15 février 2016
Moi c'est Yannis et j'ai dix-sept-ans. Je vis en Syrie, sous les bombardements, en temps de guerre. Mon père est mort, je pense à lui à chaque putain de minute de ma vie. Je vais écrire un peu tout dans ce calepin, ma vie, le peu de vie qu'il me reste...
Je me sens vide, je suis troué de l'intérieur, je suis foutu. Ma mère me dit qu'on va quitter le pays, mais j'y crois pas trop. Je pense juste que je vais crever, je vais finir ma vie dans le désespoir et la faim. J'ai presque envie de crever maintenant, sans avoir à souffrir. Au moins, papa il est tranquille, dans les cieux. Dieu l'a récupéré, il est en sécurité. C'est peut-être mieux non ?
Je reste scotché devant cette page, à relire le texte plusieurs fois d'affilé, sans vraiment y croire. Alors le voilà son passé, il vivait dans un pays en guerre, son père est mort là-bas, il était désespéré.
En Syrie, il vivait en Syrie, pendant la guerre. Je ne pensais pas du tout ça, jamais je n'aurais pu songer à ça rien qu'une seconde, j'ai même du mal à y croire. Mais tout s'éclaire quand on réfléchit... Un jour, je lui avais demandé :
« -Yannis, tu vivais où avant ? »
Et il m'a répondu, en évitant mon regard :
« -Laisse tomber, j'ai pas envie d'en parler. Quitter tout le monde, c'est dur tu sais... »
Puis je lui ai demandé si il aimait bien ce coin, le quartier, le lycée...
« -Je trouve que l'immeuble est plutôt cool, par rapport à ce que j'avais avant... »
Quand je suis allé chez lui pour la première fois, j'ai été surprise par la quantité infime de meubles et la saleté régnant dans la pièce.
Tout s'éclaire, ses changements d'humeur, le fait qu'il ne parlait jamais de sa famille et de son passé, sa pauvreté, tout s'éclaire.
16 février 2016
J'ai envie de crever.
J'ai envie d'en finir.
J'ai besoin d'amour.
Maria m'aime bien, il paraît.
Mais je ne l'aime pas, j'aime personne.
Je veux aimer personne, j'ai peur de souffrir.
J'ai pas envie de souffrir, pas encore.
Pas envie d'aimer.
Envie de crever.
Je fais glisser mon doigt sur le papier jauni, comme si je pouvais effacé la souffrance qu'il a ressenti. Je n'ai même plus envie de lire, pour découvrir quoi ? Il voulait en finir, ça semble impossible que Yannis ait pu penser ça. Yannis, le garçon ayant un sourire merveilleux, Yannis, celui qui me rend heureux.
Mais je continue à lire, je vais tout lire, jusqu'au dernier mot.
25 février 2016
Maria est passée chez moi, en pleurs. Elle s'est jeté sur moi, en pleurant.
-J'en ai marre de ce monde... a-t-elle commencée.
Je l'ai prise dans mes bras, et j'ai senti ses mains s'agripper à mon tee-shirt.
-Yannis, je t' aime.
Je me suis écartée d'elle, je l'ai regardé avec des yeux vide d'émotions, comme si j'en avais rien à faire de son amour. Je ne peux pas l'aimer, je ne veux pas souffrir, je peux pas.
-Maria, tu ne m'aimes pas, c'est un amour à deux balles, c'est un amour de jeunesse de merde, qui va nous faire souffrir tous les deux, crois moi, oublie moi, c'est un amour à la con.
Je ne voulais pas lui dire ça comme ça, elle ne méritait pas ce que je venais de lui balancer à la gueule....
« Amour à deux balles »
« Amour de jeunesse de merde »
« Amour à la con »
Je le pense vraiment ? C'est un amour à deux balles, de merde, à la con ?
Bien sur que non.
Mais j'étais obligé, je devais dire ça.
-Yannis... Pourquoi tu dis ça...
Je l'ai prise par les épaules et je l'ai secoué comme un prunier.
-Mais bordel, tu comprends pas ? Je veux pas souffrir !
