Je suis sur le point de tomber dans les pommes dans la salle d'attente. J'ai chaud. J'ai mal. Ma gorge brûle. Une douleur jamais ressentie auparavant. Ma tête crie alors que mon corps s'affaiblit.
Autant que ma mère reste calme, je sais qu'elle souffre de me voir ainsi. Ça fait 5 heures que nous sommes assises et cela fait bientôt 24 heures que je suis dans cet état de détresse constante. Je n'en peux plus.
Ma tête est couchée sur l'épaule de ma mère. Mes yeux se ferment tranquillement. Je sens mon battement de cœur qui ralentit et mon esprit qui s'assombrit.
Je me réveille et ma mère crie mon nom. Je touche le sol glacial d'une main. La porte coulissante de l'hôpital s'ouvre et je vois embrouiller cette neige tombée. Nous venons tout juste de finir le jour de l'an et j'ai souhaité une merveilleuse année. Malheureusement, elle commence drastiquement et de manière peu joyeuse.
Une infirmière vient me voir. Elle prend ma température ainsi que mon pouls à même le sol.
- OK ! Qu'on apporte une civière maintenant.
Deux de ses collègues courent chercher ce qu'elle demande. Ma mère laisse échapper quelques larmes au même moment. Sa main dans la mienne, elle panique intérieurement et je le sais. Moi aussi d'ailleurs.
Les infirmières me transportent dans une chambre au deuxième étage. Ils me passent plusieurs tests que je remarque à peine. Une aiguille dans un bras, le soluté dans l'autre. En deux minutes, je suis branchée sur plusieurs machines en même temps.
Le médecin entre dans la pièce. Un homme bâti, la peau foncée, les cheveux bruns, très calmes, se présentent à ma mère. Il valide évidemment toutes les informations sur mon état de santé que les spécialistes ont écrit dans mon dossier. Ne voyant rien à l'œil nu, il propose que je passe dans une machine, un scan, pour mieux voir.
- Stéphanie !
D'un œil, je vois légèrement mon père arrivé.
- Madame ! Monsieur ! Tout va bien aller. Nous allons faire les tests nécessaires et nous allons revenir avec votre fille dès que possible. Nous vous tiendrons au courant des développements.
Je me sens lâcher la main de mes deux parents. Allongée, semi-consciente, je ne vois que la lumière des néons blancs au plafond. J'entends les grincements du lit qui se déplace et plus nous arrivons vers la pièce des radiographies, plus je grelotte. Il fait si froid.
Malgré les couvertes chaudes qu'on m'a données lorsqu'on m'a couché, elles ne sont plus suffisantes. J'ai la chair de poule. Mes jambes me piquent et je sens mes dents claquées ensemble. Même si mes yeux sont fermés et que je ne suis définitivement pas dehors, je me pose la question.
- Audrey! Reste avec nous. Nous sommes toujours là. Reste avec nous.
Le bruit du lit s'accentue comme s'ils couraient dans les corridors et à la force d'écouter les couinements, qui me paraissent une éternité, je deviens insensible et hypnotisé à la fois.
Je me sens légère. Comme si je flottais dans l'air de l'hôpital. Sur un nuage blanc tout gelé, mais confortable.
Et plus rien.
Je suis confuse. Ma vision est brouillée et j'ai un mal de tête atroce. Mon mal de ventre semble avoir disparu et j'en suis soulagé. Je me soulève un peu et mes yeux s'écarquillent. Je bouge mes pieds et réalise que je suis seulement en petite culotte sous les couvertures. Je croise mes jambes et les tiens bien serrés.
- Où je suis ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je pose ces questions à voix haute sans même m'en rendre compte. Alors que mes deux parents dormaient de chaque côté de mon lit, ils se réveillent. Ils ont l'air épuisés et ça m'attriste de leur faire vivre ça.
- Ahhhh ! Ma chérie. Tu nous as fait si peur.
Ma mère me saute pratiquement dessus. Déjà la larme à l'œil. Elle me prend le visage et dépose trois becs sur ma joue.
- Les médecins t'ont passé plusieurs tests et lorsque tu es partie sur la civière, tu t'es évanoui, me répond mon père.
Même s'il a peu de réactions face à la situation, mon père était mort de trouille. Je le sais et je le vois. Son thorax bouge à peine, inhalant le peu d'oxygène. Ses paupières sont rouges tellement qu'il est fatigué et il n'arrive pas à bouger de sa chaise. Il n'a beau rien exprimer, mais son non-verbal parle trop pour un homme de peu de mots.
- Est-ce que vous savez si les docteurs ont trouvé ce que j'avais ?
- Oui ! Par chance. Ils nous reviennent bientôt avec les résultats. Ton père et moi ne partions pas sans savoir ce qui se passe.
Cinq minutes plus tard, le médecin et une infirmière entrent dans la pièce. Le monsieur nous informe que j'ai une inflammation et une infection de l'appendice et qu'elle était sur le point d'éclater. Ceci aurait pu être très dangereux pour ma santé.
