Après avoir été chargé presque totalement inconscient dans une petite camionnette, Amaï se réveille difficilement, enchaîné contre un mur froid en granite, sur un sol en pierre tout aussi gelé et mouillé à l'en glacer les os. Le brouillard qui recouvre son esprit se dissipe doucement, les souvenirs lui reviennent par vague en déclenchant parfois des crises de tétanie ou de hurlement tant ce qu'il a vécu lui revient avec force et cruauté à l'esprit.
Les sorcières, les morts vivants, les vampires et autres loups-garous et même le dragon qu'il a terrassé viennent hanter son sommeil lourd comme une chape de plomb. Et puis il y a ELLE. Son sourire doux et cruel, sa peau de diamant, ses lèvres couleur du sang, ses cheveux plus sombre que la nuit et son parfum si... subtile. Une rose noire aux notes plutôt acidulées, douce comme du velours et piquante comme un roncier mort. Un mélange délicat de torture et de plaisir, une envie de l'attraper aussi forte que celle de la tuer.
Amaï aime cela, il la désire, il veux cette créature qui n'a ni Dieu ni maître.
Cette femme, elle qui hante ses pensées jour et nuit depuis qu'il l'a rencontré, qui martèle son esprit depuis des siècles, le torture dans cette poursuite dévorante du chat et de la souris, le rendrait presque fou.
Mais les liens, lourds et ferment qui le maintiennent au mur ne seraient retenir la passion qui emprisonne Amaï dans cette quête sans fin. Et bien que ses sens engourdis mettent du temps à se normaliser, il sait déjà que son destin croisera le siens à l'avenir. Car l'homme ne peux rien, mais la créature qui vit en lui cherche sa maîtresse sans cesse.
Pendant des jours et des nuits, son corps faible et meurtri a été témoin des actions de ses geôliers. Toujours la même question: où est-elle? Toujours le même rituel: passage le matin pour une toilette complète, enchaîné, nourrissage forcé d'une sorte de bouille de céréales au sang deux fois par jour et passage de ces personnes qui posent toujours cette même question mille fois en une heure.
Amaï ne sais pas combien de temps il a déjà pu passer dans ce lieu. Ces yeux, toujours faibles et très sensibles à la lumière, l'empêche de distinguer correctement les ombres qui vont et viennent autour de lui. Seule les actions menées sur son propre corps ou les bruits l'aident à se repérer dans l'espace et parfois dans le temps. Il hume l'odeur de la mousse qui prolifère autour de lui et grâce au flair de la créature qui vit en lui, peux en déduire la météo du jour et quelques fois même du lendemain.
Le temps est long et parfois, l'homme se demande si ses ravisseurs ne s'amusent pas à le contenir prisonniers de ses sens justement dans le but de le garder captif jusqu'à ce qu'il cède et leur donne l'emplacement de la sorcière.
Encore aujourd'hui, alors que le temps se rafraîchit de plus en plus, un homme vient lui poser LA question, faisant bouillonner intérieurement Amaï.
- Ou est-elle, ou est la sorcière, demande l'homme à la voix mielleuse.
Et puis s'en est trop. Entendre cette dernière question, sans un autre mot, prononcée sans cesse, tel un lavage de cerveau le fait exploser.
- Si je le savais, je vous aurais déjà tous butés les uns après les autres et je l'aurais déjà rejoins, bande d'enflures!
Il explose si violemment que ses chaînes se brisent sous la tension de ses muscles engourdis après temps d'inaction. Malgré une vue plus que trouble, il se relève d'un bond et fait face à son geôlier. D'une vivacité remarquable, il attrape le cou de son bourreau et le comprime jusqu'à ce que celui-ci rende son dernier souffle et tombe raide mort sur le sol. Un liquide chaud se met à dégouliner de ses doigts jusqu'à ses coude et tombe sur le sol en goutte à goutte.
- Bien bâti, un poil trop musclé et une férocité qui ne déroge en rien à la rumeur, prononce une femme à la voix légèrement éraillée.
Amaï est parfaitement nu. Il sent son cœur battre à tout rompre, mélange de colère, d'indignation et d'envies meurtrières envers ceux qui le retiennent prisonnier dans ce lieux inhospitalier.
- Il ne me manque plus que la vue pour vous écraser, gronde le bel apollon.
- Musclé, des épaules larges sur un bassin étroit, des muscles saillants et bien dessinés, de beaux yeux noisette sur une mâchoire anguleuse. Tu as tout du parfait mercenaire. Et tu ne manques pas d'attributs séduisants...
Amaï n'en crois pas ses oreilles. Cette femme, cet inconnue ose le détailler sans se priver, comme on tâterai le fessier d'un bœuf pour en juger la qualité de sa chair.
- La ferme, salope, rugit Amaï comme si le dragon qui est en lui se mettait en position d'attaque.
- Et quel caractère! Tu as beaucoup de qualités visiblement, je comprend Pilum Murialis ta laissé manger son dragon. Un homme comme toi, c'est plus que rare.
