Pas une seule heure dans la journée ne se déroulait sans que le petit Éloy ne passe dans les pensées de Skander.
En bon nervi, jamais cet homme vénal n'aurait omis une telle affaire.
Tout ce qu'il avait à faire, c'était retrouver le cadavre d'un enfant probablement abattu par mégarde.
Ou par obligation de discrétion.
Un humain de trois ans, ça disparaissait facilement, ça courait partout, ça suivait n'importe qui...
Parfois aussi, les adultes en devenir - dans une dimension plus clémente - avaient tout simplement le malheur de poser leurs yeux et de tendre leurs esgourdes là où il ne le fallait pas.
Peut-être était-ce ce qui avait causé la perte du protégé d'Éléonore à ses deux parents nantis ?
En tout cas, le garnement avait disparu dans un village perdu, où la famine régnait en maître sur une population étrangement délaissée par les autorités.
Nul doute que les moyens ayant normalement dû permettre le ravitaillement des villageois avait eux aussi rencontré un loup sur leur chemin...
Était-ce le même qui avait attaqué Éloy ?
L'albanais en doutait.
Depuis son départ de la déchèterie, ce dernier n'avait pas une fois ouï dire que le petit avait été enlevé contre rançon.
Le voleur de la calèche et assassin du cocher s'était certainement débarrassé du gênant témoin au beau milieu de la forêt...
C'était triste, néanmoins ce genre de faits survenaient bien plus régulièrement que le vulgum pecus le pensait.
Pas la peine d'être un pur béotien pour penser que seuls les enfants stupides et turbulents se faisaient enlever...
Quoi qu'il en soit, Skander se faisait une grande joie rien qu'à l'idée de dépenser les émoluments que la sale tête qu'il trimbalait sur une épaule allait lui rapporter.
Que ferait-il d'utile avec ?
Absolument rien.
Tel Neven Gavras, le voleur aux yeux asiatiques ou n'importe quel autre des imbéciles ayant choisi par facilité ou faiblesse de caractère la voie de la criminalité, l'argent était dilapidé aussi rapidement qu'il était gagné.
Nul projet de s'émanciper n'effleurait les pensées de telles charognes.
Elles étaient nées poubelles, elles devaient donc le demeurer jusqu'à la fin des temps.
Bien que le froid ait achevé Éloy, son meurtrier indirect répondant au doux nom de Mathieu aurait normalement dû chercher à préserver une si précieuse marchandise d'un dommage aussi prévisible.
Or, il n'en avait rien fait, bien trop stupide pour estimer l'avenir plus loin que le bout de son nez.
Skander sifflotait donc en imaginant la quantité d'objets qu'il allait bien pouvoir prendre, user jusqu'à la corde puis jeter de nouveau à la poubelle.
Cela avant qu'un énième parvenu ne fasse de même.
Entre-temps, peut-être allait-il être purgé, lui aussi ?
Quoique...
Contrairement à Neven Gavras, Skander prêtait un minimum attention à ses relations avec ses pairs.
Un ennemi un peu trop hargneux sur le dos et dans cette zone, c'était déjà la fin avant même qu'il ne comprenne qu'il se trouvait en réel danger.
Là, le vilain trésor qu'il allait dévoiler allait probablement lui apporter une ribambelle d'amis abhorrant Datila.
Peut-être allait-il en transformer un en complice, afin de rattraper le retard sur la quête relative à l'enlèvement d'Éloy ?