- Donc tu es Elsa Tanasia ! Heureux de pouvoir enfin te parler. Alex m'a beaucoup parlé de toi.
Pendant que le jeune homme me parlait, je remarquai que ma meilleure amie souriait, aux anges. Je ne pensais pas l'avoir déjà vue aussi heureuse que depuis qu'elle passait du temps avec Mathéo. De temps à autres, il tournait la tête vers elle et lui souriait, ce qui provoquait à coups sûrs le rosissement des joues d'Alexa. Depuis peu, je les voyais se tenir la main, discrètement au début, puis ils avaient complètement laissé tomber les regards des gens. A la connaissance de beaucoup, c'était une fille différente et timide, moyenne en classe ce qui lui évitait de sortir du lot des lycéens quelconques. Son compagnon, lui, était en quelques sortes le "leader" du groupe de la chorale, d'un grand talent m'avait dit Alex. Comme toutes filles amoureuses, elle ne pouvait assurément pas s'empêcher de lui assurer toutes les qualités du monde, et je pouvais reconnaître que Mathéo était un garçon tout à fait charmant à qui je saurais sans doute faire confiance pour prendre soin d'Alexa. Elle me demandait si ma situation avançait, je ne le savais pas moi-même.
De mon côté, j'avais décidé de me battre pour résister. Je constatais combien les choses avaient évoluées entre Julien et moi. Nul besoin de précipiter les choses et de tout détruire. Je saurais être patiente. Le samedi m'apparaissait comme une échappatoire maintenant que je savais que je le verrai. J'avais entièrement senti le changement positif qu'apportait un vrai rapprochement entre nous. L'énergie semblait plus réservée qu'avant depuis que j'avançais à une vitesse modérée pour comprendre comment la contrôler. Les émotions violentes la conduisaient à des réactions de même envergure. Je n'avais aucune idée de ce dont elle était capable, mais je comptais toujours sur Camille pour m'en apprendre davantage. Elle pense que je pourrais deviner l'essentiel sans son aide, que le plus important viendrait après. Je n'avais pas eu droit à plus de repères que cela. Le "après" demeurait un terme bien trop flou pour que je m'y fie. Un jour précis, un événement, une avancée, tant de possibilités s'offraient à cette idée. Mais je savais qu'elle était également aux aguets, que je pouvais compter sur elle en ce qui concernait ce que j'ignorais encore.
Ce que "nous" ignorions.
La sonnerie nous ordonna de filer dans nos classes respectives. C'est avec une lassitude quotidienne que je traînai des pieds, seule, pour m'y rendre. Mes cheveux cachaient volontairement mon visage alors que je préférai baisser la tête et fixer mes baskets plutôt que des inconnus que j'arrêterai de voir temporairement pendant les vacances, c'est à dire dans deux jours. On dit souvent que le vendredi est le jour le plus insupportable à endurer. D'habitude, je trouvais cette journée banale et elle m'indifférait. Mais aujourd'hui, je ne savais plus si je devais m'en réjouir ou m'apitoyer sur mon sort. Certes, je voulais voir Julien, comme à chaque seconde de mon existence depuis que j'avais touché sa main. Ça avait été le moment que j'avais considéré comme déclencheur. En plus de symboliser une rencontre, cela correspondait avec notre première réaction électrique, que je préférais tous deux réunir en un seul phénomène ; le "coup de foudre". Mais le reste du temps, je ressentais toujours ce déchirement lorsque je pensais à lui, c'est à dire tout le temps. Je savais très bien que cela venait de l'électricité, et c'était bien une des seules choses qui ne restait plus un mystère. La souffrance était bien trop puissante pour que je l'ignore ou me demande d'où elle venait. Mon cœur la produisait, la contenait, l'éveillait. Et je le sentais à coup sûr, lorsque les élancements dans ma poitrine provoquaient des douleurs atroces pendant quelques secondes. Elles recommençaient encore et encore à quelques maigres minutes d'intervalle si Julien n'était pas présent à mes côtés. Je vivais de plus en plus mal son absence et j'en payais le prix chaque nuit.
