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By moafloribunda


La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà, le ciel voilé par de lourds nuages. La lune éclairait faiblement les alentours, ses rayons créant des jeux d'ombres sur les contours du bâtiment qui me faisait face. Le vent bruissait dans les arbres qui bordaient la propriété et un frisson rampe le long de mes avant-bras lorsqu'il échoue jusqu'à moi, faisant voleter mes cheveux dans mon dos. Pas un bruit ne troublait le calme des lieux mais au lieu de rendre le tableau apaisant, il ne faisait que renforcer l'aspect inquiétant qui s'en dégageait. 

Au beau milieu de tout ça se dressait une vieille demeure abandonnée, sa façade rongée par le lierre et la vigne vierge. Celle-ci serpentait le long des murs avant de s'inviter à l'intérieur par les fenêtres brisées, disparaissant dans l'obscurité. Le jardin était dénué de déchets comme j'avais pu le voir à d'autres endroits et ça signifiait que l'être humain n'avait pas encore laissé de traces de son passage en ce lieu. 

Et c'était pour cette même raison que je me trouvais là, le coeur battant à tout rompre dans ma poitrine. La Maison Walmer avait été, d'après certains témoignages, sujette à des expériences paranormales pendant sa période d'occupation. Des hurlements à des heures tardives de la nuit, des bruits de pas aux étages décrits comme inhabités, des objets brisés de manière inexplicable. Des présences ressenties par plusieurs membres de la famille dans des pièces précises, semblables à des effleurements. Avant d'être complètement abandonnée par ses propriétaires, qui s'étaient relogés un peu plus loin pour tourner la page. Mais les journaux ne s'étaient pas épanchés sur le sujet et l'affaire avait rapidement été passée sous silence. Je n'en aurais jamais eu connaissance si une abonnée n'en avait pas fait mention dans la messagerie de ma chaîne Youtube. 

En faisant quelques recherches, j'avais découvert que personne n'avait documenté cette bâtisse. Rien. Nulle part. Pas la moindre vidéo à son propos.

 Ce qui signifiait que je venais de toucher le jackpot. 

Enquêter sur le paranormal était devenu quasiment commun, ces dernières années. Les comptes s'étaient multipliés et la concurrence s'était accrue au fil du temps. Proposer du contenu de qualité n'était pas une mince affaire, surtout quand on prenait le sujet à coeur. Et je n'étais pas une amateur. Ma connexion avec l'autre monde était réelle, à mes yeux. Il s'était passé trop de choses depuis mon enfance pour que ça ne soit que de pures coïncidences et mes nombreuses excursions n'avaient fait que renforcer ce sentiment. 

Il existait un autre univers en parallèle du nôtre, intangible. Dans la même réalité. Il nous entourait et il se révélait de temps à autre, par des signes considérés comme effrayants pour la plupart des gens et ce, depuis bien longtemps. Alors que tous les esprits n'étaient pas néfastes, bien au contraire. Il suffisait simplement de savoir comment lire les messages qu'ils cherchaient à transmettre. Dans tous les cas, cette vision était le fondement même de mon travail d'enquêtrice. Plus qu'explorer des lieux chargés en énergie, je souhaitais montrer que l'opinion publique se trompait souvent sur la cause de ces événements mystérieux et leur prouver le contraire. 

La société trouvait ça plus pratique de décharger ses peurs profondes en diabolisant l'autre monde et ses représentants, plutôt que de chercher à les comprendre. Et elle refusait d'accepter qu'il y avait des choses que l'on ne pouvait pas maîtriser. Des choses qu'il n'était pas possible de voir mais que l'on pouvait éprouver, sans forcément réussir à mettre des mots sur elles. 

La science ne pouvait pas tout expliquer. Je refusais d'y croire. Il y avait trop de faits qui dépassaient l'entendement pour être définis de manière rationnelle et personne ne pourrait changer mon avis à ce propos. 

Je plisse les yeux, ma lampe torche maladroitement glissée entre mes dents. Mes doigts trifouillent sur les boutons de mon appareil photo et je récupère ma lampe dans une main avant de lancer l'enregistrement de l'autre. Ma tête apparaît sur l'écran de la caméra et je commence mon laïus habituel, assise dans un coin reculé du jardin. 