D'un geste de main ganté de soie blanche, elle ordonne à ses pantins d'aller récupérer le ténébreux prisonnier.
- Nous avons à parler Amaï, annonce l'inconnue. Pour le moment, laisse toi faire, au moins le temps que l'on te soigne.
Les hommes en blanc posent avec précaution une main de chaque côté des épaules de l'homme plus que centenaire, l'invite à avancer, tandis que d'autre encadrent le cortège, fermé par cette étrange femme vêtue d'une grande et longue cape blanche en soie, la recouvrant presque totalement. Sans un mot, Amaï se laisse emmener, sans oublier de se venger en cas d'entourloupe.
- Ou m'emmènes tu, femme?
- Chez moi, ou plutôt dans notre repaire, dans les chambres pour nos invités de marques, tranche celle-ci d'un ton ironique.
- Oh, je vois, je ne fais plus parti des VIP si je comprend bien.
- Tu préfère ta petite cellule puante et humide peut-être?
Amaï hoquette, se moquant de la remarque de la femme. Sous ses pieds, il sens la fraîcheur et l'eau laisser place à une certaine chaleur sèche agréable. Les gardes l'invitent ensuite à franchir un escalier aussi haut qu'un phare breton avant de déboucher dans une salle où il y fait très chaud. Des rires, ou plutôt des gloussements viennent chatouiller les oreilles du mercenaire, lui donnant des pulsions meurtrières.
- Les dindes de cette salle n'attendent rien pour finir dans mon estomac, menace Amaï dont le visage se tourne très précisément sur chacune des cinq idiotes.
- Couvrez-le, ordonne l'étrange femme sans nom.
- Tu sais, l'inconnue, je ne vois peut-être pas, mais Skäldrün m'a laissé bien des cadeaux lorsque j'ai mangé son cœur.
- Oh Amaï, tu me vexe quelque peu, tu ne m'as toujours pas reconnue, mon petit?
Il sert ses mâchoire, semble réfléchir, mais l'évocation du « mon petit » et la voix plus fluette lorsque celle-ci prononce cette phrase ne laissent aucun doute, cette femme, il la connais.
- Rose, souffle le mercenaire d'une voix grave, tu me veux quoi?
D'une main aux ongles très longs et gracieuse à souhait, la femme effleure le visage de Amaï avec délicatesse. Elle approche son visage de l'homme et laisse apparaître un visage très pâle aux yeux bleus azur, sans pupille, aux lèvres doucement rosées et dont la pilosité tant sur le cils que les sourcils a totalement disparu.
Son parfum, celui d'une rose blanche et fraîchement éclose ne laisse pas sans rappeler à Amaï tout les désirs des hommes lorsqu'il s'agit de femmes. Puissant et doux à la fois, charnel et spirituel, bien que enivrant, il n'égale cependant pas celui de l'unique créature qu'il recherche sur terre: La sorcière.
- Tu es toujours un délice pour les narines, Rose.
La femme découvre des dents blanches et parfaites dans un sourire qui en laisserais plus d'un rêveur.
- Tu as toujours une peau douce et tes mouvements sont si doux, continue l'homme.
- Amaï, souffle la belle qui se plaît à entendre de tels compliments, de te part, c'est un honneur d'entendre cela.
- Oh, mais je n'ai pas précisé que tu n'égalerais jamais ta maitresse, celle que tu as lâchement trahie.
Une ombre passe sur le visage de Rose et l'on peu voir l'orgueil, laisser place à la rage. Elle saisit le visage d'Amaï et presse dans sa main le visage anguleux de l'homme.
- Cette erreur de la nature n'est plus mon maître, depuis déjà bien longtemps!
Elle peste si fort son aversion envers la sorcière que le visage de Amaï fini éclaboussé de postillons. En relâchant le visage de son prisonnier, des traces de griffes restent incrustées dans sa peau. D'un geste furtif de la tête, elle ordonne aux gardes de continuer à escorter le mercenaire, qui le recouvre d'une simple tunique blanche. La belle aux yeux azur, toujours furieuse reste sur place et observe l'insolent disparaître derrière les lourdes portes en chêne massif blanc qui s'ouvrent sur une autre salle, bien plus grande que la première.
Malgré la colère de Rose, Amaï la remercie de cette attention et se laisse guider presque à l'aveugle dans un dédale de pièces et de couloirs avant de finir dans une chambre au confort sommaire, mais fort appréciable après avoir été enfermé dans une geôle puante, humide et froide pendant plusieurs jours.
Il est laissé sur place, sans aide, sans autre confort qu'un lit de petite taille sur lequel il s'assoit avec soulagement. Après avoir humé l'air et être resté à l'écoute de son environnement, il sait enfin qu'il est seul et peux se détendre.
Finalement, avoir quitté sa geôle lui remet les idées en place plus qu'il ne l'aurait imaginé, mais un poids reste sur son cœur, comme une sensation de manque qui en deviendrai angoissante. Aussi, il pose sa main droite contre sa poitrine et interroge la créature au fond de lui: « Où est-elle, où est Shireen, Skäldrün? ».