroro ouvrit son livre et matérialisa un grand tissu de couleur beige avec lequel il recouvrit le corps de ses amis. Comme par magie, les corps disparurent et le chiffon rapetissa jusqu'à tenir dans la paume de sa main. Kuroro mit le baluchon dans une de ses poches puis s'adressa à Feitan :
— Préviens les autres. Je veux que tous les membres de la Brigade soient réunis à York Shin dans 48h. Personne, je dis bien personne, n'agit pendant ce temps, c'est bien compris ?
Les membres opinèrent avec subordination. Le plan avait changé, et plutôt que de prendre la direction de leur planque de Padokia, le groupe reprit la route en direction de l'aérodrome pour monter à bord 'un dirigeable en direction de York Shin City.
Le dirigeable décolla au petit matin et la bande arriva au QG de l'Araignée en fin d'après-midi. Dire que l'ambiance était tendue serait un euphémisme et se retrouver dans un lieu familier n'y changea rien. Le groupe retrouva Shizuku et Franklin qui étaient déjà revenus sur place et Feitan entreprit de leur faire un résumé complet de la situation. À la fin de son récit, l'homme au bandana bouillait de l'intérieur et décampa, à la recherche d'une quelconque activité qui l'aiderait à se défouler. Encore éprouvée, Machi avait fini par s'excuser et s'enfermer dans sa chambre. Kuroro en fit de même pendant que Shizuku tentait de calmer Phinks qui mourrait d'envie d'aller faire la peau au magicien dans l'immédiat, ce qu'il ne se serait pas privé de faire si le chef ne leur avait pas interdit.
Dans cette atmosphère chaotique, Natzora s'occupa comme elle le put et alla préparer du thé. Elle mit un certain moment à trouver ce dont elle avait besoin dans cette cuisine qu'elle ne connaissait pas et la bouilloire sifflait quand Shizuku vint à sa rencontre :
— Je pense que tu devrais aller lui parler.
Natzora lui lança un regard interrogateur avant de demander si elle parlait de Kuroro. La jeune femme qui avait les mêmes habitudes vestimentaires que son chef, à savoir s'habiller invariablement en noir, acquiesça et Natzora soupira :
— Je ne sais pas ce que je pourrais lui dire...
Elle prit la bouilloire et versa l'eau brûlante dans les quelques tasses qu'elle avait dégotées. Shizuku posa sa main sur la sienne et la força à reposer l'appareil. A travers les verres de ses grandes lunettes, elle posa un regard calme et impénétrable sur la femme à la peau métissée et déclara :
— Dans son état, tu es la seule qu'il écoutera.
Sentant qu'il devait être rare qu'un des membres de l'Araignée demande de l'aide à une personne ne faisant pas partie de leur organisation, Natzora suivit son conseil et partit en direction de la pièce où s'était cloîtré le chef de l'Araignée.
Devant sa porte, elle inspira un bon coup puis toqua deux fois et enfin entra. Ses yeux tombèrent immédiatement sur Kuroro qui se tenait fermement au bord d'une étagère, la main crispée et prête à démolir l'objet. Le chef de l'Araignée se redressa fièrement quand il aperçut la jeune femme puis retourna son attention vers ses livres. Peut-être était-ce dû à son état intérieur mais son jeu d'acteur n'était plus aussi bon qu'auparavant.
La jeune femme avança après avoir refermé la porte derrière elle et découvrit la pièce qui devait être sa chambre. Un grand lit, un canapé deux places, un bureau, une chaise et sans surprise, plusieurs bibliothèques.
— Comment va ton mal de tête ? demanda-t-elle pour lancer la discussion.
Il sélectionna un livre dans sa collection et répondit d'un très bref « Disparu » sans même se détourner. L'homme en noir faisait de son mieux pour encaisser la disparition de ses amis et il savait Natzora particulièrement perspicace pour lire ses émotions, ce pourquoi il chercha dans un premier temps à éviter son regard.
— Tu restes pour la nuit ? interrogea-t-il.
