J'attendis l'après-midi avec une telle impatience et une certaine appréhension tout de même. J'avais lézardé sur le canapé en pyjama pour ne pas salir ma tenue du jour. Mon esprit divaguait entre les émissions culinaires de la télé, que je ne regardais que d'un œil, et les paroles de mon frère d'hier soir. Et si, ne serait-ce que quelques minutes, Will avait raison : ma vie changerait donc du tout au tout, nous n'aurions plus besoin de ce pitoyable loft, plus besoin de travailler et donc plus besoin de subir les ordres de cet immonde patron.... beaucoup de « plus ». Pourtant je n'imagine pas ma vie autrement que celle que je vis actuellement. Je suis orpheline avec un grand frère pour seule famille et un travail minable pour payer trois tonnes de facture. Je pesais le pour et le contre des paroles de Will presque en boucle dans ma tête. Je m'informais également encore un peu plus sur internet sur cette grande fortune du pays. J'appris vraiment beaucoup de chose en si peu de temps.
En début d'après-midi, je m'habillais tranquillement de ma petite jupe à volant. J'enfilais mes talons et je redécouvrais la sensation d'être une femme, avec des bottines et une jupe ! Ce n'est pas avec la tenue du boulot que je réussirais à avoir ce sentiment de féminité !
J'espère fortement ne pas déranger sans prévenir. Après tout Catherine m'avait invité, je ne pouvais pas refuser ni même passer à côté de l'occasion de rencontrer, moi Eléanore, pauvre petite roturière, cette grande personne riche qu'était Monsieur Georges de Cambraway. J'étais rapidement passée dans l'arrière boutique du café pour prendre quelques pâtisseries que Trice m'avait mis de côté pour mon « rendez-vous secret ». Je marchais calmement et joyeusement en direction de cette demeure de princesse. L'air frais giflait mes joues et je commençais à avoir les mains rougies par le froid de ce début décembre. Un moment d'hésitation s'emplit de moi au moment d'appuyer sur le bouton de la sonnette. Un bip assourdissant résonna dans la petite rue avant de laisser place à une voie féminine : je reconnu presque instantanément la gentille Catherine à travers le haut-parleur.
— Bonjour, Résidence de Brittnaway, je vous écoute.
— Euh.. Bon-bonjour, bégayai-je, c'est Eléanore.
— Ooh, Eléanore ! Je vous envoie John tout de suite pour vous ouvrir !
Je fus presque soulagée d'entendre un tel engouement pour ma venue et surtout j'étais tellement touchée qu'elle se souvienne de moi (bien que nous nous soyons réellement rencontrées il y a deux jours!). J'attendais patiemment devant la grande façade que la petite porte s'ouvre sur la cour en gravillon clair. A dire vrai, je commençais vraiment à avoir froid, et je me grondais intérieurement de ne pas avoir mis un collant plus chaud. Je m'imaginais alors dans la grande demeure parfaitement chauffée, aux aspects de château royal.
— Bonjour, excusez-moi Mademoiselle, m'interpella ce qui semblait être un journaliste devant la grille de la grande porte. Vous êtes une proche de la famille ?
— Euh... j'hésitais longtemps et je réfléchis à toute vitesse pour trouver une réponse cohérente à dire. Non, je suis une serveuse, repris-je sûre de ma réponse. J'apporte une commande spéciale de pâtisseries pour Monsieur Georges, menti-je en désignant la boîte blanche.
— Comment vous appelez-vous sans être indiscret ?
— Vous êtes indiscret, répondis-je du tac au tac. Je pense que le nom d'une petite serveuse n'a aucune importance.
Je ne voulais certainement pas qu'on pense que tout le monde pouvait entrer dans la demeure. C'était mon moment et je refusais que quelqu'un s'initie ainsi. La petite porte s'ouvrit laissant apparaître John, le garde du corps en costard/cravate, qui m'attendait pour rentrer. Je fus presque soulagée de le voir arriver maintenant, car je sentais que ce petit journaliste était à la recherche de la moindre faille et ça allait me porter préjudice.
— Mademoiselle, fit-il poliment.
— Je vous apporte votre commande ! M'empressai-je de répondre en désignant du regard le journaliste.
— Parfait ! Nous ne vous attendions pas aussi tôt. Votre service de commande est fantastique.
— Nous faisons ce que nous pouvons, souris-je fière qu'il rentre dans mon jeu.
— Venez, ne restez pas sur le pas de la porte, m'invita-t-il.
Il me laissa passer et adressa dans un grognement un « allez-vous en vous, nous n'avons rien à dire aux médias! » au journaliste resté là. Je l'attendais quelques mètres après la porte, le temps qu'il la ferme et me rejoigne.
— Mademoiselle, si vous voulez bien me suivre.
— Appelez-moi Léa, s'il vous plaît, lui glissai-je en lui entamant le pas.
— Très bien Léa, je vous accompagne auprès de Dame Catherine et Monsieur Georges.
