Le 21 octobre
Je ne passe pas mon samedi soir à bûcher sur ma littérature comparée mais plutôt sur le rangement de mon appartement. Il m'arrive parfois de devenir pointilleuse concernant mon environnement, pas autant qu'Axel bien évidemment, lui qui frôle le côté maniaque, mais tout de même un peu. Trier ne me dérange pas, je dirais même que ça me détend parce que je me dis que je trouverai plus facilement mes affaires par la suite. En fait, c'est mon anticipation qui m'apaise.
Comme chaque semaine, ma mère m'appelle le lendemain, alors que je suis en pleine élaboration de plan de dissertation. Nous restons au téléphone durant une bonne heure. Elle semble un peu plus apte à me parler du restaurant de mon père. Il faut dire que je la « menace » d'aller chercher les réponses à mes questions sur le net. Je sais qu'elle n'aime pas trop aborder le sujet car rappeler cet instant morbide n'est pas très agréable, cependant je parviens tout de même à obtenir quelques informations à propos de mon paternel et de son restau. Le choc post-traumatique joue encore sur ses nerfs mais c'est plutôt compréhensible lorsque pratiquement trois mois plus tôt, en arrivant sur son poste de travail, on a découvert un corps mutilé sur le paillasson par un des couteaux de son commerce et qu'il s'agissait d'un de ses employés.
C'est arrivé dans la nuit du 7 août. Je n'étais pas à Marseille mais à mon appartement ce jour-là. Aussitôt ai-je appris la chose que j'ai voulu rejoindre ma famille, seulement ma mère me l'a interdit, pour ma sécurité. J'ai bien évidemment fait ma rebelle une semaine plus tard, mais j'ai vite été réexpédiée à Aix...
L'enquête policière qui a été menée a décrété qu'il s'agissait d'un règlement de compte. D'après les dires, Javier Escorne, c'est ainsi que s'appelait le défunt, avait été mêlé à une affaire de trafic de drogue et avait des dettes. Malheureusement, nous savons tous à quel point les gens sont friands de potins. Le passé de mon père, autrefois pas très clean (enfin selon les autres) puisque nous en sommes à révéler la vérité, a ressurgi et des personnes ont commencé à raconter que c'était probablement une mise en garde pour le propriétaire. Au final, le restaurant n'a pas pu rouvrir avant un certain temps à cause de l'enquête criminelle, qui n'a pas abouti au passage.
Désormais, si nous avons en partie perdu notre clientèle, nous sommes souvent cités malgré tout dans les journaux ou sur le net, cependant les appréciations ne sont jamais en notre faveur. On ne juge plus sur la qualité de la restauration, ni même du service, mais sur les rumeurs qui courent. Il faut dire que la mère de la victime s'est chargée de nous faire une réputation de monstres. D'un côté, je la comprends, elle a perdu un de ses fils ici, mais cela ne veut pas dire pour autant que ma famille est responsable de ce meurtre.
Nous sommes donc passés d'un bon revenu à quasiment plus rien. Nous ne sommes pas pauvres pour autant car nous avons des réserves, mais la remontée est compliquée et je ne parle pas seulement sur le plan financier. La plus grosse difficulté relève de la partie psychologique. Mes parents sont montrés du doigt et traités de tous les noms. Voilà pourquoi ma mère n'aime pas trop quand je retourne sur Marseille. Elle voudrait m'épargner une humiliation. Seulement être exilée ainsi me fait également souffrir. La chaleur des Chabaud me manque. Ce n'est pas parce que j'ai quitté mon cocon que je ne l'aime plus.
Il n'y a qu'une seule personne hormis la famille qui est au courant de l'affaire (sans être passé par les rumeurs j'entends bien), c'est Axel. Parce qu'il était mon confident, je lui ai fait part de la situation dans laquelle nous nous trouvions. Désormais, je regrette d'avoir cru que c'était pour cette raison qu'il ne voulait pas coucher avec moi car ce n'est absolument pas le genre de mon ami. Je pense même qu'il serait vexé s'il l'apprenait...
