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- Et crois-moi, tu n'auras plus que tes yeux pour pleurer le jour où tu te rendras compte que tu as tout fait de travers, et qu'il sera trop tard parce que ton petit frère sera mort, concluais-je.
À ces mots, je mets aussitôt fin à l'appel en raccrochant.
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J'enfile mon gros manteau d'hiver, pose ma main sur la poignée de la porte, puis l'actionne. Je l'ouvre ensuite, et m'engouffre dehors.
Je frissonne instantanément. Les températures se font très basses le soir, en ce mois de décembre.
Je ne ferme guère la porte à clé.
Je sais bien que c'est risqué, mais nous vivons dans un quartier sécurisé, et... si mes parents rentrent et que tout est fermé à clé, ils vont se douter que je suis sortie.
S'ils venaient à arriver à la maison avant moi, j'ai mis des vêtements en boule dans mon lit, histoire de simuler une forme humaine.
Je sais, je sais.
Cela relève de la psychopathie.
Tandis que je me dirige vers mon arrêt de bus, mon téléphone vibre dans ma poche. Je l'en extirpe alors.
Mes yeux se posent sur un message tout fraîchement arrivé, qui provient de Mary. Mes sourcils se froncent tant je suis surprise.
- Hey. Ça te dit de passer à la maison ? Il faut qu'on parle.
Ma bouche s'entreouvre sous le coup de l'étonnement.
Elle veut que je vienne chez elle ? Mais, et sa mère... est-elle au courant que je suis responsable de leurs malheurs ?
Je pianote malgré tout une réponse sur mon clavier :
- J'arrive dans 10 minutes.
Je finis par arriver devant mon arrêt de bus, et monte dans le premier bus qui passe.
Je ne vois même pas les dix minutes passer, puisque le bus me dépose juste devant chez Mary avant que j'ai eu le temps de faire ou penser à quoi que ce soit.
Le stress me gagne assez rapidement.
Je me ressaisis malgré tout, et marche le long de l'allée. Je finis par arriver devant la porte, et toque quelques coups.
La porte finit par s'ouvrir sur Mary à peine deux minutes plus tard. Ma meilleure amie plante son regard dans le mien, puis s'efface pour me laisser entrer chez elle.
Ni l'une ni l'autre ne savons que dire ou bien quoi faire. Cela m'apparaît comme très étrange d'être ici après tous ces jours de coupure.
- Hey, dit-elle en brisant le silence. Hum, on peut monter dans ma... chambre, si tu veux.
Je hoche la tête pour toute réponse, et c'est donc ce que nous faisons.
Une fois arrivées dans sa chambre, je reste plantée là, dans l'encadrement de la porte, ne sachant absolument pas quoi faire.
Malaise, malaise.
Sa fidèle machine à coudre est posée là, comme avant, tout comme la cage de son cochon d'inde qui s'appelle Vomito.
En apparence, rien n'a changé.
Alors que si. En vérité, tout a changé.
- Tu m'as manquée, lâche-t-elle.
Mes sourcils se froncent. J'ai du mal à croire que cette situation soit réelle. Tout est si... improbable.
- Toi aussi, lâchais-je. Mais... pourquoi m'avoir fait venir ici ? Tu m'as pardonnée ? Ça me semble étrange. C'est trop... facile.
Un petit sourire se dessine sur ses lèvres.
- Tu cherches trop compliqué, déclare-t-elle.
- Je ne crois pas, dis-je. Tu me haïssais, et là, tu me laisses entrer chez toi avec bienvenue comme si je n'avais pas fichu en l'air le mariage de tes parents.
- Mon père et ma mère sont sur le point de se remettre ensemble, lâche Mary.
Je plonge mon regard dans le sien.
C'est une blague ?
- Tu... vas revivre avec ton père ? dis-je, la voix tremblante.
- Non. Je m'en vais habiter chez ma grand-mère. Regarde, mes bagages sont faits. Je pars demain matin. La relation avec mes parents n'est plus vivable.
Effectivement, de multiples sacs et une gigantesques valise jonchent le sol de la chambre de Mary. Je ne les avais pas aperçus.
- Comment ça, n'est "plus vivable" ? dis-je, piquée par la curiosité.
- Tout a commencé lorsque les agents de la Police ont débarqué chez nous, et ont emmené mon père ainsi que moi au commissariat, dit-elle. C'était ma parole contre la sienne. Je n'ai pas tenu. J'ai cedé, en disant que tu avais exagéré les choses en déclarant tout ça à la Police.
