La radio diffusait les conclusions de l'accident suite à l'étude de la boite noire et il monta le son pour l'entendre de la salle de bain.
Apprendre par une voix atome que c'était une erreur humaine et qu'on devait la mort des 232 passagers à un homme du nom de Laslo Birch ne lui procura ni colère ni soulagement. A quoi bon savoir à qui il devait ce drame, si cela ne changeait rien ? Quel ironie que ce soit l'homonyme d'un peintre que Sarah aimait bien.
En passant de l'eau sur son visage, il se trouva soudain vieux alors qu'hier encore, il avait la vie devant lui, il lui semblait avoir quatre-vingt ans... Que lui était-il arrivé ?
Il avait perdu la femme qu'il aimait.
Et ce fut le choc, la révélation de toute une vie. Il l'aimait ! La somme de tout ces instants passés ensembles, de leurs disputes, de leurs délires, de son envie de partager chaque moment avec elle et de ce manque insupportable dès qu'elle s'absentait. De ce gouffre béant qui se creusait de jour en jour dans sa poitrine.
C'était ça l'amour. Celui qu'il avait cru ne jamais connaitre. Celui qu'il était trop tard pour ressentir.
Il se laissa tomber le long de la porte de la salle de bain et se mit à pleurer et crier. Une part de lui se réveillait d'une longue absence, il était resté si longtemps handicapé dans ses sentiments qu'il avait mis tout ce temps à mettre des mots sur ses émotions. Et elle n'était pas là pour qu'il puisse lui dire.
Il fallait qu'elle revienne.
La silhouette de Laure se figea dans l'entrebâillement, il leva les yeux, pitoyable et désolé pour la regarder, si blanche, la main devant sa bouche, bafouillant.
— Will... Ils ont remontés les corps, on ... doit aller l'identifier.
Accablé, il se leva, il devait voir Sarah et lui dire qu'il l'aimait même si elle ne l'entendrait pas. Il devait aussi lui dire quelque chose d'autre.
— Je suis prêt Laure.
Elle ne chercha pas à lui dire de ne pas venir, à le dissuader ou autre, elle avait égoïstement besoin de lui à ses côtés. Et lui il avait besoin de l'aider, parce que c'est ce que Sarah voudrait, que quelqu'un accompagne sa mère.
Un légiste les attendaient dans un hangar géant, il leur expliqua que cela allait être impressionnant, que plusieurs corps étaient étendus sous des bâches et qu'il y avait d'autres familles. Ils devaient faire vite pour les identifications car la chaleur allait rendre la conservation des corps compliqués. Mais il n'entendait rien que le son de son propre cœur qui pulsait jusque dans ses oreilles. Dans sa main, celle de Laure était moite et étrangement glacée.
Et il traversèrent des rangées de sac mortuaire noirs renfermant en leurs seins les restes d'une personne aimé de quelqu'un.
— Nous avons trois personnes répondant à la description de votre fille, je vais vous les montrer. Vous devez savoir que le séjour dans l'eau et l'impact ont pu causer des lésions qui rendront difficile ...
Mais de nouveau Will n'écoutait pas et attendit juste qu'on leur montre la première personne, il était habitué à voir des morts dans son métier mais Laure un peu moins, et même si ce n'était pas Sarah, elle se crispa et eu un haut le cœur.
— Laure... Je vais le faire, ne reste pas là.
Elle leva son regard vers lui et lu dans ses yeux un calme olympien qui la rassura.
— D'accord Will. Je pensais pouvoir ... J'avais dit à Baptiste ... Mais l'odeur et ...
— Ce n'est pas grave Laure. Vas-y !
L'employé la raccompagna dehors avant de revenir près de Will.
Dans un anglais parfait, il lui désigna le deuxième sac et ayant compris que le jeune homme était du métier, le laissa ouvrir le sac.
Avec une lenteur infinie, il fit glisser délicatement la fermeture et s'arrêta au niveau de la tête.
C'était elle.
Heureusement que Laure était partie.
— C'est Sarah François ? Toussota l'étrange petit homme dans son dos.
Mais Will l'ignora.
—Sarah, pourquoi tu es partie ? Je ne suis rien sans toi... Ma vie n'avait de sens que parce que tu étais là... Je t'en prie reviens ! Je donnerais n'importe quoi.
Il recula, accablé par le chagrin, elle était le centre de son univers, son soleil, sa conscience, son amour et sa lumière. Jamais plus les belles choses ne seraient belles, simplement parce que Sarah ne poserait plus son regard dessus, jamais plus, il ne rirait parce qu'elle ne serait pas là pour entendre ses blagues et jamais plus il ne pourrait s'excuser de l'avoir fait pleurer...
La vie serait à partir de maintenant et pour toujours sans saveurs et sans couleurs, un matin ne serait plus qu'une journée de plus sans elle et un soir, une nuit seul.
Il passa sa main sur le front de Sarah et chuchota « A bientôt »
A l'employé, il confirma seulement l'identification et lui demanda de l'annoncer à Laure pendant qu'il sortait par une autre porte.
En traversant le hangar, il aperçut au loin la silhouette d'une vieille dame qui lui disait quelque chose.
— Juliette ... ? Je croyais que vous ...
— ... que je venais ramener mon fils à la maison ? C'est le cas.
Il déposa un baiser sur la joue ridée puis, sans un mot, il fit demi-tour et sorti du bâtiment pour composer le numéro de Baptiste mais il n'eut que le répondeur.
« Baptiste, vous aviez raison, je ne suis pas celui des deux qui reste »
Et alors qu'il allait se précipiter sous les roues du camion arrivant à toute allure dans la zone de déchargement, il sentit sa lèvre s'affaisser. Il regarda, affolé Juliette qui arrivait dans son dos et bafouilla une phrase incompréhensible à son attention mais son corps cessa de lui répondre, il s'affaissa sur le sol. Une fois de plus.