La lumière filtrée du soleil à travers les rideaux réchauffa ma peau du visage. Depuis quelques heures, je somnolais pour échapper à la douleur lacérante qui pulsait à l'intérieure de ma boîte crânienne. Je m'étais éveillé pendant la nuit à la suite d'un rêve alambiqué et vaseux. Mon esprit avait eu du mal à émerger de ses fils et la migraine qui battait son plein n'avait pas arrangé ma mémoire à remettre les pièces du puzzle en place.
J'étais sûr d'être passé à côté de quelque chose. Cette sensation désagréable d'oublier un truc hyper important tiraillait la limite brumeuse de ma mémoire. Chaque fois que je me retournais sous l'exaspération, la vive douleur crânienne se rappelait à moi. Je l'entendais presque son rire sournois et moqueur.
Voilà où j'en étais quand le soleil se leva en ce jour. Je percevais les bruits d'activité dans la maison des Spiliótis qui perturbaient ma concentration pour éloigner ma migraine. Les rayons de l'astre étaient insupportables. La lumière vive agressait mes yeux et amplifiait mon mal.
Mon sac posé dans le coin opposé de la pièce me faisait de l'œil. Dans une de ses poches, une petite sacoche détenait un semblant d'apaisement pour mon ennemi de toujours. Rien que de me lever me soulevait une nausée des plus traîtresses qui m'empêchait de me trainer vers ma reviviscence.
Cette migraine me clouait au lit depuis des heures où le sommeil me fuyait. Couché sur le dos, les bras le long du corps, seule posture qui atténuait les affres de mon être — trop de pression sur mon estomac accentuait mes envies de vomir. Jamais, je n'avais été si démuni face à un mal crânien. Ici, il lacérait l'intérieur de ma tête comme si un démon furibond enfonçait des pics à glace à chaque pulsion douloureuse. Et pour couronner le tout, mon corps contracté n'arrangeait rien à l'histoire. Je calmai ma respiration sous les souvenirs de conseils de méditation maternels et évacuait les tensions pour détendre mes muscles malmenés.
Le grincement du plancher m'arracha un gémissement. Les trois petits coups frappés à la porte furent une torture à mes oreilles ultrasensibles — désagrément des migraines, je ne supportais plus les bruits et la lumière. À travers le bois du battant, j'entendis la voix feutrée d'Eulalia me demander si j'étais éveillé.
— Entre ! lui répondis-je d'une voix un peu trop souffrante à mon goût.
La porte s'ouvrit sur la tête de l'espagnole, un brin d'affolement passa sur ses traits faciaux. D'une voix trop aigüe à mes oreilles, elle reprit :
— Encore une migraine ?
Je déposai ma main gauche sur mes yeux pour atténuer la luminosité, ce simple geste m'arracha un haut-de-cœur. Je calmai mon estomac en me focalisant sur ma respiration.
— Je crains bien que oui. Peux-tu m'apporter le petit sachet rouge dans la poche avant de mon sac à dos ?
Chaque mouvement, chaque parole me demandaient un effort surhumain. J'aurais tellement espéré vu mon état qu'on achève mes souffrances. Cela devenait insupportable. Pourtant, je ne devais pas être étonné. La fréquence des migraines augmentait quand je côtoyais des lieux imbibés de la magie du Caché ou des personnes vivantes perpétuellement dans le Merveilleux.
Je mâchai les feuilles sèches que Vassily m'avait offert en prévention d'une migraine pendant mon voyage. Il n'avait pas si bien deviné. Ensuite, je bus une des trois fioles qui contenant la décoction qui atténuait mes douleurs crâniennes.
— Que te faut-il d'autre ? questionna Eulalia, nerveusement.
— Du silence, le noir et un seau.
Oui, un seau. J'avais tellement de nausée que la présence du récipient à mes côtés diminuait mes angoisses de devoir vomir sur le sol. Difficile à expliquer qu'un simple objet pouvait avoir un tel pouvoir.
Je sentis la présence de la Dryade circuler dans la pièce et le bruit des teintures qu'on réajuste. La pénombre revint peu à peu dans la chambre. La porte se ferma. Je restai seul dans le noir artificiel à combattre mes envies de remettre et les assauts poignardants de mon crâne. Tout cela en restant le plus statique possible.
Le parfum forestier de l'adolescente nargua mes narines quand celle-ci déposa le seau à mes côtés. Elle hésita au bord du lit un instant avant d'opérer un demi-tour dans un silence pesant. Le battant se referma dans un frottement.
Après un temps indéterminable, je somnolais longuement avant de finir dans les bras de Morphée. Je ne savais combien d'heures s'étaient écoulées quand je sortis de mon sommeil.
J'ouvris les yeux. Eulalia était assise sur la chaise à m'observer.
— J'espère que je ne t'ai pas réveillé, minauda-t-elle.
Elle n'en était pas responsable. Je me sentais mieux et c'était un vrai soulagement. Je n'aurais pas supporté une journée dans un lit à comater... mais je devais être prudent. Les prémices de la douleur crânienne me guettaient, si j'en faisais trop, je risquais de provoquer son retour.