Le médecin poursuit en disant que je ne peux pas quitter l'hôpital, car je dois me faire opérer d'urgence dans quelques heures. Je commence à paniquer tout comme mes parents pendant que le médecin tente bien que mal de nous rassurer.
Il mentionne que l'opération se fait régulièrement depuis quelques années, mais qu'elle laisse des cicatrices.
Je suis soulagée, car ils ont trouvé ce qui cloche chez moi, mais terrifiée par l'opération. D'autant plus que je devrai vivre avec des cicatrices toute ma vie sur mon ventre.
- Par conséquent Audrey, je peux te proposer une autre alternative. C'est certain que tu auras une cicatrice, mais tu peux choisir entre en avoir trois petites de 3 mm qui seront à trois endroits différents sur ton ventre. Elles guériront relativement bien et elles seront peu apparentes avec le temps où je te fais l'opération traditionnelle, qui je sais fonctionne, mais tu auras une seule cicatrice de 7 à 10 mm environ.
Je regarde mes parents. Ils me regardent. Ma mère me dit que même s'ils ne font pas l'opération des 3 petites cicatrices depuis longtemps, je devrais l'essayer.
- Elles paraîtront moins à long terme mon amour.
Je réfléchis deux minutes.
- Je vais y aller pour les trois petites cicatrices, dis-je au médecin.
- Parfait! Tu vas voir, tout va très bien se passer. Je suis confiant. Je vous laisse avec l'infirmière qui vous expliquera la suite des choses.
- Alors, l'opération se fera vers minuit. Il est présentement 21h45. Je sais que tu as sans doute faim ou soif avec tout ce que tu as vécu ses dernières heures, mais tu dois rester à jeun pour l'opération. Tu seras endormie pendant le processus. Lorsque l'opération sera terminée, tu seras dans la salle de réveil et nous nous occuperons de toi avant que tu retournes à ta chambre.
- Pendant ce temps, pouvons-nous être avec elle dans la salle de réveil ? Demande mon père.
- Non malheureusement! Vous devrez l'attendre ici et lorsqu'elle reviendra, elle pourra manger et se reposer.
L'infirmière rajoute :
- Je t'avise tout de suite, tu ne pourras pas vraiment marcher à part pour aller à la salle de bain. Ça va te prendre quelques semaines te rétablir et aucune activité physique ne te sera permise si tu veux bien guérir. Tu resteras à l'hôpital pendant quelques jours le temps qu'on examine ton ventre et lorsque tout sera beau, tu pourras retourner à la maison.
- Rendus à la maison, est-ce que nous devrons faire quelque chose? demande ma mère.
- Vous devrez l'aider surtout à faire toutes ses tâches quotidiennes comme se laver, s'habiller, marcher. Malheureusement, son ventre élancera beaucoup durant les prochaines semaines et on veut vraiment respecter le rythme de guérison.
Elle ne pourra pas non plus aller à l'école pendant au moins deux semaines lorsque les vacances de Noël seront terminées.
Je vois mes parents qui hochent la tête en assimilant tout ce que l'infirmière mentionne. Je sais que c'est beaucoup. Je me sens mal pour eux de toujours leur faire vivre quelque chose qui a trait à ma santé. Depuis que je suis petite que je leur fais des peurs avec mes histoires impossibles. J'attrape tout et je suis rendu sans cesse à l'hôpital pour mille et une raison.
- Si jamais vous avez d'autres questions après l'opération, je répondrai avec plaisir. Entre-temps, Audrey, tu devrais vraiment te reposer un peu.
Mes parents la remercient et elle quitte la chambre.
- Stéph, tu devrais aller te changer, manger et te reposer un peu. Tu es ici depuis des heures et je peux rester avec notre fille le temps que tu reviens.
- C'est gentil Martin, mais je veux vraiment être là avant qu'elle parte pour l'opération.
- Bien va au moins prendre un bon bain pour te détendre. Ça l'a été plutôt stressant et tu as l'air épuisé.
C'est vrai que ma mère semble fatiguée. Elle m'a accompagné dans ma douleur pendant plus de 24 heures et elle non plus, elle n'a pas dormi depuis.
- Vas-y maman ! Fais juste revenir avant minuit. Ça va te faire du bien.
- D'accord! Je reviens le plus vite que je peux.
Elle me donne un bec sur le front et elle part.
J'aime quand ma mère est avec moi, mais je suis heureuse que mon père le soit aussi aujourd'hui. C'est si rare que mes parents partagent une même pièce depuis qu'ils se sont séparés et qu'ils ne se disputent pas.
Par chance, la douleur s'est estompée et ça me fait vraiment du bien. J'ai surtout très faim et j'ai hâte que ce cauchemar se termine.
Mon père se lève et éteint la lumière.
- Tu devrais te reposer « patate ».
Depuis que je suis petite, mon père m'appelle « patate » ou « patatos ». C'est un petit nom affectif qui aime me donner et j'aime quand il me le dit. C'est comme si ce surnom voulait dire : je t'aime, je suis là pour toi et tu es tout pour moi (sans nécessairement le dire).
