Quelques nouvelles..

By clathre

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Voici un recueil de nouvelles que je compte compléter au fur et à mesure. Je vous présenterai une nouvelle pa... More

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La trotteuse

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By clathre


Assis à ma table, je fixe l'horloge murale qui se trouve sur le mur au fond de cette salle. Cette heure me paraît si longue. Pourtant, je sais que dehors le monde continue de tourner : la trotteuse sur cette horloge ne cesse de me le prouver. Elle me nargue.

Ici, tout est si tranquille et rien ne semble pouvoir perturber le silence.

Mon esprit se perd alors sur cette si petite aiguille. C'est comme si elle dansait... mais sans bruit. Soudain, quelque chose attire mon attention: l'aiguille semble être ralentir à certains moments et même s'arrêter. Puis elle reprend sa course effrénée. Est-ce possible?

Afin de trouver une explication logique à ce phénomène, je décide de me lever mais la trotteuse est de nouveau en train de parcourir le cadran de l'horloge de manière tout à fait normal. Curieux, je décide de m'approcher doucement comme si je voulais prendre sur le fait ce phénomène anormal. J'avance ainsi, suspendu au moindre mouvement et au moindre arrêt de cette trotteuse. Je commence à percevoir l'entêtant tic-tac de l'horloge et plus je m'approche plus ce dernier devient fort. Le son de l'horloge raisonne en moi. Et c'est à ce moment précis que je les ai vu: des hommes. De petits hommes par centaine qui se promènent sur la trotteuse.

Je finis par me coller à l'horloge pour mieux les observer. Certains me remarquent et sont effrayés,tandis que d'autres continuent leur route sans m'adresser un seul regard.Ces petits hommes se ressemblent tous: la tête haute, ils dégagent une grande fierté. Leurs corps trapus semblent pouvoir résister à une énorme charge de travail.

Chacun de leurs pas se fait au son du tic-tac de cette horloge. J'imagine alors que ces petits hommes sont certainement indispensable au bon fonctionnement de cette horloge. Y aurait-il cette population dans chaque horloge en état de fonctionner? Ils ne sont pas simplement en train de se promener. ils sont occupés à faire passer chaque seconde de cette heure qui me paraissait si longue. Malgré ma présence, leurs démarches fermes et assurées me prouvent qu'ils sont imperturbables, et qu'ils font preuve d'une grande concentration. Ils sont plongés dans leur mission: faire passer le temps.

Une idée me vient en tête: Je quitte la trotteuse et décide de m'attarder alors sur les autres aiguilles de l'horloge.

Je découvre de nouveau des centaines d'hommes sur la grande aiguille. Ceux-ci, me prêtent un peu plus d'attention: quelques regards, parfois quelques sourires. Ils se déplacent plus doucement que ceux qui se trouvent sur la trotteuse. Ce qui paraît logique, finalement. Ces petits hommes paraissent un peu plus âgés: ils possèdent tous une barbe qui est plus ou moins longue. Je remarque que certains d'entre eux discutent, rigolent et dansent même. Et puis ils dégagent tous une forme de sympathie. Tout ce spectacle m'amuse.

C'est avec enthousiasme que je monte sur une chaise qui se trouvait dans la salle afin de pouvoir mieux observer ce qui se passe au dessus de la petite aiguille: l'aiguille des heures. Là, de nouveau des centaines de petits hommes ... Mais ici, tout est différent car tout le monde fait la fête! Une énergie incroyable se dégage de cette aiguille. Je ne peux m'empêcher de sourire avec vision et c'est avec beaucoup d'amusement que je découvre que ces hommes sont vraiment très âgés. Ils ne cessent de danser, de chanter si bien que leurs longues barbes blanches s'emmêlent entre elles ce qui provoque le rire de tous. Personne sur cette grande aiguille ne semble vouloir la faire bouger, comme si chacun d'entre eux voulait profiter de l'instant présent. J'imagine que ces vieux personnages sont certainement eux aussi, pris par le temps et n'échappe pas à la mort bien qu'ils ont pour mission de faire fonctionner l'horloge. Je reste planté là, à observer tout ce "petit" monde s'animer sous mes yeux. Je ne veux plus quitter l'horloge, tout cela m'amuse et je voudrais bien passer encore quelques heures avec eux.

