My time |Tk

By Forlasass

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« Était-ce si surprenant que je me sente tout à coup prodige, puis tout à coup indigne ? J'ai le corps plein... More

Introduction
Interlude I
Interlude II
2. Les minutes
3. Les secondes
Épilogue

1. Les heures

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By Forlasass






Les clefs dans la serrure sonnent comme une mélodie de bienvenue. J'ai le cœur qui bat la chamade. Mon souffle chaud s'évapore dans l'air en des volutes désordonnées, trahissant mon émotion. J'ai la tête en feu. Et au plus profond de moi, j'espère, je prie, pour qu'il n'y ait personne chez moi.

Ce n'est pas le moment d'être avec moi. J'ai besoin d'être seul ce soir.

Comme d'ordinaire, je rentre tard. Les autres disent que c'est parce que je suis un bourreau du travail, et que mon perfectionnisme causera ma perte. Jimin croit que je les évite.

Et moi je ne crois plus en rien. Plus même en moi.

Il est 21 heures 30. En ouvrant la porte, je suis soulagé de constater qu'aucune présence ne vient troubler le calme ambiant. Il y a deux jours, en revenant du studio d'enregistrement, j'ai trouvé Jin dans mon salon, en train de jouer à la play. Je sais que BigHit possède un double de nos clefs, essentiellement pour des raisons de sécurité. Mais je n'ai pas laissé les miennes pour qu'on débarque à l'improviste chez moi, à n'importe quelle heure, sans me prévenir.

Évidemment je l'ai dit à Seokjin hyung. Et il a juste rigolé. J'espère qu'il n'a pas trop fouillé dans mes affaires.

Je laisse la lumière éteinte – le noir me soulage – et me déchausse dans un silence si bienfaiteur que j'ai la sensation d'être enlacé par lui. Il dépose comme un baiser sur ma joue, me rassure et me guide vers ma chambre. La cuisine m'appelle dans l'obscurité mais je l'ignore sans peine. Je n'ai faim que devant les caméras de toutes façons. Le reste du temps, je n'existe pas.

Mon téléphone sonne encore, mais je décide de ne pas y jeter un œil. L'appel de Namjoon m'a déjà suffisamment mis sur les nerfs.

Après ma douche au studio de danse et sur la route jusqu'à chez moi, il m'a appelé pour prendre de mes nouvelles et me demander si on pouvait se voir demain.

Évidemment qu'on peut, je suis toujours disponible pour vous.

La grande baie vitrée de ma chambre me montre Séoul endormie, un peu fluorescente sous ses lampadaires et les rares néons que mon œil devine au loin. Comme toutes les nuits, la rivière Han me fait peur.

Exténué, je lâche enfin mon sac, puis j'enlève ma grosse veste noire, que je ne prends même pas la peine de ranger dans l'armoire. Balancée négligemment sur une chaise, elle attendra. De toute façon, je n'ai plus la moindre force. Je me sens lourd, j'ai envie de me noyer sous ma couette, de me réfugier dans le seul cocon où je suis moi. Où je peux laisser glisser le masque.

C'est le seul endroit où je pleure désormais.

J'enlève mon pantalon, mon pull et mes chaussettes, pour revêtir un grand t-shirt qui avale tout mon torse.

– Merde, mon téléphone...

Pestant silencieusement, je m'empresse de le récupérer dans une poche de ma veste. Il faut quand même que je vérifie si l'appel d'il y a quelques minutes n'était pas important.

J'allume l'écran.

Hobi hyung
1 appel manqué

Bingo.

Hoseok et Jimin sont toujours les plus inquiets pour moi. Je ne comprends pas pourquoi. J'ai changé pourtant, je me suis distancié d'eux, j'ai rencontré d'autres gens, juste comme il le voulait.

Avant j'étais transparent, soumis à mes émotions. J'étais un gosse capricieux, heureux, stupide, parfois colérique. Et maintenant je suis comme eux. Je souris, je danse, je chante, je parle. J'ai fait tant d'efforts pour lisser mon caractère, pour devenir plus adulte, pour devenir un putain d'oppa. Mais personne n'est jamais content de moi. Ou peut-être que c'est moi qui ne le suis jamais.

Je sens les larmes monter, l'angoisse me rire au nez et me traiter d'esclave. Ma condition ne diffère pas tant en réalité.

Je suis fatigué.

Mes gestes sont lents, comme si j'étais complètement stone. Je crois que je me suis trop entraîné aujourd'hui.

« Aujourd'hui seulement ? », j'entends Jimin dans ma tête.

C'est ça, fais-moi la morale. Tu ne vaux pas mieux que moi.

Je regrette aussitôt ma pensée. L'ingratitude de la jeunesse vient de parler.

Et l'espace d'une seconde, je repense à lui.

À Taehyung.

Je laisse le visage parfait de mon hyung derrière moi et me jette sur mon lit pour m'entortiller dans la couette. La fraîcheur du tissu contre mes jambes nues me fait soupirer de bien-être. Bon. Il va bien falloir que je rappelle Hoseok. Sauf que je n'ai envie de parler à personne. Vraiment personne.

Je vais plutôt lui écrire. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Je m'allonge sur le ventre et m'empare du téléphone.

Oh, j'ai un SMS de mon frère.

Junghyun à 19 h 58
Coucou, tu n'oublieras pas d'appeler maman demain ? Pour son anniversaire.