Je me redressai sur les poignets. Cette simple manœuvre m'arrachait un cri mélangé à un juron quand un vif élancement m'assaillit au niveau de la main droite. Les sourcils froncés, je n'avais fait aucune chute qui puisse expliquer une telle souffrance. Elle n'était pas dû à une fracture, mais elle me rappelait celle que je ressentais quand je forçais trop sur mes muscles pendant mes entrainements avec ma mère. Mes articulations bougeaient normalement, alors je ne m'en inquiétais pas trop. Un autre sujet accaparait mon attention.
— Eulalia, tu avais prévu que nous allions devoir partir accomplir une quête ?
L'intéressée sursauta, elle peinait à cacher son malaise à la suite de ma question. Son regard fuyant essayait d'apercevoir les conifères à travers les jonctions mal fermés des rideaux.
— Alaric, ce que tu me demandes m'est impossible à justifier. Secret de Dryade.
Pour une fois, je maudissais cette loi passée par la Compagnie. J'aurais tellement voulu qu'elle éclaire ma lanterne, il y avait trop de mystère qui planait sur ma majorité et Eulalia en rajoutait une couche.
— Et concernant tes parents humains ?
— Aucun soucis, je les ai eus au téléphone pendant ton sommeil. Je leur ai expliqué que je ne pouvais pas revenir avant quelques jours, un petit imprévu, mais rien de grave.
— Et ils ont gobé cela ?
— Ils n'ont pas eu le choix...
Je me rendis compte à sa réaction assez évasive que la discussion ne s'était pas passée aussi sereinement qu'elle laissait transparaitre. De toute manière, ce n'étaient pas mes oignons et j'avais déjà assez à penser.
— T'es-tu fait réellement étrangler à l'entrée de la Caverne Miroitante ?
Son regard était gorgé de curiosité. Je voyais que les nouvelles allaient vite. Peu de personnes étaient présentes quand je m'étais effondré en affirmant avoir subi une agression. Et ma mère m'avait garanti qu'elle avait menacé l'assemblée de ne rien révéler tant qu'on n'avait pas eu le fin mot de l'histoire.
— C'est ce que je me rappelle...
— On n'est plus à l'abri nulle part...
Cette histoire de strangulation était aussi mystérieuse qu'improbable au seuil de la Caverne Miroitante. Pendant mon entretien avec le Clan, ma mère avait continué son enquête sans succès. Elle m'avait certifié qu'elle n'abandonnerait pas pendant mon absence.
— Mais, c'est quand même étrange. Il n'y a qu'une seule entrée pour attendre la Caverne et elle est surveillée nuit et jour. Comment est-ce po...
— Si on nous pose des questions à la douane, on justifie quoi pour notre voyage en duo ?
J'avais eu une envie soudaine de changer la conversation qui filait droit vers un mystère que je voulais pour le moment oublier. Le visage d'Eulalia changea radicalement à la suite de ma question.
— Un voyage en amoureux ?
Elle avait murmuré sa réponse, en regardant ses doigts se torsader sur ses genoux. Un silence plana entre nous, avant d'être brisé par le vacarme de mon estomac qui se manifesta très bruyamment. Le long jeun n'était pas très apprécié de mon organisme qui me rappela les lois fondamentales de la survie.
Je congédiai dans le couloir la Dryade qui fut heureuse de se libérer de sa gêne. Je m'habillai en vitesse et ressentis toujours une douleur au niveau de mon poignet droit mais, plus atténuée. Je retrouvais Eulalia sur le palier.
Nous descendîmes au rez-de-chaussée en silence. L'adolescente fuyait toujours mon regard. Les doux effluves de nourritures vinrent chatouiller mes narines et amplifièrent mon vacarme stomacal.
Dans l'escalier, je réfléchissais à notre moyen de transport le plus opportun... qui n'était qu'autre : l'avion ou le train pour voyager entre les différents pays. Ça serait bien trop facile que la porte de La Cendre se trouve elle aussi en Grèce. Utiliser la méthode surnaturelle la plus rapide était à prescrire, la Compagnie l'avais interdit à la suite de malencontreuse découverte d'individus au Japon qui la veille, se trouvaient encore en Europe sans passer par la case aéroport et donc, de la douane.
J'étais dépité de me coltiner encore l'avion quand j'entrai dans la cuisine. Calliopé Spiliótis s'affairait à ses fourneaux pour le repas du soir avec la gaieté d'une cuisinière hors-pair.
— Excusez-moi. Est-il possible de grignoter quelque chose ? lui demandais-je.
La vieille Surnaturelle ne se retourna même pas quand elle me répondit d'une voix assurée que les affres du temps n'atteignaient pas :
— En voilà un qui sort enfin de son trou ! J'ai cru que nous n'étions pas à la hauteur de ta personne.
Je ne savais comment prendre sa remarque. Choqué, il me fallut apercevoir son large sourire pour comprendre la boutade qu'elle me lançait. Je la côtoyais à chaque visite du Clan et pourtant, je la connaissais très mal. Je n'avais jamais pris le temps de discuter avec les Spiliótis, laissant le soin à mes parents de faire la conversation.