Je débarquai, indifférente, dans la salle de cours. Jusqu'à ce que je réalise que c'était la classe d'histoire. Le lieu n'avait rien n'extraordinaire en somme, si ce n'est l'être fantastique que j'y retrouvais en ma compagnie de bureau. Je rejoignis mon siège avec l'âme remplie d'espoir me quittant en fumée quand je remarquai la place voisine vide. Tout d'un coup, une force invisible me frappa la main, endroit précis avec lequel j'étais rentrée en contact avec lui le premier jour. La douleur me pétrifia, m'égorgea et s'étendis par un chemin artériel jusqu'à mon cœur où elle y trouva un effroyable approvisionnement électrique. Les secondes s'allongèrent en années lorsque j'arrivai à ignorer en partie la souffrance lors d'une seule d'entre elles. Les millénaires continuèrent donc de tourbillonner autour de moi tout en en piétinant mes sentiments, fragment par sourire, miette par pleurs.
Les minutes passèrent. Il n'arrivait pas.
C'était sans doute un absentéisme quelconque, mais surtout la minute de trop. Si jusque-là, j'avais plus ou moins réussi à cacher l'étrangeté de mes réactions vis-à-vis des autres, ma respiration haletante alarma un bon nombre d'élèves soudain effrayés par le comportement d'une fille encore invisible à leurs yeux jusqu'à aujourd'hui.
- Elsa ? Je peux t'aider ?
Je me retournai et découvris un jeune garçon aux mèches blondes retombant sur le visage. Ses yeux verts me scrutaient avec interrogation et le degré important d'inquiétude que j'y décelai me fit prendre compte de l'impression que je dégageai. J'étais effroyable, une véritable malade mentale que personne ne croirait.
- Non, répondis-je en un souffle court. Mais je te rassure, personne n'y peut rien.
Malgré ce que j'avais pu en dire, je doutais que ces paroles puissent être rassurantes pour quiconque. Je ne voulais surtout pas infliger ma souffrance à quelqu'un qui ne le méritait pas, qui ne le comprenait pas. Cet élève cherchait seulement à m'aider, même si je ne le connaissais pas. J'eus beau avoir essayé de l'en dissuader, il demanda tout de même au professeur de m'accorder un passage à l'infirmerie.
- C'est inutile, expliquai-je. Cela m'est déjà arrivé. J'ai simplement besoin de... respirer.
Je ne convainquis personne, mais mon enseignant me proposa de sortir m'aérer quelques minutes dans le couloir, ce que j'acceptai sans me faire prier. Je titubais et me levai, en marche vers la porte guidant vers mon unique lueur d'espoir, fixée par des yeux horrifiés et curieux. Une fois la porte close dans mon dos, je pris une grande inspiration, perturbée cependant par un élancement au niveau de ma poitrine. Ma main trembla à nouveau, puis plus rien. Je me concentrai, réfléchis, scrutai mes doigts encore et encore sans que plus rien d'anormal ne se produise. Le néant. Une santé banale, comme si rien n'avait jamais troublé mon existence. Lorsque je commençai et me poser des questions, ma main frissonna à nouveau, mais pas de la manière précédente qui me donnait envie de me trancher ce membre, non. Pourtant, ce sentiment m'était familier. Agréablement familier. Je ne mis pas longtemps à me souvenir du dernier instant où j'avais pu ressentir la sensation identique ; lorsque j'étais tombée nez-à-nez avec Julien en passant la porte de l'infirmerie. Mais c'était insensé, illogique puisqu'il était absent.