Il me prend vraiment pour un imbécile. Je ne réponds même pas à son message. Pas une seule fois, je n'ai oublié un de leurs anniversaires. Il ne pourrait pas être plus subtil au moins, et me demander des nouvelles ? « Parce que tu en prends des siennes ? », me susurre ma conscience avec ironie. Je la chasse d'un froncement de sourcil et me jette sur ma conversation privée avec Hoseok.

Moi à 21 h 46
Slt, pas eu le temps de répondre, dsl je vais dormir. Rien de grave ?

Il me répond dans la seconde. Wow.

Hobi hyung à 21 h 46
Non rien. Je peux t'appeler ?

Je soupire jusqu'à m'en fendre l'âme et roule sur le dos. Mes yeux perçoivent difficilement le plafond. Que faire ? Pourquoi se mettre dans un tel état pour un simple appel ? Bon sang, tu peux le faire Jungkook. Je tourne mon visage contre le matelas et fixe mon regard sur les mots de Hoseok.

Puis l'écran change d'un coup tandis que mon téléphone se met à vibrer violemment.

C'est lui...

Je me relève, m'assois en tailleur sur le matelas, le dos voûté, les yeux brillants, perdus sur l'écran. Mes doigts sont paralysés, je ne sais pas quoi faire.

Il va falloir que je décroche. Je souffle un coup avant de toussoter pour m'éclaircir la voix.

– Oui hyung ? Tout va bien ? je demande aussitôt.

– Jaykay ! s'exclame Hoseok d'un ton enjoué.

Il me brise les tympans. Je baisse aussitôt le son du téléphone en grimaçant tandis qu'il enchaîne :

– Je voulais juste savoir si tu allais bien. Tu t'entraînais encore quand je suis parti, et il était déjà tard.

– Oh. Oui, ne t'inquiète pas hyung, je ne suis pas resté très longtemps après toi.

Menteur.

– Cool. Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus. Je suis en train de dîner avec Yoongi, Taehyung et Jimin, tu pourrais nous rejoindre.

Sérieusement ?

– Oh, non merci, je suis fatigué et déjà prêt à dormir. Mais passe le bonjour aux gars, bonne nuit...

– Attends ! Tu allais raccrocher ? s'exclame Hoseok d'une voix aigüe, visiblement choqué.

Je me doute aussitôt qu'ils ont bu et que mon interlocuteur n'est plus très sobre...

– Pardon, je suis juste fatigué, je soupire d'un air las. Si tu veux, on se rappelle demain. (Dois-je mentionner que je regrette aussitôt cette proposition ?)

– T'as une petite voix...

C'est. Peut-être. Parce que. Je suis. Fatigué.

Pendant que j'essaie de me calmer, j'entends de drôles de bruits à l'autre bout du téléphone, puis la voix de Jimin qui se rapproche.

– Passe-le moi, je l'entends chuchoter.

J'ai l'impression d'être l'insupportable garçon d'un couple sorti dîner chez des amis.

– Hey Kook, tout va bien ?

– Salut Jimin. Oui ça va merci, et toi ?

– Super ! Tu ne veux pas nous rejoindre ?

– Bof, je suis fatigué, déjà dans mon lit, lumières éteintes... je marmonne vaguement.

Le rire clair de Jimin s'élève aussitôt, et c'est comme si je l'entendais juste là dans ma chambre.

– D'accord, accepte-t-il sans lutter. Namjoon m'a dit que vous vous voyiez demain au studio d'enregistrement. Ça tombe bien j'y serai aussi ! Et si on mangeait ensemble, toi et moi ?

Juste lui et moi ? Je réfléchis, pendant que le silence s'installe dans la conversation. Après tout, un déjeuner avec Jimin n'est pas le pire des sacrifices. N'empêche, s'il me propose un moment juste avec lui, c'est qu'il s'inquiète.

Jimin préfère toujours être en groupe. C'est un soleil, il a besoin d'éclairer les autres, et plus il est entouré, mieux il se porte.

– Euh, d'accord, je finis par accepter, peu certain de ce dans quoi je m'engage. À demain, j'ajoute sans attendre de réponse.

Et je raccroche.

Mon corps tombe aussitôt en arrière, contre le lit, laissant le silence revenir se blottir contre moi.

Comme presque tous les soirs, je finis par saisir mon téléphone, le rallume et sélectionne une musique pour m'endormir. C'est bien la seule chose qui me détende réellement, qui aspire tout le noir qui me ronge depuis quelques temps. Je pose l'écran à côté de ma tête et prends soin de m'emmitoufler à nouveau sous ma couette, de repositionner ma tête sur l'oreiller...

Mes yeux sont lourds de sommeil, mon corps se relâche. Mais alors que mon esprit s'élevait déjà, une vibration me fait sursauter.

– Putain... je chuchote.

Moi qui pensais avoir mis le téléphone en mode avion... Je ne veux même pas savoir qui m'a écrit.

Sauf que je vois son nom sur l'écran verrouillé.

Taehyung

Nouveau message

Est-ce que je regarde ? J'en ai terriblement envie, parce que c'est lui, mais d'un autre côté, je sais. Je sais qu'un de ses messages peut me mettre en bordel, me retirer le sommeil pour la nuit entière, me narguer, comme la rivière Han. Et j'ai besoin de repos. Plus que jamais.

