Le reste de la journée passe vite. Trop vite. J'arrive dix minutes avant l'heure de rendez-vous sur place. Je ne sais pas où sont les hommes qu'a envoyé monsieur Mendez mais j'espère qu'ils ne sont pas loin. Je tourne en rond. J'ai mal à la tête, je tremble et j'ai envie de rendre le contenu de mon estomac. Autant dire qu'il ne contient pas grand chose parce que j'ai été incapable d'avaler la moindre nourriture solide. J'ai peur comme jamais avant.
Des phares m'aveuglent. Je reconnais la voiture noire que j'ai vu me suivre durant des jours. Deux hommes en sortent dont celui qui s'appelle Teddy. Il me fait un signe de tête avant de demander au type qui l'accompagne et que je n'ai jamais vu d'ouvrir le coffre. Je fais de même en espérant vraiment qu'après ça je pourrai enfin vivre une vie normale. Le gars se penche certainement pour sortir les sacs que j'ai a récupérer.
-Travis, murmure Teddy.
-Oui ?
Il s'approche de moi en regardant autour de lui d'un air terrorisé. Je fronce les sourcils. Est-ce qu'il a vu les flics cachés plus loin ? J'espère que non ! Au plus près, il se penche pour me parler à l'oreille. J'ai un mouvement de recul mais il saisit mon bras entre sa main. Son contact me brûle. Il m'est insupportable.
-Le plan a changé. Ordre d'Edward.
Je déglutis de moins en moins en confiance.
-Pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
-Il n'a pas aimé les paroles rapportées par mon collègue. Sache juste que je suis sincèrement désolé.
De quoi parle-t-il ?
-Pourquoi tu...
*****
Parker
Je suis sur un petit nuage depuis que je l'ai déposé au boulot. Ce midi c'était bien plus que ce que j'aurais osé espérer. Jamais je ne le lui aurais demandé même si j'en avais terriblement envie. Je suis surpris mais heureux que l'initiative soit venue de lui. Je me rends compte de la confiance qu'il place en moi. Ça me touche énormément. Malgré tout j'ai eu une impression dérangeante lorsque nous nous sommes quittés. Comme s'il avait besoin de dire les choses une bonne fois pour toutes. Comme s'il n'aurait plus jamais l'occasion de le faire. Je me fais sans doute des idées. Il a dit être fatigué et nous avons vécu quelque chose de fort tout à l'heure. Les émotions lui ont peut-être délié la langue.
Je me repose un peu durant l'après-midi pour être d'attaque ce soir au travail. D'habitude on ne se voit pas le midi mais ça faisait des jours qu'on n'avait pas passé de moments tous les deux. Je ne choisis pas mes horaires où les postes que je fais mais si c'était le cas, je ne bosserais plus de nuit. Parce que j'aimerais les passer avec lui. Contre lui. C'est tellement inattendu tout ça.
Je savais que quelque chose de spécial me liait à lui depuis toutes ces années mais je ne croyais pas que c'était ça. Qu'on deviendrait un couple. Qu'on s'aimerait plus que comme des amis. Qu'on prendrait la décision de vivre ensemble tout en y allant en douceur. J'étais surpris qu'il me le propose et c'est simplement pour ça que j'ai été silencieux. J'étais très attendri quand il a dit qu'il avait peur que j'accepte pour les mauvaises raisons. Je souris en me levant pour prendre un sac de sport.
Mon coeur se gonfle de bonheur quand je le remplis de vêtements qui resteront chez lui. Parce qu'il est évident que nous vivrons chez lui. Je ne suis pas particulièrement attaché à mon logis. Je me fiche bien de l'endroit où je vivrai tant qu'on sera tous les deux. Sa maison, celle qu'il a partagé avec son père, est importante à ses yeux alors c'est normal qu'il ait envie d'y rester. Je l'aime bien. Peut-être qu'il faudra faire quelques aménagements ou changements par la suite mais ce sont des choses qui se feront naturellement et avec le temps.
Je rends visite à mon père qui ne travaille pas aujourd'hui. La présence de ma mère est encore partout ici. Nous discutons un peu jusqu'à ce qu'il ne me pose une question.
-Travis et toi, vous en êtes où ?
-Nous avançons à son rythme. Ça se passe très bien. Il n'a plus de secrets pour moi.
-Tu arrives à gérer ?
-C'est difficile parce que j'ai parfois peur de faire quelque chose de mal mais il me fait confiance. Ça me touche beaucoup. Je sais que ce n'est pas facile pour lui.
