Je vole doucement, pour profiter de ce moment. Sentir l'air froid et puissant qui souffle sur les oiseaux, en altitude, me fait comme renaître. Depuis mon arrivée au Japon, je me refusais à voler, parce que cela signifiait pour moi que j'allais mieux. J'attendais une véritable occasion pour le faire. Le retour de Hellen en est une. La brune que je tiens serrée dans mes bras finis par éclater de rire. Ses cheveux qui volent un peu dans tout les sens me calment. J'ai enfin retrouvé la voie que mon enlèvement m'a fait quitter. J'ai enfin retrouvé mon but, ma vie. J'ai retrouvé Hellen. Après un dernier tour en volant, je nous porte jusqu'à mon appartement. On s'y pose doucement. Hellen vacille un peu sur les premiers pas qu'elle fait.
- Tout va bien Hellen ?
- Oui, c'est simplement que cela fait tellement longtemps que je n'ai pas volé, que je n'ai pas vu une ville d'aussi haut, que je n'ai pas sentit tes muscles travailler pour lutter contre la gravité... J'en suis encore un peu bouleversée, c'est comme si j'étais plongée dans le plus beau rêve que j'ai pu faire au Japon.
- Tu ne rêves pas, je suis bien réel. Dis-je en faisant un petit sourire.
Hellen ne me répond pas, elle semble totalement perdue. Je l'attrape doucement dans mes bras et la serre contre moi. Elle ne me résiste pas et vient se coller un peu plus à moi. Je sens tout ses muscles trembler, comme si elle tentait de se retenir de pleurer. En écoutant mieux, je peux percevoir les battements affolés de son cœur. Je me décolle doucement d'elle, et attrape l'une de ses mains. Sa main à côté de la mienne paraît toute frêle, toute petite. Ses yeux bruns se posent sur nos mains enlacées, l'air surpris. Je pose sa main sur mon cœur. Je sens qu'inconsciemment, elle oblige le sien à se baser sur les lents mais puissants battements de mon organe vital.
- Tu sens ? Je suis vivant, je suis bien réel. Ton inconscient est incapable de créer deux battements de cœurs différents. C'est un fait.
- Alors c'est vrai ? Tu n'es pas mort dans un débile accident d'avion ?
- Absolument.
Comme pour lui prouver que je ne mens pas, mes ailes se mettent à produire une étrange mélodie, comme celle que j'entends lorsque je plane et qu'il y a un vent violent. Mes deux ailes frottent doucement l'une contre l'autre, et cela produit des vibrations. Comme le chant ancestral et légendaires des sirènes, une modulation d'un son que je serais incapable d'imiter. Hellen redresse la tête, incrédule,et puis tourne autour de moi pour voir mes ailes. Je tourne la tête pour observer la personne qui détient mon cœur. Et je vois cette flamme incroyable recommencer à danser dans son regard, preuve qu'elle vient d'accepter le fait qu'elle ne rêvait pas. Alors un sourire incroyable se dessine sur ses lèvres et elle revient se planter devant moi. Elle ouvre la bouche et un instant, je manque de perdre le contrôle de moi-même, et de l'embrasser.
- Je t'aime. Tu n'as pas idée à quel point de je t'aime. Dit-elle, sa voix n'étant qu'un murmure dans la pièce sombre.
- Si je sais, parce que je ressens exactement la même chose.
Ma réponse paraît la satisfaire parce qu'elle se perche sur la pointe des pieds et pose délicatement ses lèvres sur les miennes. Je lui réponds, tout en restant sur mes gardes. Non pas que j'ai peur d'être à nouveau blessé, je sais qu'elle ne serait pas capable de refaire ça, qu'elle y a été obligée, mais parce que je ne connais pas mes nouvelles limites, et avoir de son sang sur mes mains signifie irrévocablement ma mort. Je ne peux tout simplement pas vivre sachant que je l'ai blessée physiquement. Hellen se décale, recule de quelques pas, pour à nouveau m'observer, avant de parcourir les deux mètres qui nous séparent en courant et de sauter dans mes bras. Elle entoure de ses bras, mon cou, et ma taille avec ses jambes. Je sens rapidement quelques larmes couler sur mon tee-shirt. Alors, ne la tenant plus que par une main, je passe ma seconde dans son dos, pour la calmer.
- C'est bon, tout va bien ! Chut...là...
Hellen se calme rapidement, et redescend sur Terre. Elle n'en lâche pas pour autant ma main, qu'elle serre dans la sienne comme un trésor.
- Lorsque j'ai lu ta lettre, je ne savais pour ton accident que depuis peu de temps. Et lorsque j'ai vu qu'il y avait du sang sur la silhouette que tu avais découpée, j'ai cru que tu savais que tu allais avoir un accident, tu ne peux pas savoir comme j'ai eu peur. J'ai eu tellement peur que tu sois parti là-bas seulement parce que tu savais que tu n'allais pas revenir ensuite...
