IX.
Je sors de mon appartement, clés en mains, sur le palier de ma voisine se tient Dalila, la fille de celle-ci.
Elle est sacrément belle dans son voile crème qui fait ressortir ses yeux ambrés.
DALILA - Salem aleykoum Hasni, labess ?
- Oui et toi ? Tu vas où comme ça ?
DALILA - J'étais chez mon frère pour faire son ménage.
- Wallah t'es une fille bien, t'aide toujours ta famille, que Dieu te garde.
Elle rougit et baisse les yeux.
Je la drague pas mais comme je vous ai dit, elle et elles toutes me mangent souvent dans la paume.
DALILA - Tu as de quoi manger ?
- Ouais t'inquiète, j'ai commandé ce midi.
DALILA - C'est pas un plat ça Hasni. Il te faut des vrais plats.
- T'inquiète quand y faut j'vais chez ma mère.
DALILA - D'accord. Tu vas au travail ?
- Ouais, au lycée. J'vais à l'école dans deux jours.
DALILA - D'accord, courage. Bonne journée qu'Allah te garde et te guide.
- Amîn.
Elle tourne les talons en même temps que moi et je descends rejoindre ma tchop avant de rouler jusqu'au lycée. Je me gare à une rue et marche jusqu'à celui-ci. C'est l'heure du midi.
J'entre, présente mon badge puis je vais dans le bureau de la Vie scolaire où je m'empresse de saluer Djeneba et Daniel puis Halima qui entre en dernier lieu.
- Bien ou quoi ? Vous avez reçu le mail de la CPE ? On doit accompagner pour une sortie dans une semaine les premières et les terminales au cinéma pour voir Blow out.
DANIEL - Le film avec Travolta là ?
DJENEBA - Raight t'as des connaissances cinématographiques toi ?
DANIEL - Bien sûr mon père y peut dead pour Hollywood.
DJENEBA - Pour Michael B. Jordan ok mais eux là c'est qui ?
Je soupire de désespoir face à Djen'
- Wallah Djen skout, repends toi.
DJENEBA - Ehpss c'est entre Dieu et moi, sale fou.
HALIMA - Vous avez entendu la nouvelle ? Demande-t-elle avec cet air de kehba qui me donne tant envie de la pull up parfois.
- Quoi ?
HALIMA - Au nom que je l'aime pas la petite hystérique impolie mais miskina ils l'ont retrouvée hier dans les toilettes du premier étage, elle avait galette partout et elle était paniquée.
Comment mon guelb il a loupé un sale battement gros.
- Qui ?
HALIMA - La pute de Ladji.
- Parle pas comme ça je t'ai déjà dit tu vas m'zehef.
Elle fronce les sourcils mais je m'en bats les couilles, mon veaucer est entrain de serrer.
DJENEBA - Tu parles de la p'tite Merlia Mansouri ?
Je jette un coup d'œil à mes poings qui se serrent instantanément dès qu'Halima hoche la tête.
- Explique mieux wesh.
HALIMA - Bah y a rien a expliquer, les profs l'ont trouvée dans les toilettes, elle avait juste vomi et elle était toute mouillée.
DJENEBA - C'est rien je pense, elle a juste vomi et ils l'ont emmenée à l'infirmerie.
Donc c'est pour ça qu'elle est pas venue hier ? Et qu'elle m'a pas cala en partant, elle a du se dire que je savais et que j'allais me moquer d'elle.
Je dois la voir, enfin je veux la voir.
Je sors mon téléphone, les sourcils froncés. Wallah j'ai l'mort.
IMESSAGE : Barbie Merlia
Vous même vous savez pourquoi je l'ai renommée comme ça. C'est une sirène Merlia comme Merliah la barbie des eaux. Que elle t'envoûte, avec ses yeux et ses formes.
MOI :
Ça va ? J'viens d'apprendre c'qui t'es arrivée
Tu viens pas en cours j'suppose porte toi bien et que Dieu t'accompagne
Quelques minutes après mon tel vibre.
