Elena
Je sens l'eau s'infiltrer dans mon nez, et continuer le long du chemin sinueux qui mène à mes poumons. En quelques secondes seulement, ces derniers sont gorgés d'eau, et menacent d'exploser. J'essaie de crier, mais sans succès, ma voix n'existe plus, et les dernières bulles d'air de mon corps s'échappent de ma bouche pour remonter vers la surface. Je tente de les suivre, voyant le chemin qu'elles se fraient, mais le remous des vagues me pousse de plus en plus fort, de plus en plus loin. Comme si je n'étais rien. Je vois alors une main se tendre, pour m'aider à sortir enfin de l'eau. Je tends le bras pour l'attraper, et je vois enfin à qui appartient cette main. Le fantôme de ma mère me regarde en souriant, pour me ramener avec elle.
La panique me fait me réveiller instantanément, avec tant de violence que j'en tombe du canapé. J'entends glapir sous moi, et m'écarte brusquement de la source du bruit. A ma grande surprise, Arès, le chien d'Hélios a passé la nuit chez moi. Mais je ne vois son propriétaire nulle part autour de nous. Je me lève doucement du sol, en massant ma tête à l'endroit que j'ai cogné contre la table dans ma chute matinale. Une fois debout, je me rends compte qu'un petit mot est déposé sur ma table :
"Elena,
J'ai essayé de rentrer chez moi, mais Arès a catégoriquement refusé de me suivre. Ne voulant pas te réveiller, j'ai préféré le laisser avec toi, j'espère que cela ne te dérange pas. Je ne serais pas chez moi aujourd'hui, tu peux le ramener chez moi dès que tu le souhaites, mon jardin est ouvert, il a l'habitude de rester seul.
Je te laisse mon numéro, si tu as un problème, tu n'hésites pas, peu importe le souci, je reste joignable.
Hélios.''
Franchement, pour le peu que je compte faire aujourd'hui, je préfère garder le golden retriever avec moi pour la journée, cela nous fera une compagnie mutuelle. Je tapote ma jambe pour qu'il me suive jusqu'à la cuisine, pour aller prendre un petit déjeuner. Je n'ai rien avalé depuis hier midi, et la faim fait gronder mon ventre. Je n'ai pas de croquettes pour chien, ni de viande car je suis pescétarienne, je me retrouve donc embêtée pour nourrir Arès. Je vais pour me renseigner sur les différents aliments que les chiens peuvent manger, quand je me rappelle que je n'ai plus de téléphone. En effet, à cette heure-ci, mon sac contenant mon téléphone, ma serviette, mes lunettes et mon livre, doit être au fond de l'océan. Chance pour moi, j'ai un téléphone de secours à l'étage, avec une carte Sim, mon ancien iPhone 8, dont je me sers pour certaines vidéos. Je recommanderai un nouveau téléphone plus tard, celui-ci fera l'affaire quelques temps. Après de rapides recherches sur internet, j'apprends que les chiens raffolent des œufs, sous toutes leurs formes. Ok, on part donc sur des omelettes, pour lui comme pour moi. Et c'est un grand succès, il se régale, et j'en profite pour le prendre en photo et l'envoyer à son maître. Qui me répond pratiquement à la seconde, il devait être impatient d'avoir de ses nouvelles.
-Vraiment merci de t'en occuper, ça doit lui faire un bien fou de passer la journée avec quelqu'un, et pas tout seul dans le jardin. Je te revaudrai ça.
-Je pense qu'avec ce qu'il s'est passé hier, on peut se considérer comme quittes, non ? En plus, ce n'est clairement pas un handicap, il est tellement adorable !!
Il me répond à nouveau avec cette fois-ci seulement des emojis qui rigolent. Je ne relance pas la discussion, et monte me blottir dans mon lit, Arès sur les talons. Je n'ai même pas l'envie de tourner de vidéos, mais les abonnés commencent à s'inquiéter de mon absence. Je prends le premier livre de ma bibliothèque, et le pose sur le lit à côté du chien qui s'est déjà endormi dessus. Je le prends en photo, puis poste une story Instagram afin d'expliquer mon absence prolongée. Je parle de doutes, de stress lié au déménagement, à la difficulté de s'adapter à sa nouvelle vie. Les réactions ne tardent pas à pleuvoir, alternant entre "trop mignon le chien", "courage pour ta nouvelle vie", "si tu as besoin de parler je suis là". Je me sens parfois oppressée par le besoin constant de devoir poster, pour être sûre de ne pas être oubliée du jour au lendemain. Car les réseaux sociaux sont éphémères, et je me suis vite rendu compte que tout peut s'arrêter du jour au lendemain. Au début, les gens s'inquiéteront de votre absence, mais au bout d'un moment, ils passeront d'eux-mêmes à autre chose, et ce sera comme si vous n'aviez jamais existé. Et c'est compliqué de devoir suivre le rythme, de trouver des nouvelles idées, de rester d'actualité pour le public, dans une société qui jette des milliers de contenus sur les réseaux tous les jours. J'ai voulu laisser tomber à de nombreuses reprises. Mais les encouragements, les commentaires positifs, croiser des gens dans rue, qui me répètent à quel point ils croient en moi, ça c'est la vraie magie des réseaux sociaux, et c'est pour cela que je suis toujours là.