Elle crut percevoir une certaine irritation dans sa voix ce qui renforça son idée première comme quoi elle allait devoir se montrer extrêmement prudente dans ses paroles et délicate dans ses actions.
— Je ne resterai pas si c'est ce que tu souhaites mais je voudrais au moins m'assurer que tu vas bien.
Il conserva son nez plongé dans son bouquin et répondit à une vitesse surprenante :
— Ce n'est pas la première fois que des membres de la Brigade meurt, ça fait partie des risques de la vie que nous avons choisi.
— Je sais bien, mais-
— Stop, coupa-t-il brutalement.
Il se tourna vers elle d'un geste vif en faisant claquer le livre entre ses mains. Il le rangea dans la bibliothèque aussi calmement que possible avant de poursuivre :
— Je n'ai pas besoin de ta pitié ni d'être consolé. Je ne suis pas un gosse.
— Ce n'est pas mon intention, rectifia-t-elle. Ce que je voulais surtout dire, c'est que tu as le droit de réagir à une nouvelle aussi terrible, Kuroro. C'est totalement normal.
Normal disait-elle ? Il la scruta pour savoir s'il s'agissait d'un sarcasme mais ne trouva rien dans son expression qui allât dans ce sens. Non, Kuroro Lucifer n'était pas quelqu'un de normal, loin de là. Il avait commis bien trop d'atrocités pour avoir encore droit à ce titre.
Natzora s'approcha pour n'être plus qu'à quelques centimètres de lui puis frôla du bout de ses doigts les livres qui étaient entreposés à sa hauteur. Il posa sur elle un regard perdu et se sentit fléchir, comme si sa seule présence le rassurait suffisamment pour qu'il se laisse aller en toute confiance. Une telle réaction était inenvisageable alors plutôt que de s'épancher sur son malheur, il caressa son visage d'ange puis l'embrassa. La jeune femme se recula rapidement mais il revint à la charge et l'embrassa à nouveau tout en l'enlaçant avec détermination. Elle lui rendit son baiser puis le repoussa à nouveau, créant la confusion chez le danchô. Il avait beau chercher à le dissimuler, sa détresse était palpable du bout de ses lèvres et ne pouvait échapper à la femme dont le sixième sens était bien affûté.
— Pourquoi me repousses-tu ?
— Je ne te repousse pas... C'est juste que je vois bien que quelque chose cloche.
La nervosité du chef de la Brigade monta d'un cran ainsi que son amertume et c'est sans ménagement qu'il attaqua :
— Tu fais vraiment ce qui t'arrange. Je ne t'ai pas repoussé quand tu es venu me voir après ton altercation au bar.
Natzora fut d'abord surprise par sa remarque mais expliqua que la situation actuelle n'avait rien à voir avec la sienne.
— J'étais là quand tu as eu besoin de moi, et tu es incapable d'en faire de même, accusa-t-il.
— C'est faux, je suis là, avec toi, mais je ne veux pas que tu m'utilises pour éviter de faire face à tes propres sentiments.
— Parce que ce n'est pas ce que tu as fait cette nuit-là ?
Elle comprenait la mésentente mais Kuroro avait tout faux. Certes, elle avait accouru chez lui ce soir-là, mais ce n'était qu'une fois après avoir digéré les mots horribles que lui avaient crachés Ichigo. La nuance était peut-être subtile mais elle existait. Elle lui expliqua son point de vue, insistant sur le fait qu'il fuyait totalement ses sentiments et qu'une dispute idiote avec un connard n'était rien comparée à la mort de deux de ses plus proches amis. Il tournait en rond dans la pièce et elle l'observa perdre patience, comprenant que c'était peut-être la seule manière de briser ses défenses inutiles et néfastes.
— Tu dois t'autoriser à réagir, renchérit-t-elle.
Kuroro dévisagea Natzora et sous ses yeux emplis de tendresse, il autorisa la mélancolie à envahir son propre regard. La jeune femme s'apprêtait à s'approcher de lui mais eut l'impression que quelque chose l'effrayait terriblement et subitement, une noirceur rageuse remplit ses iris, les rendant encore plus noirs qu'elles n'étaient déjà.
