Son interlocuteur eut un sourire moqueur et charmeur, le regard pétillant de malice et d'assurance. Car, s'il s'agissait d'un des membres de la famille Medvedev, il n'était pas de ceux qu'Adryanna avait pour habitude de fréquenter. Il était l'opposé extrême de l'homme qui se tenait dans le salon, à discuter avec son fiancé. Si Leonid avait la grâce et la prestance, ainsi que la force tranquille, cet homme, lui, avait l'arrogance et la dangerosité d'un serpent prêt à mordre à tout instant.
Et il n'était autre que le père de Leonid lui-même, et le frère adoptif de Narcisse Von Keyserling.
« Miss Samaras... Je suis ravi de vous revoir. »
Son visage paraissait tellement jeune. Elle pencha légèrement la tête, tout sauf intimidée, et demanda d'un ton inquisiteur :
« Puis-je savoir ce que vous faisiez à l'entrée de mes appartements ? Ce n'est habituellement pas un couloir réservé aux visiteurs. »
Il eut un sourire si innocent et provocant à la fois qu'on aurait pu le jeter en prison en même temps que l'on lui aurait offert les clés de la ville sur un plateau.
« Je m'excuse, je ne voulais pas être intrusif. Mon fils m'a informé que vous manquiez à l'appel, je suis donc venu voir si tout allait bien.
— C'est très aimable à vous, mais il vous aurait suffi de demander à mon fiancé. Il vous aurait répondu sans délai. »
Le sourire du blond se fit plus grand encore, le regard brillant d'amusement.
« Oh, mais quel idiot fais-je... Je n'y avais même pas songé. »
Adryanna eut un léger sourire en coin, pas dupe. Elle doutait même du fait qu'il ait réellement parlé à Leonid. Car, si Elijah l'avait vu, il ne l'aurait jamais laissé monter à la rencontre de la jeune femme. Elle en était convaincue.
Refermant la porte de sa chambre, elle haussa un sourcil à son intention.
« Quoi qu'il en soit, j'allais les rejoindre. Souhaitez-vous venir aussi ? »
Il eut une légère moue, toujours cet insupportable sourire aux lèvres.
« Mais, avec plaisir. »
Il tendit son bras le long des escaliers, lui indiquant qu'elle pouvait passer avant lui, ce qu'elle fit sans prononcer un mot. Sa main reposait sur la rambarde tandis qu'elle était quelque peu dans ses pensées, ne laissant rien paraître pour l'homme qui était juste derrière elle. Ce qu'elle pouvait exécrer son arrogance. Cette dernière avait empiré avec les années, peu après le décès de Narcisse. Elle avait senti cet homme qu'elle connaissait très peu devenir plus sombre encore, sans scrupules. Elle détestait ce qu'il représentait.
« Cette robe vous va à merveille. »
Elle eut un léger sourire dépité en répondant, de dos à lui tandis qu'elle descendait doucement.
« Je vous remercie.
— Je le pense sincèrement, et puis rare sont les occasions pour moi de vous voir autrement parée que pour les flots. Ce n'est pas une critique, mais un simple constat. »
Cette fois-ci, elle répondit sans émotion et avec davantage de répondant.
« Je suis faite pour prendre la mer, et préfère largement mes tenues à bord que sur la terre ferme, mais je prendrais le compliment malgré tout et vous en remercie. »
Elle coupa la conversation, arrivant en bas des escaliers et cherchant Elijah du regard, espérant trouver un certain soulagement en le voyant. Mais, elle eut beau parcourir le salon du regard et tendre l'oreille, l'homme et son mentor étaient introuvables. Elle pinça les lèvres, décontenancée, tandis que Makarios s'approchait derrière elle.
« Eh bien, voilà qu'ils ont disparus... Peut-être sont-ils allés sur la plage ? Qu'en dites-vous ? »
Elle se tourna vers lui, les sourcils froncés et le regard agacé.
« Oui, ce doit être cela. Allons à leur rencontre. »
Se tournant à nouveau, elle se dirigea vers la porte pour tenter de les apercevoir, le rythme de pas rapide et pressé. Derrière elle, l'homme aux boucles blondes et aux yeux verts perçants souriait de façon amusée. Il lui semblait si facile de manipuler l'esprit humain que la moindre chose l'amusait. C'était comme si la vie n'était à ses yeux qu'un immense terrain de jeu, et il prenait un malin plaisir à constater le contraire chez ses semblables.
En quelques foulées à peine et du haut de sa grande taille, il rejoignit la jeune femme qui marchait déjà sur le sentier en direction de la plage. Elle tentait sans résultat d'apercevoir son fiancé et son mentor, exaspérée par la présence de l'homme derrière elle.