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Lundi, c'est un devoir d'intertextualité quasiment parfait que je rends, enfin aussi parfait que je pouvais du moins. J'ai passé plus de quatre heures sur celui-ci. J'en ai même mis de côté mes autres projets pour la fac, si bien que j'ai dû rattraper le retard que j'avais pris dans les autres matières durant ma pause déjeuner. Pour ce faire, je suis allée à la bibliothèque. Je me souviens qu'une fois, Axel et moi nous sommes faits expulser de cette dernière car nous parlions trop. C'était mon ami qui avait décidé de me raconter des souvenirs avec son amie d'enfance.
Je me mords les lèvres tandis que le tuteur continue son tour de table. J'ai été la seule à lui rendre quelque chose, ce qui est plutôt logique puisque je doute qu'il donne des cours particuliers à tous ses élèves. Désormais, il donne des conseils rédaction. Comme il m'a dit samedi, il annonce à la classe qu'il n'y aura pas tutorat avec lui vendredi. Un de ses collègues prendra sa place. J'entends les trois filles soupirer. On dirait bien que ce détail ne les enchante pas.
Il continue ensuite en disant qu'il veut par conséquent nous donner un peu de travail durant ces vacances de la Toussaint. C'est pour cette raison qu'il nous parle des attentes aux partiels de décembre. Il compte adopter une notation proche de celle des professeurs. Cela me noue déjà le ventre. Bien que je sache qu'une mauvaise note de sa part ne fera pas baisser celles de mon semestre, une part de moi, celle intimement liée à mon ego, est effrayée.
— Je n'ai lu ton devoir que brièvement mais...
À l'entente de la voix de Gabin, je sursaute. Nous sommes désormais tous en plein exercice et je ne l'avais pas entendu arriver. En relevant la tête, je suis surprise de le voir si près de mon siège. Je sens ses doigts sur le dossier de celui-ci et rapproche mon ventre de la table.
— Mais ça me paraît pas mal.
Après cela, il repart, pour aller aider un étudiant en difficulté.
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Lorsque je rentre le soir, je m'arrête à la boite aux lettres pour récupérer mon courrier. Quand je n'ai pas cours, n'ai pas à faire mes courses et que je ne suis pas avec Axel, les quelques pas qui me sont nécessaires pour me rendre à ma boite aux lettres sont les seuls que je fais de la journée, du moins en dehors de mon logement. En ce qui concerne ma faible connexion au monde extérieur, je laisse tout de même mes deux fenêtres ouvertes lorsqu'il fait doux afin de faire entrer un peu d'air frais dans mon habitat mais ça s'arrête là. C'est probablement un mode de vie étrange aux yeux de certains, seulement ça me convient. C'est rassurant. Ma routine me permet de rester détendue.
— Bonsoir Clémence ! s'écrie la voisine du rez-de-chaussée.
Même si je ne suis pas du genre à discuter pendant des heures avec le voisinage, Claudia, elle, connaît tout le monde, ce qui explique qu'elle m'appelle par mon prénom.
— Bonsoir.
Je sens son regard sur moi tandis que j'ouvre ma boite aux lettres. Si elle pouvait m'arracher mes papiers des mains pour y jeter un coup d'œil afin d'assouvir sa curiosité, je suis certaine qu'elle le ferait. Mais je suppose qu'elle a tout de même quelques principes.
Ce n'est pas mon habitude de critiquer les gens ainsi. Mais Claudia est un cas à part. Je lui accorde un regard pour lui faire comprendre que j'ai remarqué qu'elle louchait sur mes affaires. Cela n'a pas l'effet escompté. Alors après un soupir, je referme la boite aux lettres. Je regarderai mon courrier chez moi. Là au moins, elle ne pourra pas venir avec une loupe pour lire par-dessus mon épaule les intitulés de mes enveloppes.