Mais comme toujours, je suis faible quand il s'agit de lui. Je ne résiste pas à la tentation de le lire.

Taehyung à 22 h 22
Je serai là, demain. Avec Jimin et toi. Bonne nuit.

Je ne lui réponds pas. Coupe mon téléphone. Étrangement, savoir que je le verrai demain ne me fait rien à cet instant. Je dois être complètement dans le gaz pour réagir correctement.

Mais j'y pense : y-a-t-il une façon correcte de réagir avec vous ?

Parce que vous avez toujours quelque chose à dire sur moi.

Je ne suis jamais assez, pour vous.




– Hey, Jungkook, je t'en prie installe-toi !

Ce matin, je me suis levé tôt, tiré de ma torpeur par la lumière aveuglante du soleil. J'aurais peut-être dû tirer les rideaux devant ma baie vitrée hier soir, mais ce réveil bien matinal m'a laissé le temps de préparer mon sac à dos, avec juste de quoi passer le week-end chez mes parents, à Busan.

Quand mon regard croise celui de Namjoon, j'esquisse un sourire enjoué avant de rompre l'échange. Je pose ma veste sur le porte manteau, laisse mon sac à côté, contre le mur, puis je rejoins le leader, tranquillement installé sur un petit canapé noir.

– Bonjour hyung, tu vas bien ?

Le bâtiment de la BigHit Entertainment se compose de plusieurs studios et celui-ci est le plus grand de tous. Il se découpe en deux parties : un salon de travail, équipé d'un frigo et d'un petit espace de cuisine, et une salle pour l'enregistrement et le contrôle du son en régie. Je devine quelques personnes derrière la vitre qui fait écran entre le salon et la partie enregistrement, mais ne m'attarde pas sur les silhouettes que j'aperçois à l'intérieur.

La réponse de Namjoon me tire de mes pensées.

– Oui, tout va bien, je suis content de te voir sourire !

– Il fait vraiment beau dehors, c'est plaisant, je renchéris en rigolant doucement.

Et je ne fais pas semblant.

La météo a écarté pour quelques heures ma mélancolie et je crois qu'intérieurement ça me soulage. Parce que ça veut dire que la coquille n'est pas encore complètement vide. Namjoon a toujours eu cet effet sur moi, comme une sorte de protecteur, comme s'il était le Junghyun de mes rêves. Celui que j'ai espéré toute ma vie. Je sais que c'est mal de fantasmer ses relations, mais j'ai longtemps eu besoin d'un grand frère, et Junghyun n'a pas toujours su remplir ce rôle. Bien sûr, je ne lui en veux pas. Ma vie doit certainement le dépasser à l'heure qu'il est.

– Installe-toi, invite mon aîné en désignant le canapé sur lequel il est déjà posé.

Mais moi, d'humeur taquine, je lui désobéis ouvertement en prenant place directement sur le sol en tailleur. Je m'approche de la table basse pour examiner rapidement les feuilles étalées sur la surface. Quand Namjoon se penche par-dessus mon épaule, je tourne la tête vers lui et remarque qu'il a retiré ses lunettes noires, celles qui lui donnent un air si studieux. Je l'admire tellement. Dans mon esprit, il a toujours été parfait. Au-dessus de tout. Comme un être qu'on regarde de loin et qu'on ose à peine effleurer.

– Tu travailles sur le prochain album ? je demande distraitement.

What else do you want me to do ? il me répond en anglais, et je ris doucement, car même si je n'ai pas bien compris, je perçois de la joie dans sa voix.

Je sens sa main se poser sur mes cheveux pour les ébouriffer avec malice, m'arrachant quelques protestations et tentatives de lui échapper. Mais tandis qu'il détruit ma coiffure, sous mes rires un peu grêles, je sens soudain un regard posé sur moi. Juste en face. Je relève la tête et découvre...

...des yeux noirs.

Ce sont les siens.

Ceux de Taehyung.

À l'autre bout de la pièce, adossé au mur telle une gravure de mode qui attendrait qu'on la remarque, il m'examine silencieusement, les mains dans les poches. Et je ne peux pas m'empêcher de le déshabiller du regard. Il porte une chemise ample et beige, déboutonnée jusqu'au milieu du torse et rentrée dans un pantalon bleu nuit, qui lui fait de magnifiques jambes.

Et ce visage, qui transpire l'harmonie, brille là comme un bourbon qu'on a laissé mûrir avec patience. Sa peau, si lisse, a comme des minuscules cristaux ambrés qui entourent une paire de lèvres envoûtantes et des prunelles charbonneuses. Ses paupières battent à peine.

Il est si beau.

Et son regard noir, profond comme la rivière Han la nuit tombée, a cette capacité de m'ébranler. Sa seule présence chasse mon rire insouciant. Namjoon ne semble d'ailleurs pas remarquer mon trouble soudain, ignorant la présence écrasante de Taehyung.

– Qu'est-ce que notre petit golden maknae va bien pouvoir chanter dans ce nouvel album, hum ?

Étonnamment, cette appellation me refroidit davantage. Ce surnom remonte à bien longtemps. Et avec lui, toute une époque que l'on m'a dérobée. À cette pensée, je réalise que je suis resté prisonnier du regard de Taehyung tout ce temps. Je sens un voile rose se déposer sur mes joues, les battements de mon cœur m'échapper. Il me gêne.