Mary poursuit alors :
- Durant les premiers jours, ma mère était absolument dévastée. Je crois que la situation était irréelle pour elle, comme pour moi. Pour tout le monde, en fait. Elle a chassé mon père de la maison. Elle me croyait moi.
Ma meilleure amie marque une pause, puis reprend :
- Et puis, les jours ont passé. Son état de dégradait. Elle ne s'en remettait pas, et était terriblement malheureuse. Mon père a commencé à reprendre contact avec elle, et je voyais que ma mère s'en voulait terriblement de ne pas le repousser et de l'aimer comme avant. Elle allait un peu mieux.
Nouvelle pause.
- Alors, je lui ai dit qu'il ne m'avait absolument rien fait. Dans son amour pour lui, elle m'a cru. Maintenant, mon père la monte contre moi. Ma mère me prend pour une menteuse, je n'ai donc plus personne vers qui me tourner. J'étouffe ici, et mon père va bientôt revenir. Alors je m'en vais chez ma grand-mère.
À la fin de sa tirade, la voix de Mary se brise et j'aperçois alors son visage strié de larmes. Mes yeux s'humidifient à leur tour.
J'en ai assez de voir ma meilleure amie malheureuse. J'espère sincèrement qu'habiter chez sa grand-mère va se révéler être une bonne chose.
Mais je pense que oui. Sa mamie est quelqu'un d'absolument adorable, je crois donc que je n'ai aucun doute à me faire quant à elle.
Je m'approche de Mary et la prend dans mes bras. Elle ne me repousse pas, contrairement à cette fois dans les couloirs du lycée.
Alors, je comprends que ça y est.
Ma meilleure amie m'a pardonnée, et comprend à présent ce qui m'a poussée à agir comme je l'ai fait il y a de ça un bon nombre de jours.
×××
Le sourire aux lèvres, je me dirige vers la chambre d'hôpital de Nathaniel.
Mary m'a proposé de rester dormir chez elle, mais cela voulait dire me faire griller mes parents, et ça... n'est pas trop envisageable, je dois avouer.
Je vais cependant l'aider à s'installer chez sa grand-mère demain matin.
Il est actuellement 21h13, et mes parents ont prévu de rentrer à la maison vers 22-23 heures environ.
Mmh... espérons que ça le fasse.
Je finis par arriver devant la chambre de Nathaniel, et toque donc quelques coups à sa porte, contrairement à samedi.
- Entrez, grogne-t-il d'une voix rauque incroyablement... sexy.
Hein ? Quoi ?
Je voulais dire incroyablement enrouée.
Je me racle la gorge, actionne la poignée, et entre à l'intérieur. Nathaniel est là, assis sur son lit.
- Coucou ! m'exclamais-je d'emblée, ne lui laissant pas le temps de dire quoi que ce soit.
Il arque tout d'abord un sourcil, puis son fidèle sourire en coin se dessine finalement sur ses lèvres.
Il devient tout à coup très maniéré, et se met à faire des gestes typiquement féminins avec ses mains, tout en s'exclamant d'une voix suraiguë :
- Coucou, ma chérie ! Ça boume ? dit-il.
J'éclate aussitôt de rire. Il n'est absolument pas crédible dans ce rôle. Disons qu'il imite mieux la youtubeuse beauté.
- Tu m'as l'air heureuse, déclare-t-il alors, de sa voix normale.
Un sourire se dessine sur mes lèvres.
- Je le suis, répliquais-je.
Nathaniel se contente de me fixer, tout en attendant que je poursuive mes explications.
- Mary, déclarais-je. Nous nous sommes réconciliées.
- Tant mieux, alors.
- Tu ne sembles pas étonné, lâchais-je.
- Je ne le suis pas, avoue-t-il.
Je le fixe alors à mon tour, en attendant ses explications.
- Développe, ordonnais-je.
Il ricane légèrement.
- Oui, maîtresse, dit-il. Plus sérieusement, je savais que ce n'était qu'une question de temps. Une vraie amitié vous lie, ça crève les yeux. Vous n'êtes pas le genre de filles rancunières qui possèdent un trop gros ego pour s'empêcher d'aller s'excuser auprès de l'autre.
Mon sourire s'élargit.