BARBIE MERLIA :
C'est qui ?
Je serre mon tel en grognant. Elle fait la princesse là ?
MOI :
Mamie Wata
BARBIE MERLIA :
😂😂
Loin de moi merci
Je souris. Elle a pas l'air énervée ou quoi.
MOI :
Tu vas bien ?
BARBIE MERLIA :
Oui j'ai pris mes médicaments, je reviens en cours demain après-midi
MOI :
Viens à midi on mange ensembles
BARBIE MERLIA :
Tu fais des sandwichs ?
MOI :
Tout comme tu veux wllh
J'ai même de la roquette jsp pq j'ai ça dans mon frigo
BARBIE MERLIA :
Tout compte fait j'suis un peu vomitive
On s'attrape au bahut mdr
Je souris encore.
MOI :
Sah demain j'commence l'après-midi moi aussi, on peut se retrouver au Macdo pour manger ou on grail dans ma caisse y a r
BARBIE MERLIA :
Ça m'va
Bye
FIN IMESSAGE
Je ne réponds pas et me concentre sur les enveloppes que je dois aller distribuer aux terminales, le sourire aux lèvres.
J'vous vois venir... j'suis pas piqué.
M E R L I A
C'était une soirée difficile et c'est une journée emmerdante aujourd'hui. Mon Seigneur Dieu je t'aime mais c'est trop de malheur pour moi.
Ce matin et hier soir, chaque fois que j'ai du aller aux toilettes, je me suis mise à vomir mes tripes et des images de Ladji me sont venues en tête, j'ai même sentis la sensation de sa poigne sur mes cheveux.
J'ai paniqué alors j'ai hurlé pour que ma mère vienne, dès qu'elle m'a vue en pleure la tête sur la cuvette, elle a explosé en sanglot et j'arrive toujours pas à savoir pourquoi.
Il m'a pas violée ou quoi mais l'humiliation qu'il m'a faite vivre me rend malade, j'en ai la bile à la bouche à chaque fois que je l'imagine. Mon père veut que je retourne à l'école, pour lui il n'y a rien j'ai juste une indigestion, et puis le médecin ne m'a pas mise en arrêt, juste du Gaviscon, ma phobie.
J'ai envie d'expliquer à ma mère ce qu'il s'est passé et avoir son avis mais j'ai peur que l'histoire parte loin. Je sais que j'ai dit que je ne veux pas mêler les parents mais on va pas se le cacher j'ai une aversion et angoisse totale qui s'installe en moi au fur et à mesure où je pense à demain.
Et pas parce que je vais manger encore en tête à tête avec Hasni mais bien parce que je vais sûrement revoir Ladji et je ne sais pas comment mon corps et ma tête vont réagir.
Toc. Toc. Toc.
La porte s'ouvre sur ma mère.
MAMA - Coucou mon amour, t'as dormi ?
- Oui j'ai fait une sieste ça va mieux mais j'me sens flottante.
MAMA - C'est normal bébé, assis toi, dit-elle en s'asseyant aussi sur mon lit.
Je me redresse et m'adosse au mur en triturant mes doigts.
MAMA - Est-ce que t'as envie de me parler de ça ?
Silence.
Comment elle a capté wesh ?
- Parler de quoi mama ?
MAMA - De la personne qui t'angoisse à ce point et de la personne qui a osé toucher mon bébé.
- Mais... maman t'as pas de preuves que quelqu'un m'a touchée, arrête avec ça.
Je ne veux rien dire. J'ai peur.
MAMA - Tu sais mon cœur... j'ai connu quelqu'un de toxique dans ma vie, au départ je ne l'ai pas vu jusqu'au jour où il a commis l'irréparable avec moi. Il a bouleversé ma vie à tout jamais, j'ai eu l'impression que je ne m'en remettrais jamais en vue des circonstances.
- Quoi et quelles circonstances ?
MAMA - Pendant plusieurs mois environ j'ai perdu la mémoire, j'avais oublié ton père, ma meilleure amie et mon meilleur ami.