Elle a posé ses lèvres contre les miennes, contre toute attente. Je l'ai repoussé, violemment.
-Je veux plus jamais te revoir Maria.
26 février 2016
Après ce que j'ai fais hier, j'ai vraiment envie de crever. Maria n'est pas venu ce jour-ci, comme je lui avais demandé. Si elle revient, je ne pourrai pas le supporter.
Pas envie d'aimer.
Envie de crever.
Le monde nous pousse à faire des choses horrible, comme ce que Yannis a fait avec cette fille, Maria. Il l'aimait, mais il a du la repousser, méchamment en plus.
Le monde est cruel, vous ne trouvez pas ? Pourquoi toutes ces guerres, pourquoi tant de haine ?
Yannis répète souvent :
« Pas envie d'aimer
Envie de crever. »
Ces quelques mots me glacent le sang à chaque fois que les lis.
27 janvier 2016
Je n'ai pas beaucoup écrit, je m'en excuse. Pourquoi je m'excuse en fait, c'est idiot vu qu'il y a que moi qui lit ce foutu carnet, c'est comme si je m'excuser à moi même, c'est totalement con.
Maria n'est jamais revenu, j'ai perdu ma meilleure amie, ma plus fidèle confidente, celle que j'aimais le plus au monde. Mais je ne pouvais pas l'aimer, je ne pouvais pas.
Je ne peux toujours pas.
Pas envie d'aimer.
Envie de crever.
14 mai 2016
Oh mon dieu, ce n'est pas possible, je vais peut-être partir en France.
Le problème, c'est que j'ai pas envie que maman ou mes frères et sœur crèvent avant qu'on parte parce que le procédé prend longtemps et qu'on sera en France dans quelques mois, moi je m'en fou de crever, mais eux, je les aime. Ma mère a fait une demande visa, elle va sûrement l'obtenir car nous sommes persécutés en quelque sorte à cause de notre père. Il manifestait et désobéissait, c'est ce qui l'a tué. Dans sa lettre de demande, elle a dit que nous étions en danger, que ses enfants étaient en danger. On va donc avoir un visa pour partir en France, je suppose. J'ai appris ça ce matin, quand on mangeait. Ça fait déjà un mois qu'elle a fait la demande et on risque d'avoir la réponse dans deux ou trois mois, peut-être quatre.Quand nous aurons le visa, nous irons en France, nous demanderons des papiers en tant que réfugiés politique.
Moi, ce qui m'importe, c'est que ma famille soit en sécurité, parce que je les aime et je veux qu'il leur arrive rien.
Voilà pourquoi je n'ai pas envie d'aimer, pour ne pas souffrir.
Pas envie d'aimer.
Envie de crever.
Yannis tient beaucoup à sa famille, c'est peut-être ça qui l'a poussé à prendre la défense de son frère. Je sais qu'ils ont réussi à venir en France indemne, lui et sa famille, puisqu'ils sont là.
Je me demande ce que serait ma vie sans Yannis, s'il était mort par un bombardement, par la faim ou le désespoir, j'en sais rien mais ma vie ne serait pas comme elle est maintenant.
Et en même temps, s'il était pas là, il n'y aurait pas Nassim, et Alex ne serait pas mort.
C'est dur de choisir entre Yannis et Alex, avant c'est sur j'aurais choisi Alex, mais désormais ?
Yannis m'a trompé, mais ce n'était pas sa faute, j'en suis certaine à présent. Il voulait crever pendant un bon moment, il vivait dans un pays en guerre, et maintenant sa mère est malade.
Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir coucher avec une jeune fille, en étant défoncé, il voulait décompressé, il n'était pas vraiment lui même.
D'ailleurs, il faudra que je lui dise que je ne lui en veut pas, et il faudra que je lui parle de ce carnet.
Enfin, je ne suis pas sur de ce dernier point, lui parler du carnet, mais dire quoi ? Il a déjà tout écrit et j'ai tout lu, à quoi sert de poser encore des questions ?
21 mai 2016
C'est mon anniversaire, wow, super anniversaire. Non franchement, j'adore (notez l'ironie).
