Chapitre 2
J'étais dans la salle de bain, accoudé à la double vasque pour me retenir de tomber. Non. Pas ça. Pas déjà. Je refusais de croire que ma mère voulait déjà emménager avec le voisin et son arrogante progéniture. Je n'avais pas plus le temps d'y réfléchir puisque maman nous appelait au salon. Sarah passait devant moi quand j'ouvris la porte pour sortir à mon tour, et je fus dépassé par Karl qui me fit un clin d'œil intimidant.
Pff.
- Tu fais pitié, murmurais-je assez fort pour qu'il entende.
Mais il n'a pas la réaction escomptée.
- T'as dit quoi là ? Il avait de la haine dans les yeux.
- Je rigolais, c'est bon, pas besoin de t'énerver comme ça, lui répondis-je en levant les yeux au ciel, quand soudain, moi qui étais à l'entrée du couloir, je me retrouvai propulsé avec une force imparable au centre de celui-ci, plaqué contre le mur, et avant que j'aie le temps de comprendre ce qui m'arrive, Karl me susurra à l'oreille :
- Plus. Jamais. Tu. Ne. Me. Parles. Comme. Ça. Plus jamais.
Puis il hume mon parfum en remontant jusqu'à deux millimètres de ma bouche à tel point que je n'arrive pas à bouger. Ce qui me fait sortir de cet étrange moment, c'est ma mère qui nous appelle au bout du couloir en nous disant qu'elle doit absolument nous annoncer quelque chose qui ne peut apparemment pas attendre.
Sauvé.
Quand je crois que je vais enfin pouvoir me défaire de lui, il me glisse :
- N'essaie pas trop de lutter, tu vas perdre à un jeu auquel tu auras fixé les règles, petite.
Petite ? C'est sérieux ? Il doit avoir quoi, deux ans de plus que nous max ? Mais pour qui se prend-il ? Et puis, comment ça « ne lutte pas trop » ? Enfin bref, il aura pour seule réponse un haussement de sourcils de ma part.
Nous arrivons dans le salon sous le regard accusateur de Sarah qui semble dire : « Qu'est-ce que tu foutais ? ». Si elle savait à quel point j'aurais préféré être à sa place tout ce temps. Nous nous asseyons à l'opposé l'un de l'autre mais je le vois me jeter des coups d'œil très régulièrement. Et c'est moi qui vais perdre, hein ? Cours toujours, Angel Springson.
- Vincent et moi avons une superbe nouvelle à vous annoncer.
Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié que je ne voulais pas entendre la suite de ce qu'elle va dire.
- Vincent, Angel et Isaac, son meilleur ami, partent en vacances dans un camping à vingt minutes de chez mamie, alors nous avons conclu, si ça vous va bien sûr, mais je suis persuadée que vous allez adorer l'idée, Vincent et moi restons chez mamie et vous, vous prenez le mobile home pour quatre, à condition que vous soyez sages. Alors, vous en pensez quoi ?
Bon ok, c'est moins pire que ce que je pensais, elle ne veut pas qu'on emménage tout de suite avec eux. Mais je ne suis pas « ravi » de partir en vacances un mois entier avec monsieur « je me prends pour dieu sur terre » et son pote qui doit être dans le même style.
Je ne peux pas refuser, avec tout ce que maman fait pour nous, elle a bien le droit à un peu de repos sans nous. Et puis, ce n'est pas comme si elle sortait avec le premier venu, c'est le premier homme qu'elle nous présente depuis dix-huit ans, même si elle aurait pu prendre l'option sans enfant.
Je regarde Sarah qui semble ravie de cette idée, tu m'étonnes... elle va passer un mois entier avec le mec qui l'obsède depuis des mois. Je suis sûre qu'il était au courant, l'enfoiré.
- On pourra quand même voir mamie ? demandai-je.
- Mais bien sûr, ma chérie, vous pourrez venir autant que vous le souhaitez. En plus, Angel a une voiture, vous allez pouvoir bouger comme vous le voulez !
- Super alors si Karl a une voiture, dis-je à voix basse de façon à ce que ma mère n'entende pas mon désintérêt pour cette info, ce qui a le pouvoir de lui faire arquer un sourcil à lui.