Avant que je ne puisse poser à nouveau la main sur la poignée de la porte pour me rendre en cours, un bruit sourd à en faire trembler les murs retentit. Simultanément et d'une violence qui me semblait identique, j'eus l'impression que l'on me frappait en plein cœur. Incapable d'émettre le moindre son, j'allai faiblement m'écraser contre le mur opposé. Je portai la main à ma poitrine et tentai de respirer, y arrivant désordonnément par moments. C'était comme si une personne que je ne pouvais pas voir s'acharnait sur moi et commençait à me ruer de coups. Ma gore se serra soudain de tel que j'imaginais sans difficultés que quelqu'un était en train d'essayer de m'étouffer d'une seule main. Je n'y pouvais rien.
Comme toujours, la douleur se dissipa aussi rapidement qu'elle était apparue dans ma vie. Déboussolée, je parvins à me relever en m'agrippant au mur derrière moi. Une fois que mon cerveau eus redémarré correctement, je perçus un son grave venant de l'autre bout du couloir. Des voix étouffées par l'épaisseur des murs qui les séparaient de moi. De temps à autre, des bruits semblables au premier qui m'avait fait chuter retentissaient à nouveau. J'étais consciente que je ne devais pas m'éloigner de la salle, mais mon instinct ne paraissait pas enclin à obéir aux règles en ce moment.
Je marchai sur le carrelage faisant résonner mes pas, distinguant de mieux en mieux les voix vers lesquelles je me dirigeais. Arrivant enfin à un tournant, je compris qu'un pas de plus me révélerait aux individus inconnus. Je me plaçai dos au mur et écoutais leur conversation mouvementée.
- Je sais tout ce qui s'est passé durant mon absence. Alors comme ça, t'as cru avoir le champ libre, petit con ?! T'as osé défier mes potes et courir après la petite princesse ?! Elle est à moi, compris !
- Marc... fit une voix étouffée, je n'ai couru après personne...
C'est alors que tout s'éclaira. Je reconnus immédiatement la voix des deux frères à quelques mètre de moi.
Celle de Julien. Mon Julien.
Il était bel et bien là, mais retenu par son aîné. Il avait des ennuis, et en partie à cause de moi. Soudain, je n'avais plus peur. Il pouvait s'en prendre à moi, m'humilier, me frapper, me harceler.
Mais je n'accepterai pas qu'il touche à lui.
Je passai discrètement la tête et découvris le garçon que j'aimais, plaqué contre le mur par la poigne de Marc à cinquante centimètres du sol. Me sang se glaça et ma gorge se serra de la même manière que lorsque j'avais eu l'impression d'étouffer devant la classe d'histoire. Je comprenais maintenant. Je vivais sa souffrance à travers lui.
- Joue pas à ça avec moi, sale mioche ! cracha le bourreau.
Il le lâcha et Julien vint retomber sur le sol dans un fracas horrifiant. Sa respiration se coupait à des moments et même ses cheveux noir retombant sur ses yeux ne pouvaient rien pour masquer son regard terrifié. Le bleu de ses yeux crépitait, ses mains tremblaient en cherchant appui pour se relever. Une fois en équilibre sur ses deux jambes, il serra les poings et leva les yeux.
- Je ne joue à rien ! s'écria-t-il. Tu crois vraiment qu'elle se tournera vers toi ? Je la laisserai me rejeter, me repousser, m'oublier, mais je refuse que tu te l'accapare de force ! Elle mérite mieux que ça !
Marc eut un faible rire à m'en glacer le sang. Il s'approcha lentement de sa victime, s'abaissa à sa hauteur et empoigna une de ses mèches de cheveux en la tirant vers le sol jusqu'à lui faire baisser la tête. Julien resta muet, daigna ne rien laisser paraître.
- Espèce d'insolent ! hurla Marc. Tu te crois mieux pour elle ? Tu as cru avoir tes chances ? Mais tu lui fais pitié mon pauvre ! Personne ne s'est jamais intéressé à toi, ce n'est pas aujourd'hui que cela va changer...
Sur ce, il leva la main au-dessus de son visage, le regard assassin.