– Salut, je lui adresse avec un ton que j'espère suffisamment neutre.

Taehyung fronce les sourcils avant d'hocher la tête.

– Jungkook.

Et il quitte son point d'observation pour rejoindre la partie enregistrement. Sans pouvoir m'en empêcher, je le suis du regard et découvre également Jimin, qui discute avec nos ingénieurs sons. Le regard de Taehyung m'attrape une dernière fois quand il se retourne pour fermer la porte.

Et c'est comme si ses yeux me parlaient sans que je ne saisisse la moindre chose.

Je le déteste.

– Tu veux que je demande à ce qu'on ferme le store de la salle, pour ne pas être déconcentré ? demande Namjoon d'une voix douce.

Aussitôt, je sens la moutarde me monter au nez. Mais pour qui me prennent-ils putain ? J'ai envie de me lever, de renverser la table basse, de reprendre ma veste et de me barrer en claquant la porte comme le Jungkook que je suis dans leurs fantasmes de hyungs adulés. Sauf que je ne suis pas ce Jungkook. Je ne le suis plus.

– Pourquoi ? Je ne pense pas souffrir de problème de concentration hyung, je réponds froidement, et je sens bien que la chaleur a du mal à revenir sur mon visage, qui a perdu de ses couleurs.

Il y a bien une raison pour laquelle j'adore Namjoon.

– Pardon. Je ne voulais pas te blesser.

C'est le seul qui s'excuse auprès de moi, pour tout ça.




On a travaillé pendant deux heures sans s'arrêter. Je n'ai pas vu le temps filer. C'est fou comme Namjoon est capable de réveiller toutes mes idées endormies. On dirait qu'il sait quelque chose que j'ignore encore sur moi. Ça devrait m'effrayer, je crois, mais je me sens rassuré, au contraire, remis entre ses mains bienveillantes. Et à aucun moment il ne juge mes brouillons, mes phrases éparses, pas toujours pertinentes.

Je titube encore, à 23 ans. Et il me propose toujours son aide.

C'est comme s'il calait sa respiration sur la mienne, une manière douce de me suivre et de me guider.

Il m'a demandé de réfléchir à mon parcours, de trouver un moment marquant pour moi, sur lequel j'aimerais revenir. Cet album sera un peu plus sombre, plus déchiré... Mais rien ne m'est venu. 

Enfin, pour être honnête, si, bien sûr que si.

J'ai pensé à tout ce qui s'était passé, avec Taehyung. Mais c'est une histoire qui nous appartiendra toujours à nous seul, du moins je l'espère. Je n'ai pas envie de la laisser à d'autres. Les garçons eux-mêmes ne savent pas tout, alors les fans... Pourtant, il y a bien quelque chose qui se raccroche à Taehyung et qui est presque à l'origine de tout le mal.

C'est mon innocence. Comme une malpropre, on l'a bafouée, mise à la porte. On lui a craché au visage, parce que c'est tout ce qu'elle méritait, dans ce milieu du moins. Et le lendemain, on a invité la maturité, avec qui je cohabite depuis. Au début, c'était difficile.

Maintenant, les plaisirs simples de l'enfance ne doivent plus me manquer. Parce que je suis un adulte.

– Ça. J'aime bien, dit Namjoon.

Je quitte mes pensées moroses et reviens à moi-même. Toujouts penché sur mes épaules, le leader est en train de désigner quelque chose sur ma feuille qui semble lui plaire.

Je suis son doigt et tombe sur des mots :

Je continue à courir, je prends le micro.
(Keep on runnin' all day, mic 잡아들어)

– Mélanger l'anglais et le coréen, ça c'est doublement intelligent... C'est comme si tu avais deux voix qui discutaient, deux toi, le Jungkook d'avant et le Jungkook d'aujourd'hui... Le Jungkook que tu aurais pu être, si tout ça ne t'était pas arrivé...

Beaucoup s'amusent des envolées lyriques de Namjoon. Moi je les scrute toujours avec attention, parce qu'au milieu de ce terrible imbroglio de mots et de pensées, vomies sur le qui-vive, se cache souvent un cœur de vérité.

– C'est comme si je vivais en décalé... comme si je cherchais mon espace-temps, une terre où l'horloge ne tourne pas, jamais... pour me laisser grandir et vivre comme je le souhaite, je réponds en me tournant vers lui, cherchant comme une approbation dans son regard.

Il écarquille aussitôt les yeux.

Jetlag !

Et aussitôt il se penche pour l'écrire en gros caractères, au-dessus de mes gribouillis maladroits.

– Ce titre fonctionne bien, non ? Comme un jetlag qui dure depuis des années...

J'acquiesce doucement, puis il reprend :

– Je le laisse pour l'instant ? Ce que je te propose, c'est de t'envoyer des arrangements musicaux en fonction des sensibilités qu'on a déjà énumérées... Le R&B, le hip hop... Tu écoutes ça tranquillement chez toi, et on se revoit la semaine prochaine. On termine la V1 des paroles, puis on voit comment ça se pose sur les enchaînements.

– Cool, je souris à pleines dents.

Cette session de travail m'a vraiment délesté d'un poids, c'est vivifiant. Et surtout, je crois qu'enfin je mets des mots sur quelque chose de douloureux pour moi.