Sarah, elle, a l'air ravie. Je ne crois pas avoir une quelconque proposition de choix et ce n'est pas comme si Sarah et moi pouvions refuser quelque chose à ma mère. On n'aura qu'à l'éviter, lui et son pote qui a une petite sœur qui adore Cars. Je manque de rire encore toute seule.
Donc c'est comme ça que je me suis retrouvée à me faire réveiller par mon alarme à deux heures du matin pour faire approximativement cinq heures de route jusqu'en Italie. Tout ça pour atterrir dans un putain de camping alors qu'on aurait pu être bien tranquille comme chaque année dans la grande maison de mamie.
J'éteins mon téléphone et lutte pour ne pas me rendormir, je crois que Sarah n'a pas dormi de la nuit. J'ouvre la fenêtre de ma chambre et laisse le froid entrer. Je me regarde dans le miroir, je porte un jogging noir, un tee-shirt gris et je viens d'enfiler mes chaussettes blanches. Ma valise, que j'ai terminée hier soir, n'est même pas fermée. Je la ferme et attrape mon sac où j'ai glissé quelques derniers éléments comme mon chargeur et mes AirPods.
Je sors de ma chambre et croise ma sœur qui semble épuisée, je pense qu'elle va dormir toute la route, elle aussi accompagnée de sa valise, elle a déjà ses écouteurs dans les oreilles.
- Ah les filles, vous êtes réveillées ! On ne va pas tarder à partir, il faut juste que je règle deux ou trois détails avant de partir.
Un quart d'heure plus tard, maman ferme la porte et nous descendons les escaliers de notre immeuble.
Nous suivons maman dans l'air froid de cette nuit de début d'été jusqu'à atteindre deux voitures. De la première descend Vincent, le copain de maman, mais aussi le père du prétentieux Karl qui lui, descend côté passager de la seconde voiture.
Vincent ouvre le coffre pour que maman y dépose ses affaires mais Angel reste debout sans que nous ayons encore vu qui se trouve à la place du conducteur. À moins qu'il ne soit pas encore arrivé. Mais alors comment Angel a-t-il pu ouvrir la voiture si son super copain n'est pas encore arrivé ?
- Ah Isaac, prononce Vincent, j'ai bien cru que tu n'arriverais jamais.
- Pardonne mon retard, Vin's, Kim a fait un cauchemar, elle ne voulait pas que je parte et je ne voulais pas réveiller mes parents pour ça, j'ai dû la gérer jusqu'à ce qu'elle se rendorme.
Eh bien, est-ce que monsieur « ma petite sœur vole des Blu-ray Cars » serait plus... Non, sympa n'est pas le mot, je dirais plus vivable que son cher ami Angel Springson ?
- Angel, ouvre le coffre et porte les valises des filles dedans, s'il te plaît. Isaac, je te présente Sarah, dit Vincent en pointant ma sœur du doigt pour indiquer à Isaac notre identité, même s'il aurait pu juste donner un trait de caractère physique, c'est pas comme si on était de vraies jumelles. Enfin, si, ce que je veux dire, c'est que génétiquement nous le sommes, mais physiquement nous sommes totalement opposées. Et là, tu as Hyna.
Isaac me sourit. Il est grand, brun avec plein de bouclettes qui lui tombent sur le visage et qui vont jusqu'à son cou. Il est un peu rond mais les traits de son visage sont fins et il a des yeux verts perçants.
Isaac alla directement vers ma sœur qui lui souriait chaleureusement. Je me demande si elle fait ça par politesse ou parce qu'elle a encore craqué sur le premier venu. Je pense tout d'un coup à Angel. Non, qu'est-ce que je raconte ? Je ne peux pas penser à Angel, et puis pourquoi ce serait le cas ? Oh, peut-être parce que maintenant que ta sœur lui lâche la grappe, tu peux tenter quelque chose ? Ferme ta gueule, la putain de voix intérieure, ce prétentieux ne m'intéresse pas même un tout petit peu.
Je vois Isaac parler avec ma sœur. Ils rigolent, puis il se retourne vers moi.
- Ça va Hyna ? T'as l'air perdue.
Oh non, si lui l'a remarqué, l'autre imbu de sa petite personne va encore m'harceler pour me dire que je pensais à lui ou pire encore que je suis obsédée par lui, que sais-je ? De toute façon, je n'ai pas le temps de penser à ça.