Maria s'est sentie obligé de venir me voir, en plus. Quand je l'ai vu, ses yeux de braise me fixant, un petit sourire sur son visage, je n'ai pas pu m'empêcher d'éclater en sanglot.
-Yannis, c'est pas que pour ton anniversaire que je viens. J'ai appris que t' allais partir, bientôt.
Oui, c'est vrai, je vais partir, je l'abandonne.
-Tu n'aurais pas du venir, ai-je dit.
-Je sais, a-t-elle répondu. Mais je voulais voir ton visage une dernière fois.
-Je ne pars pas tout de suite, tu sais. En début juillet, je crois.
-Et alors, c'est pareil, tu t'en vas et je te reverrais jamais.
Alors vu que c'était la dernière fois, je me suis permis de l'embrasser, intensément. Elle me semblait surprise, pourtant elle savait très bien que je l'aimais. Puis, elle est rentrée chez elle.
Cette Maria, il l'a remplacé, et par qui ? Par moi, je me sens coupable, cette fille l'aimait et je lui ai piqué celui dont elle était amoureuse.
Je me dis aussi qu'elle ne souhaitais que son bonheur et s'il est heureux avec moi alors ça me va.
Moi en tout cas, je suis heureuse avec Yannis, parce que c'est grâce à lui que je continue de vivre.
10 juillet 2016
Enfin, je suis en France. Le voyage était horrible, dans la mesure où je quittais mon pays, ma nation, mes racines. Mais c'était surtout un soulagement, de quitter la guerre et de partir pour un pays en paix où je serais en sécurité. Ce n'est pas le cas de tout le monde, la plupart des gens n'arrivent pas à partir pour de multiples raisons. D'abord, il y a ceux qui n'arrivent pas à se procurer un visa et qui doivent se faire aider par des passeurs pour traverser. Ils embarquent sur des embarcations médiocres qui menacent de s'écrouler à tout moment, avec beaucoup de monde alors que le canot ne peut pas supporter tant de poids. Des enfants tombent à l'eau et leurs parents sautent pour les récupérer mais ils sont eux aussi avalé par les profondeurs, en agonisant.
Puis il y a ceux qui ne tiennent pas assez longtemps pour partir, comme mon père. La vie les emporte trop vite.
Les gens sont coincé entre ce putain de régime et Daesh.... Et les Russes en rajoutent une couche.
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Dans l'avion, je tenais la main d'Alia, cette dernière tenait la main de Nassim, Nassim celle de Camilla, Camilla celle de maman. Nous étions unis, une famille unis qui s'aimait malgré les horreurs que nous avions traversés.
Nous sommes donc arrivés en France.
Dehors, les gens sont heureux.
Il chantent, ils rigolent.
Ils sont sociables, ils n'ont pas peur.
Un jour, bientôt, je serais comme eux.
Yannis, tu n'es comme « eux », ton passé est trop dur et trop récent, mais un jour peut-être. Mais je peux te dire quelque chose, tu respires la bonté, tu illumines mes journées, tu arrives à me faire rire. Peut-être que tu n'es pas heureux mais tu rends heureux les gens autour de toi, ce qui prouve à quel point tu es fort.
29 août 2016
Nassim fait plein de conneries, parce qu'il souffre à cause de papa, à cause de tout. Il rentre de soirée complètement bourré et j'en ai ma claque moi, de tout ça. On est venu en France pour vivre en paix, pour se reposer un peu, mais j'ai l'impression que rien n'a changé. Nous avons beaucoup de problèmes d'argents, nous peinons à payer notre loyer, maman n'a pas un métier avantageux, elle est femme de ménage dans un hôtel tout pourri, à ce qui parait. Dans tout ça, c'est maman qui se prend tout dans la gueule. Hier soir par exemple, Nassim est rentré d'une boite de nuit, il était même blessé au bras droit. Maman lui a demandé ce qu'il avait fait et il a répondu :
-Oh ta gueule ! C'est ta faute, tout est TA faute ! Avec ton métier qui n'en est même pas un, tu va nous foutre à la rue alors qu'on vient d'arriver !
Ma mère s'est énervé.