— Tu veux une réaction ?! s'exclama-t-il tandis que son visage se grimait de furie.
Un énorme fracas se fit entendre et en un clin d'œil, une des bibliothèques se retrouva explosée au sol et les livres qu'elle contenait éparpillés sur deux mètres de rayon.
— VOILA UNE PUTAIN DE REACTION !
Elle aurait pu être effrayée par un tel déchainement mais elle était plutôt contente qu'il trouve enfin un moyen d'exprimer ce qui le tourmentait réellement.
— JE VAIS TROUVER CE CONNARD DE MAGICIEN ET LUI TAILLADER LA FACE !
— La vengeance..., murmura Natzora, presque pour elle-même.
— Non, pas juste une vengeance ! Ce sera la plus grande vengeance jamais vue sur cette terre !
— Je comprends, mais tu l'as dit toi-même, mieux vaut attendre un peu le temps de rassembler vos troupes. Pour l'instant, tu devrais plutôt prendre le temps de digérer les événements, tu ne penses pas ?
Elle tentait de conserver un discours raisonnable sans pour autant être persuadée que c'était l'attitude à avoir.
— NON ! s'écria Kuroro. Ce que je veux... Ce que je veux...
Il scruta la deuxième bibliothèque et une seconde plus tard, celle-ci rejoint la première sur le parquet. Il se dirigea ensuite vers le bureau et elle le vit activer son Nen. Comme si le meuble ne pesait rien, il le souleva et le balança à travers la fenêtre. Des débris s'envolèrent et quelques secondes plus tard, l'impact du bureau contre le sol quelques mètres plus bas retentit.
La porte s'ouvrit brusquement et Phinks entra dans la chambre à la hâte, suivi de Shizuku. Il constata les dégâts et demanda ce qu'il se passait mais comprit rapidement au visage furieux de son chef que la cause de ces ravages n'était autre que lui.
— Ça va aller, rassura Natzora à l'attention des deux membres de l'Araignée.
Elle lança un regard déterminé et serein à Phinks et il repartit avec sa camarade sans insister. Kuroro avait à peine remarqué l'apparition éphémère de ses amis et s'épuisait à ressasser les derniers événements.
— Ils n'auraient pas dû mourir, ça n'aurait jamais dû arriver... Je n'aurais pas dû utiliser leurs pouvoirs.
— Tu n'y peux rien Kuroro. Hisoka est un homme imbu de lui-même et totalement imprévisible.
— Non, si je n'avais pas fait ça, il s'en serait pris à moi directement.
Elle secoua la tête.
— C'est déjà un miracle qu'il s'en soit sorti vivant après votre combat, il ne s'en prendra pas à toi directement avant un bon bout de temps. A l'heure qu'il est, il doit se terrer quelque part pour se remettre de ses blessures.
Plongé dans une spirale infernale de désarroi et de sentiment d'impuissance, le chef de l'Araignée ne pouvait réfléchir correctement et tout le bon sens de Natzora n'y faisait rien. Il alternait entre engueulade et questions désespérées qu'il se posait à lui-même. Cet homme n'était définitivement pas habitué à gérer ses émotions lorsque celles-ci prenaient le dessus. Peut-être ne lui était-ce jamais arriver.
— Uvô... Pakunoda... Et maintenant eux... Je dis que cela fait partie de notre vie mais je ne peux m'empêcher de me dire que leur mort était évitable. Si seulement j'avais mieux calculé mon coup, si seulement...
Elle prit son visage entre ses mains :
— Kuroro, arrête.
Elle ne l'avait jamais vu dans cet état et même si cela avait un côté positif, son trouble lui crevait le cœur. Il avait besoin de souffler, alors elle tenta d'arrêter des agitations mais il la repoussa sans ménagement. Ses paroles avaient perdu toute logique et sa respiration devint de plus en plus courte et laborieuse. Il dut s'asseoir sur le canapé et elle se posta devant lui en lui parlant de sa voix la plus douce, sans oser le toucher. Elle voulut s'éloigner pour aller lui chercher une bouteille d'eau mais il la retint par le bras.
