Encore quelques semaines avaient passé durant lesquelles mes idées n'avaient été que tourbillon de questions. Roric et moi n'avions jamais vraiment reparlé de cette soirée et je commençais à me dire qu'elle ne l'avait pas particulièrement marqué.
J'avais pourtant cette impression de découvrir une tristesse cachée dans ses peintures. Les lumières des néons qu'il avait l'habitude de peindre semblaient alourdir la posture de ses personnages. Les quelques traits que je percevais sur le visage de ces derniers semblaient pesants d'épuisement.
En m'aventurant dans le studio de mon ami un matin où je le visitais, j'étais tombé sur de vieux tableaux qu'il n'avait jamais vendus. J'avais été surprise de constater que je retrouvais encore cette tristesse visuelle. Si c'était réellement Roric qui l'avait peinte, et non mon imagination qui interprétait le tout de manière erronée, alors cette émotion datait d'avant notre soirée désastre dans les sous-sols.
Constamment, une pensée revenait à moi. Il aurait suffi que Roric m'éloigne de cette pièce maudite quelques secondes plus tôt. Tout aurait pu continuer comme avant si je n'avais pas eu la chance de desserrer les poings, de m'ouvrir. Mais j'étais resté là-bas à écouter ce discours et je ne pouvais plus rien y changer.
Ainsi donc, je m'étais résignée à écouter ce nouvel instinct qui me criait de quitter Paradoxe. Le choix avait été difficile, mais je ne voulais plus de cette bataille à l'intérieur de moi.
J'apercevais des étoiles filantes, des réveils et des couchers au soleil. J'étais fixé sur l'avenir, sur mon départ. La nostalgie que je tentais de ressentir quant à ma ville natale ne pouvait se fixer en moi. Les parois de mon cœur étaient trop glissantes d'anticipation.
En quelques jours, tout mon appartement était dans des sacs prêts à m'accompagner dans ce périple. Une fois à l'extérieur, j'avais prévu d'habiter quelques mois chez mes parents avant de trouver un lieu où il me plairait de vivre.
Roric était venu me reconduire à la gare des bateaux le jour de mon départ. Il m'avait retenu par le bras au moment où je posais le pied sur la rampe menant au pont du navire.
Après m'avoir regardé fixement dans les yeux, il m'avait avoué ne pas oser m'admirer. Toute sa carrière était dans Paradoxe. Sortir, même pour s'inspirer, aurait signifié sa chute.
Je l'avais observé partir, ma tête et tout mon corps engourdis. Roric rêvait donc lui aussi du monde extérieur.
Le bateau sur lequel je me trouvais s'était mis en route, quittant le port sous-terrain de Paradoxe.
En vendant mon appartement, j'avais dû remplir un formulaire attestant que je quittais la ville pour de bon. Cette dernière était tellement peuplée qu'il y avait à peine de place pour les hôtels de touristes. Les gens attendaient pendant de nombreuses années avant de pouvoir emménager au sein de la ville-bâtisse. Ceux qui la quittaient ne pouvaient pas revenir.
Il n'avait fallu
que quelques mois
pour mener à ma
déroute
Pour exténuer
toute une vie
d'urbanité.
L'embarcation de métal à bord de laquelle je voyageais avait émergé des profondeurs, suivant le cours de l'eau. La lumière de l'étoile terrestre avait enduit le navire de chaleur et aussi simplement, de manière si peu cérémonieuse, je m'étais retrouvée à l'extérieur. Je vivais la liberté.
Je voyais des champs qui s'élançaient jusque dans le lointain. Le vide à perte de vue. Je m'étais retournée, pour apercevoir la cité une dernière fois. Elle se tenait droite, immuable parmi ses nuages de brouillards fumants.
Et la liberté
qui bout toujours en moi
Et l'immensité
prison infinie dans laquelle je pose pied.