J'ai toujours été plus proche de ma mère. C'est à elle que je me confie. C'est elle que j'appelle quand je vais bien ou quand je vais mal. Ma mère est toute ma vie et c'est comme ci-après tout ce que nous avons vécu, le cordon ombilical n'a jamais été coupé. Un peu bizarre dit comme ça, mais nous avons une relation si forte et si proche que rien d'autre n'existe on dirait.
Tant dit qu'avec mon père, j'ai plusieurs souvenirs que j'aimerais effacer. J'ai longtemps et même encore à ce jour peur de lui. Je l'aime de tout mon cœur et j'ai longtemps espéré que notre chimie s'améliore, mais notre relation est brimée par plein de moments qui nous ont distancés durant plusieurs années. J'espère vraiment qu'un jour je passerai au travers de ça pour avoir une meilleure relation avec lui. Je lui en veux encore beaucoup et je sais qu'il trouve ça de plus en plus difficile que je sois la « fille à maman » surtout que depuis qu'ils se sont séparés. Il voit en moi ma mère et me le dit sans cesse. Ça sonne rarement positif lorsque ça sort de sa bouche... Pourtant, je devrais être fière de lui ressembler, car il l'a aimé à un certain moment. Je crois sincèrement qu'il y a plusieurs sentiments et regrets qui y sont mélangés. Je me console en me disant que Math est le « fils à papa ». Il en a toujours voulu à ma mère d'avoir laissé mon père. Il était trop jeune pour comprendre tout comme moi d'ailleurs.
Mon père me réveille tranquillement au bout de quelques heures. Il est minuit et demi et l'infirmière est venue avertir mon père que la salle d'opération était presque prête. Je suis effrayée. Je tremble et je ne sais vraiment pas à quoi m'attendre. Est-ce que je vais avoir mal?
- Elle est où maman? Est-ce qu'elle est arrivée ?
- Non pas encore. Je suis certain qu'elle va arriver bientôt. Je viens de lui laisser un message.
Des larmes coulent de mes yeux et mon père les essuie.
- Ça va bien se passer !
Il prend ma main et me la serre fortement contre sa poitrine. Je suis allongée dans le lit, emmitouflée dans 3 couvertures et je regarde mon père. Deux infirmières arrivent dans la chambre. Elles redressent les barreaux de chaque côté de la civière et baissent à nouveau le matelas pour que je sois entièrement couchée. Je pense qu'à ma maman qui n'est pas là pour me tenir la main et j'ai juste envie de leur dire de l'attendre.
Mon père me tient toujours la main.
- On est prête Audrey!
Je hoche la tête, car si je parle, je pleure sans hésiter.
Mon père me donne un bec sur le front et lâche ma main. Les deux femmes se placent de chaque côté, débarrent les roues et roulent le lit vers le corridor. Je regarde mon père au loin et je pleure officiellement. Des larmes se forment dans les yeux de mon père et il range ses mains dans ses poches de jeans. Je sais qu'il a voulu être fort pour moi et j'ai l'impression qu'à cet instant, toute cette pression qu'il garde en lui depuis des heures sort enfin.
Je regarde les lumières au plafond et elle m'aveugle. Je n'ose même pas regarder devant tellement que j'ai peur.
- Es-tu correcte, ma belle ?
Je dis oui même si la réponse est non. Elle le sait.
Je m'approche d'une grande porte grise qui est à la fin du couloir.
- Audrey!
Je vois ma mère au loin qui court vers moi. Elle pleure et j'ai à peine la chance d'effleurer sa main.
- Je t'aime ma chérie! Tout va bien se passer, je te le promets.
Ma peur s'accentue tout comme mes larmes. Je suis à la fois soulagée d'avoir vu ma mère avant de rentrer et je ressens cette pression énorme qui se relâche de ma poitrine. C'est mon pilier. Je devais la voir. C'était vital!
La pièce est remplie d'outils, de spécialistes et de vert. Tout est vert et il n'y a rien d'apaisant dans cette couleur et on dirait qu'il fait -10 degré tellement qu'il fait froid.
Le médecin s'approche de moi et m'explique ce qui va se passer. En toute honnêteté, je l'ai à peine écoutée. Trop de choses se passaient autour de moi.
- Je vais donc prendre cette aiguille qui contient ce qu'il faut pour t'endormir. Ça va prendre moins de 10 secondes et il se peut que ça chauffe un peu.
Après le mot « aiguille », je me suis mise à trembler et à voir tout embrouiller.
- Non, ne pleure pas, me dit le médecin. Je te promets que tu ne sentiras pratiquement rien.
L'infirmière s'approche de moi et me prend la main.
- 1...2...3...
Je sens l'aiguille perforer ma peau. Le liquide me brûle les veines et je ne peux m'empêcher d'éclater en sanglots.
- Chut... ça va ma belle ! Tu fais ça comme une championne.
Je fixe la lumière au plafond, mais réellement, je la vois à peine tellement je pleure. Je sens toujours la main de la dame qui tient la main alors que...
- Ça fait mal... Je veux ma...
Plus rien.