-Tu vas y arriver, dit-il sûr de lui. Tu es quelqu'un de bien et il le sait. Sinon vous ne seriez pas ensemble à l'heure qu'il est.
-Je n'arrive pas à imaginer comment on peut être aussi tordu au point de faire subir de telles choses à quelqu'un. C'est...
-Je sais ce que tu ressens. Quand je l'ai appris j'avais envie de les tuer. Vraiment. Ils sont en prison et ils paient tous pour ça. Même si à mon sens ça n'effacera jamais cette souffrance. Mais je sais que ton amour et ton soutient sont importants pour Travis. Il a besoin de toi.
-Oui. Je serai là. J'ai besoin de lui aussi.
-Je suis content que vous vous soyez trouvés.
-Moi aussi.
Je dîne avec lui avant de rejoindre mon poste. Je me rends aux vestiaires et enfile mon uniforme. Je me regarde un instant dans le miroir. J'ai fait ça pour lui. Pour tenir ma promesse. Je ne le regrette pas. Même si mon job ne m'amène pas toujours à faire des choses qui me plaisent j'aime ce travail. Être utile à la société. Se dire qu'on vient en aide aux gens c'est gratifiant.
Je croise Isaac qui me semble angoissé.
-Ça va toi ?
-Ouais.
-Je croyais que tu ne travaillais pas ce soir.
-Ah euh... J'ai un truc à faire. Mais je rentre chez moi tout à l'heure.
-Veinard. Dire que je vais passer ma nuit ici à me faire chier au lieu d'être avec Travis.
Il sourit doucement.
-Tu sais, je suis content pour vous deux. Je le détestais. Vraiment. Mais maintenant que je le connais, que je sais qui il est derrière l'apparence qu'il se donnait... Je l'aime beaucoup.
-Je sais qu'il t'apprécie aussi. Ce n'est pas un méchant. Il voulait juste survivre et être libre. Maintenant j'espère qu'il y arrivera.
-Il le fait déjà grâce à toi. Il parle pas mal avec Connor et même si au début j'ai eu un peu peur de ce que ça pourrait donner, je sais qu'il a juste besoin d'amis. Et de toi plus particulièrement.
-T'inquiéte pas. Je ne le lâche pas. Jamais.
-Tu l'aimes vraiment hein ?
-Oui...
Il presse doucement mon épaule avant de se diriger vers le bureau de son père. Je prends mon service. La nuit va être d'un ennuie mortel. Je le sens...
Je regarde l'horloge qui indique les vingt deux heures. Je me demande s'il est déjà au lit, s'il dessine ou s'il regarde simplement la télé. Je suis très content de savoir qu'il ait repris sa passion même si pour le moment ses petits projets restent top secrets. Je ne doute pas qu'il me les montrera quand il en aura envie. En attendant je ronge mon frein parce que je ne veux pas fouiner dans ses affaires.
Je me lève pour me dégourdir les jambes et passe devant le bureau du chef où Isaac se trouve toujours. La porte est entrouverte. Le gros téléphone posé sur le meuble en bois est sur haut-parleur. Je fronce les sourcils. Ils sont concentrés tous les deux et je me demande bien pourquoi.
-Ils arrivent. Voiture noire de type berline. Plaque d'immatriculation...
Je me tends. Je l'ai déjà dit j'ai une très bonne mémoire et j'ai déjà relevé cette plaque. C'est celle des types qui suivent Travis. Je m'avance un peu plus pour bien entendre le reste.
-Ils sont deux. On les distingue plutôt mal d'ici. Je ne peux pas vous les décrire. L'un d'eux ouvre le coffre. L'autre s'approche pour lui parler.
-Surveillez bien ce qu'ils font. Il doit appeler Isaac pour l'adresse mais restez sur le qui vive. J'ai promis à ce gamin que tout se passerait bien je ne veux pas trahir cette promesse.
-Monsieur, ils ont parlé d'une livraison ?
-Oui pourquoi ?
-Il n'y a rien dans le coffre. Il est vide.
-Quoi ?
-Il l'a refermé. L'autre s'est reculé. Il... Merde ! Vite !
-Qu'est-ce qui se passe ? Panique Isaac.
-La voiture est en train de s'en aller. Le gars est à terre.
-Qui? Hurle mon boss. Qui est à terre ?
-Envoyez les secours tout de suite. Il est blessé !
-Bordel de merde ! Crie d'impuissance monsieur Mendez en abattant son poing sur le bureau.