Tandis que je suis sur le point de pousser la porte de mon bâtiment, mon regard est attiré par un petit papier plié en deux en début de pile. Aucune adresse n'est notée et c'est d'ailleurs ce détail-là qui me fait froncer les sourcils. Se pourrait-il que l'on fasse à nouveau une réunion de voisinage ? La dernière fois que j'ai reçu une lettre similaire remonte à trois mois. Bien évidemment, je ne me suis pas rendu au regroupement. Je me doute que ce n'était pas très important puisque c'était une idée de Claudia et que j'ai entendu durant une bonne partie de la nuit des rires ainsi que de la musique. En tout cas, cela expliquerait pourquoi celle-ci était tant curieuse à propos de mon courrier, même si elle l'est déjà en temps ordinaire.
Je déplie la feuille, sous le regard attentif de ma voisine qui s'est, mine de rien, vraiment rapprochée de moi au point de me coller. Seulement je réalise rapidement que le sujet n'est pas une réunion mais moi-même. Mes sourcils se froncent encore plus.
« Éternel esclave de ta flamboyance, je chavire pour tes beaux yeux ma Clémence, qui réaniment mon cœur si longtemps meurtri, d'avoir aperçu ma belle fleur avec lui [...] »
— Eh bien ! Moi qui pensais qu'il ne restait plus aucun individu romantique sur Terre, je vois que je me suis trompée. Quelle chance tu as d'avoir un admirateur secret, j'en ai toujours rêvé mais jamais ça ne m'est arrivé ! soupire Claudia.
Je tourne la tête pour la regarder. Elle, se contente de lire la suite du texte, comme si ce dernier lui était adressé. Peut-être est-elle séduite par le geste mais pour ma part, ce n'est pas le cas. La lettre, tapée à l'ordinateur, est signée Elias. Est-ce vraiment le prénom de la personne ? Je ne connais personne s'appelant ainsi...
— Ouah mais c'est un véritable poète ton Elias ! dit ma voisine, toujours penchée au-dessus de mon épaule.
À la différence de cette dernière, je ne souris pas. Celui qui a écrit, a donné par la suite une description d'une précision troublante me concernant et c'est cela qui fait monter mon angoisse. La personne qui m'a envoyé ce courrier me connaît bien, du moins sur le plan physique. Il faut au moins m'avoir approchée de près pour remarquer mon grain de beauté sur le bout de mon nez. Il est tellement discret que l'on pourrait presque le confondre avec une tâche de rousseurs en cours d'apparition.
— C'est bête qu'il n'ait pas laissé d'adresse par contre parce que comment tu vas faire pour lui répondre ?
Je regarde ma voisine, le visage blême. Je l'avais presque oubliée durant quelques secondes. Comment peut-elle avoir le culot d'être encore là ? Et surtout, comment peut-elle penser à une possible réponse ? D'ailleurs, en y réfléchissant bien, puisque « l'admirateur secret » a déposé ce mot dans ma boite aux lettres et que le portail de la résidence s'ouvre avec un code, il est plus que probable qu'il s'agisse d'un voisin. Au final, son adresse ne doit pas énormément diverger de la mienne. Peut-être même que l'individu habite au même étage que moi. Pourtant, il ne me semble pas qu'il y ait d'Elias ici.
Je replis le papier puis après avoir accordé un signe de tête à ma voisine en guise de salutation, je gravis les marches menant au premier étage. Et si c'était une farce ? Si ça se trouve, c'est un des gamins du bâtiment d'à côté qui s'amuse. Non, l'écriture est mature et surtout, impeccable. Je préférais largement qu'il s'agisse d'une plaisanterie.
J'insère la clé dans la serrure, pousse ma porte, entre dans mon couloir, traverse celui-ci, lâche un soupir une fois dans le séjour puis dépose mon courrier sur mon petit bar. Tout cela me contrarie, mais je sens que si je continue de me poser des questions à propos de ce mystérieux Elias, je vais devenir parano et complètement folle !
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Ça y est, on en sait enfin un peu plus sur cette fameuse affaire familiale. Je serais curieuse de savoir si certains avaient songé à ce scénario...
Y a-t-il des théories à propos de ce fameux poète Elias ?