J'ai expliqué à M. Vielmont que j'avais été enfermé dans les toilettes à la toute fin de la récréation et qu'il m'a fallu attendre qu'un élève s'y rende et signale que la porte était fermée pour qu'on me libère enfin. Bien-sûr, même si j'ai mes soupçons, je ne peux pas désigner le coupable puisque je ne l'ai pas vu. J'ai juste entendu un rire et une clé tourner dans la serrure extérieure. Il ne fait guère de doute dans mon esprit que Tim ou Noa a discrètement « emprunté » la clé des toilettes en vie sco et a profité que j'y sois seul pour m'y boucler. Le CPE, l'air concerné, me promet « une enquête rondement menée ». Mais bizarrement, c'est Mya, qui n'était pas là et n'a rien vu, qui est convoquée à midi. A son air déterminé, je suis certain qu'elle va tout déballer malgré mes avertissements. Bien qu'elle ne soit pas responsable de la situation, je le sais, je ne peux m'empêcher de lui en vouloir : je suis certain que les choses ne feront qu'empirer, une fois de plus, et que je ne pourrai pas compter sur le soutien et l'aide de mon père, bien au contraire. D'ailleurs je serais curieux de savoir ce qui permet à Mya d'imaginer que sa mère aura le courage de se traîner jusqu'à la gendarmerie pour y déposer une plainte. C'est long, c'est casse-pieds et elle n'y est pas du tout bien vue étant donné son historique d'arrestations pour conduite en état d'ivresse.
Bien entendu, tout le monde est de nouveau convoqué, pour la vidéo, et cette fois en présence du Principal, signe que l'affaire est prise très au sérieux. Les parents sont également appelés et informés des faits par la direction. Comme je l'avais prévu, c'est un flop. Nos parents ont été -facilement- dissuadés de déposer une plainte, sous prétexte que c'est une affaire interne au collège qui doit être réglée en interne. Quant à la bande de harceleurs, elle a écopé de travaux d'intérêt général : ils doivent ramasser les feuilles et les branches coupées dans le parc pendant 15 jours à la rentrée de janvier. Les pauvres chéris, si ça se trouve ils vont avoir froid !
Mya continue à m'en vouloir à mort parce que je ne l'ai pas assez soutenue et me snobe pendant toutes les vacances de Noël. Elle ne prend même pas la peine de me souhaiter la bonne année, que je passe seul avec Alice, sans Mya pour la première fois. La pauvre a dû passer des fêtes horribles avec sa mère et son nouveau beau-père rencontré au bar-tabac du coin de sa rue. Heureusement que nous avions plein de devoirs à faire pour l'occuper !
A la rentrée, nous nous faisons toujours la tête et je sais que chacun de notre côté nous nous sentons seuls et misérables, parce que, regardons les choses face : si je suis son seul ami, elle est également ma seule amie au collège ! C'est pourquoi, lorsque je reçois un sms de Mya me donnant rendez-vous dans le cabanon de jardin, je ne m'interroge ni sur le lieu inhabituel ni sur l'heure tardive et, encore à moitié endormi, j'enfile une veste de survêtement par-dessus mon pyjama et je me faufile discrètement hors de l'internat. D'après le ton de son message, il y a urgence et je la soupçonne fortement de broyer du noir ces temps-ci. Tant pis pour ma fierté, Mya est ma meilleure amie et si elle a besoin de moi, je répondrai toujours présent.
Dehors l'air est glacial et le givre couvre déjà l'herbe et les arbres du parc qui brillent à la lumière de la pleine lune, déjà haute dans le ciel. Lorsque j'entre dans le cabanon dont la porte n'est pas fermée à clé (sans doute un oubli de nos « travailleurs d'intérêt général ») mes pieds sont trempés et je claque des dents. Je regrette amèrement de ne pas avoir pris le temps de m'habiller et de mettre ma doudoune, mais Mya ne devrait pas tarder et nous ne moisirons pas longtemps ici. Après tout, nous pourrons toujours discuter en chemin et pourquoi pas, finir notre conversation dans un coin discret du hall de l'internat...