Même si j'ai perdu mon exemplaire du livre "Il était une fois un cœur brisé" dans l'eau, j'avais eu le temps de finir l'histoire. C'est pourquoi je profite de cette journée de repos, pour continuer et finir la saga, cela me détendra, et me permettra de faire du contenu les jours suivants. Demain, il faudra que je me rende à l'hôpital, pour déposer mon CV, il est temps que je me remette à travailler. Même si les réseaux m'assurent désormais un joli revenu chaque mois, j'aime mon métier d'aide-soignante, et ainsi il me permet de mettre de l'argent de côté, qui me servira pour mes voyages futurs. Mais pour l'instant, je me contente de voyager à travers les pages de mes romans.
La journée avance tranquillement, je dévore les pages de mes deux tomes suivants, ne prenant de pause que pour aller préparer de quoi manger pour Arès et moi. J'adore ce chien, qui me suit absolument partout, et s'endort sur moi à la moindre occasion. Cela va sincèrement m'embêter de devoir le rendre à son propriétaire ce soir. Lorsque je serais confortablement installée, avec une situation stable, je prendrais un animal de compagnie, un chat ou un chien à la SPA. J'en ai toujours voulu, mais mon père y était fortement allergique, donc impossible d'en avoir à la maison. Notre seule compagnie était ce fantôme omniprésent. Et à cause de toutes les bizarreries de mon père, les autres enfants, à l'école ou au collège, refusaient de traîner avec moi. Au lycée, comme je suis partie dans un autre établissement, où je ne connaissais personne, j'ai pu me faire quelques copines, mais rien de bien sérieux. Elles étaient souvent jalouses de mon succès sur les réseaux sociaux, et m'enviaient ou me critiquaient à la moindre occasion. J'ai donc toujours été très solitaire, plongée dans les livres ou sur mon téléphone. Et finalement quand j'y repense, j'ai adoré ces moments de calme, et je ne les aurai échangés pour rien au monde, car c'est eux qui m'ont permis aujourd'hui d'être la femme que je suis.
Sur les coups de vingt heures, j'entends toquer à la porte. Immédiatement Arès saute sur ses pattes, réalisant des tours sur lui-même en agitant sa queue. Des indices assez convaincants pour m'indiquer la présence de son propriétaire. J'ouvre la porte, laissant apparaître un Hélios trempé jusqu'aux os. Décidément, cet homme ne sait pas rester sec plus de deux minutes, les trois fois où j'ai pu le voir, c'était de la sueur, de l'eau de mer, et à présent de la pluie. D'ailleurs qu'elle surprise qu'il pleuve début juillet, mais je vais sûrement devoir m'y habituer. Le climat de la Bretagne n'est pas autant clément que celui de Grenoble, ça c'est sûr. Je le laisse entrer, et monte à l'étage pour lui chercher de quoi se sécher. Je lui redescends une grande serviette, et mon pull fétiche en taille XXL que je garde pour me blottir dedans l'hiver. Mais au vu des circonstances, c'est le seul vêtement que je peux lui prêter, avec un jogging qui s'est distendu au lavage. Toujours dans l'entrée, il retire ses vêtements mouillés pour passer les miens. Je suis tentée de regarde ce qu'il se passe, mais un sourire de sa part me fait retourner fissa dans la cuisine. Une fois habillé, il vient me rejoindre, Arès sur les talons.
"—Merci beaucoup pour Arès, me dit-il. Je vois qu'il a passé une bonne journée, il est tout heureux.
—Merci à toi de l'avoir laissé. J'avais besoin de compagnie, et de m'occuper de quelqu'un d'autre que moi. Et puis, il est tellement adorable, tu as vraiment de la chance d'avoir un chien comme lui. Son nom du "Dieu de la Guerre" ne lui va pas du tout, tu aurais dû le nommer "Éros", "Dieu de l'Amour".