— Ne pars pas, souffla-t-il d'une voix minuscule et secouée.
Avec la douceur d'une plume, Natzora passa ses mains dans ses cheveux couleur corbeau et se rapprocha de lui, le cœur au bord des lèvres. Il enroula ses bras autour de ses hanches avec nervosité et la serra en posant sa joue sur son ventre. Elle caressa doucement sa tête et prit le temps qu'il fallait pour que la tension qui tenait son corps diminue puis lui dit :
— Je ne partirai pas, Kuroro.
Elle passa ses jambes de part et d'autre de son bassin pour se mettre à califourchon au-dessus de lui. Il recula jusqu'à enfoncer son dos dans les coussins trop usés et quand elle fut bien installée sur ses jambes, il la serra encore plus fort entre ses bras.
Dans le silence déchirant de ses souffrances, le velours de son étreinte et la tendresse de son attachement, Kuroro laissa sa tristesse couler dans ses veines. L'homme en noir portait enfin son deuil et avec la délicatesse du papillon, Natzora adoucissait son cœur. Le nuage sombre qui avait obscurci son jugement se dissipa peu à peu et avant qu'il ne s'en rende vraiment compte, la jeune femme avait déjà commencé à apaiser les tumultes de sa désolation.
**********
Depuis combien de temps Natzora et Kuroro étaient-ils assis l'un contre l'autre sur ce canapé gris ? Son aspect usé se suffisait à lui seul pour témoigner de son caractère inconfortable mais cela ne les avait pas poussés à se séparer pour autant. Finalement, ce n'est que parce que Natzora commençait à ressentir des fourmis dans ses jambes qu'elle redressa son buste, surprenant la chef de l'Araignée pour qui l'instant aurait dû durer pour au moins une éternité, si ce n'est plus.
Elle garda une main sur sa joue et la caressa de son pouce, laissant son regard dériver dans l'océan noir de ses prunelles, elle aurait voulu faire encore plus pour lui. Elle repensa à son adolescence et en particulier à une chose que lui avait dite sa grand-mère :
« On ne guérit d'une souffrance qu'à condition de l'éprouver pleinement. »
Une déclaration pleine de sagesse qui n'était pas d'elle mais qu'elle répétait fréquemment. Une bien belle phrase mais son exécution requerrait une bonne dose de courage et une maturité de l'âme dont tous ne pouvaient se targuer.
Kuroro posa son regard encore brumé de détresse sur la jeune femme et souffla à demi-mot son envie de ne plus ressentir ce mal être déchirant. Elle se fit la voix de la raison mais rien n'y fit. Elle avait beau dire qu'admettre sa souffrance était un mal nécessaire, cela ne changea en rien le fait que le chef de l'Araignée abominait ce sentiment d'impuissance et la douleur physique qu'il infligeait à l'organe caché dans son thorax.
Tout en sachant qu'elle n'était pas un modèle d'exemplarité sur le sujet, Natzora lui expliqua que dans ses pires moments, elle se remémorait des souvenirs heureux afin de surmonter sa peine. Cela ne fonctionnait, certes, pas à tous les coups mais avait au moins le mérite de la distraire pendant quelques instants.
— Des souvenirs heureux, dis-tu ? Je n'ai pas l'énergie d'en chercher, ni d'y penser. Ne pourrais-tu pas plutôt me raconter les tiens ?
Au hasard de sa mémoire, Natzora lui conta une anecdote qui lui vint spontanément sur sa vie d'adolescente. Le récit décrocha un regard amusé au danchô ce qui encouragea la jeune femme à poursuivre. Elle débutait une nouvelle histoire quand il l'arrêta.
— Montre-les-moi ?
Natzora le regarda d'un air perplexe.
