chapitre onze : phobie du sang
L'air était étrangement respirable depuis une trentaine d'heures. Et pour cause, Damon était de sortie.
Je ne l'avais plus revu depuis que j'avais été me coucher la veille. Et qu'est-ce que je vivais mieux depuis qu'on m'avait dit ce matin-là que je n'allais pas le croiser parce qu'il était absent.
Je déambulai dans la maison en sachant pertinemment que mon cauchemar avait quitté les lieux. Il n'y avait qu'Esperança, Camilo, Hugo et Liz. Et bien que le deuxième ne me rassurait pas forcément, je me disais que c'était toujours mieux que le monstre.
Les filles avaient été une nouvelle fois se baigner, la météo s'y prêtait. Mais moi, j'étais restée assise au bord. Je ne savais pas nager et depuis la dernière tentative pour me rayer de la carte de Damon, j'avais encore plus peur de l'eau.
Je pensai à ma mère et au reste de ma famille qui me pensaient probablement en vacances en train de me reposer alors que j'affrontais les idées tordues d'un psychopathe enragé. Je bougeai doucement mes jambes dans l'eau pour me détendre. Je passai ma main sur ma nuque pour tenter d'apaiser la tension qui s'y trouvait. Il avait beau être loin, il me foutait toujours la peur au ventre.
— Rafaela...
Je tournai la tête pour regarder Esperança qui avançait comme sur des oeufs pour arriver devant moi. Je fronçai les sourcils. Elle jouait nerveusement avec son téléphone.
— Quoi ?
La tension montait en moi. Elle allait m'annoncer que son frère allait revenir ? Qu'il avait trouvé un nouveau moyen de me faire du mal. Ce mec était capable d'être ingénieux pour m'ôter la vie.
— Je ne sais pas comment...
— Dis-moi !
Je retirai mes jambes de l'eau et m'approchai d'elle. Je commençai à trembler. Et si Damon revenait pour me faire du mal. Peut-être qu'il me couperait avec un couteau, il m'amputerait sans anesthésie, où il me pendrait par les pieds pour voir combien de temps je tiendrais avant d'être inconsciente.
Esperança arrêta mes interrogations en me montrant son téléphone. Je vis une photo de Maxwell. C'était une story plus précisément. Il était en train d'embrasser une fille.
Et ça me mettait en rogne.
Pendant que moi je vivais un cauchemar, lui il se tapait des meufs ? Notre rupture n'avait pas l'air de l'affecter. Avait-il été ne serait-ce qu'une seule seconde attristé par ce que nous avions arrêté ?
J'attrapai son téléphone pour voir le décor, je savais exactement où c'était.
Il sortait toujours au même endroit avec ses amis, à Bogotá. C'était un nightclub pas des plus fréquentable. Il y était tous les soirs quand nous n'étions pas en déplacement. Je n'avais jamais mis les pieds là-bas mais j'avais tellement regardé les stories qu'ils postaient que je connaissais l'endroit comme ma poche.
Je rentrai dans la maison et m'approchai d'Hugo assis dans le canapé avec Liz qui était en train de lui énumérer toutes les races de chiens qu'elle aimait. Il ne voulait pas de chiens, mais elle n'en avait pas grand chose à faire.
— Je veux aller à Bogotá, lançai-je.
— Regarde comment c'est adorable avec les poils, fit Liz.
— Je veux aller à Bogotá, ce soir, redis-je.
— Les rêves c'est la nuit, répondit Hugo avant de se concentrer sur sa copine en lui caressant la hanche pendant qu'elle continuait de lui montrer des photos.
— J'en ai rien à foutre ! Je veux aller là-bas !
Ils me regardèrent enfin tous les deux.
— Tu n'as pas l'air de comprendre que tu n'es pas en vacances ! Cracha Hugo.
Je le savais parfaitement. Mais l'envie d'aller là-bas et de juste être sous ses yeux était tellement tentante. J'avais cette voix dans le crâne qui me répétait en continue que je devais aller là-bas et lui crever les yeux avec ma putain de pailles.
— Son mec la trompe, fit Esperança.
— Ex, la corrigeai-je. Et ce n'est pas une tromperie, mais ça me fait chier qu'il profite de ses vacances pendant que moi je commence sincèrement à réfléchir à la couleur de mon cercueil.
— Et donc ? Comme une enfant, colérique tu veux aller à Bogotá ? Demanda Hugo. C'est non.
— Mais...
— Chéri, lança Liz. Tu as dit toi même qu'on pouvait se détendre un peu sans Damon sur le dos.
