Chloé nous laisse à peine le temps de mettre plus qu'un pied dans l'appartement avant de nous interroger, aussitôt suivie par Katty : " Alors ?"
- Dan répare des motos, je lâche en me laissant tomber dans le fauteuil le plus proche. Il a beaucoup d'outils. Et beaucoup de motos.
Manifestement déçue par la qualité de mon compte rendu, les deux filles se tournent vers Paul qui entreprend de leur résumer au mieux notre rencontre avec Dan et Dylan. Katty parait au bord de l'apoplexie en apprenant que Dylan n'est qu'un adolescent tandis que des plis inquiets se creusent sur le front de Chloé :
- Pourquoi voudrait-il retrouver ceux qu'il a transformé ? Ça n'a aucun sens...
Ni Paul ni moi n'ayant de réponses à lui apporter, Chloé se met à faire les cent pas entre le canapé et la table du salon tandis que son frère et Katty s'assoient sagement dans le canapé.
Je ne suis pas vraiment sûr de l'utilité d'une telle démarche, la vérité se trouvant rarement entre deux meubles mais je garde mon avis pour moi. L'agitation de Chloé, d'ordinaire si calme, est alarmante.
Peut-être que je devrais m'inquiéter aussi, je songe. Me ronger les ongles, ressentir une sensation de vertige, avoir les mains moites. Rayer la mention inutile.
Mais malgré toute ma bonne volonté aucun symptôme ne vient, moi qui me faisait une joie de me comporter en individu normal.
- Il y a quelque chose que je ne comprends pas, lance tout à coup Katty les sourcils froncés. Comment peux-tu être sûr qu'il s'agit du même vampire qui t'a crée ?
A ses côtés, Paul relève la tête et Chloé cesse ses vas et viens, s'immobilisant au milieu de la pièce dans une posture qu'aucun humain ne pourrait soutenir sans flancher.
- Simple déduction, je réponds en croisant les doigts derrière mon dos pour absoudre le mensonge que je m'apprête à proférer. Le mode opératoire est le même. Il s'arrange toujours pour qu'on ne voit pas son visage.
Il attaque, mord puis repart. Soit le modus operandi de n'importe quel vampire et de tous les chiens.
Je vois à l'expression de Paul que mon explication ne le convainc pas : "La prudence est de rigueur lorsque nous chassons. Pour protéger notre secret."
- Mais quel intérêt aurait-il à se cacher s'il sait que de toute façon ses victimes ne seront plus jamais capables de témoigner, lui objecte sa soeur pensivement.
- Il ne veut pas qu'on le reconnaisse, souffle Katty avec l'air d'avoir résolu une énigme particulièrement hardue. Que ceux qu'il a transformé puisse l'identifier plus tard. C'est aussi une manière de protéger son pouvoir.
Bouleversant d'intelligence. Je lui envoie mentalement des remerciements pour avoir si facilement adhéré à ma pseudo-théorie, détournant ainsi l'intérêt des jumeaux vers autre chose que mon visage, me sauvant d'une analyse qui risquerait de révéler.
Je n'ai pas exactement menti, plutôt occulté une partie de la vérité. Et de mon opinion.
Contrairement à ce que j'ai prétendu, je ne pense pas que le fait que Dylan et moi ayons été mordus par un individu qui ne tenait pas à ce que l'on aperçoive son visage signifie nécessairement que ce soit le même homme. Le hasard veut peut-être que que nous ayons simplement été les innocentes victimes de deux vampires distincts mais sujets à la même timidité maladive. Allez savoir.
- Qu'est-ce-que tu en penses Alec ?
- Que participer plus longtemps à cette conversation est au-dessus de mes forces, je réponds en m'enfonçant plus profondément dans le fauteuil et les bras croisés derrière la tête, je laisse mon esprit divaguer. Jusqu'à ce que l'ennuyant -et inepte- monologue de Katty ressemble au fredonnement d'une berceuse et que mes paupières se ferment.
Sous le capuchon noir qui recouvrent le reste de ses traits, ses lèvres remuent doucement :
- Tu seras le prochain.
Mes yeux se rouvrent immédiatement, un filet glacé courant le long de mon échine tandis que sa voix froide et cruelle continue de raisonner avec une clarté morbide. A nouveau, je peux la sentir s'infiltrer dans ma tête, prendre possession des moindres recoins de mon esprit pour finalement atteindre ma conscience et la forcer à écouter. A l'écouter, lui.
Instinctivement je porte une main sur la cicatrice blanchâtre qui m'a été laissé en l'échange de mon humanité.
"Tout va bien ?" S'enquiert Chloé.
Je m'octroie quelques secondes avant de répondre, le temps pour la réalité de chasser l'illusion, et de me confectionner une expression plus ou moins neutre.
- J'ai rêvé que je me trouvais dans la même pièce que trois insupportables vampires, je réponds avec une grimace. Un vrai cauchemar.
- J'imagine, sourit-elle. Plus sérieusement tu devrais vraiment te reposer Alec, tu en as besoin.
Je m'exécute, feignant d'étouffer un bâillement. Je n'ai aucune intention de dormir. Plus depuis que mon sommeil s'avère être le siège de fragments de souvenirs particulièrement indésirables.
Ces fragments de souvenirs que j'ai omis d'évoquer à Paul, Katty et Chloé.
Ces fragments de souvenirs qui ont entrainé cet étrange jeu de miroir entre Dylan et moi lorsqu'il a évoqué la voix de celui qui l'avait transformé. Les mots prononcés par ce dernier avaient beau être différents pour l'un et l'autre, sa terreur était la mienne, son effroi semblable au mien. Chaque émotion un reflet des miennes des décennies plus tôt.
Oui, je sais exactement ce qu'à ressenti Dylan en entendant sa voix et l'expérience n'a rien d'agréable.
En entrant dans la petite chambre, je ne peux pas m'empêcher de lorgner mon lit avec rancoeur, d'autant plus irrité à l'idée de devoir trouver une autre occupation pour les cinq prochaines heures.
Je pourrais traquer quelques humains mais je n'ai plus vraiment faim.
Quoique l'un n'empêche pas l'autre, je songe alors que les contours abstraits de ce qui ressemble à une idée se forment. Sans perdre une seconde j'attrape la chemise qui pend sur une des poignées de l'armoire. Celle de la nuit dernière.
Légèrement froissée, plusieurs tâches brunes constellent le col mais ce qui en temps normal m'aurait horripilé m'arrache cette fois un sourire satisfait. L'état original du vêtement est primordial.
Rassuré, je porte le vêtement à mon visage, inhalant les odeurs absorbées par les fibres du textile. Mélangée à celle du sang celle que je cherche se détache nettement. Un léger mais entêtant parfum d'amande dont une simple bouffée suffit à raviver ma soif. J'inspire une dernière fois, imprimant définitivement les notes sucrées de sa peau dans ma mémoire.
Maintenant, je peux partir en chasse.
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Coucou tout le monde,
D'abord et avant tout, un énorme merci, Bloody Heart vient de dépasser les 10K ! L'important pour moi, c'est que l'histoire vous plaise (même si on a vu personnage plus facile à aimer qu'Alec ;) ) et ça me fait plaisir de voir que vous continuez à lire. Vraiment, vraiment.
Donc le minimum pour vous remercier c'était de publier ce chapitre dans un délai inférieur à trois mois (pour changer) et c'est chose faite ! :D Dites-moi ce que vous en avez pensé!
Elsa ❤️