- Non ! m'écriai-je en sortant de ma cachette. Lâche-le ! Tout de suite !
Les deux garçons se tournèrent vers moi. Surpris, le grand frère s'exécuta et abandonna sa prise sur les cheveux de Julien. Ce dernier me regardait dans les yeux, un sourire s'étendant petit à petit sur ses lèvres, une joie démesurée étant donné sa situation actuelle.
- Elsa... Tu es là ! murmura-t-il.
En même temps que sa respiration ralentissait, je reprenais également un rythme cardiaque normal. Pendant quelques secondes, je me suffis à le contempler et me rendis compte que je souriais de même.
- Je suis là, répondis-je.
Sans réfléchir, j'accouru vers lui et lui tendis la main, qu'il s'empressa de prendre. Je l'aidai à se redresser et, comme si ce geste relevait de la banalité, il me prit dans ses bras. Je ne pensais plus au pourquoi du comment, ne cherchais pas de raisons amenant à cela.
Je me contentai de profiter du moment et de me blottir contre lui.
Cette étreinte fut vite achevée et nous nous regardâmes mutuellement en rougissant.
- Eh beh ! Que c'est mignon ! lança Marc avec ironie. Maintenant, c'est la fille qui vient au secours du désespéré !
Alors que je me tournai pour voir la réaction de mon compagnon, je découvris que Julien n'était plus du tout de la même humeur. Il fusillait son frère du regard, prêt à riposter. Sa main vint serrer la mienne pour me rassurer. Tant qu'il était là, j'étais sereine.
Marc s'approcha de moi, je ne bougeai pas.
- Tu n'aurais pas ton mot à dire par hasard Lisa ? fit-t-il en se penchant vers moi.
Il s'empara de mon visage d'une main ferme, se rapprocha encore. Envahie de rage, ma main libre partit immédiatement frapper sa joue en une violente gifle. Il recula aussitôt dans l'élan et le bruit continua à résonner entre les parois de la salle.
- Je m'appelle Elsa ! m'égosillai-je.
Sans nous laisser de répit, Marc avança à nouveau vers nous, les yeux enflammés de colère.
- Qu'est-ce que tu viens de faire là ?!
Au moment où il leva le poing, mes paupières se fermèrent par peur. Figée, j'attendis le coup final. Rien ne vint.
Lorsque je me risquai à ouvrir les yeux, je vis que Julien s'était emparé du bras de son frère et l'avait arrêté. Il le fixait avec plus d'assurance que je ne lui avais jamais assignée. La colère l'emportait.
- Ne la TOUCHE pas ! lui ordonna-t-il.
Avant qu'il ne puisse réagir, des bruits de pas venus du couloir principal nous firent revenir à la réalité. Mon professeur d'histoire était planté derrière nous, poings sur les hanches et regard autoritaire.
- Je peux savoir ce qu'il se passe ici ? demanda-t-il.
Je ne revis pas Marc de la journée, et je me portais bien mieux comme ça. La convocation chez le principal dura plus d'une heure, de quoi nous faire sauter le déjeuner. Julien et moi n'eûmes aucun mal à plaider notre innocence et à convaincre de la culpabilité de l'aîné des Comane. A vrai dire, ce n'était sûrement pas la première fois qu'il s'en prenait à un élève plus jeune, même si cela surprit le directeur qu'il ait choisi de s'en prendre à son petit frère cette fois-ci. J'avais encore du mal à me dire que ces deux-là étaient du même sang, c'était le jour et la nuit. Je haïssais l'un tandis que j'aimais immensément l'autre à en mourir. Nous nous en tirâmes sans punitions avec pour excuses les prochaines vacances du lendemain. J'ignorais si le grand frère avait eu droit au même privilège.