Dans l'euphorie du moment, je n'ai même pas entendu la porte de la salle d'enregistrement s'ouvrir.

– Hey, Jungkookie !

Ce timbre de voix sonne familier à mes oreilles, il me fait relever la tête.

– Oh, Jimin ! Coucou ! je m'écrie en me relevant énergiquement avec un grand sourire.

Mais à peine débout, je manque de m'effondrer en constatant que mes jambes sont toutes engourdies, incapables de supporter mon poids. Je suis resté sur le sol pendant trop longtemps. Déstabilisé, je manque de tomber en avant, mais heureusement, Namjoon me ceinture les hanches et me tire sur le canapé.

– Espèce d'idiot, tu n'avais qu'à t'installer normalement, me reproche-t-il doucement.

Je rougis de honte. Pourquoi faut-il que Taehyung soit toujours présent quand je passe pour un gamin ?

Et forcément ça ne manque pas. Quand je relève la tête, je remarque aussitôt son regard. Il est braqué sur moi, les mains dans les poches de son pantalon, à nouveau. Cette posture lui donne un air terriblement distant et glacial. Il n'y a que Jimin pour mettre un peu de chaleur sur ce visage si parfait. Moi, je n'ai plus ce droit.

– C'est de ma faute hyung, rigole Jimin, je fais trop d'effet à ce petit.

– C'est moi que tu traites de petit ? je renchéris aussitôt en levant un sourcil.

– Yah, respecte un peu ton aîné, gamin !

Mais sa mine faussement colérique n'a rien de crédible. Je rigole en concert avec Namjoon.

Brièvement, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à Taehyung. Il me fixe encore, sans rien dire. Insondable. J'essaie de passer outre sa présence mais c'est plutôt difficile, et ma nervosité ressurgit quand je joue nerveusement avec mes mains.

– Alors vous avez enregistré les dernières notes de Friends ? demande Namjoon.

– Oui, il faudra qu'on repasse demain quand même. Les chœurs ont besoin d'être encore repris. Tu viendras vérifier ça avec nous, mais franchement, on est super contents ! Jungkook, je ne sais pas si tu es disponible, mais tu peux venir aussi, invite Jimin, l'air ravi.

– Oh, merci, mais je ne pourrai pas.

– Ah ? Tu as un date ?

Je ricane aussitôt en fuyant le regard pétillant de Jimin.

– Je vais à Busan pour le week-end.

– Oh, tu vas voir ta famille, c'est génial !

– Les gars ! interrompt Namjoon. Je vais vous laisser.

Effectivement, il est déjà tard. Je sens le bras de mon aîné quitter mes hanches. Je prends soudain conscience qu'il ne m'avait pas lâché.

– D'ailleurs, tu n'aurais pas un peu maigri ? Il faut dire que tes vêtements larges ne laissent pas voir grand chose... demande-t-il en récupérant sa doudoune.

Jimin lui répond avant même que je n'en prenne le temps.

– Ne t'inquiète pas, hyung, on va bien le nourrir ! Allez c'est parti ! Qu'est-ce que vous voulez manger les gars ?

– Je m'en fiche, souffle Taehyung en allant chercher sa veste.

Une de ses mains glisse doucement dans ses mèches brunes puis il sort silencieusement avec Namjoon.

Est-il de mauvaise humeur ? Taehyung n'est pas toujours très loquace, il a même parfois tendance à se mettre en retrait, mais pas de manière aussi froide. Aujourd'hui, c'est différent parce qu'on dirait qu'on l'a forcé à participer à ce déjeuner. Je suis pris d'un drôle de pincement au cœur : l'a-t-on obligé à venir ?

– Tout va bien avec Taehyung ? je demande à Jimin.

– Oui, ne t'inquiète pas. Il est sûrement fatigué ces derniers temps, entre les enregistrements, son planning publicitaire et les entraînements...

– D'accord. Tu ne l'as pas forcé à venir, hein ?

– Non, non, c'est lui qui s'est proposé.

J'acquiesce silencieusement, sans repérer de mensonge dans sa voix, puis je rassemble les dernières feuilles que nous avons noircies, Namjoon et moi. Quand je trottine vers mon sac à dos pour engouffrer mes traces de travail à l'intérieur, j'entends Jimin m'ordonner de me dépêcher avant de sortir. Alors j'enfile vite ma veste, noire et extralarge, mets mon sac à dos et le suit dehors, sans un regard en arrière.

Jimin rejoint Taehyung qui attend calmement, il quémande pour manger du porc. Distraitement, je tire la fermeture éclair de ma veste et commence à les suivre vers la sortie. Je leur dis qu'il n'y a pas de problème pour manger de la viande ce midi. Je me demande juste où est-ce qu'on va aller... En tant qu'idols, il est hors de question de se promener en ville (à moins d'aimer le danger). D'habitude on se fait livrer chez l'un des membres ou directement à BigHit. Naturellement, je pensais qu'on irait chez Jimin, mais Taehyung s'étant ajouté à l'équation, je suis pris d'un doute... Je n'ai pas très envie d'aller chez lui.

– D'ailleurs, Jungkook, tu pars quand ? me demande Jimin.

– À 16 heures 30. J'ai pris un vol privé.

– Ah oui...? s'étonne-t-il. 

Puis il jette un œil à sa montre. 