-Déjà, pour le métier, c'est un métier. Je suis femme de ménage, ça te pose un problème ? Ensuite, ce n'était pas le sujet, moi je demandais pourquoi toi, mon fils, tu rentres avec une vilaine blessure au bras droit !
Nassim s'est approché de maman, en lui lançant un regard noir.
-Pourquoi tu mens ? Je t'ai vu, l'autre jour. En train de baiser avec ce pauvre type dans ta chambre, j' suis rentré plus tôt et je t'ai vu !
Maman s'est figé et je refusais de croire mon frère. Maman, une... prostitué ?
-T'es qu'une pute, voilà ce qui te défini, a dit Nassim en sortant de l'appartement, en claquant la porte.
Je ne le croyais pas. Ce matin, maman m'a dit qu'elle n'avait ça qu'une fois, car l'argent de son petit boulot n'avait pas suffi à payer le loyer. J'étais légèrement soulagé, ce n'était qu'une seul fois, juste pour un peu d'argent.
Moi qui me pleins sans arrêt de ma vie, j'ai soudainement très honte. Je n'avais aucune idée de ce qu'avait traversé Yannis, aucune idée.
Il vivait dans un pays en guerre.
Il refusait d'aimer pour ne pas souffrir, mais au final c'est ce qui le faisait souffrir.
Il est arrivé en France, sa famille manquait d'argent.
Sa mère a vendu son corps pour payer le loyer.
Vraiment, j'ai terriblement honte, certes j'ai perdu un proche mais... Il a perdu tellement plus...
D'ailleurs, quand je réfléchis, Yannis raconte la soirée du 28 août, une semaine avant la rentrée.
Et Nassim avait une blessure au bras, comme dans... mon rêve. C'est donc vrai, ce rêve est la réalité, je le savais déjà mais ceci me prouve encore qu'il est véridique.
2 septembre 2016
Sur le toit, j'ai vu une fille. Elle semblait étonné et apeuré de me voir, elle tremblait de tout son être. Elle avait les cheveux long ondulés, des yeux bruns qui s'enflammaient à la lueur du soleil. Elle m'a regardé et j'ai fais de même. Je lui ai souris, parce qu'elle m'avait l'air gentille mais surtout parce qu'elle me faisait penser à Maria.
Mais la fille s'est enfuie.
Alors que pour une fois, j'avais pas envie de crever, j'avais envie d'aimer.
Elle m'attirait, elle et ses mains tremblotantes. J'avais envie de la réchauffer, il me semblait qu'elle avait froid.
Oui, j'avais ENFIN envie d'aimer et pas d'en finir. Je crois que je vais laisser tomber ce carnet, mais je souhaite le finir par deux petites phrases.
Pas envie de crever.
Envie d'aimer, aimer cette fille.
C'est la première fois que je l'ai vue, Yannis. Je m'étais enfui, je m'en souviens comme si c'était hier. Je trouvais qu'il avait violé mon intimité, en montant sur ce toit. Je lui en voulais. Je ne l'aimais pas, je ne savais pas quoi penser de lui après cette fâcheuse rencontre. A première vue, il m'a tout de suite aimé.
Alors comme ça, je lui fais penser à Maria. C'est sans doute pour ça qu'il m'a aimé dès le début, parce que je lui rappelais celle dont il est tombé amoureux en Syrie, dans son village. Il m'aime depuis le début et je n'ai fais que le repousser. Je pensais trop à Alex.
Mais maintenant, j'en suis sure, je l'aime, je l'adore, c'est ma lumière dans le brouillard, mon repère quand je me sens pas bien.
Il se sent perdu, tout comme moi.
Nous sommes deux petites âmes perdues qui cherchent désespérément à retrouver notre chemin.
Alors le destin nous a réuni, pour que l'on puisse s'entraider.
Si tu étais là Yannis, je te dirais en face que je t'aime, que je t'aime beaucoup.
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BEAUCOUP de révélations dans ce chapitre ! Ça vous plait ? Vous vous y attendiez ?
Ce chapitre me tient à cœur alors ce serait sympa de laissez un avis.
Bisous, je vous aimes fort ! ❤️