La fille au chignon bleu

By LittleThaliana

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Il était très exactement onze heures trente huit et dix-sept seconde quand elle est entrée dans ma vie par la... More

Le chignon bleu
Porte clé fétiche
Réveil matinal
Don't touch me
Incendie
Décembre
Cadeau
Vacances
Absence
Bonus
Prospectus

De l'autre côté du rideau

180 25 19
By LittleThaliana

Gabriel :

Je m'installe sur ma chaise, face à mon bureau, lui même collé au mur sous la fenêtre. Avant de m'atteler à mes devoirs, je place mes stylos devant moi dans un ordre bien précis. Le rouge à gauche, puis le noir, le bleu, et enfin le vert. Une fois que tout est bien organisé, je tire sur mes rideaux pour profiter encore un peu de la lumière naturelle avant que la nuit ne tombe.

Je balais le paysage du regard. Le soleil couchant offre de magnifiques couleurs au ciel. Le panorama est magnifique ... enfin si on omet la façade blafarde de la maison d'en face. Non mais quelle idée de construire une maison en face de ma fenêtre?! C'est alors que je remarque du mouvement à la fenêtre qui fait face à la mienne.

Je vois d'abord des rideaux se tirer, un télescope émerger, puis une main caressant le métal... et enfin je l'a voit elle. Nos regards se croisent pendant une fraction de seconde avant que je ne détourne le mien et referme immédiatement mes rideaux.

C'est une blague ?! La folle! En face de chez moi ?! Elle me suit où quoi? Pourtant elle avait l'air tout aussi surprise que moi...

J'écarte mes rideaux de quelques centimètres et passe le nez par l'entrebaillement pour voir si je n'ai pas halluciné. Elle se tient toujours à la fenêtre et me dévisage encore. Elle esquisse un petit salut de la main et je disparaît de nouveau derrière le tissu blanc de mes rideaux.

Mon coeur se met à battre affreusement vite, la crise de panique approche. Mes mains s'agitent dans le vide. J'inspire un grand coup pour essayer de me calmer. J'ai l'impression que l'air ne parvient pas jusqu'à mes poumons, ces derniers me brulent de l'intérieur.

Mon porte clé. Il me faut mon porte clé. Mes doigts s'enfoncent dans mes poches en tremblant. Ils agripent l'objet métallique et je le presse contre ma poitrine. Mon rythme cardiaque s'apaise peu à peu.

Quand je suis à peu près calme, j'ouvre la porte de ma chambre et descend les escaliers en me tenant bien fermement à la rampe. Mes jambes tremblent encore. J'atteins la cuisine où mon père est en train de préparer le repas.

- François, tu peux venir fermer mes volets s'il te plait?

- Tu peux pas le faire seul?

- Non. La fille d'en face me fais peur.

- La fille des nouveaux voisins? Avec le chignon bleu?

- Oui.

- Elle est passée tout à l'heure avec ses parents pour faire le tour du voisinage. Elle est mignonne pourtant.

Il accompagne sa phrase d'un regard lourd de sous entendu que je préfère ignorer.

- Pour un individu de sexe féminin elle est potentiellement attirante, mais je ne lui trouve rien de particulier.

Il lève les yeux au ciel et soupire :

- Parfois j'ai l'impression d'avoir raté quelque chose avec toi.

Je baisse la tête et focalise mon attention sur mes pieds. Mon père a toujours été ainsi. A chaque fois que je m'éloigne trop de la "ligne de conduite masculine" il n'hésite pas à montrer sa déception.

- Bon ben je vais te les fermer tes volets...

Le lendemain au lycée, j'arrive en avance comme d'habitude. Je fais ça pour éviter les couloirs bondés qui me donnent l'impression d'agoniser. Je rejoins la salle de math et attends patiemment l'arrivée de la prof et le début des cours. Pour patienter je relis pour la centième fois au moins "Les fleurs du mal" de Baudelaire. C'est de loin mon recueil de poésie préféré. Il m'a fallu plusieurs lectures pour comprendre toutes les métaphores qu'utilise le poète mais maintenant je connais par coeur l'ensemble des poèmes à la virgule près.

Les autres élèves de ma classe arrivent petit à petit avant la sonnerie. Je reste bien collé contre la porte pour éviter un maximum les contacts physiques. Quand la prof arrive, les clés de la délivrance en main, je suis le premier à me ruer dans la salle pour devancer la marée humaine.

Après quelques minutes de cours, la folle décide de se pointer. En retard. Il faut croire que c'est une règle chez elle.

- Désolée pour le retard! Le bus était coincé dans les embouteillages!

- Vas t'assoir et rattrape le début de cours que tu as raté.

Elle balaye la salle du regard et le plante dans le mien avant de se diriger vers la chaise libre à côté de moi.

Pourquoi ?!

Il y a d'autres places innocupées ! Vas plutôt te mettre à côté de Biceps ou de Dentition-de-lapin au dernier rang! Mon cerveau bouillonne mais évidement je ne dis rien.

Elle s'assoit doucement sur la chaise et sort ses affaires une à une sans ordre précis sur son bureau. Je serre les poings pour éviter de remettre de l'ordre dans ses stylos.

Tout en gardant soigneusement une distance suffisante entre nous deux, elle penche légèrement la tête vers moi et chuchote :

- Tu peux me passer ta feuille de cours s'il te plait?

Je m'exécute en faisant glisser la dite feuille sur son bureau, le plus rapidement possible pour ranger mon bras contre mon corps.

- Merci.