-Blessures multiples à l'arme blanche. Il est conscient mais il perd pas mal de sang... Faut faire pression sur les plaies. Nick, appuie ici. Tiens bon mon gars ça va aller.
Je vois Isaac qui pianote sur son téléphone. Il décline son identité et sa fonction avant de demander des secours derrière le cimetière. Et si j'avais encore des doutes la description qu'il donne du blessé les chasse d'un coup. Je regarde mes mains qui tremblent. J'ai peur.
-Ils arrivent. Essayez de le garder éveillé.
-Il... Il demande si Mayers est ici.
-Oui il est ici. Il va bien.
Putain... Qu'est-ce qu'il a fait ? Pourquoi il était là-bas ?
-Mayers va bien mon gars. T'inquiète pas pour lui. Reste calme. Les secours arrivent.
Je sens une larme couler sur ma joue. Puis une autre.
-T'as fait ce que t'as pu. T'inquiète pas pour ça. On les aura.
J'imagine qu'il est en train de leur parler. De demander de mes nouvelles et surtout il veut savoir si ce qu'il a fait va aider. Je l'espère de tout mon coeur mais pour l'instant le plus important c'est lui.
-On entend les sirènes. Les secours arrivent. Travis ? Réveille-toi mon gars. Il a perdu connaissance !
Je m'écroule le long du mur. Je n'en peux plus. J'en ai marre de toute cette merde qui lui tombe dessus. De cette putain de vie qui s'acharne sur lui. Il ne le mérite pas.
-Parker ? Putain mais... Relève toi ! M'ordonne Isaac.
-Qu'est-ce qu'il faisait là-bas ? Pourquoi vous l'avez laissé faire ?
-C'était le seul moyen de pouvoir mettre la main sur ces mecs. Il était conscient des risques. Il voulait le faire.
-Il était conscient des risques ? Hurlai-je. Il savait qu'il risquait de se faire planter ? Pourquoi il a demandé si j'allais bien ?
-Parce que... Les gars... Ils ont dit qu'il t'arriverait quelque chose s'il ne les aidait pas.
De rage, de douleur et d'impuissance, je colle mon poing dans le mur. J'entends un craquement sinistre. Je ne gémis pas. Je ne pousse même pas un petit cri pour le mal que m'a causé ce geste.
-Calme-toi Parker ! Me crie mon chef en prenant ma main dans la sienne.
-Isaac, allez à l'hôpital tous les deux. Faites soigner cette main. Je vous rejoins.
Je laisse mon ami me conduire jusqu'à sa voiture. Je reste silencieux. On était tellement bien tout à l'heure. Tellement heureux. Est-ce que c'est pour ça qu'il voulait plus ? Parce qu'il avait peur de ce qui pouvait bien lui arriver ce soir ? Il faut que je parle à Arley dès que possible. Il faut qu'il fasse cracher le morceau à son putain de père. Il faut que cette pourriture d'Edward Maxwell crève.
Nous arrivons et la première chose que je fais c'est de demander s'il est ici et s'il va bien.
-Il est avec les médecins. C'est tout ce que je peux vous dire, me répond l'infirmière.
-Il faut soigner sa main.
Je patiente en salle d'attente. On nettoie mes jointures et je passe une radio. J'ai les doigts brisés. Rien à foutre. Ce n'est pas pire que la douleur qui me déchire la poitrine. On me les immobilise et je passe dans un couloir pour rejoindre Isaac. En tournant la tête je vois des gens dans une pièce dont la porte n'est pas fermée courir dans tous les sens.
-Il a perdu trop de sang...
-Vite, on n'abandonne pas. Commencez la réanimation.
J'avance mais je ne vois pas si c'est lui ou une autre personne qui se fait soigner. J'entends juste les médecins parler sans pour autant comprendre ce qu'ils disent. Et cette machine de l'enfer dont la ligne est stable et le boucan assourdissant du bip continu qui signifie que le cœur du patient ne bat plus. J'essaie d'avancer pour m'assurer que ce n'est pas lui mais on m'empêche de passer. J'ai eu le temps d'apercevoir le corps étendu sur la table. La masse de cheveux blonds...
Mon cœur saigne. La souffrance est insupportable. Je n'ai jamais eu aussi mal en vingt-six ans d'existence. Je ne m'en relèverai pas. Pas si je le perds lui. C'est impossible. Et pourtant mes yeux ne m'ont pas trompé. Travis est en train de mourir et je ne peux rien faire pour changer ça.
*****
Ce chapitre est dédié à MathildeSkywalker
Remember ma petite Dory... 🤭😚
Sinon euh... Vous allez bien ? 😁