« Bonsoir tout le monde. Et bienvenue aux nouveaux abonnés, merci de rejoindre l'aventure à mes côtés. » je murmure, avec un petit signe de l'autre main pour saluer mon audience. « Me voilà de retour pour un nouvel épisode d'Echoes from Beyond, cette fois-ci centré sur la découverte d'une maison atypique, très peu recensée dans le milieu. Pour des raisons de confidentialité et vous le savez bien, je ne citerai pas son nom ni l'endroit exact où elle se trouve. » Mes paroles sont mesurées pour ne pas troubler les lieux et surtout, pour ne pas attirer l'attention. Parce que oui, ce que je faisais ne pouvait pas vraiment être défini comme étant légal. Mais le propriétaire actuel des lieux n'avait jamais répondu à mes appels, ni répondu à mes demandes. Alors j'avais décidé de tenter ma chance quand même. De toute manière, je faisais toujours attention de respecter les lieux et de ne toucher à rien si je n'y étais pas obligée. J'espérais simplement que je n'allais faire aucune rencontre susceptible de me conduire en garde à vue. « Mon exploration de jour n'a pas particulièrement été concluante. Mais il semble que ça a été le cas pour les rares personnes qui se sont aventurées ici depuis son abandon. » je déclare, en mordillant distraitement ma lèvre inférieure. Puis je glisse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, mon visage partiellement éclairé par la lueur de la torche. « Je compte sur l'approche nocturne pour découvrir plus de choses et je vais me concentrer sur les pièces sur lesquelles il y a le plus d'informations. » Un léger sourire étire mes lèvres et je fais tourner l'appareil dans mes mains pour laisser apparaître la maison dans le champ de vision de la caméra. « Le grenier et la chambre conjugale sont réputées pour être chargés en énergie. Ainsi que la véranda, à mon plus grand étonnement. On verra bien ce qu'il se produira quand je m'y rendrais et si j'arriverais à en tirer quelque chose. » Je dirige à nouveau l'objectif dans ma direction. « Peut-être que j'aurais l'opportunité de pouvoir communiquer avec les présences qui s'y trouvent ? Qui sait. » Petit clin d'oeil à la caméra. « Je récupère mon matériel et on se retrouve à l'intérieur. À tout de suite, mes listeners adorés. » Nouveau signe de la main et je coupe la vidéo, récupérant mon sac à dos avant de rabattre la capuche de mon pull sur le haut de ma tête. 

Je slalome entre des buissons qui avaient du être soigneusement entretenus, fut un temps. Désormais, on ne distinguait plus leur forme et leurs branches se dressaient dans tous les sens, leur donnant un aspect tout à fait effrayant. Un sentier en gravier menait à la porte arrière de la maison et c'était par là que je m'étais frayée un chemin lors de ma visite au grand jour. L'accès avait été rendu impossible à cause de lourdes planches cloutées en travers de la porte. Mais l'une d'entre elles avait du être démontée ultérieurement par des explorateurs parce qu'elle émis un grincement particulier lorsque j'en avais testé la résistance. Et j'avais la réputation d'être catégorisée par mes pairs comme un modèle réduit en raison de ma petite taille. 

Néanmoins, ça avait ses avantages quand il fallait se faufiler dans espaces restreints.

Je tourne à l'angle du bâtiment, jetant un coup d'oeil dans mon dos pour m'assurer qu'il n'y a pas une âme qui vive avant de percuter quelque chose, un glapissement de peur m'échappant à cause de la violence du choc. Mon corps bascule en arrière et je retombe lourdement sur le sol, une douleur sourde pulsant dans mon arrière-train. Mon premier réflexe est de vérifier que mes appareils ne sont pas endommagés avec un sifflement agacé avant de lever les yeux sur la raison de ma chute. 

« Toi ! » je crache, mes lèvres esquissant un rictus dédaigneux en reconnaissant Ni-ki.

Nishimura Riki. Autrement appelé Ni-ki sur les réseaux sociaux. Un épine dans mon pied, le fléau de mon existence et mon concurrent le plus sévère dans le domaine du paranormal.

Un mètre quatre-vingt cinq d'arrogance et un point de vue aux antipodes du mien

Peu de temps après avoir crée ma chaîne, je m'étais aventurée chez mes voisins pour voir le contenu qu'ils proposaient aux abonnés. Ce serait mentir de dire que personne ne le faisait. Il était normal de s'intéresser à la manière dont les autres fonctionnaient sur le même sujet. Mais j'avais rapidement déchanté en voyant le mode opératoire de Ni-Ki. Pour lui, tout était explicable. Chaque bruit, chaque mouvement, chaque sensation. Tout était du à une raison purement scientifique et il se démenait pour rationnaliser ce qui lui arrivait lors de ses explorations. Il cherchait à désacraliser le mystique et à lui donner des fondements terriens, à lui trouver une logique. Et dans un sens, je n'étais pas surprise qu'il soit suivi aussi assidument. Parce que beaucoup de gens devaient se rassurer en voyant ses vidéos, trouver une forme de réconfort en croyant que tout avait une raison.