« Vous ne semblez pas apprécier ma compagnie. De plus, ma chère, je vous ferais remarquer que vous ne portez pas de chaussures. »
Elle roula des yeux par réflexe, et les baissa sur ses pieds en marmonnant tandis qu'elle constatait avec dépit qu'il avait raison. Elle fit claquer sa langue, une moue peu concernée sur les lèvres, puis redressa la tête en tournant à peine le visage vers lui pour répondre.
« Cela vous étonne ? Nous n'avons jamais été proches, et d'autant que je sache mon père n'a jamais dit du bien de vous. »
Derrière elle, le blond fit une légère moue.
« Pourtant, il y aurait de nombreuses choses à dire. »
Elle eut un rire léger et quasiment silencieux, moqueuse. Ses pas étaient toujours de peu devant les siens, lui tournant le dos.
« Comme ? Je vous en prie, étonnez-moi, mais je n'ai pas votre temps. »
En disant cela, elle sentit une légère douleur dans la poitrine et ses pensées s'embrouillèrent à la façon d'une épaisse brume, lui faisant perdre le fil de la conversation sans que son interlocuteur s'en rende compte. Le rythme de ses pas avait ralenti brusquement.
« Je ne peux me résumer en quelques phrases, vous le savez. Mais je dirais que je suis un homme de pouvoir, qui peut s'avérer bien utile. Et, de plus, je parle couramment de nombreuses langues telles que le russe, le bulgare, l'espagnol et quelque peu de français. »
Il n'en avait que faire des langues qu'il parlait, et de ses points forts. Elle le savait, il n'avait aucun besoin d'en parler, étant loin de manquer de confiance en lui. Adryanna répondit, toujours de dos à lui, le ton de voix bien plus moqueur et sec.
« L'espagnol ? Prévoyez-vous de passer à l'ennemi prochainement ? Voyons, nous savons que ce ne sont pas là vos réelles aptitudes, Monsieur Medvedev.
— Vraiment ? Et quelles sont-elles, dans ce cas ?
— Vous êtes un serpent. Un homme de langues, mais pas dans le sens où vous l'entendez. Vous savez vous y prendre pour tourner les mots à votre avantage, et manipuler vos semblables. C'est pour cela que votre famille vous déteste autant. »
De dos, elle ne pouvait le voir, mais il cligna à peine quelques secondes des yeux en faisant une légère moue pensive et bien moins amusée.
« Eh bien, je... Devine que vous avez raison. Du moins, sur la métaphore du serpent, entendons-nous. »
Elle eut un sourire narquois.
« Oh, vous n'admettez donc pas que votre famille vous hait ?
— Je ne l'entends pas dans ce sens-là.
— Votre propre fils ne veut plus de vous et votre première femme avait cessé de résider sous votre toit bien longtemps avant son décès. Dans quel sens l'entendez-vous ?
— Ce sont des affaires de famille, desquelles vous feriez mieux de ne pas vous mêler. »
Brusquement, la brune se retourna en s'arrêtant net. Son regard lançait des éclairs, et la clarté de ses yeux n'était plus la même que lorsqu'ils étaient sortis de la résidence.
« Vous vous permettez de me dire de quoi je dois me mêler ou non, sous mon propre toit ? Vous êtes celui qui vient, alors que sa visite était tout sauf prévue, me narguer en jouant au chat et à la souris avec votre fils et mon fiancé ! A votre place, je réfléchirais avant d'utiliser ce genre de ton avec moi. »
En face d'elle, l'homme plissa légèrement les yeux pour mieux comprendre. Son regard scrutait intensément celui de la femme en face de lui, et l'ombre d'un sourire s'esquissa sur la commissure de ses lèvres avant qu'il ne reprenne en se redressant, plus sérieux.
« Je suis navré, je ne pensais pas vous vexer. Bien évidemment, vous avez raison. »
Une étincelle d'amusement passa dans ses yeux.
« Ma propre famille me hait. »
Adryanna fronça les sourcils et resta quelques secondes à observer son visage, l'air de chercher la moindre chose qui aurait pu la convaincre d'achever l'homme en face d'elle.
N'y trouvant rien, elle finit par retourner le visage en direction de la plage, toujours déserte. Ses orteils s'enfonçaient plus profondément dans le sable tandis qu'elle réfléchissait, la colère s'estompant aussi rapidement qu'elle était montée.
« Pourquoi êtes-vous réellement venu, Monsieur Medvedev ?
— Je vous l'ai dit, je voulais simplement prendre de vos nouvelles. »
Cette fois-ci, la brune ne fit qu'élever un sourcil plus haut que l'autre en le regardant, l'air presque blasé. Se pensait-il donc si supérieur, ou la pensait-elle si naïve, pour croire à cette simple phrase ?
« Très bien, si vous insistez. »
Makarios inspira et se posta à côté d'Adryanna, qui était toujours statique, face à la plage déserte.
« Je suis venu protéger mes intérêts. »