— Tes moments heureux, montre-les-moi, répéta-t-il.
Incapable de résister à ses yeux aussi implorants que pressants, elle posa délicatement ses mains de part et d'autre de son visage et engagea rapidement une connexion avec l'homme à la croix inversée. Elle lui envoya les images de ce qu'elle s'apprêtait auparavant à lui raconter et les images défilèrent tel un film à la réalisation fouillie dans l'esprit du jeune homme.
Le souvenir en arrivait à sa fin mais les mains de Kuroro qui se posèrent sur les siennes firent comprendre à Natzora qu'il en demandait plus. Elle ne savait pas vraiment quel morceau de sa mémoire elle allait désormais partager et se demanda s'il ne lui suffirait pas de penser très fort au simple sentiment de bonheur pour que des images se forment d'elles-mêmes. L'opération était périlleuse mais valait le coup d'être tentée. Elle se concentra donc sur la sensation même de félicité et sans qu'elle n'en dirige le flot, d'autres souvenirs firent surface.
Un flux aléatoire les fit voyager à travers le temps et la vie de la jeune femme à la peau brune et tous avaient un point commun : la joie qui s'en dégageait. Si sa plus tendre enfance fut une période totalement ignorée au cours de cette expérience, de nombreux souvenirs se centrèrent sur ses amis du Kimjicho et leurs diverses aventures. Son subconscient ne manqua pas de faire quelques écarts sur des moments de sa relation avec le danchô et c'est quand elle sentit la situation devenir un peu trop gênante qu'elle rompit le lien.
Quand elle rouvrit les yeux, ceux de Kuroro étaient encore clos et ce n'est que lorsqu'il les ouvrit à son tour que leur brute profondeur la percuta de plein fouet. Elle contempla son visage avec envie pour s'attarder sur ses lèvres joliment courbées et peut-être était-ce dû à l'allégresse des souvenirs partagés, mais le baiser qu'ils échangèrent ce soir-là fut d'une rare intensité.
Ils laissèrent leurs fronts se reposer l'un contre l'autre pendant un long moment, profitant de cette fameuse quiétude d'après tempête. Kuroro finit par se redresser et demanda de nouveau si elle restait pour la nuit. La jeune femme scruta le ciel à travers la fenêtre grande ouverte, ou plutôt « à travers la fenêtre complétement détruite », puis indiqua que la nuit avait déjà débuté depuis un bon moment. Il lui fit remarquer qu'elle n'avait pas répondu à la question et c'est avec un sarcasme non dissimulé qu'elle lança :
- Je me demande bien qui m'as appris à agir ainsi.
Il esquissa un sourire et aussi minime fut cette réaction, elle représentait déjà une grande victoire.
*********
Quand il ouvrit les yeux subitement, la première réaction de Kuroro fut de se redresser en position assise, faisant tomber sur le matelas la main qui se reposait avec légèreté sur son torse. Il en chercha la propriétaire et tomba sur le visage paisible et éteint de Natzora. La jeune femme n'avait pas été réveillée par son bond impulsif et il en était rassuré. Il se rallongea calmement puis se passa une main sur le visage. Il venait à nouveau de faire un terrible cauchemar dans lequel il s'était retrouvé sans pouvoir et ce sans aucune explication. Evidemment, c'était le moment qu'Hisoka avait choisi pour réapparaitre et devant l'impuissance du danchô, il en avait profité pour s'attaquer à Natzora. Le rêve en soi était certes différent des précédents, son subconscient y avait ajouter les éléments des événements les plus récents, mais la fin était sensiblement la même et comme à chaque fois, ne supportant plus les cris de douleur de celle allongée à ses côtés, il s'était réveillé en sursaut.
De sa main, Kuroro chercha machinalement celle de Natzora sous les draps et quand il l'eût trouvée, il la replaça sur son torse dénudé. Il laissa sa main sur la sienne et entrelaça leurs doigts en essayant de chasser de sa mémoire les dernières images de son mauvais rêve.
