Parfois, dans les moments les plus ordinaires, l'étrange et le mystérieux frôlent nos vies comme un souffle imperceptible. Les derniers frissons d'octobre avaient déjà enveloppé Valnuit, et chaque maison du village-y compris la nôtre-se parait fièrement de décorations macabres. Les citrouilles sculptées aux sourires cruellement tordus, les guirlandes de toiles d'araignée, et les squelettes accrochés aux portes semblaient donner vie aux récits les plus sombres que je chérissais.
Je parcourais les rues du village avec mes sœurs, Sélène et Lina. Leurs rires résonnaient dans l'air frais comme un carillon mélodieux. Sélène, avec ses gestes gracieux et son air distingué, incarnait la quintessence de la sophistication. Lina, la plus jeune, pétillait d'une joie enfantine, ses boucles sombres dansant autour de son visage couleur miel.
Pour moi, chaque coin sombre, chaque recoin de Valnuit, cachait des promesses de terreurs exquises et de mystères enfouis. Halloween représentait tout ce que j'aimais : la peur qui hérissait les poils, le voile mince entre le monde tangible et celui des ombres.
« Fériel, dépêche-toi ! » appela Sélène, interrompant mes songes. « Nous devons encore choisir nos costumes. »
Je les rejoignis à l'intérieur d'une petite boutique exiguë dont les étagères débordaient de vêtements dépareillés et de masques poussiéreux. Ici, nous espérions trouver des trésors inestimables pour nos costumes-aussi abordables que nécessaires. Une cloche tinta alors que nous franchissions le seuil, signalant notre arrivée au propriétaire, un vieil homme aux yeux perçants et malicieux.
Je me faufilai entre les rangées de costumes, où chaque pièce suscitait en moi une foule de possibilités. Finalement, mon choix se porta sur une cape noire bordée de fil d'argent, assortie à un masque vénitien énigmatique et des gants en dentelle ornementés de motifs occultes.
Sélène opta pour un costume de fée noire aux ailes scintillantes, tandis que Lina choisit un déguisement classique de sorcière, son chapeau pointu tombant presque sur ses grands yeux curieux.
« Il nous reste encore tant de préparatifs ! » s'exclama Lina, les yeux brillants d'excitation tandis que nous quittions la boutique avec nos trésors. Les étoiles commençaient déjà à percer le crépuscule, et une sorte de frémissement magique flottait dans l'air.
Retourner chez nous à la lueur du soir était une aventure en soi. Les lanternes de citrouille projetaient des ombres dansantes sur les murs de pierre, et chaque souffle de vent semblait murmurer de sombres secrets. Mon cœur battait à un rythme frénétique, une anticipation presque tangible à l'approche de la grande nuit.
De retour à la maison, nous avons fini nos derniers préparatifs : des toiles d'araignée artificielles et des squelettes en carton accrochés aux portails. Chaque détail devait être parfait pour la fête d'Halloween.
Le dîner fut une opération rapide et frénétique, tant notre enthousiasme pour la nuit suivante nous poussait à terminer nos corvées sans attendre. Les rires résonnaient dans la salle à manger, rebondissant contre les murs décorés de souvenirs de famille. Les yeux de mes sœurs pétillaient de malice alors qu'elles se penchaient vers moi, un sourire espiègle au coin des lèvres.
- Eh bien, dis donc, Fériel, tu as encore battu un record de vitesse pour finir ta soupe !s'exclama Sélène en croisant les bras d'un air faussement sévère.
- Oui, à ce rythme-là, tu pourrais participer à des compétitions, renchérit Lina, faisant preuve d'une théâtralité amusante en brandissant sa cuillère comme un micro imaginaire.
Je répondis avec une feinte indignation, tout en essuyant une goutte de potage au coin de ma bouche.
- Vous dites ça juste parce que vous êtes jalouses de mes compétences exceptionnelles en ingestion de légumes.
Ma mère, observant la scène avec affection depuis l'autre côté de la table, ajouta son grain de sel en riant doucement.
- Et pendant ce temps, vous en oubliez vos propres bols. Mais au moins, vous semblez apprécier le potage !
- Oh, ça nous donne une excuse pour prendre notre temps, déclara Lina en haussant les épaules, un sourire complice illuminant son visage.
- Exactement, ajoutai-je en m'inclinant théâtralement. Comme vous pouvez le constater, je leur rends juste service en mangeant vite.
Le rire retentit de nouveau, chaleureux et contagieux, remplissant la pièce d'une douceur que seules les soirées en famille peuvent offrir.
Mon père, qui riait discrètement au bout de la table, finit par demander, un sourire malicieux pointant au coin de ses lèvres :
- Alors, votre quête pour de nouveaux déguisements a-t-elle été fructueuse ?
Lina, ne tenant plus en place, répondit avec précipitation :
- Oh oui ! Nous avons trouvé des...
- Chut ! l'interrompit Sélène, posant théâtralement un doigt sur ses lèvres et jetant un regard complice à notre père. On doit garder ça secret jusqu'à demain soir. Sinon, où serait le plaisir de la surprise ?
Lina, les yeux pétillants d'excitation, ajouta en chuchotant :
- Disons juste qu'on a trouvé quelque chose de vraiment... unique.
- Unique, dis-tu ? répliqua mon père, l'air amusé. - Quelque chose qui va effrayer tout le voisinage, j'espère.
- Exactement, répondis-je avec un clin d'œil conspirateur. - Prépare-toi à une nuit d'Halloween mémorable.