—Tu l'aurais vu plus jeune, tu n'aurais pas dit ça ! C'était une boule d'énergie, qui enchainait bêtises sur bêtises, un vrai petit diable.
—Dans ce cas, "Éros" était le nom parfait. Il était jeune, turbulent et malicieux dans son enfance.
Je lui lance cette phrase avec un clin d'œil, et je vois que ma répartie l'a épaté.
—Purée, tu es calée en mythologie grecque, ça te passionne ? me demande-t-il.
—Je lis énormément, et c'est vrai que la mythologie grecque est un sujet passionnant. J'ai toujours aimé tout savoir sur les différentes divinités.
Le fait d'avoir parlé de la lecture l'a intrigué, je l'ai vu lever un sourcil. J'ai alors une envie soudaine.
—Tu veux monter voir ma bibliothèque ?
—Attends, tu as une autre bibliothèque à l'étage ? demande-t-il. Tu veux dire, en plus de celle du salon ? Ma foi, tu dois être calée sur pleins de sujets. Je veux bien voir celle dans ta chambre, car là je suis carrément intrigué par le nombre de livres que tu as réussi à rentrer ici. Ma...Hum l'ancienne propriétaire serait complètement en admiration, elle adorait les livres.
Je sens qu'il s'agit d'un sujet épineux, et ne lui pose pas plus de questions. Je l'entraîne à ma suite pour rejoindre ma chambre, et je vois ses yeux s'écarquiller tout grand, quand il se rend compte de la taille de ma bibliothèque.
—Et dire que chez moi, les seuls documents papiers que j'ai, ce sont des dossiers de vente, ou mes partitions. Je suis franchement impressionné !
—Des partitions ? Tu joues d'un instrument ? Je lui demande, assez curieuse, car j'aime énormément la musique. Après les livres bien sûr, mais j'adore.
—Du piano oui ! Depuis que je suis en âge de tenir assis sur un tabouret, j'en joue, pour le plus grand bonheur de ma mère dont c'est la passion.
—J'adore, il faudra vraiment que tu me fasses écouter un jour, j'adore !
Je le sens se refroidir lorsque j'évoque l'idée. Il se tourne presque immédiatement, et change de sujet en pointant la ringlight du doigt.
—Tu fais des vidéos ? me questionne-t-il.
Il y a une différence entre poster ses vidéos pour que le monde entier les voient, et en parler ouvertement devant quelqu'un. Cela m'a toujours mis mal à l'aise, car je crains que les gens jugent mon activité. Même si en vrai, il n'y a aucune raison que ce soit le cas, car elle est tout à fait honorable. Je dois apprendre à avoir confiance en moi, et en ce que je fais. Néanmoins pour l'instant je décide de rester évasive à ce sujet. Après tout, il fait bien pareil lui depuis qu'il est arrivé.
—Oui, je réponds sobrement. Mais je ne te dirai pas quel genre de vidéo, ce sera à toi de trouver tout seul comme un grand ce soir.
—Ah oui, tu es dans ce genre de vidéo qui se regarde tard le soir ? Intéressant, me répond-il en souriant.
Aussitôt, je prends conscience du double sens de ma phrase, et rougit instantanément. Mais Hélios rigole, en me poussant du bras.
—Je rigole, je me doute bien que tu ne fais pas ce genre de vidéo, mais c'est tellement drôle de te faire rougir, c'est si facile.
—Tu es vraiment une personne exécrable Hélios, je tiens à te le dire.
—C'est ce qui doit faire mon charme je suppose, me répond-t-il.
Il s'approche de la fenêtre, et observe l'extérieur.
—La pluie s'est arrêtée, reprend-t-il. Je vais rentrer chez moi. J'ai un jour de congé demain, si tu ne fais rien, je pourrais peut-être t'amener visiter le village, et les horizons ?
—Ce serait avec plaisir, si ça ne te dérange pas. Merci beaucoup pour tout ce que tu fais pour moi, la transition du déménagement est moins brusque.
—C'est normal Elena c'est normal.
J'aime énormément la manière qu'il a de prononcer mon prénom, avec un accent chantant agréable. Je le regarde s'éloigner de ma chambre, repassant devant ma bibliothèque, et juste avant de sortir, il se saisit d'un livre.
—Hum...''Hadès & Perséphone'' sacré mythologie que tu lis...peut-être que finalement tu fais d'autres styles de vidéos, me dit-il avec un sourire.''
Juste après avoir lâché ça, il referme la porte me laissant seule, rougissante à nouveau dans ma chambre. Cet homme-là aura ma peau à force.