— Que puis-je servir avec le thé ? Des biscuits ? Ou alors une part de tarte pour nos amoureux ?
La bouche entre-ouvert, je me sentais pris de court alors que j'allais lui répondre de simples biscuits ferons l'affaire. Je ne m'attendais pas une remarque de ce genre. Jusqu'où ma relation avec Eulalia était vu pour un couple par les autres ? Un coup d'œil vers la Dryade me confirma que la situation était vécue bien différemment par la jeune femme. Elle piquait un fard.
Sans se soucier dans quelle situation gênante Calliopé nous avait mis, elle me fourgua un plateau bien rempli de victuailles diverses, en nous incitant de monter à l'étage pour y gouter. Elle protesta vigoureusement que notre présence perturbait son travail. Être ainsi mis à la porte était assez surprenant.
Alors qu'Eulalia menait la marche, je ne pus résister un coup d'œil en arrière. Calliopé ne s'était pas encore retournée sur ses fourneaux. Elle nous fixait avec un large sourire et je l'entendis me souffler : « On ne peut rien dissimuler à une Oréade aussi fripée que moi ! » qu'elle accompagna d'un clin d'œil avait de me houspiller de partir de la main. À quoi faisait-elle allusion ?
Enfin soit ! Je poursuivis la Nymphe qui m'attendait à mi-escalier.
De retour dans ma chambre, le sérieux du son visage m'apprit que mon repas n'allait pas être léger. Quand le battant de la porte fut fermé, l'adolescente débuta d'emblée :
— Déballe le point le plus crucial de ta mission !
— Tu es sûre d'être une Dryade ?
Depuis hier, j'avais l'impression qu'elle devançait mes intentions. Elle n'avait quand même pas développé des pouvoirs d'oracle ?
Je m'installai sur le lit et commençai à picorer dans les biscuits disposés sur une assiette. Le thé étant trop chaud, je trempais ma friandise dedans. La douceur était un régal pour mes papilles. Le mélange d'épices me plongea au cœur d'un souvenir de marché de Noël.
— Alors ? me pressa-t-elle, en s'asseyant de l'autre côté du plateau.
— La Pythie m'a incité à aller consulter sa Mère, La Cendre, mais ça, tu le sais déjà... Cependant, elle a rajouté une indication pour atteindre son Antre.
Les yeux d'Eulalia brulaient d'excitation comme une enfant qui attendait le jour de Saint-Nicolas pour déballer ses cadeaux. À cette distance, je pus observer les variétés de ses iris noisette où des filaments plus clairs se nuançaient vers du vert. Sa peau halée me rendit jaloux. La mienne bien trop blanche me donnait un air maladif constant, merci mon sang Sylphe...
— Il va falloir que je te pende par les pieds à un arbre pour avoir la suite ?
Surpris, je jouais l'apeurer pour masquer mon moment d'égarement à sa contemplation, puis je m'empressa de délivrer l'énigme de la Devineresse.
— Un Rossignol à la parure nébuleuse parsemée d'Étoiles ? Mais un tel oiseau n'existe pas... enfin, à ma connaissance.
Abattu, j'avais eu un maigre espoir que la Dryade — en tant que Nymphe des bois — avait une connaissance plus approfondie en oiseaux surnaturels qu'un néophyte comme moi. La Pythie avait refusé de m'en dire plus et un tel animal ne courait pas les rues. Aucune piste plausible s'ouvrit dans mes perspectives. J'avais beau retourné l'énigme dans tous les sens, je n'y comprenais rien.
— Il ne fait pas être aussi affligé ! Je t'ai dit que moi, je n'ai pas connaissance de ton oiseau mais, je connais quelqu'un qui en sait bien plus que moi sur la question.
Il fallut un moment à mon cerveau pour analyser ses dires. Quand les connexions se firent, une tempête s'abattit dans mon crâne. Tout n'était pas perdu. En voulant attraper les épaules d'Eulalia pour la supplier de m'en dire plus, je faillis reverser le plateau sur les draps. Sous mon regard implorant et plein d'espoir, elle rigola avant d'enchainer :
— Pas très loin de chez moi, en Espagne, vit un ornithologue spécialiste dans les races surnaturels. Ma région est un lieu d'approvisionnement pour certaines espèces migratrices, un endroit important pour notre homme. J'ai beaucoup échangé avec lui et il m'a appris énormément concernant le Caché.
Cette révélation était inespérée. Enfin, j'avais un début de piste et ne pas devoir tourner en rond pendant des jours. Je cogitais déjà les différents moyens pour attendre l'Espagne, j'allais prendre mon téléphoner pour regarder les horaires de vol quand la Dryade rajouta d'une voix lointaine due à une réflexion.
— Je crois qu'il n'est pas en Espagne en ce moment... Il m'avait dit quelques jours avant mon départ qu'il allait entreprendre un long périple dans les neiges du nord. Il m'a parlé d'aller en Russie pour observer le zhar-ptitsa, l'oiseau de feu slave, dans son milieu naturel.
Changement de programme, de la douce chaleur enivrante du soleil, nous passions au froid mordant de la neige. Et trouver un homme dans les plaines désertiques russes n'était une mince affaire.