Je la regarde choquée, ses yeux tombent dans le vide et à travers eux je sais qu'elle a mal.
- Comment t'as perdu la mémoire maman ?
MAMA - Un accident, ton papa et moi on s'est sévèrement disputé et je suis partie en furie de la maison, sur la route avec un... un bébé de huit mois.
- Hein ??
Elle plante ses yeux dans les miens.
MAMA - Tu sais le tatouage Ultim Guelbi sur papa ?
- Ah ouiii sur son pec. C'est quoi ?
MAMA - C'est un hommage à Azîm, notre premier bébé que j'ai perdu dans cet accident.
Mon ventre se serre, face au silence triste de ma mère je m'autorise à la prendre dans mes bras.
- J'suis désolée maman.
MAMA - C'est la vie mon coeur.
- Oui mais c'est dur, j'suis heureuse que ça t'ai pas séparé de papa, ça veut dire que votre amour est beyond earth.
MAMA - Il l'est bébé, il l'est. Bref, si je t'explique ça c'est pour te dire que quand un h-
- Pardon mamoune mais comment t'as récupéré ta mémoire ?
Ses yeux s'ouvrent en grand et je sens comme un malaise prendre place dans la chambre.
MAMA - Euh... bah avec le temps ça revient, à force de voir des photos et vivre avec Taïr, c'est revenu naturellement.
Je ne dis rien mis à part hocher la tête.
Elle ment.
Je le perçois, je le vois, je le sens, elle ment.
MAMA - En tout cas mon cœur, je t'ai dit ça pour te montrer la force de l'amour. Je sais que ce qui se passe là a un lien avec Ladji, t'es plus avec ?
- ... non, non. C'est mieux comme ça, dis-je rapidement et froidement.
Dès que j'entends son sale prénom, j'ai le sang qui me monte à la tête, le coeur qui bat et les poils qui s'hérissent.
Ma mère me détaille pendant quelques secondes puis se lève.
MAMA - T'es jeune bébé, cet homme est pas fait pour toi. Le bon te mettra sur un piédestal, avec le bon tu te sentira digne de lui, prête pour lui. Ladji et toi viviez une amourette et je l'ai acceptée mais s'il te touche et te fait pleurer je refuse. Tu m'entends ?
- Ou... oui maman. T'inquiète pas.
MAMA - Si je m'inquiète, on a retrouvé mon bébé couchée dans son propre vomi, dans les toilettes de son lycée. Et j'attends que tu sois prête pour m'expliquer les bleus que t'as sur la tempe, le bras et ton épaule.
Mes yeux s'ouvrent à leur tour en grand. Elle fronce les sourcils.
MAMA - Oui Merlia, j'ai vu. J'en ai pas parlé à ton père parce qu'il ne va pas réfléchir mais je t'attends, j'attendrai la vérité.
- Moi aussi j'veux la vérité maman.
Elle hausse un sourcil.
- La vérité sur mon père. Il t'a fait du mal ?
J'avoue que j'ai utilisé ça pour changer de sujet.
La peine et la colère qui passent dans ses yeux me confortent dans mon idée.
MAMA - T'as rien à savoir sur ce sorcier.
- Il est sorcier ??
MAMA - C'est un monstre. Oublie l'idée de le voir chérie, je pense même pas qu'il sache pour Saphyr et toi.
Ça pique.
- D'accord. Je vais dormir maman.
Elle hoche la tête puis me fait un bisou volant avant de sortir me laissant seule avec les images cauchemardesques, en tête.
Je m'allonge et laisse mes larmes couler en pinçant mon nez pour ne pas faire de bruit, les spasmes qui me prennent me donnent l'impression d'étouffer.
- Seigneur aide moi *j'étouffe*j'vais le laisser... je te jure je vais plus le voir. Donne moi la paix, stp. J'veux jus... juste être heureuse comme les autres.
O M N I S C I E N T
Laissez moi vous dire que le bonheur n'est pas facile.
Pas facile d'accès.
Ah ça pas du tout...