- Parle-moi de ton ex copine, lâchais-je pour toute réponse.
Rapport ? Il n'y en a aucun.
Nathaniel pousse un grognement.
- Non, réplique-t-il.
- S'il te plaît. Je ne m'enfuirai pas comme l'autre fois.
Il pousse un soupir, ferme les paupières, et se pince l'arête du nez.
- Nous sommes sortis ensembles un an, commence-t-il. J'avais 16 ans, elle en avait 17. Elle était atteinte de la mucoviscidose.
- Était ? murmurais-je.
Nathaniel lève les mains.
- Elle n'est pas morte, déclare-t-il. Elle a simplement reçu une greffe de poumons, et est sortie de l'hôpital en bonne santé. Depuis ce jour, je ne l'ai jamais revue.
- Ça a été dur ? dis-je, hésitante.
Nathaniel hoche la tête sur le côté.
- Je me suis senti... vide, explique-t-il. Un an passé auprès d'elle, et plus rien du jour au lendemain. J'ai juste l'impression de lui avoir servi de passe-temps lorsqu'elle était malade et contrainte de rester à l'hôpital, et puis d'avoir été jeté une fois qu'elle a été guérie.
- Ne dis pas ça, je suis sûre que c'est faux, dis-je. Peut-être qu'elle voulait simplement... aller de l'avant, démarrer une nouvelle vie.
Un petit silence s'installe suite à ma déclaration, finalement brisé par Nathaniel :
- Sabine, c'est sa cousine.
- Oh, je vois, déclarais-je.
Je jette un coup d'œil à l'heure, et m'aperçois qu'il est 21h31. Si mes parents rentrent vers 22 heures au plus tôt, et qu'il me faut une vingtaine de minutes pour arriver chez moi...
- Je vais devoir y aller, annonçais-je en soupirant.
Nathaniel m'agrippe cependant le bras.
Je plonge mon regard dans le sien. La beauté de ses yeux me laissera toujours sans voix. Ainsi que sa beauté... tout court.
Mon regard descend vers ses lèvres.
- Comment j'arrive à te faire de l'effet en étant mourant ? s'enquit-il.
Je lève les yeux au ciel, tandis que l'agacement me gagne.
- Pitié, Nathaniel, répliquais-je. Regarde-toi dans un miroir et tu comprendras.
- Tu n'es pas...
Je le coupe dans sa phrase en plaquant assez brutalement mes lèvres sur les siennes.
Son corps entier se tend, tandis qu'il répond à mon baiser en posant ses doigts glacés sur ma joue. Sa langue frôle la mienne, et je crois défaillir.
Finalement, il pose son front contre le mien et je m'aperçois que ses pupilles sont incroyablement dilatées.
- Et toi ? dit-il, d'une voix rauque.
- Quoi, moi ? répliquais-je, sans comprendre.
- Avant moi, as-tu déjà eu un copain ? insiste-t-il.
Un sourire se dessine sur mes lèvres, tandis que je me mets à rougir.
Alors, il se considère comme mon copain ?
Intéressant.
- Non, dis-je franchement.
Je lis de la surprise dans son regard, mais un sourire en coin naît très rapidement sur ses lèvres.
- Ravi d'être celui qui t'as doucement fait perdre ton innocence, lance-t-il.
- Je. Ne. Suis. Pas. Innocente ! m'exclamais-je.
Il se met à ricaner.
- Oui, oui, réplique-t-il. Et moi, je suis en bonne santé.
- Hilarant, marmonnais-je en commençant à partir de sa chambre.
Ses ricanements redoublent d'intensité, tandis que je passe le pas de sa porte.
Un sourire se dessine malgré tout sur mes lèvres. Soudain, j'entends une forte toux provenant de sa chambre.
Je me fige, en attendant que cela s'arrête et que Nathaniel se calme. Cela ne se stoppe cependant guère, et sa respiration devient même de plus en plus saccadée.
Je fais demi-tour, passe une nouvelle fois le pas de sa chambre, et une fois à l'intérieur, demande :
- Nathaniel ? Tu vas bien ?
Mes yeux s'écarquillent cependant lorsque je l'aperçois en train de tousser à s'en escinter la gorge. De plus, son torse se soulève d'une manière tout à fait irrégulière et alarmante.
Finalement, je crois rêver en apercevant un liquide rouge bordeaux remplir peu à peu les paumes de sa main.
Du sang.
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