Pourtant, ça ne m'avait pas empêché de nourrir une certaine aversion pour lui. 

Son point de vue représentait tout ce que je pouvais détester à propos du paranormal. Je m'échinais à transmettre ma passion pour l'ésotérisme et à pacifier les aprioris dans ce domaine, à expliquer que les choses que l'on ne pouvait pas prouver n'étaient pas forcément mauvaises, ni dangereuses. Et lui arrivait, détruisant tout sur son passage avec ses théories terre-à-terre, balayant tous mes efforts en l'espace de quelques minutes. 

« Tiens tiens...Quelle surprise. Ne serait-ce pas notre medium de poche ? » ronronne-t-il en baissant les yeux sur moi. Un rictus insolent étirait ses lèvres et des mèches de ses cheveux retombaient souplement sur son oeil gauche. J'écarquille les yeux devant l'insulte à peine déguisée, mes dents triturant l'intérieur de ma joue. Je ne m'en serais pas formalisée si ça avait été quelqu'un d'autre, mais c'était Ni-ki qui se trouvait face à moi et qui me regardait comme si j'étais un insecte tout ce qu'il y a de plus insignifiant. « Enchanté. » 

Un frisson parcourt soudainement ma peau et je l'attribue à la fraîcheur de la nuit. Parce que ça n'avait rien à voir avec les intonations râpeuses de sa voix. Je me redresse aussitôt, époussetant mes habits avant de lui jeter un regard noir. 

« J'aurais aimé dire que c'est réciproque mais ce n'est pas le cas. » Enchantée n'était certainement pas le mot que j'aurais employé pour décrire mon ressenti en cet instant. C'était plutôt l'inverse, à vrai dire. « Maintenant si tu veux bien m'excuser, j'ai des choses plus importantes à faire. Je n'ai pas le temps de faire mumuse avec toi, Nishimura. » je rajoute, railleuse. Avant de le dépasser pour rejoindre la porte arrière. Mais une main se pose sur mon épaule, m'arrêtant net. « Qu'est-ce que tu crois être en train de faire, le razmoket ? » Je me crispe, les mâchoires serrées. « Ôte tes sales pattes de moi, Ni-ki. » je gronde, secouant le buste pour lui intimer de me mâcher mais sa prise reste ferme contre ma peau. Elle n'était pas douloureuse, heureusement pour lui mais suffisante pour capter toute mon attention. « Tu ne rentreras pas dedans la première. » Je hausse un sourcil, tournant la tête sur le côté pour l'apercevoir du coin de l'oeil. Pourquoi est-ce qu'il était aussi grand ? « Oh mais si, j'y compte bien. » Il ricane à mes paroles et je soupire, excédée. « Déçu ? Quel dommage...Tu ne pourras pas souiller les lieux avec tes théories fumeuses de pseudo-scientifique à la con.  » je persifle, avant de donner une tape sèche sur sa main pour le faire lâcher. 

