INCIPIT
Voilà maintenant 7 ans que je suis dans l'armée, 7 ans que je survis tant bien que mal en essayant de ne pas me faire tuer, 7 ans que j'ai l'impression d'avoir en permanence du sang sur mes mains, 7 ans que je suis confrontée jours et nuits à la mort. Ici c'est chacun pour soi, soit tu tues soit tu te fais tuer ; et Dieu sait le monde que j'ai tué... Des hommes, des femmes, des enfants ; des familles entières massacrées par ma faute. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même mais d'un côté je n'avais pas le choix. J'étais devenue une machine de guerre dénuée de tout sentiment, sans peine, sans âme, sans cœur.
J'en avais passé des mauvais jours: la solitude, la douleur, le froid: mais au final plus rien ne me faisait peur. Quand je me suis engagée à l'armée, je ne pensais pas que ça prendrait cette tournure, j'étais seule, désemparée, sans famille, sans amis, sans plus rien qui comptaient vraiment pour moi. Et bizarrement, être devenue soldat me semble être la meilleure chose qu'il me soit arrivée dans ma misérable vie. Enfin en tout cas c'est la chose la plus honorable que j'ai fait dans ma vie... Vous pensez qu'être soldat c'est honorable n'est-ce pas ?
Cet endroit ne fait pas envie, être au front, risquer sa vie ; personne n'est assez fou pour choisir de son plein gré de venir ici. Personne sauf moi... Mais en 7 ans j'avais mes petites habitudes : pendant mes gardes de nuit j'aimais bien contemplait la lune, les étoiles. Les seules lumières dans la nuit noire et effrayante. La paix avant la guerre. La vie avant la mort. Je ne m'étais jamais demandée ce qu'il se passerait si je mourrais. De toute évidence je ne manquerais à personne, et de toute façon ma vie n'a pas d'importance. Ici je ne suis qu'un pion de plus et si je meurs personne ne me pleureras. C'est pas plus mal...
J'essaie toujours de prendre les gardes de nuit et de dormir le moins possible. Avec toutes les horreurs que j'ai vu, dès que j'essaie de dormir mes cauchemars me rattrapent... Je n'ai peur de rien. Non, je n'ai peur de rien sauf de tout ce qui se trouvent dans mes cauchemars. Je n'en parle jamais, je ne veux pas que l'on me plaigne. Si je souffre je me dois de souffrir en silence ; digne et fière jusqu'à ma mort. Ici j'avais perdu toute notion du temps, de l'actualité. Je ne sais même pas pourquoi je me bats ou pour qui je me bats. La seule chose que je sais c'est que je dois tuer. Peu importe comment, peu importe quand, peu importe où ; je dois tuer.
Ma détermination avait payé au fil des années, j'avais réussi à m'imposer et me faire respecter: mes coéquipiers m'appelaient «le bourreau», je vous laisse deviner pourquoi...
Mon visage s'était assombri, refermé. J'avais perdu toute joie de vivre, tout espoir. Je ne sais pas si cette guerre finira un jour, qu'est-ce que ça peut bien faire de toute façon ? Les Hommes sont tellement bêtes qu'ils se battent pour n'importe quoi, par n'importe quel prétexte. Ils sont tous fous. Les Hommes me dégoûtent, ils se chamaillent comme des enfants et s'entre-tuent pour savoir qui est le plus fort. Nous, soldats ne sommes que de la chair à canon, des pions sur un échiquier. Des vies avec lesquelles on peut s'amuser: un sombre spectacle. C'est pourquoi ma vie n'avait plus d'importance que ce soit à leurs yeux ou aux miens. J'avais compris les règles du jeu et je savais déjà comment il allait se finir. Malheureusement j'étais la seule à le savoir...
Finalement, je m'étais engagée pour échapper à un triste destin, devenir une héroïne, sortir de chez moi la tête haute. Mais maintenant mon futur n'est que bien plus funeste, peut-être même inexistant. Je regrette. J'ai toujours eu un don pour faire les mauvais choix et en voici le meilleur exemple. J'avais compris qu'en restant ici je celais mon destin. Je dois prendre une décision et vite.
Je m'en vais déserter...
Je ne sais pas encore par quel moyen mais une chose est sûre, je ne resterai pas une nuit de plus ici.