– 13 heures ! Bon, il ne faudrait pas tarder. On pourrait déjeuner chez toi, ce sera certainement plus arrangeant comme ça. Tu auras le temps de faire ta valise.

Non.

– Euh... mes affaires sont déjà prêtes, je les ai ramenées ici pour partir ensuite directement, donc on peut aller chez toi Jimin. Je n'avais pas prévu de refaire un crochet par chez moi, à vrai dire... je souffle en évitant leur regard.

Je ne sais pas pourquoi, je ne veux plus de personne chez moi. J'aurais l'impression d'être comme...violé. J'ai vraiment un problème, je crois.

– Attends, tu ne ramènes que ce sac à dos ? s'exclame Jimin.

Je sens aussitôt le regard de Taehyung fixer mon profil, tandis que je marche. Pourquoi pose-t-il sans cesse ses yeux sur moi ? Ça m'énerve.

– Je ne reste que pour le week-end. Et au pire, je volerai des habits à mon frère, je ris.

Et bien sûr, il faut qu'il ouvre la bouche.

– Tu ne devrais pas prendre cette habitude. Tu nages de plus en plus dans tes vêtements. À chaque fois, je me demande si c'est possible de faire encore plus large...

Sa voix grave et profonde me cisaille de l'intérieur.

Qu'est-ce qu'il insinue au juste ?

Ça y est, je sens la colère monter.

– J'aime les habits confortables.

Je rêve. Il a soupiré ?!

Je crois que Jimin a senti l'atmosphère gagner en électricité parce qu'il s'empresse aussitôt de revenir au sujet principal : la nature de notre repas. Ça vaut peut-être mieux, d'ailleurs, je sens mes joues devenir écarlates tant je me contiens. Je n'ai pas le droit de m'habiller comme je veux peut-être ? De mieux en mieux...

– Du coup, on va chez toi Taehyung ? Tu habites plus près, on perdra moins de temps !

Cette solution ne me ravit pas le moins du monde, mais je préfère me faire discret.

– O.K., accepte le susnommé.

J'enfonce mon bob sur ma tête, pour couvrir au maximum mon visage tandis que mes comparses enfilent chacun une paire de lunettes de soleil.

La vie de star. Que voulez-vous ?

Quand nous sortons, il n'y a pas beaucoup de fans devant l'entrée du bâtiment. Nous montons tous dans un van, moi d'abord, Jimin, puis Taehyung. Sur la route, Jimin appelle un restaurant de grillades traditionnelles qu'il affectionne tout particulièrement. Il commande à foison. Je ne sais pas qui va manger tout ça. Je me sens déjà lassé à l'idée de feindre un appétit d'ogre quand tout ce que je veux, c'est qu'on me fiche la paix. Je commence à regretter d'avoir accepté cette invitation qui a désormais tout d'un traquenard de mauvais augure...

Le reste du chemin se fait dans le silence, du moins de mon côté. Taehyung se déride un peu au contact de Jimin. C'est toujours la même chose : les flots de son regard s'agitent soudainement et jettent un peu de vie sur tout son être. Ce n'est plus le même, et quelque part, je dois bien admettre que cette métamorphose est fascinante.

J'ai toujours été envieux de leur amitié. Elle fait partie de celles qui n'ont pas besoin de mots. Au contraire de Taehyung et moi, qui ne cessons d'accumuler les malentendus et les paroles avortées.

Quand il s'agit de lui, je sais que je dois faire des efforts de communication. Ça me fatigue et me bouleverse toujours, alors j'ai baissé les armes, et lui aussi en quelque sorte, car nous parlons de moins en moins. C'est épuisant d'expliquer sans cesse à l'autre que « non, ce n'est pas ce que je voulais dire » ou « tu ne comprends rien, comme toujours ».

Je regarde le paysage défiler. Et j'ai comme un flash. Tout va trop vite.

Ma vie est un film, tout le temps.




On est arrivés. Une fois sortis du van, Taehyung nous ouvre et se dirige aussitôt vers la cuisine pour nous servir un verre d'eau. Je m'avance derrière Jimin, pas très à l'aise. L'odeur de Taehyung, un peu boisée, s'impose lentement tout autour de nous, je la perçois comme une revenante. Et j'imagine qu'elle me reconnaît. J'ai envie de me noyer en elle, mais une boule se forme aussitôt dans ma gorge. Elle grossit, grossit... et éclate soudainement, sans qu'aucun bruit ne s'échappe de ma bouche.

Parce que, pendant que je me déchausse et retire ma veste, je vois Yeontan dans le salon. Le chien de Taehyung n'a pas changé. C'est une mignonne petite boule toute douce et adorable. Il n'aboie presque jamais, parce qu'on l'a bien éduqué.

Tandis que Jimin rejoint Taehyung dans la cuisine, je me rue aussitôt sur l'animal qui me fixe. Je me doute qu'il se souvient de moi. Et il me le confirme aussitôt par son excitation soudaine. À genoux sur le parquet brillant, j'enfouis mon nez dans sa fourrure toute douce et sens des petits coups de langues sur mon visage.

– Coucou mon bébé... coucou ! Coucou, coucou...

Ma voix est noyée par les petits bruits que le chien émet contre moi. Il a l'air fou de joie de me retrouver et ça me fait rire d'émerveillement.