— Moi je suis ok pour la soirée, fit Camilo.
Il ne restait qu'Hugo à convaincre.
— Il va nous tuer, grommela Hugo.
— Je suis presque sûre que moi, il me tuera quoi que je fasse soufflai-je.
Nous étions à quelques minutes de notre destination à présent. Liz avait convaincu son copain de nous conduire dans la capitale colombienne.
Damon avait une maison au nord de Barbosa à quatre heures de Bogotá. La route n'avait pas été rapide. Assise à l'arrière de ma voiture avec Camilo, j'attendais patiemment d'arriver.
Je m'imaginais déjà tous les scénarios possibles durant lesquels je lui cracherai au visage qu'il me répugne. Ou bien c'était ce que je voulais me faire croire pour ne pas reconnaître que je souffrais de son absence. Je ne savais pas.
Esperança était toujours chez son frère, elle était mineure, nous n'allions pas la ramener là-bas.
J'avais demandé à faire un arrêt chez moi pour prendre une tenue. Ainsi, vêtue d'une robe bustier bleue et courte, j'étais prête. Je m'étais coiffée, maquillée, je ne pouvais pas dire le contraire, tout ça m'avait manqué.
Hugo se gara enfin et à peine sortie de la voiture, je l'entendais déjà me donner des consignes strictes. Je ne l'écoutais pas ceci dit. J'étais trop occupée à profiter de cette soirée.
Le videur me laissa entrer et les autres me suivirent. La musique était forte. Une ambiance bien spécifique se faisait sentir dans le club.
C'était électrisant de se retrouver au milieu de personnes qui faisaient la fête ensemble sans même se connaître. L'air était chaud et une certaine tension se dégageait de tous les corps présents.
Sur les podiums, des filles donnaient le spectacle que certains attendaient. Il faisait sombre, mais on voyait tout de même.
— Tu ne t'éloignes pas ! Lança Hugo.
Pourtant, je marchai déjà pour partir toute seule à la recherche de celui que je cherchai. J'entendis le frère de Damon m'appeler, mais Liz l'empêcha de continuer.
Zigzaguant au milieu des personnes qui dansaient j'arrivai en bas d'un escalier. On m'empêcha d'y monter en me disant que c'était réservé pour les VIP.
— Pardon, lançai-je avec désinvolture, j'ai plusieurs millions de followers, je ne suis évidemment pas VIP, j'ai du me tromper.
Le malaise emporta ce type, mais j'étais déjà de nouveau loin. Je n'avais encore rien bu et je me sentais déjà alcoolisée. C'était les fumées, les odeurs et l'ambiance générale qui me saoulait.
J'avais la tête qui tournait, je devais me concentrer pour ne pas m'effondrer sur le sol. Je ne pouvais pas tomber, c'était la honte, surtout vu les gens autour de moi.
Je regardai partout en essayant de retrouver Camilo, Hugo ou bien Liz, mais je ne vis personne. Un verre arriva devant mes yeux. Le type qui s'était allongé en face de moi dans le cachot s'immisça dans mon champ de vision.
Il sourit en coin et j'attrapai pour boire le verre rapidement. Plus vite j'allais être bourrée, plus vite j'allais pouvoir ne plus me rendre compte d'à quel point j'étais pathétique. Camilo me sondait du regard, pas d'un air pervers, mais plus avec préoccupation. Il cherchait à comprendre si j'étais tombée aussi bas que ce qu'il pensait.
Je le voyais enfin, il était avec cette fille à une table, ils étaient en train de se parler. Il avait glissé son bras autour de ses épaules. Ses lèvres bougeaient contre son oreille et elle riait en tapant sa cuisse à lui.
Je les regardai en buvant mon verre. Je n'avais plus de signe de Liz et Hugo. Mais Camilo me collait au cul. Il était toujours à côté de moi. C'était peut-être mieux pour m'éviter de faire de la merde.
Je bouillonnais.
Il avait vraiment l'air de profiter alors que j'avais passé un moment à camoufler mes bleus. Je donnais mon verre à Camilo avant de marcher vers l'emplacement du DJ.
Je lui fis signe et il m'aida à monter sur sa plate-forme pour m'écouter parler. Il glissa un bras autour de mes hanches en pensant que j'avais fait semblant de perdre l'équilibre. En réalité, j'avais manqué de m'étaler sur le sol.
— Je peux chanter ?
Il mit quelques instants avant de comprendre ma requête. Mais il accepta. Il fallut quelques minutes avant que j'entame un concert privé sur un podium.
