-Père ! Hurla Gracieux en ouvrant à la volée la porte de sa maison.
-MON FILS ! Hurla l'artiste en se jetant sur lui pour le serrer dans ses bras. Par tous les dieux du ciel, tu as réussi à t'enfuir ! Est-ce que la Bête sait où tu es ? Est-ce que tu l'a tué ? Est-ce que...
-Trêve de babillages, vieil homme, intervint une voix. Laisse-le parler.
Gracieux sursauta et se plaça aussitôt devant son père.
Gaston sortit de l'ombre et s'approcha de lui.
Ses yeux dévorèrent les traits fins de Gracieux, qui lui jetait un regard de défis. Gaston sentit le désir l'embraser tout entier. Le jeune homme était encore plus beau, plus lumineux et plus désirable que dans ses souvenirs.
-Que fais-tu ici ? Lâcha Gracieux.
-Tu ne devines pas ? Roucoula Gaston en s'approchant de lui. Je suis venu pour toi.
Gracieux résista à l'envie de reculer pour s'éloigner de cet homme qu'il exécrait par-dessus tout.
-Je suis désolé, Gaston, mais nous avons beaucoup de choses à faire, mon père et moi. Je n'ai malheureusement pas de temps à t'accorder. Tu as fait le trajet pour rien.
-Tsss Tsss Tsss... fit Gaston en lui saisissant le menton entre le pouce et l'index, ce dont Gracieux se défit aussitôt. Ne sois pas si farouche, petit garçon. Je suis venu te faire la proposition dont tu n'osais pas rêver...
Gracieux afficha une expression plus que sceptique.
-Je suis venu pour que tu sois mien.
Le père de Gracieux, dans son dos, faillit s'étouffer.
-HORS DE MA MAISON ! Hurla-t-il en repassant devant son fils.
-Hors de ma vue, vieux fou, répliqua dédaigneusement le chasseur en envoyant valser son adversaire d'un simple revers de la main.
-Père ! s'exclama Gracieux en se précipitant à ses côtés.
Le vieil homme, à demi assommé, gémit.
-Gracieux, reprit Gaston, exaspéré par cette diversion, concentre-toi sur la conversation.
-PARTEZ ! Hurla le jeune homme en se relevant. PARTEZ IMMÉDIATEMENT ! Je ne serais JAMAIS à vous, de quelque manière que ce soit !
Le regard de Gaston se durcit. Il n'avait pas envisagé que Gracieux puisse refuser son offre. Personne ne refusait ses offres.
Mais, d'un autre côté, c'était tellement plus excitant lorsque sa proie se débattait...
Il écarta Gracieux d'une main et se saisit de l'artiste par son col. Avant que le fils ait pu faire quoi que ce soit, il avait jeté le vieil homme dans la réserve et refermé la porte à clef.
Avec un regard lubrique, il fit glisser la clef dans la poche de son pantalon.
-Viendras-tu la chercher, Gracieux ?
Pour toute réponse l'intéressé se saisit d'un couteau de cuisine et le pointa sur le chasseur, qui gloussa. Il se sentait de plus en plus excité par ce garçon si farouche, qui n'était pas sans lui rappeler un daim pris au piège des chasseurs.
Il avança d'un pas. Le couteau de Gracieux dessina une ligne sanguinolente sur sa poitrine. Sans s'y arrêter, la brute referma ses poignets autour de ceux de Gracieux, qu'il tordit jusqu'à ce qu'il soit obligé de lâcher son arme.
-Gaston... supplia Gracieux, que la panique envahissait petit à petit. Gaston...
Le chasseur ourla ses lèvres d'un sourire carnassier et traîna violemment sa victime dans sa pièce d'à côté.
La chambre.
Il jeta Gracieux sur le lit, où il s'étala de tout son long, un peu sonné.
-Gaston ! Non ! s'exclama Gracieux alors que le chasseur défaisait sa ceinture.
Il sauta hors du lit et se précipita vers la porte, seule issue possible.
Mais le chasseur le rattrapa par le col et le renvoya de nouveau en travers du lit. Puis il s'assit à cheval sur sa poitrine, et se saisit de ses poignets.
-Je... Je t'en pris... Hoqueta la proie.
-Ne me résiste pas, répondit Gaston en passant sa langue sur ses lèvres. Offre-toi à moi de ton plein gré. Je te promets que ce sera plus agréable...
-Non !
-C'est toi qui vois...
Et par des gestes qui trahissait une certaine pratique, il enroula sa ceinture autour des poignets de Gracieux et la serra jusqu'à ce que la chair rougisse de cette meurtrissure.