Les autres heures de cours passèrent sans que je ne veuille prendre la peine de me concentrer. Tout ce que je voulais était m'en aller et ne plus revenir. En sortant dans le parking, je retrouvais le possesseur de mon cœur appuyé contre une façade. Il se redressa quand il m'aperçut et me gratifia d'un sublime sourire qui me coupa le souffle. Voilà ce dont j'avais besoin.
- Elsa, ça va ? Je veux dire... tu n'as rien ? s'inquiéta-t-il.
Je brisai la distance pesante qui nous séparait et le rejoignis.
- Non, non, tout va bien. Je suis désolé tu sais.
- Pourquoi ?
- Parce que si ton frère t'inflige ça, c'est à cause de moi.
- Non, jamais ! s'exclama-t-il. Ce n'est pas la première fois qu'il cherche un prétexte pour s'en prendre à moi. Il y a encore trois ans, il n'était pas comme ça avec moi. Puis, du jour au lendemain, il s'est mis à me détester, à me rabaisser. Quelques jours après, mon père est décédé. Depuis, c'est le calvaire permanent à la maison, et tu n'y es pour rien. Je ne veux pas que tu te sentes coupable si je ne sais pas me défendre...
Il baissa la tête, honteux. Aussitôt attristée, je lui relevai le menton de ma main droite. Il fut surpris de ce contact, ne s'en plaignit pas cependant. Je ne trouvai pas les mots restai muette à le regarder dans les yeux. Il brisa le silence avant moi.
- Elsa, tu es la meilleure chose qui me soit arrivée. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas exprimer tout ce que je ressens, je ne peux pas faire tout ce dont j'ai envie, te dire ce que je pense...
Je me rapprochai de lui jusqu'à sentir son souffle s'accélérer. J'étais en train de rassembler toutes mes forces pour que mes mains ne tremblent pas. Je me hissais sur la pointe des pieds pour le regarder en face. Mon cœur tambourinait à la chamade, le sang battait dans mes veines et le courant électrique refaisait surface. Il me brûlait la poitrine, enflammait mes doigts. Je l'ignorais.
- J'ai l'impression de me bloquer la route toute seule, avouai-je. Mais je refuse de reculer. Même si j'ai peur, je ne te cacherai plus rien. Je ferai ce que j'ai à faire, je te le promets. Essaie. Essaie de vivre ce que tu ressens.
Il hésita un court instant avant que le doute ne se dissipe entièrement de ses iris bleus. Il posa sa main sur ma joue et alla glisser ses doigts dans mes cheveux. Un sourire de bonheur s'étira sur mon visage et je fermai les yeux pendant quelques secondes. Ma respiration s'apaisa, la sienne aussi. Le contact de sa peau me donnait des frissons, le courant électrique s'envola à nouveau. Il flottait au-dessus de nous, caressait sa main et mon visage. Nous réunissait. Je levai les paupières et me plongeai une énième fois dans l'océan magique de ses yeux. Celui qui me faisait rêver, celui qui m'appartenait.
- Merci, chuchotai-je.
Je posai mon front cotre le sien et le sentis sourire aussi. Ses cheveux de jais se mêlaient magnifiquement aux miens. Les centimètres nous séparant s'évaporaient. Son visage se rapprocha naturellement du mien, je m'approchais aussi de lui et laissai reposer ma main sur sa nuque. La chaleur de son visage m'enivrait jusqu'à ce que ses lèvres effleurent les miennes.
- Je peux savoir ce que tu fous, Tanasia ?! grogna une voix haineuse toute proche.
Je sursautais de tel que Julien dû me rattraper par la taille pour que je ne tombe pas contre le mur. Au bout de plusieurs dizaines que clignement d'yeux, je vis la médisante Cindy mourante de l'envie de me trancher la tête.
- Tu touches à MON Julien alors que tu poursuis déjà toute la communauté masculine de la ville ! Tu te prends pour une prostituée ou quoi ?!
A ces mots, elle s'agrippa au poignet de Julien et le tira vers elle. Il ne bougea pas.