Dans un mouvement lent, Natzora finit par se réveiller. Elle se tourna vers celui qu'elle pensait endormi et se retrouva face à un homme bien éveillé. Encore groggy, elle posa sa main sur le visage de Kuroro et le caressa doucement. La nuit avait été courte mais reposante, tout du moins de son côté du lit.
Enfin bien réveillée, elle plongea ses yeux de miel dans les siens avec une intensité redoutable qui en disait long sur ce qu'elle lui ferait s'il essayait de mentir à sa prochaine question :
- Comment vas-tu ?
- Mieux, avoua-t-il.
Une alternative honnête à son habituel « Très bien . »
- Tu as l'air anxieux, nota-t-elle.
Il se serait bien arrêté un instant pour réfléchir à comment elle pouvait le savoir mais ce bateau avait déjà largué les amarres et il savait qu'elle lisait souvent en lui avec aisance, hélas.
- J'ai fait un mauvais rêve, expliqua-t-il.
- Rien de surprenant.
Il se mit sur le côté et plaça sa main sur sa taille puis dans le creux de son dos. D'un geste succinct, il la rapprocha de lui jusqu'à être collé à elle. Il glissa sa main sur ses fesses puis sur sa cuisse pour la faire monter sur sa jambe tandis qu'il montait également la sienne sur l'entrejambe de la jeune femme.
- Vas-tu encore me repousser ?
Elle secoua doucement la tête et il esquissa un sourire, les yeux plus pétillants qu'ils ne l'avaient été au cours des dernières heures. Ils s'embrassèrent tendrement et s'enivrèrent de ce réveil tout en douceur. Dans les bras l'un de l'autre, entre câlins, caresses et discussions éparses, la matinée débutait bellement et aucun des deux n'était pressé de sortir du cocon qu'ils s'étaient bâti.
Les yeux pleins d'étoiles, Natzora regarda l'homme dont elle ne pouvait plus se passer. Entre moment de faiblesse et regain de courage, elle lui fit un aveu dont elle mourrait de se libérer :
- Je crois que je tombe amoureuse de toi.
La réaction à peine perceptible du chef de l'Araignée ne surprit pas la jeune femme, de son impassibilité il était le maître. Ses yeux, qui n'avaient d'égal que le ciel une nuit de nouvelle lune, la fixèrent quelques secondes puis se colorèrent d'hésitation pendant une fraction de seconde. Il caressa son visage plein d'appréhension et se concentra pour dompter la confusion qui le tiraillait. Il avait bien une réponse en tête mais sa spontanéité la rendait on ne peut plus dangereuse, trop dangereuse pour être révéler. Dans un sursaut de lucidité malvenue il lui répondit :
- Tu ne devrais pas.
Contre toute attente, un léger sourire se dessina sur les lèvres de Natzora, dissimulant avec virtuosité la mélancolie qui tourmentait son esprit. Elle embrassa délicatement Kuroro puis plissa ses paupières et une larme coula sur sa joue du coin de son œil chagriné. Son sel se dissipa sur la peau de son amant, lui confiant ainsi la teneur de ses sentiments et leur intouchable vérité. Entre deux baisers, les yeux clos et la main crispée sur sa nuque, elle souffla les deux mots qui en cet instant divisaient son cœur lesté : « Je sais ».
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*-*-* NOTE DE L'AUTEURE *-*-*
Aaaaaaaaaaaaaaah ils vont me rendre folle !!! Pas vous ?
Je n'aimais pas mon personnage principal quand j'ai commencé à écrire mais finalement je me suis attachée à elle ! Natzora est une fille simple et compliquée à la fois. Je la trouve très humaine.
J'espère que l'histoire vous plaît ! J'ai eu une panne de motivation pour écrire ces dernières semaines du coup, la publication a presque atteint ma production... J'espère reprendre un bon rythme pour continuer à publier régulièrement 🤙🤞
A plus les zozos
S. Key
PS: "On ne guérit d'une souffrance qu'à condition de l'éprouver pleinement." est une citation de Marcel Proust !
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