Soudain, le bruit strident de la sonnerie me rappelle à l'ordre. Et à ce moment je remarque que tous ces personnages farfelus ont désormais les yeux braqués sur moi. Mais leurs regards ne sont pas menaçants. En fait, ils sont même enjoués par cette situation. Je comprends alors qu'il faut partir. Quand la sonnerie ne sonne plus, les petits hommes comme s'ils ne formaient qu'une seule et même personne: m'adressent un signe de la main et reprennent leur fête endiablée au rythme du tic-tac entêtant.

Le soir même je n'ai parlé de cette histoire à personne. Maintenant avec du recul, je me demande si je ne l'ai pas rêvé. Ce ne serait pas étonnant puisque j'ai toujours eu un imaginaire débordant. Petit, j'adorais inventer des histoires, des amis imaginaires, des mondes inconnus.

Cette imagination débordante qui caractérisait ma jeunesse, est encore à ce jour le carburant de ma vie quotidienne. Etant artiste, j'ai toujours besoin d'inspiration et de nouvelles idées alors il n'est pas rare que je me replonge dans mes dessins d'enfants. Parfois je décide de les retravailler et d'en faire de jolies illustrations et puis d'autres fois je ne choisis que quelques éléments et je réunis le tout sur une même toile.

Ces petits personnages sont donc certainement le fruit de mon imagination infantile qui est venue me rendre visite: comme de vieux amis qui se retrouvent après plusieurs années. Cette idée me fait sourire.

Assis à mon bureau, je m'empare d'un crayon à papier et dresse une première esquisse de mon flashback de cet après-midi. C'est une émotion toute particulière qui s'empare de moi dans ces moments: je redeviens l'enfant que j'étais le temps d'un instant. Généralement, je suis tellement plongé dans ma nouvelle oeuvre que le temps ne cesse de défiler. Ce soir je passerai des heures sur ce dessin et je m'endormirai sur mon bureau probablement vers une heure du matin.

J'ai une montagne de travail aujourd'hui: ancrage, des illustrations pour une nouvelle entreprise et à la réalisation d'un de mes projets personnels qui tient particulièrement à coeur. Mais depuis l'incident d'hier, je ne regarde que ma montre comme si je n'osais plus relever la tête vers le cadran de l'horloge. Je prends alors conscience du ridicule de la situation et très vite s'engage une véritable lutte contre moi même. La curiosité l'emporte: je bondis de ma chaise, range mon petit carnet à croquis et mon crayon dans la poche de mon manteau et avance déterminé vers cette horloge. Mon travail attendra.

J'entend alors de nouveau les tics-tacs et je perçois de nouveau cette trotteuse s'arrêter puis reprendre l'instant d'après. Ce n'est pas possible. Le tic-tac de l'horloge devient de plus en plus assourdissant et immerge totalement mon esprit. Je m'approche encore et encore de ce cadran qui paraît si lointain.

Peu à peu, ma vision devient floue. De plus en plus floue, comme si un voile noir tombait devant mes yeux... et puis plus rien.

J'ouvre les yeux et découvre ce qui se trouve autour de moi. Je suis allongé au sol, dans une immense pièce aux couleurs chaudes: du blanc, de l'ocre, du jaune éclatant... Il n'y a pas un bruit ici et la pièce est entièrement vide . J'ai très mal à la tête et je suis endolori comme si je venais de faire une chute de plusieurs mètres de haut. Je me relève péniblement et fais quelques pas. Soudain, des bruits de pas retentissent, accompagnés de quelques rires. Ces bruits de pas ne semblent pas se diriger vers moi. C'est donc un peu plus soulagé que je reprend peu à peu mes esprits. En fait, ils semblent venir du sol. Je me lève alors et frotte énergiquement mes habits qui sont couverts de poussière. C'est à ce moment que je remarque un détail qui m'avait échappé: une trappe au sol. Elle est là, au beau milieu de la pièce. Sa couleur ocre qui se fond avec le sol explique pourquoi je ne l'ai pas remarqué de suite.

Bien que je ne sois pas quelqu'un de peureux par nature, cette pièce me semble plutôt apaisante. Et pour cette raison, je m'avance vers la trappe et décide de l'ouvrir.

Un trou. Un trou blanc, un trou vide avec une seule échelle. Je ne sais pas du tout où je suis et où me mènera cette échelle mais après avoir jeté un coup d'oeil à la pièce immense, je décide de monter sur cette échelle en acier blanc et de descendre dans l'inconnu.