Mon surnom sonnait magnifiquement bien dans sa bouche qu'un frisson se déclencha le long de ma colonne vertébrale. Je le suivis à travers la grande cour timide, et je le remerciais intérieurement de ne pas aller trop vite car je galérais à marcher sur les gravillons avec mes talons. J'aurais aimé qu'il me dise quelque chose pour calmer mon appréhension, qu'il détende l'atmosphère. Non à la place me voici derrière une porte de prison avec des lunettes de soleil alors que le ciel est couvert. Je m'arrêtais quelques secondes en bas des grandes marches pour admirer la façade de la maison. Je soufflais un « hoaw » d'admiration.
— Attendez de voir l'intérieur, plaisanta-t-il en entendant ma réaction.
Mais c'est qu'il parle ! Je repris mes esprits et montait les marches de l'entrée. A peine ai-je franchi la porte que Catherine s'avançait vers moi l'air joyeuse. Elle me fit une bise amicale sans pour autant toucher mes joues comme j'aurais l'habitude de le faire avec des amies.
— Oh ma chère Eléanore, vous arrivez juste à temps pour le thé ! Salua la dame.
— Je suis ravie d'être venue, je m'excuse de ne pas vous avoir prévenu de mon arrivée.
— Oh non non, ne vous excusez pas, nous sommes très ravis de vous voir ! Fit-elle. Monsieur Georges se tarde de vous rencontrer depuis que je lui ai parlé de vous. Je souris à cette phrase.
— En échange, je vous ai rapporté des petites pâtisseries du café, fis-je en ouvrant la boîte pour lui montrer les desserts colorés.
Trice avait pris le soin de choisir plusieurs sortes de pâtisseries : des cupcakes colorés à la myrtille et au caramel, des tartelettes au citron et aux fruits, des éclairs au chocolat et au café puis d'autres encore. Admirative, Catherine prit la boîte entre ses mains pour me débarrasser et m'invita à la suivre dans l'une des pièces de cette demeure pour rejoindre Monsieur Georges. J'avançais doucement le nez en l'air, en admirant les moindres détails qui m'entouraient. J'entendus John pouffer de rire en me voyant ainsi et je me retournais pour lui lancer un regard accusateur. Non mais !
— Bonjour ma grande, me salua joyeusement un vieux monsieur assis dans un fauteuil roulant.
— Bonjour Monsieur, souris-je.
— Je t'en pris, installe-toi. M'invita-t-il.
Une dame de maison passa derrière moi pour prendre ma veste. Je fus surprise sur le coup mais j'acceptais de lui laisser ma veste en cuir et mon écharpe. J'ai hésité un instant à faire une révérence ou quelque chose comme ça, vu comment tout semblait protocolaire autour de moi. Je me suis simplement contenter de sourire, très certainement comme une idiote, bah ouais, sinon c'est pas drôle ! Une autre dame de maison apporta un plateau avec trois tasses et une petite théière.
— C'est du thé aux fruits rouges, indiqua-t-il. Vous aimez cela ?
— Bien sûr, je suis une grande amatrice de thé ! Fis-je en souriant.
C'était vraiment comme je l'avais imaginé : des petites tasses en porcelaine, semblable à Zip dans La Belle et la Bête. Elles correspondaient exactement aux photos de la porcelaine française que j'avais regardée dans la matinée. Alors que je mangeais un petit cupcake, Catherine me demandait comment j 'étais arrivée dans ce café, ce que j'avais fais comme études, mes passions puis d'autres sujets pour me connaître un peu plus. Cependant, Monsieur Georges me fixait sans pour autant dire quelque chose et cela commençait à me mettre mal à l'aise.
— Avec un petit apprentissage de manière et de danse, elle sera parfaite, n'est-ce pas Catherine ? Fit Georges.
— Je vous demande pardon, mais parfaite pour quoi ? M'empressai-je de répondre avant Catherine.
— Pour reprendre mon nom pardi ! Indiqua-t-il.
— Monsieur Georges, c'est un petit peu brute comme façon de lui apprendre cette nouvelle, fit remarquer Catherine.
— C'est vrai, je suis désolé.
Âlloooo, la tour de contrôle ne répond plus. Je crois que j'ai eu un bug dans mon cerveau à l'instant précis où Monsieur Georges a lancé joyeusement « pour reprendre mon nom ». Ces mots se répétait dans ma tête comme un vieux disque rayé. J'ignorais ce que je devais dire à cette instant et j'avais juste envie de m'éclipser. Je hais ce genre de situation.
— Eléanore ? M'interpella Catherine. Tout vas bien ?
— Oui, lâchai-je peu sûre de moi. Je vais rentrer chez moi, merci pour cet agréable moment. Annonçai-je en me relevant.
— Eléanore, m'appela Monsieur Georges. Je me retournais en sa direction. Excusez-moi, j'ai été maladroit. Promettez-moi que vous reviendrez ?
— Je reviendrais, promis, fis-je en hochant la tête avant un instant d'hésitation.
Néanmoins, ma seule idée à ce moment précis était de me rouler en boule au milieu de mes peluches et de ne plus en sortir.... Cet après-midi, cette phrase avait eu l'effet d'une bombe sur moi.