-Regarde-toi... murmura Gaston d'une voix rendue rauque par le désir. Si beau. Si faible. Si vulnérable. Petit oiseau prisonnier de mon étreinte...
-Arrête... Je t'en supplie, arrête...
La panique compressait la cage thoracique de Gracieux, qui n'arrivait plus à respirer, ni à aligner deux pensées cohérentes. Ce qui allait arriver... Gaston... Non... Non... Non ! C'était trop horrible ! Il ne voulait pas...
L'impuissance lui brûlait le cœur, le corps tout entier. Ses pensées grondaient tapaient contre les parois de son crânes comme si elles voulaient s'échapper, fuir cette situation intolérable, abominable.
Gaston, de ses mains aux doigts grossiers, habitué au dépeçage des bêtes, déchira sa chemise, révélant sa poitrine pâle.
Le jeune homme plissa sa bouche de dégoût en sentant le chasseur le toucher.
-Tu... Tu ne peux pas, haleta-t-il, les yeux exorbités par la panique.
-Et pourquoi donc, rétorqua Gaston en posant ses deux mains sur sa poitrine nue.
Un sursaut de fureur secoua Gracieux.
-Tu pourras faire ce que tu veux, cracha-t-il. JAMAIS je ne t'appartiendrais.
-Je te garantis que si, petit oiseau...
-Tu peux me violer, Gaston, mais je ne t'appartiendrais pas pour autant. Les seules chaînes capables de me retenir sont celles de l'amour. Je ne crains rien de toi.
-Mais je t'aime, Gracieux...
-Ne prononce pas ces mots ! Tu les souilles !
-Pauvre petit garçon, se moqua Gaston en écartant de force les jambes de sa victime pour y glisser la sienne. Tu ne sais rien de l'amour. Moi, je t'aime.
Le visage de la Bête s'imposa à l'esprit de Gracieux. Sa rage balaya définitivement sa peur.
-Je connais l'amour ! cracha-t-il. Je sais ce que c'est d'être aimé, d'être réellement aimé ! Pas pour un corps, pas pour un visage ou un semblant de beauté !
Gaston lui attrapa violemment les cheveux et tordit sa tête vers l'arrière.
-Tais-toi.
-Tu n'es qu'un pauvre imbécile, Gaston. Tu ne vois que les apparences.
-TA GUEULE !
Un énorme coup de poing fendit la pommette de Gracieux. Un goût de sang se répandit dans sa bouche.
-La Bête va te tuer... ricana le jeune homme à moitié assommé.
-La bête ?
Le regard de Gaston s'étrécit.
-Ton père m'a parlé d'une bête. J'ai cru qu'il affabulait...
Il lâcha Gracieux, qui retomba lourdement sur le matelas. De sa chemise déchirée, une rose s'échappa et se posa sur le sol. Gaston se pencha pour la ramasser.
-N'y touche pas ! Hurla sa victime en se jetant en avant.
Gaston attrapa son menton dans ses mains, qu'il serra avec brutalité, enfonçant ses doigts dans les joues du jeune homme.
-C'est cette bête, dit-il lentement, qui prétend t'aimer ?
La peur envahit de nouveau l'esprit de Gracieux. Pas la peur pour lui, cette fois. La peur pour son cher ami...
Gaston vit sa peur dans son regard, et le rejeta en arrière.
-Ainsi, tu es comme ça... Tu préfères te faire prendre par des bêtes... C'est ton maître, n'est-ce pas ? Ne nie pas... Je lis ta peur dans ton regard... C'est lui qui t'a donné cette rose...
Il se saisit des poignets de Gracieux et le traîna brusquement en arrière. Sonné par les coups, le jeune homme n'opposa qu'une résistance symbolique.
Gaston défit la ceinture, et attacha les poignets de sa proie aux barreaux du lit. Il serra au maximum la lanière de cuir avec un plaisir cruel.
-Je vais trouver cette bête, souffla-t-il en collant presque son visage à celui de Gracieux. Et je la tuerai.
-NON !
Le chasseur ramassa la rose et la glissa dans sa chemise.
-Je lui dirai que je viens de ta part, ajouta-t-il en sortant de la pièce.
-NON ! GASTON, NON ! REVIENS ! JE FERAI TOUT CE QUE TU VOUDRAS ! GASTON ! LAISSE-LE ! GASTON !
Le chasseur sortit de la maison en claquant la porte.
Il détestait avoir des rivaux.
Il décrocha son fusil de chasse, et vérifia qu'il avait pris assez de cartouche.
Par contre, et ça tombait bien, il adorait la chasse...