Je souris pour la énième fois depuis qu'elle reprit sa place à mes côtés, et ne peux retenir un petit rire.
- Je vais t'avouer que la réalité est beaucoup moins noire, c'est juste qu'en dépliant les ailes pour tracer le motif, je me suis coupé bêtement. Et je ne m'en suis aperçu qu'après avoir découpé le motif. Je n'avais pas le temps de tout réécrire.
En apprenant ça, Hellen éclate de rire. Puis me tapa doucement dans l'épaule. Mon ventre produit à cet instant un léger gargouillement. Elle n'en rit que plus.
- On va manger quelque chose ? Proposais-je.
- Tu me le demande si doucement et gentiment que je ne saurais refuser, mon loup.
Je souris. Tout redevient comme avant, si ce n'est que cette expérience nous a forgé un caractère plus fort. Nous ne pouvons pas vivre l'un sans l'autre, parce qu'à deux, tout est mieux. Hellen demande à repasser dans son hôtel pour récupérer sa valise, ce qu'on fait avant d'aller manger quelque chose. Elle en profite pour se changer rapidement et s'attacher les cheveux.
On va manger dans un petit bar traditionnel dans les quartiers d'habitations de la ville. De cette manière, il n'y a pas de touristes, et nous sommes tranquilles. Pendant tout le repas, on reparle de ce que l'on a vécu et je me rends compte que plus j'en parle, moins j'ai mal.
*
Jeme réveille doucement et pour la première fois depuis mon arrivée ici, je ne suis pas seul. Hellen dort encore, paisiblement, et je vois sur son visage qu'elle en a besoin et qu'elle l'a mérité, alors tout doucement, je me lève. Je referme avec soin la porte derrière moi et je vais dans la salle qui me sert de cuisine, de salle à manger, de salle de bain, de bureau et encore plein d'autres choses. J'ouvre tous mes placards les uns après les autres, et me rends compte que je n'ai strictement rien à manger. D'habitude, je mangeais quelque chose sur le chemin pour aller travailler. Alors je rafle un tee-shirt sur une chaise, passe par la fenêtre, parce que la porte d'entrée grince, et saute dans la rue. Je me précipite jusqu'à la boulangerie la plus proche et achète quelques viennoiseries tout droit sorties d'un labo'. Je retourne illico presto dans l'appartement et prends appui sur le mur d'en face pour remonter dans le couloir de mon appartement. Je prends appui sur le garde-fou pour entrer d'un bond dans mon appartement. Mon voisin de gauche se rend compte que je vais rentrer par la fenêtre et croit à un cambriolage. Il sort alors en s'appuyant, vacillant, sur sa canne et en braillant le plus possible.
- Ah non petit chenapan, tu ne vas pas voler ce jeune homme ! Je ne te laisserais pas faire.
Je suspends alors mon geste, et ressors. Le papy semble avoir oublié ses lentilles, parce qu'il s'approche presque comme pour m'embrasser, tout en continuant à vociférer. Comme je le craignais, Hellen finit par ouvrir la porte, les cheveux emmêlés, le regard encore embué de sommeil et en baillant. Elle porte sur elle un mini short, et un de mes tee-shirt.
- Scott ? Qu'est-ce qu'il se passe ici ?
- Ne t'inquiète pas, c'est mon voisin qui a eu la bonté d'empêcher un voleur d'entrer.
- Ah ça oui, ce chenapan a tenté d'entrer chez vous, demoiselle !
Cette phrase a tôt fait de réveiller totalement Hellen, qui se met à regarder dans tout les sens.
- Où est-il ? Demande-t-elle.
- Devant toi ! Dis-je en riant.
Elle comprend alors que mon voisin m'a prit pour un voleur alors que je tentais d'éviter de faire du bruit, et elle éclate de rire.
- Excusez-moi...Mais le jeune homme qui habitait ici a déménagé ? Dit le papy, déboussolé.
- Non, c'est moi ! M'exclamais-je.
Une fois cette affaire de cambriolage, qui finalement n'en était pas un, réglée, on rentre tous dans nos appartements respectifs et j'ouvre mon paquet. Hellen sourit, heureuse.
- Cela fait bien longtemps que je n'ai pas été réveillée par une histoire de faux cambriolage, alors qu'en fait le plus bel homme de la Terre était simplement partit me chercher des petits pains pour le petit déjeuner.
- Çafait longtemps que je n'ai pas été réveillé par un visage aussi parfait qu'un ange. Dis-je simplement.
Elle me sourit à nouveau avant de mordre dans ce qui semble être un pain au chocolat.