Elle recopie en quelques secondes, griffonant sur sa feuille à la vitesse de la lumière. Elle me rend ma feuille en souriant.

- C'est drôle tu as une écriture super scolaire! Tu fais les boucles comme quand on apprend à écrire!

Je ne sais pas comment prendre sa remarque. Après tout, ayant l'habitude qu'on se moque de moi je ne sais pas quoi répondre. Je marmonne un vague merci en espérant que ça passe. Elle me sourit une nouvelle fois et reporte son attention sur la prof.

Pendant tout le cours, elle ne fais aucune allusion à hier soir. Elle se contente d'écouter en baillant et prendre des notes. Il en va de même toute la matinée. Elle prend grand soin néanmoins à se mettre à côté de moi à chaque cours.

Lorsque la pause méridienne arrive enfin, je pense qu'elle va enfin me lâcher mais non. Elle me suit jusqu'à ma table secrète et s'assoit en face de moi. Pendant tout le repas elle parle. Seule. De son déménagement, de son père, de sa mère et de sa nouvelle  petite amie, de son frère Ari qui porte le nom d'une constellation, de sa nouvelle chambre. Arrive enfin le sujet qui fâche.

- Enfin bon! Malgré tout les bouleversements liés au déménagement, au moins j'ai un bon voisin! Moi je trouve ça cool, au moins j'aurais pas des voisins du troisième âge qui ne supporte pas ma musique!  C'est quand même une énorme coïncidence non ?! On se croirait dans une mauvaise comédie romantique! Enfin bon, fais gaffe si tu envois des cailloux sur la fenêtre, c'est mon frère qui risque de...

Sa voix résonne dans mon crane, j'ai l'impression que le son est décuplé dans mes oreilles. Il me faut du silence.

- Tais toi.

Elle s'arrête immédiatement de parler, surprise par ma réaction. J'ai envie de m'excuser mais d'un autre côté ce mutisme soudain m'apaise. Gênée elle baisse les yeux et semble vouer une admiration sans faille à sa fourchette traçant des lignes dans la purée. Je me sens mal de la voir ainsi, après tout c'est la première qui tente de tenir une conversation avec moi.

- Je n'aurais pas dû...

- Non tu n'y es pour rien Gabriel. C'est moi qui suis trop bavarde, excuse moi si j'ai été trop bruyante où trop intrusive.

Elle me sourit tristement et fini son assiette. Elle attend paisiblement que j'ai terminé la mienne pour passer au dessert. Elle reprend sur un ton plus léger.

- Et sinon tu as un nom de famille Gabriel?

- Milano.

- C'est italien ça non?

- Oui.

- Moi c'est K...

- Kéros oui je sais. Tu l'as dis à la professeure d'anglais.

Le repas se conclut ainsi, avec une discussion plus légère où elle ne m'assaille pas avec ses monologues sans fin.

A la fin de la journée quand la sonnerie retentit, annonçant la fin des cours, elle me suit jusqu'à la sortie. Quand je me dirige vers le petit bois avoisinant le lycée elle me lance:

- Tu ne prends pas le bus?

- Non, je suis terriblement malade dans les transports en commun.

La vérité c'est que je n'arrive pas à monter dans un bus rempli d'élèves bruyants et excités par l'approche du week-end. Quand je suis là dedans j'ai l'impression d'étouffer, opressé par les autres.

- Tu rentres comment alors?

- En coupant par le bois, à pieds. J'arrive ainsi de l'autre côté de la lisière et en marchant dix minutes je suis chez moi.

- Mais ça prend du temps... En prenant le bus c'est juste cinq minutes, là tu en prends quasiment vingt, et presque dans la nuit en plus! On est en novembre Gabriel.

- Je sais quel jour on est.

Elle se mets à râler toute seule comme en plein débat intérieur avec elle même.

- Je peux pas te laisser rentrer seul. Je t'accompagne.

Je tente de l'en dissuader. La traversée de la forêt c'est mon moment à moi. Toutes les effluves de la mousse fraîche et de la terre humide imprégnent mes narines. Les craquement des feuilles mortes et le sifflement du vent dans les branches sont ma mélodie préférée.

- Je connais mieux le bois que toi. Ça fait trois ans que je rentre du lycée comme ça. Ta présence ne m'apporte donc pas plus de sécurité.

- M'en fiche. Je te laisse pas rentrer seul dans le froid.

- Mais ...

- Pas de mais.

C'est ainsi qu'elle s'invite toute seule dans ma balade quotidienne. Cependant contrairement à ce que je pensais, elle ne dis pas un mot pendant tout le trajet, savourant elle aussi l'harmonie de la forêt. Quand nous atteignons la lisière elle s'arrête pour ramasser une feuille de chêne par terre. Elle la met délicatement dans la poche et devant mon regard interrogatif répond à ma question muette.

- En souvenir de la première traversée du la forêt avec mon nouvel ami.

Ami. Ce mot reste encré dans mon esprit jusqu'au moment où je m'enfonce sous mes couvertures. Ami? Ami. Ça sonne bizarre dans ma bouche et pourtant ça semblait si naturel dans la sienne.

-Ami. Ima. Mia. Maï. Ami.

C'est vraiment bizarre. J'ai l'habitude de l'entendre pourtant. Quand les pintades de ma classe crient sur tous les toits que leurs amies sont belles et aussi populaires qu'elles, où quand mon père me demande pour une énième fois si je m'en suis fait à la rentrée. Pourtant c'est la première fois qu'il me fait cet effet.

Je finis par m'endormir, ce mot en tête.

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