L'échelle finit par s'arrêter. Toujours accrochée à celle-ci, je remarque une autre trappe qui se trouve derrière moi. Mais comment la rejoindre? Il ne semble n'y avoir ni mur ni sol ni quoi que ce soit, je suis toujours dans le vide. Tout à coup, me vient l'idée de lâcher cette échelle et d'avancer vers la trappe. Sur le moment, je n'ai pas peur de tomber: quelque chose m'invite à lâcher l'échelle et à avancer.

Alors, je descend jusqu'au dernier barreau de l'échelle puis j'enlève un pied après l'autre, puis une main après l'autre et me voilà debout. Me voilà debout et je flotte dans le vide comme si il n'y avait aucune gravité! Sans attendre une seconde de plus, je me dirige difficilement vers la trappe: mes mouvements semblent n'être que très peu utiles. Une fois à sa hauteur, une hésitation me traverse l'esprit: je n'ai aucune idée de ce que je vais trouver derrière.

Ils sont tous là, ils ont les yeux braqués sur moi et me regardent comme un ovni. Le temps d'un instant, c'est un grand flottement qui règne. Je reconnais ces personnages: ils se trouvaient sur l'aiguille des minutes. L'un des "petits" hommes s'approche alors de moi et c'est à ce moment que je me rend compte que je viens de rapetisser! Mon corps n'a pas changé mais je suis désormais minuscule! Je reste immobile. Ils sont si nombreux! Je comprend alors qu'il est préférable pour ma propre sécurité de ne pas les effrayer au risque de me mettre en danger.

Le personnage qui s'approche de moi est tout aussi trapu que ses congénères mais possède une barbe bien blanche et un peu plus longue que celle des autres. Ils sont tous vêtus de blanc sauf cette homme qui lui est habillé tout de noir.

Soudain, il ouvre la bouche et prononce un enchaînement incroyable de syllabes que je n'arrive pas à déchiffrer. Je reste alors muet devant cet homme qui doit probablement attendre une réponse.

A nouveau, il tente de me parler et le tout à une vitesse folle. Evidemment, impossible de comprendre un mot de ce que ce drôle de personnage me raconte. Mais je comprend qu'ici je suis l'étranger: je dois m'adapter et leur expliquer la situation.

D'abord à l'aide de mes mains je tente de me présenter:

"Gaspard! Moi je suis Gaspard!"

Ils ne me comprennent pas. Cette situation est terriblement longue et je dois vite trouver une solution. Une idée me vient alors. Je fouille mon manteau à la recherche de mon carnet à croquis. Après de longues minutes je met enfin la main dessus et je m'empare de mon crayon. Je me dessine brièvement et indique mon nom au dessus de mon personnage. Je montre alors mon dessin à l'homme qui tentait de me parler. Pendant qu'il regarde mon dessin je prononce encore une fois "Gaspard!".

Son visage s'illumine, il répète mon prénom à haute voix et les centaines de bonhommes le répètent à leurs tours dans une parfaite synchronisation.

L'homme me regarde et dit alors "Lupien!". Je répète à mon tour "Lupien!". Les centaines d'hommes se mettent alors à applaudir et à rire entre eux. Ouf, l'ambiance semble se détendre un peu.

Le calme revient peu à peu, je reprend donc ma tentative de communication. Cette fois-ci, je dessine sur mon carnet un petit bonhomme faisant une chute et arrivant directement dans cette horloge. Je montre à nouveau le dessin au prénommé Lupien, il ouvre grand les yeux et mille questions semblent se bousculer à l'intérieur de lui. Il entame alors une conversation grave avec deux de ses compères qui se trouvaient derrière lui.

Pendant ce temps, j'examine l'immensité de l'endroit dans lequel nous nous trouvons. Le sol est désormais recouvert d'une sorte de peinture noire qui brille. Je ne distingue qu'un mur: celui qui se trouve à ma gauche. Sur ce mur, il y a la trappe par laquelle je suis arrivée jusqu'ici.

A ma droite, un spectacle surréaliste. Au départ, je pensais que c'était un gigantesque miroir mais c'est en réalité une incroyable vitre circulaire. Et derrière cette vitre se trouve mon monde. Et d'ici je peux voir ma salle de travail ainsi que mes affaires encore étalées sur la table du fond. A cette vision, ma gorge se noue et ma respiration se fait plus difficile: Vais-je rentrer chez moi?Je me retourne alors vers les trois bonhommes qui discutent toujours. Je pointe alors du doigt l'immense vitre. Les trois hommes sont silencieux et ils me regardent sans vraiment me regarder : leurs regards sont plongés dans le vide. Soudain l'un deux dit quelque chose: il semble enthousiaste. Les deux autres sont encore en train de débattre puis au bout d'un temps, il se mettent à hocher la tête et Lupien fait déguerpir les autres personnages. Tout à coup, les centaines de petits hommes qui s'étaient arrêtés pour observer la scène se mirent à marcher au même rythme: tic-tac.