Ma mère, écoutant cette conversation avec ravissement, pencha la tête en avant, une lueur d'amusement dans les yeux.
- En tout cas, moi, je vais garder mon appareil photo à portée de main. On ne sait jamais quand un fantôme ou une sorcière pourraient apparaître.
De nouveaux éclats de rire remplirent la pièce, mêlant cette fois l'effervescence d'Halloween à la chaleur réconfortante de la vie en famille, pleine de complicité.
Après le repas, je me sentais hypnotisée par la promesse silencieuse de la pleine lune, et tandis que mes sœurs se glissaient déjà dans leurs lits, je n'étais pas encore prête à plonger dans le sommeil. Une force étrange m'attirait vers le grenier, une voix silencieuse susurrant à mon esprit.
Je montai chaque marche de l'escalier grinçant avec précaution, à la recherche de quoi, je ne savais pas. Quand j'ouvris la porte poussiéreuse du grenier, la lumière lunaire entra en cascade par une fenêtre étroite, éclairant un vieil établi encombré. Le coffre ancien, familial et abandonné, attira instantanément mon attention.
En silence, guidée par une impulsion inexplicable, je m'agenouillai devant lui et soulevai son lourd couvercle. À l'intérieur jonchait une collection hétéroclite d'antiquités-souvenirs poussiéreux et reliques oubliées. Mais parmi ces derniers, je découvris un livre, un grimoire de contes relié de cuir, aux bordures finement gravées et au titre quelque peu effacé : "Les Contes Nocturnes de Kalimore."
Mon cœur battit plus fort. Je caressai délicatement la couverture de mes doigts avant de m'asseoir, curieuse et impatiente de découvrir ce qu'il renfermait. J'ouvris le livre et plongeai dans ses pages ornées d'illustrations gothiques et de descriptions en prose.
L'une des histoires parlait de Kalimore, un royaume mystérieux où la beauté et la mort s'adonnaient à une danse éternelle. Un ballet obsédant et macabre d'ombres dans une clairière lunaire, une reine obscure et son gardien...
J'interrompis ma lecture. Un soupir s'échappa de mes lèvres, brisant la magie momentanée. Étais-je si avide de mystères que même ce conte pour enfants pouvait suffire à m'émerveiller ?
Je refermai prestement le livre, songeant qu'il ne satisfaisait pas mon appétit pour les vérités sombres et les légendes hantées. Je le rangeai à sa place parmi les trésors oubliés du grenier, mais une flamme de curiosité continuait de brûler en moi. Finalement, je n'étais pas vraiment sûre de vouloir abandonner ce bel ouvrage. Je retournerai le chercher demain.
De retour dans ma chambre, mes souvenirs flottèrent en rêves éparpillés, mes pensées hantées par le mystère de Kalimore. Le lendemain serait Halloween, et je devais être reposée pour pouvoir en profiter.
༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄༄
Mes yeux s'ouvrirent sur l'obscurité d'une forêt sinistre, où les arbres dénudés tendaient leurs branches noircies comme des griffes vers un ciel invisible. Le brouillard épais étouffait tout autour de moi, me plongeant dans un silence oppressant. Un sentiment de panique montait crescendo dans ma poitrine-un instant auparavant, j'étais dans mon lit, dans la sécurité de ma chambre. Comment avais-je pu me retrouver égarée dans cette forêt maudite, alors qu'il n'y avait aucun de bois à des kilomètres à la ronde depuis ma maison ? Mes sœurs m'avaient-elles tendu une macabre plaisanterie ?
« Ce n'est pas drôle ! » hurlai-je, espérant que mon cri fende le voile de ce cauchemar.
Mais seul le silence infernal répondit, épais et lourd, éteignant mes paroles comme si je les avais chuchotées dans le vide. Si je n'avais pas parlé, j'aurais cru être sourde, tant ce silence était oppressant. Soudain une lune, démesurément grande, flottait comme un œil vigilant dans le ciel noirci, imposant sa lumière froide sur ce décor angoissant.
Je me mis en marche, frémissante, chaque fibre de mon être frôlée par un frisson déplaisant. Les bruits de mes pas demeuraient étrangement muets, comme si la terre elle-même buvait le son, laissant mon avancée aussi spectrale que le paysage environnant.
Soudain, au sein de la brume épaisse, apparut une porte d'argent magnifiquement ouvragée, scintillant comme une étoile solitaire dans ce royaume d'ombres. La porte se dressait majestueusement, son allure argentée captivant les ombres environnantes. Finement ouvragée, chaque centimètre de sa surface lisse était sculpté de motifs -des roses enchevêtrées de ronces, lacées ensemble dans une danse éternelle de beauté et de douleur. Les pétales délicats semblaient presque palpables, contrastant avec les épines affûtées que le métal froid avait figées pour l'éternité.
Au centre de cette œuvre macabre, une poignée en forme de crâne se distinguait, son regard vide et ses mâchoires béantes comme une invitation silencieuse vers l'inconnu. Chaque détail du crâne, des orbites creusées à la mandibule effritée, évoquait une réalité sombre et inéluctable.
À côté, une serrure ancienne, ornée de gravures complexes semblable à des écritures anciennes, complétait ce tableau enchanteur et sinistre. Elle semblait exiger un tribut, un sacrifice peut-être, pour libérer ses secrets enfouis. L'ensemble dégageait une aura mystique, une promesse d'aventure et de chemins non tracés, incitant quiconque l'observait à franchir le seuil.
- Qu'attends-tu pour entrer ? murmura une voix suave, faisant frémir davantage mon âme déjà tourmentée par cette situation énigmatique.