– Je ne comprends pas que tu n'aies pas d'animal chez toi Kook ! lance tout à coup la voix de Jimin.

Je sursaute, abandonnant aussitôt le petit chien qui se met à tourner autour de moi. Quand je relève la tête, je constate que Jimin et Taehyung sont installés sur le canapé. Le brun, insondable, a les yeux rivés sur Tannie, qui continue sa petite danse de la joie. Et l'animal n'en a que faire, visiblement pris dans son jeu. Je décide de participer et essaie de l'attraper, sans succès. Il tourne vite ! Quand j'y arrive enfin, Yeontan se met à aboyer bruyamment. Je le relâche, m'éloigne aussitôt et relève la tête vers Taehyung en m'excusant :

– Désolé... C'est ma faute, je l'ai trop excité.

Mine de rien, ce chien a un sacré caractère. Au début, il aboyait facilement et nous embrassait un peu trop. C'est pour cela qu'avec Jimin, nous l'avons bien dressé, pour l'habituer à prendre les bonnes habitudes. Et quand Yeontan fait trop de bruit, Taehyung n'apprécie pas. Alors je me sens désolé, car je n'aurais pas dû encourager son énervement.

Mais alors que je pensais que Taehyung m'ignorerait et isolerait le petit être déchaîné, il m'adresse un regard particulier, que je peine à décrypter. Ses yeux sont si doux, posés sur ma figure étonnée, et son expression presque attendrie. Il cligne des paupières sans détourner le regard avant de me répondre d'un ton calme :

– Laisse, ce n'est pas grave. Ça fait longtemps qu'il ne t'a pas vu.

Oh.

Mon visage se réchauffe, mes joues seraient presque en feu...

Quand le chauffeur, à l'extérieur, nous appelle pour nous prévenir que la commande est arrivée, Taehyung part chercher la nourriture. Je profite de son absence pour rejoindre Jimin sur le canapé, abandonnant Tannie.

– Tout va bien en ce moment sinon ? me demande-t-il avant de boire dans son verre d'eau.

Vous me fatiguez avec cette question.

– Oui, tout va très bien.

Et je me fatigue à mentir à chaque fois.

– D'accord. J'ai remarqué que tu t'entraînais souvent ces derniers temps, et je te connais. Je sais que tu es capable de trop tirer sur la corde alors... fais attention. Mange bien, dors bien...

– Oui maman, je ris mi-figue, mi-raisin.

– Tu as travaillé sur une nouvelle chanson avec Namjoon, sinon ? Je l'ai entendu dire qu'il avait un projet pour toi...

– Oui, je dis en observant distraitement Yeontan, revenu jouer avec une peluche déchiquetée entre mes jambes.

Distraitement, je glisse mes doigts dans sa fourrure et le regarde jouer. Jimin, lui, poursuit sur sa lancée.

– Ça parle de quoi ?

La porte claque.

Surpris par le bruit, je relève la tête, abandonnant Yeontan. Taehyung est déjà là et pour moi, il est évident que son retour vient de couper net la conversation. Mais Jimin ne semble pas l'entendre de cette oreille.

– Tu savais que Kook allait composer une musique pour l'album ?

À ces mots, Taehyung me jette un coup d'œil, non sans commencer à déballer la nourriture. Je quitte mon assise pour l'aider à disposer les baguettes sur la table basse.

– Et bien... Vous avez travaillé avec Namjoon sur ça, ce matin, non ?

Je sens au ton de sa voix, qu'il me regarde, attend confirmation de ma part.

– Hum, j'acquiesce, peu loquace.

– J'ai hâte de l'écouter.

Et moi, je déteste qu'on parle de ça.

Taehyung se lève et part dans la cuisine. Je suis sa silhouette du regard mais les mots de Jimin me tirent de ma contemplation.

– T'aurais vraiment dû nous rejoindre hier soir, c'était trop bien, même s'il manquait Namjoon et Jin. Bref, ça faisait longtemps que je n'avais pas autant rigolé.

Mon cœur se serre. Je sais qu'il ne dit pas ça pour me reprocher quoi que ce soit, c'est complètement innocent de sa part et bienveillant. Mais malgré moi, je ne peux pas m'empêcher de me sentir mal, de culpabiliser pour toutes ces fois où je m'isole, délibérément.

Taehyung revient avec une bouteille de vin rouge et trois coupes vides qu'il dispose sur la table.

– Je ne bois pas, j'annonce derechef.

Il hoche la tête et écarte un des verres.

– Il y a des bouteilles d'eau, ça te va ?

J'acquiesce en dévissant l'une d'elle de son bouchon, puis avale une gorgée.

On s'installe tous les trois sur un coussin et on commence à se servir. Ça me fait tellement bizarre, d'être ici, en face de Taehyung, Yeontan sur mes genoux... Si Jimin n'était pas là, je me croirais presque revenu à une autre époque. Nerveusement, je déglutis. Mange, Jungkook.

Je m'empare d'une barquette remplie de kimbap.

– Bon chang, ch'est bon, s'extasie Jimin tandis qu'il mâche un morceau de porc pané.

Il est complètement dans son monde, ailleurs. Moi, je souris à cette vue. J'aime le voir manger, c'est quelque chose qui est... important.

Tout à coup, dans que je ne comprenne vraiment comment, mes orbes se plongent dans ceux de Taehyung. Est-ce lui qui m'appelait ? Ou moi ? 