Je lui propose ensuite de venir avec moi au café où je travaille, pour se faire engager, puisque je ne peux pas rentrer tout de suite et qu'il est pour le moment du moins, hors de question pour moi de remettre les pieds dans un avion. Elle accepte de bon cœur et on finit de manger. Ensuite, j'enfile la protection pour mes ailes, une chemise noire et un pantalon assortit. Hellen, elle, enfile une petite robe grise, rassemble ses cheveux en chignon. On quitte mon appartement et on va au café. Mon patron l'engage dès qu'on lui fait la proposition. Il lui manque un peu de main d'œuvre et il semble avoir remarqué le lien qui me lie à Hellen.
Et c'est ainsi que l'on se met à travailler ensemble, et non plus pour faire plier le genou à la criminalité, mais pour une cause tout aussi noble en étant plus simple... Servir des cafés !
Et ce soir, je suis retenu au café parce qu'il y a eu un incident cet après-midi. Un client, que j'étais chargé de servir s'est mit à me hurler des injures, simplement parce que je lui avais servit un latté dans une tasse pour un expresso. Ou l'inverse je ne sais plus.
- Vas-y, je te rejoins. Dis-je à Hellen, qui partit avec un petit sourire.
Je me jette sur une des banquettes, pour attendre que le client et mon patron arrivent. L'affaire est réglée en quelques minutes, le client s'excuse et paye ce qu'il nous devait, le patron s'excuse de ma maladresse et je dois promettre de ne plus recommencer. J'ai cette drôle d'impression d'être un enfant que l'on gronde, mais je fais ce qu'on me dit, j'ai hâte de sortir et de retrouver Hellen.
Lorsque je rentre dans l'appartement, Hellen est en train de cuisiner quelque chose et ça sent bon dans tout le couloir. Il émane d'elle une étrange excitation. Je souris et vais me placer derrière elle, la serrant dans mes bras. Elle rit doucement avant de porter un morceau de viande à sa bouche. Elle souffle un peu dessus et le mange. Puis elle me tape sur la main alors que j'essaie de piquer un bout de poivron.
- Ah non, tu n'as pas intérêt ! Va t'asseoir !
- Oui m'dame ! Ris-je.
Je m'assieds en faisant une moue. Puis fronce les sourcils. A côté de mon assiette, il y a une petite boîte recouverte par une serviette. Hellen sourit lorsqu'elle voit que je l'ai remarquée, tout en nous servant.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Ouvre et tu verra ! Rit-elle, toute fière.
Repoussant un peu mon plat, j'attrape la petite boîte et retire la serviette. Hellen s'assoit et grâce à mes nouvelles capacités, je sens qu'elle meurt d'envie de voir quelle sera ma réaction en voyant ce que cache la petite boîte noire. J'ouvre délicatement le couvercle et ne peux retenir un petit cri stupéfait de m'échapper. Sur un coussinet de velours noir se trouve une carpe dorée. Le poisson, symbole de longévité, le porte-bonheur que tout Japonais digne de ce nom se doit d'avoir chez lui, semble attirer le moindre rayon de lumière de la pièce avant de réfracter sous forme de faisceaux multicolores. J'attrape la carpe, et un lien de cuir brun vient avec. Je sens qu'elle est comblée par ma réaction, que c'est beaucoup plus que ce qu'elle espérait.
- C'est un poisson qui attire la chance, la réussite. Le vieux Japonais qui me l'a montrée m'a dit qu'elle représente l'énergie, la force, la persévérance.
- Oh Hellen, je ne sais pas quoi dire...
- Merci? Se moque-t-elle gentiment.
- Non, ça ne suffit pas pour te dire combien je l'aime, combien je t'aime...
J'en perdais mes mots. Je passais le lien autour de mon cou et la carpe trouva sa place sur mon torse.
Nous avons fini de manger et venons de décider d'aller regarder le soleil se coucher sur le toit d'un immeuble. Je prends Hellen dans mes bras et décolle. Elle se retourne dans mes bras, et observe la carpe danser au bout de son lien, sur mon torse. Je nous pose sur un toit, et on se couche, côte à côte, sur les tuiles chauffées par le soleil de la journée. Le disque solaire touche l'horizon à ce moment là. Comme la légende le veut, il est rouge sang et pare tout ce qui nous entoure de cette même teinte merveilleuse. Hellen attire mon regard sur la carpe, qui s'est mise à luire, comme dotée de vie, de cette couleur rouge qui est censée être la sienne.
- Elle est merveilleuse, tout comme toi. Dis-je simplement.
Hellen rougit et vient poser sa tête sur mon torse. Je souris et caresse doucement ses cheveux. Nos deux cœurs battent à l'unisson, nos deux vies sont mêlées à jamais.
Le jeune loup et la jeune guerrière profitent d'une de ces rares pauses que la vie a la bonté de nous offrir. Profitant de chaque instant.
Un loup ailé et une brune ensorcelante.