- Oui, tout va bien, merci, lui répondis-je avec un large sourire.
- D'accord, parfait. Les filles, il y a des plaids dans le coffre d'Angel, attendez, je vais vous les donner.
Il habite dans sa voiture ou quoi pour avoir des plaids dedans ? Et puis je vois qu'ils sont encore emballés. Les aurait-il achetés pour nous ? Non, je refuse d'y croire, je suis sûre que c'est une initiative de Vincent.
- Merci beaucoup, dit Sarah avant
d'aller s'installer sur la banquette arrière côté conducteur de la voiture de Karl.
Je remarque que nos valises ne sont plus autour de nous et que le coffre est fermé.
- Isaac, tu conduis en premier ?
- Chaud.
Le plaid est encore dans les mains d'Isaac avant qu'il le donne à Karl et qu'il parte parler avec Vincent, sûrement de notre itinéraire. Angel s'approche de moi et je me surprends à reculer. Puis je remarque qu'il est vexé que j'aie eu peur de lui sur le coup.
- Tiens, ton plaid, petite.
Mais qu'il m'agace ! Il doit avoir quoi, un an, deux ans maximum de plus que nous. Pour qui se prend-il ?
- Pour juste un an de plus, c'est pas un peu prétentieux, par hasard ?
- Deux, deux ans de plus que toi.
Je jure que je vais le gifler. Je lève les yeux au ciel pour toute réponse.
Isaac revient.
- Ce soir, on mange chez la grand-mère des filles !
Quoi ?! Non mais c'est pas possible, Angel et son copain le marrant chez mamie ? J'ai la poisse ou quoi ? Mamie va nous poser une tonne de questions et je ne sais pas mentir. Mais pourquoi aurais-je besoin de lui mentir au juste ? Je lui dirai que Karl n'est rien qu'un insolent qui ne pense qu'à lui.
- Trop bien, répond Angel avec une ironie grosse comme le nez au milieu de la figure.
- Mais si t'es pas content, tu n'as qu'à aller directement dans ton super camping, lui dis-je avec les dents serrées.
- Ah bah merci, pour une fois que tu as une idée brillante comme celle-ci, et tu vois une autre voiture peut-être ?
- Ça va, on t'a demandé un repas chez une grand-mère, pas l'euthanasie.
- J'aurais préféré.
Je le regarde avec dégoût.
- Oh, ça va, je plaisante, petite.
- Ci sarà molto pepe nel tuo piatto.
- Qu'est-ce que tu me dis là ? C'est de l'italien ?
- Oui. J'ai dit : j'adore la couleur de ta voiture !
- Non giocare troppo con il fuoco rischi di bruciarti, piccolino.
L'enfoiré, il avait compris ce que j'ai dit et il parle italien aussi.
Sarah et moi avons appris l'italien avec mamie depuis toujours.
- Bon, moi j'y comprends rien à votre langue donc si vous voulez bien parler normalement et rentrer dans cette caisse pour qu'on arrive à temps pour manger ce soir, ça serait pas mal.
Donc Isaac est un estomac sur pattes, mais il n'a pas tort, nous ferions mieux de partir pour ne pas arriver trop tard pour mamie. Je monte sur la banquette arrière côté passager et je remarque que Sarah est déjà endormie. Angel, lui, monte devant comme copilote d'Isaac. Je le vois me fixer dans son rétro mais je n'y prête pas attention du tout. Je cherche mes écouteurs dans mon sac et quand je les trouve et ouvre le petit boîtier, je remarque à mon plus grand désespoir qu'ils n'ont plus de batterie du tout. Mais comment ai-je pu oublier la seule chose à laquelle il fallait penser ? Le voyage va être long. Très long. Trop long.
Je remarque la main d'Angel qui me tend quelque chose, des écouteurs, il me tend exactement le même boîtier que les miens. J'hésite puis je les prends sinon je ne vais pas supporter le voyage en entier sans ma musique.
Je les connecte à mon téléphone sous le nom « AirPods de Angel ».
Le plaid est énorme et si confortable que je m'endors en un rien de temps sans remarquer que Angel entrelace nos doigts ensemble avant de s'endormir lui aussi...
Isaac prend la route alors, seul.