Ils poursuivent simplement leur mission: je vais devoir sortir d'ici par moi-même. Et au moment où je tourne les talons dans l'idée de me diriger vers la trappe, les deux hommes qui discutaient avec Lupien apparurent avec une échelle semblable à celle que j'avais utilisé mais celle-ci, était réellement gigantesque.

L'idée de ces petits hommes est folle. A force de détermination et à l'aide de nombreux gestes et de mon précieux carnet à dessin, nous avons pu établir une communication et j'ai fini par comprendre que je suis censé monter sur cette échelle aussi haut que je le puisse. Alors voilà: l'échelle est posée contre la vitre, les centaines d'hommes me regardent et Lupien ne cesse d'insister. Je ne suis pas encore tout à fait sûr de pouvoir rentrer chez moi à l'aide de cette échelle mais je n'ai pas d'autre plan. Alors d'un pas lent je me dirige vers l'échelle. Une fois arrivée au pied de celle-ci je me retourne vers ces curieux personnages: tous sourient et d'un même geste, comme s'ils n'étaient qu'une seule et même personne ils me font signe de la main. Après leur avoir rendu le geste, je commence mon ascension qui va sans doute être interminable.

Quelques minutes se sont écoulés et je commence déjà à sentir que mes bras se font plus lourds. Mes jambes, quant à elles, s'engourdissent un peu plus à chaque nouveau barreau de cette interminable échelle.

Je décide de faire une pause dans ma montée. Je suis déjà très haut et mes nouveaux amis qui me fixent toujours, sont de plus en plus petits. Cette aventure improvisée me servira de leçon envers ma curiosité. Cependant, je ne peux m'empêcher d'être nostalgique à l'idée de quitter ce monde merveilleux que je n'ai pu découvrir que quelques heures. Je me demande alors si cette échelle était réellement une bonne idée et si je ne me met pas en danger. D'un bref coup de tête, je chasse cette idée de mon esprit et je reprends mon ascension.

Puis j'entends un son lointain, je tends l'oreille: "tic-tac, tic-tac". Je poursuis d'abord sans trop prêter d'attention au bruit de l'horloge mais plus je monte et plus il se fait fort. Et soudain, je me rappelle que ce son était identique lorsque je suis tombé dans l'horloge: je suis sur la bonne voie! Malgré mes membres douloureux, je redouble d'effort. Le tic-tac de l'horloge est assourdissant. Je m'approche encore et encore de mon monde qui paraît si lointain.

Peu à peu, ma vision devient floue. De plus en plus floue, comme si un voile noir tombait devant mes yeux... et puis plus rien.

Lorsque j'ouvre les yeux, je reconnais de suite les murs de ma salle de travail. Je me relève péniblement et de nouveau, assommé par une horrible migraine. Tous les muscles de mon corps sont tétanisés et pour cette raison, j'ai du mal à rester debout pendant plus de cinq minutes. Instinctivement, je pose mon regard sur l'horloge: il est 21h40. C'est impossible! Le temps est passé si vite.

C'est dans un incroyable effort que je m'approche de l'horloge afin d'apercevoir mes nouveaux amis. Mais au moment où je regarde par dessus les aiguilles, je ne vois personne. A l'intérieur de moi tout se bouscule. Tout cela n'était qu'un rêve? Impossible. Et c'est avec l'esprit plongé dans un épais brouillard que je rejoins ma table de travail pour réunir mes affaires et me préparer à rentrer chez moi.

Tout à coup, je m'arrête. J'arrête tout et lentement je fouille mon manteau. Je m'empare de mon carnet. Je l'ouvre. Je défile les pages une à une. Tous mes dessins sont bien là. Toutes mes tentatives de communication sont bien présentes sur ce carnet. Je ne peux m'empêcher de sourire.

Puis quelque chose attire mon attention, la dernière page de mon carnet a été utilisé. Je fais défiler les pages jusqu'à cette fameuse dernière page.

Je découvre alors le dessin d'un petit bonhomme. Il est habillé tout de noir ce qui contraste avec sa barbe blanche. Et au dessus de ce personnage, je peux lire l'inscription "LUPIEN".


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