- Qui te dit que c'est elle qui m'a touché ? lui demanda-t-il dans le plus grand des calmes.
Elle fut un peu sonnée mais tenta vite de reprendre le dessus.
- J'en sais rien et on s'en fiche. Tu viens !?
Elle tira de plus belle sur lui mais il se dégagea brusquement d'elle et finit par prendre ma main.
- Pourquoi je viendrais avec toi ? poursuivit-il.
Elle souffla pour s'empêcher de crier par la suite.
- Ok, je t'explique. Moi, je t'offre le privilège de traîner avec moi, et toi tu me suis.
Il eut un rire nerveux qui énerva la peste encore plus.
- Pourquoi tu ris ? Tu vas rappliquer tout de suite !
- Non, répondit-il enfin. Je ne viendrai plus jamais avec toi. Je reste avec Elsa.
Elle était perdue, ne savait pas comment réagir. Jamais quelqu'un n'avait osé lui désobéir, jamais personne ne lui avait manqué de respect. Les garçons d'ordinaire avaient l'habitude de l'idolâtrer.
Pas lui.
Comme elle se sentait faiblir, elle manifesta sa désapprobation de la situation par une colère inouïe. Elle se mordit les lèvres et effectua des gestes à s'en déchirer ses vêtements. Dans un excès rage, elle leva la main prête à lui mettre une claque. Je l'arrêtai d'un geste vif et lui tordis le bras derrière le dos jusqu'à l'entendre geindre de ses multiples plaintes habituelles.
- Laisse le tranquille, lui conseillai-je.
- Lâche-moi sale sorcière ! couina-t-elle en grimaçant.
Je me fichais qu'elle m'ait écouté ou non et la libérai. Elle s'en alla vers sa bande sans demander son reste. En la regardant s'éloigner, je vis ma meilleure amie accompagnée de Camille qui nous scrutaient, un sourire de félicitations aux lèvres. Alexa tenait son portable dans notre direction mais s'empressa de le ranger dans sa poche lorsqu'elle s'aperçut que je l'avais remarqué. Le sourire de mes amies me rassura car je ne les avais pas vues de la journée. Je pivotai et fis face à Julien pour voir sa réaction. Il paraissait aussi soulagé que moi de cette délivrance que signifiait le départ de Cindy, et nous savions tous les deux que nous ne la verrions pas de sitôt. Il me tenait les mains, en était fier. Sans le savoir, je me rendis compte que nous avions franchis un pas. Plus de retenue, plus de secrets entre nous. Ses yeux se vrillèrent aux miens et je n'en éprouvai qu'un bonheur supplémentaire.
- Elsa...
Un klaxon le coupa dans ses paroles. Je me retournai et tombai sur la Chevrolet demi-rouillée de mon géniteur. Je soupirai.
- Désolé, c'est mon père, expliquai-je. Je dois m'en aller. A bientôt.
Il m'assura d'un sourire en coin compréhensif et regarda nos mains liées.
- A demain, me corrigea-t-il.
Cette annonce me soulagea. Je dus abandonner ses mains et lui tourner le dos pour me diriger vers la route. J'ouvris la portière dans un grincement et m'affalai sur le siège avant.
- Quoi de neuf ma chérie ? lança mon père après avoir démarré l'engin préhistorique.
- La routine, tout roule, répondis-je sans précision.
Mon sourire permanent n'avait toujours pas quitté mes lèvres quand mon téléphone vibra. Je l'allumai et vis que j'avais reçu un message récent d'Alex. J'allai sur l'application et ouvris le MMS que j'avais reçu d'elle. Je retins mon souffle quand je découvris la photo prise sur le parking du lycée.
Photo représentant Julien et moi l'un contre l'autre, sa main dans mes cheveux, la mienne autour de son cou, le sourire illuminant nos deux visages collés.
Elle avait noté : Petit cadeau de ma part, je te promets de l'effacer de mes photos. J'ai toujours cru en toi.