Il recule d'un pas, me jaugeant du regard. Tout de noir vêtu, il me donnait le sentiment d'être fait d'ombre pure si ce n'était pas pour les mèches d'un blond polaire qui tranchaient avec le reste de ses cheveux noirs et la chaîne en argent dont j'apercevais l'éclat dans le col de son pull. « Mais c'est qu'elle mordrait presque. » lâche-t-il, avec un sourire amusé. « Je parie que tes abonnés n'ont pas la moindre idée de la manière dont leur médium préférée se comporte hors caméra. Tu pousses le rôle de charlatan à son maximum, dis-moi. Tu ne donnes vraiment pas cette impression pourtant, sur ta chaîne. » Je pivote sur moi-même, piquée à vif. Plusieurs émotions se succèdent à vitesse éclair dans le creux de ma tête au fur et à mesure de ses paroles. Irritation. Colère. Mépris. Surprise. Incompréhension. « Tu as regardé mes vidéos ? » je demande, stupéfaite. Comme si c'était la seule chose que mon cerveau avait souhaité retenir de cette tirade. Il rit, passant une main dans ses cheveux soigneusement coiffés et je distingue plusieurs anneaux à ses oreilles. « Pourquoi est-ce que je ne l'aurais pas fait ? » rétorque-t-il en penchant la tête sur le côté. « Il faut bien surveiller la concurrence. » Pourquoi est-ce que l'idée d'être regardée par Ni-ki me mettait aussi mal à l'aise ? Je secoue la tête,  croisant les bras sur ma poitrine. « Au moins, tu as la décence de regarder des choses qui en valent la peine. Tu devrais t'en inspirer, au lieu de te prendre pour Discovery Channel. » Il hausse un sourcil à son tour, faisant claquer sa langue contre son palais. « C'est toujours mieux que des conneries de sorcière à deux balles. » Pardon ? « Excuse-moi ? » je m'exclame, scandalisée par ses accusations. Avant de souffler, chassant l'air d'un geste de la main. « Tu sais quoi ? Je vais arrêter de perdre mon temps avec toi. » Je fais demi-tour sur moi-même, replaçant ma capuche sur le haut de ma tête. « Au déplaisir de te revoir. » 

Il y a un froissement de tissu dans mon dos, suivi d'un mouvement d'air et je me mets à courir à toute allure pour rejoindre mon accès à la maison. Mon épaule percute celle de Ni-ki quand il apparaît à mes côtés et je laisse échapper un cri rageur. Nous nous bagarrons avec acharnement, repoussant l'adversaire à renfort de coups de coude pour atteindre la porte en premier. À chaque fois que j'arrivais à gagner un peu d'avance, il me tirait en arrière, m'éloignant de mon but et je grogne avant de donner un coup de talon dans sa cheville pour lui faire lâcher prise. Des injures sont peut-être proférées à cet instant mais je profite de ce court moment pour reprendre ma place et glisser une jambe dans l'espace découvert lors de ma visite diurne. « Pourquoi tu t'acharnes hein ? Ce n'est pas comme si tu pouvais passer par là. Je te rappelle que tu fais approximativement deux mètres dix, espèce d'abruti. » je crache à son intention avant de passer le reste de mon corps à l'intérieur. « Allez, à la revoyure los- » 

Une main s'enroule autour de mon poignet, m'attirant dans le sens contraire et je me retrouve quasiment projetée contre la porte. Les doigts de Ni-ki étaient brûlants contre ma peau et je grimace, un nouveau frisson serpentant le long de ma colonne vertébrale. Ses yeux luisent dans l'obscurité, à peine éclairés par sa propre lampe torche. « Profite bien de peu de temps qu'il te reste, y/n. » souffle-t-il, ma gorge se serrant par réflexe aux intonations grondantes dans sa voix. « Parce que je vais te rejoindre plus rapidement que tu ne le penses. » Mon coeur pulsait de manière indécente dans ma poitrine et je déglutis, soutenant néanmoins son regard. Il ne m'impressionnait pas. Et je ne comptais pas abandonner en si bon chemin. « Tu comptes rentrer en pièces détachées, peut-être ? » je raille, le poing serré.

L'entrée principale et les rares fenêtres situées au rez-de-chaussée avaient été condamnées en bonne et due forme par les anciens propriétaire pour éviter les dégradations clandestines. À moins de grimper au mur et d'atteindre l'une des fenêtres du premier étage, il n'y avait pas d'autre moyen de rentrer que celui que je venais d'utiliser. Quand bien même il était grand, ce n'était pas suffisant pour se hisser aussi haut. Ses yeux se posent un instant sur l'endroit où nos peaux se touchaient avant de revenir droit dans les miens. « Je suis un garçon plein de ressources. » La seconde d'après, ses doigts ont disparu de mon poignet et sa silhouette s'est volatilisée dans la nuit.

J'exhale un profond soupir, tapotant mes joues du plat de mes mains. « Allez, y/n. Reprends toi. Tu n'as pas toute la nuit. » La présence de Ni-ki dans les parages avait crée des perturbations à l'intérieur de moi et j'avais peur qu'il fasse capoter mon exploration. Si tant est qu'il arrivait bel et bien à rentrer dans le manoir. 

En attendant, j'allais profiter de son absence pour explorer l'intérieur de la bâtisse sous un nouvel oeil, persuadée qu'elle allait enfin me livrer ses secrets à la faveur de la nuit.     

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