La salle ne regardait que moi et l'alcool me permettait de tenir. Mon regard croisa enfin celui de Maxwell. J'avais négocié trois chansons. Comme un cliché de ces filles qui cherchait à faire regretter un pauvre type en boîte, je me dandinai. Je coulais attirer le plus de regards possibles.
Mais ce rapide concert passa trop vite. Je n'eus pas le temps de savourer les regards qui caressaient sans relâche ma peau.
Lorsque je descendis du podium, je fus directement face à Maxwell qui me plaqua contre le mur derrière moi.
— Qu'est-ce que tu fous là ? Hurla-t-il. T'es pas avec ton connard ?
J'avais presque oublié l'idée de génie de Damon pour dire que j'étais en vacances avec son bras de merde. Ce mec me foutait dans la merde encore.
Les gens pensaient quoi ? Que je baisais avec lui ? Je manquai de m'étouffer avec mon vomi en y pensant.
— Tu n'as pas une connasse à baiser dans les toilettes ? Demandai-je sur le même ton.
— Rafaela je ne suis vraiment pas d'humeur !
J'allais m'étouffer de rire. Parce que moi j'étais d'humeur ?
— Elle te fait bander elle ?
Il détourna le regard et je prenais ça comme un putain d'aveu. Pourquoi elle et pas moi ? Qu'est-ce qu'elle a de plus que moi, merde ?
— Tu dis de moi, mais tu n'es pas mieux !
— Rafaela, ce n'est vraiment pas l'endroit !
— Tu me dégoûtes !
Je doutais que toute ma haine soit réellement méritée, probablement qu'une partie était en lien avec Damon. Mais ça me faisait du bien de lui cracher au visage.
Camilo arriva proche de moi et je me libérai de l'emprise de Maxwell pour attraper sa main et nous écarter de mon ex.
— Hugo veut rentrer, faut qu'on arrive avant Damon, m'informa-t-il.
J'hochai la tête et quittai le club. Je marchai juste derrière Camilo pour atteindre la voiture contre laquelle Hugo était en train de fumer avec Liz se trouvait sur le capot.
Je croisai mes bras en sentant l'air frais m'attraper. L'euphorie de l'instant était passée. Un bruit se fit entendre et je vis parfaitement le regard de Hugo sur moi. Je sentis Camilo se jeter contre mon corps alors que j'étais incapable de réaliser.
De nouveaux bruits se firent entendre et Liz hurla alors qu'à terre je sentais juste ma tête tourner. Le corps de Camilo m'étouffait. Des moteurs s'approchaient et Hugo était en train de tirer. Rapidement, il s'approcha de nous pour m'aider à me relever et m'entraîner dans la voiture.
Liz se mit à côté de moi et retira la veste qu'elle portait pour la poser contre mon bras. Ce ne fut qu'à cet instant que je pris conscience que Camilo et Hugo avait du sang sur eux. Mon sang...
— Merde, merde, merde, marmonnai-je en perdant mon souffle.
Je devenais de plus en plus agitée et ils me regardaient tous les trois pendant qu'on fuyait ce qu'il venait de se passer.
— C'est superficiel, elle t'a juste écorché, m'expliqua Liz comme si j'en avais quelque chose à foutre.
— Arrête de bouger, lança Hugo en me regardant dans le rétroviseur.
Je n'y arrivai pas. J'avais une sensation étrange sur la peau, un goût de fer dans la gorge. Quelque chose n'allait pas du tout. Et je savais ce que c'était.
Mes yeux se mirent à fixer les mains de Hugo cramponner au volant. Il conduisait pour quitter rapidement la ville et cette situation. Peut-être étions-nous poursuivis, je ne le savais même pas.
Ce n'était pas du tout ma priorité de le savoir. Je voulais juste lutter.
— Si elle vomit dans ma caisse, Liz je te jure que c'est moi qui vais la tuer !
— La tuer, répétai-je.
— Ferme-la Hugo.
— La tuer !
Je continuai de m'agiter dans tous les sens. Je devais avoir l'air étrange, mais en réalité, je n'arrivai pas à m'arrêter. C'était trop dur.
Je pleurai à présent. Je commençai à trembler. Mon bras brûlait progressivement pour me confirmer que le sang sur eux était le mien.
— La tuer, répétai-je en commençant à me vider de mon énergie.
Mes yeux papillonnèrent avant que je ne sombre lourdement. Je ne sentais aucune douleur, j'étais anesthésiée par le fait que j'avais la phobie du sang.