Que pense-t-il ? Je sens de la connivence entre nous, et ça me fait tout drôle. C'est comme s'il essayait de me dire avec ses yeux qu'il n'est pas stupide, et qu'il se doute bien de la nature de mes pensées. Même les plus secrètes ? Même celles qui me prennent en otage, tard la nuit, à l'abri du monde sous ma couette ?

Je pâlis à cette simple pensée. Aussi noires soient-elles, mes innombrables inquiétudes sont, quelque part, le seul brin de liberté qui me reste, le seul reste de secret que je détienne en solitaire.

Laisse-les moi Taehyung.

S'il te plaît.





Je n'ai pas très faim. Heureusement, Taehyung et Jimin semblent trop occupés à se chamailler pour remarquer qu'il reste encore une bonne partie de la nourriture sur la table.

Pendant le repas, Yeontan est parti rejoindre son maître, me privant de sa compagnie apaisante. Les deux autres n'ont pas l'air dérangés par mon silence et mon regard trop insistant. La tendresse qui habite leurs joutes verbales est limite palpable, c'est trop pour moi je crois. Je baisse les yeux sur mes mains, posées entre mes genoux croisés et les passe machinalement sur mon pantalon cargo.

Le langage des yeux n'est pas quelque chose que je cultive avec eux malheureusement. Là est bien toute la distance qui nous caractérise. Je reste leur collègue, un dongsaeng, un ami. Eux sont bien plus.

En cogitant, je me mets à passer mes mains sur mes cuisses.

Est-ce que je peux rentrer chez moi ? À nouveau, je me sens comme un enfant que l'on trimballe de force avec soi... Je n'ai pas ma place ici.

Je pensais que Jimin m'avait invité car il était inquiet pour moi. Au final, j'ai l'impression de m'incruster dans un rendez-vous qui n'était pas le mien. De base, c'est Taehyung qui s'est ajouté. Pas moi. Je ne comprends plus mes émotions. Je devrais être soulagé que leur attention ne se porte pas sur moi. Mais je me sens... moqué.

Pris pour un con.

– Tu veux jouer avec Yeontan ?

Je relève la tête, abandonnant mes mains que je n'ai cessé de tourner et retourner.

Taehyung me fixe en me tendant d'une main le petit chien qui se laisse faire, son museau tourné vers moi, presque quémandeur. Je tends les bras et me saisis de l'animal.

Lui, au moins, ne me fait jamais mal.

– Ce n'est pas grave s'il aboie, me murmure Taehyung quand je m'éloigne plus loin dans le salon pour jouer.

Vraiment ? Ça m'étonne de sa part.

– Tu veux que je m'éloigne alors ? je demande de loin, tandis que les deux sont interrompus dans leur conversation, conversation que je n'ai jamais suivie.

Taehyung me jette à peine un regard quand il me répond.

– Non, non, restez près de nous.

Eh bien, mon cher Yeontan, c'est jour de fête !

Aussitôt dit, Taehyung se tourne vers Jimin en saisissant sa coupe de vin. Elle flirte jusqu'à ses lèvres, puis se penche contre sa bouche. Le liquide glisse dans son gosier. Ce geste est terriblement sensuel. Fut un temps, il m'aurait fixé par-dessus son verre d'un air érotique. Puis il m'aurait appelé, pour dévorer mes lèvres. Inconsciemment, je les humecte et détourne le regard en rougissant.

À quoi je pense...

Je décide de me concentrer sur Yeontan pour jouer avec lui. Allongé sur le vente, je mets ma tête à son niveau et cache la peluche qu'il déchiquetait plus tôt contre mon ventre. Aussitôt, il colle sa petite truffe contre mon nez, mon cou, descend vers mon buste pour attraper la peluche. Je me soulève légèrement, lui offrant une ouverture, qu'il s'empresse de visiter. Et il tire la peluche en aboyant joyeusement. Je tourne la tête vers Taehyung, qui continue de parler avec Jimin sans nous jeter un regard.

Un enfant, c'est ça. Je suis un enfant qui préfère jouer avec un chien plutôt que de faire un effort pour rester avec eux.

– Jungkook, tu n'as pas beaucoup mangé ! J'ai pris de l'agneau pour toi, je sais que tu adores ça ! crie soudainement Jimin.

Allongé sur le dos, Yeontan sur mon torse, je tourne la tête vers les deux garçons qui m'observent.

– Yah, tu en as trop commandé, je gémis d'inconfort tandis que le petit chien remue contre mon ventre.

Puis Yeontan s'éloigne. Je sens de l'air froid sur la peau de mon ventre. Les mouvements du chien de Taehyung ont relevé mon pull. Je m'empresse de rabaisser l'habit mais capte déjà le regard pénétrant de mon hôte.

– N'importe quoi, répond Jimin. C'est toi qui ne mange pas assez. Tu nous as habitué à plus ! Je vais appeler ta mère pour qu'elle t'empiffre une fois chez elle.

– Tu veux un dessert ? J'ai des fraises, propose Taehyung.

Il n'attend pas de réponse et se lève aussitôt, sûrement pour aller en chercher. Sa rapidité me stupéfie mais je finis par hausser les épaules.

Je m'empare aussitôt du chien pour le capturer entre mes bras et l'étouffer. Il commence à se débattre et à aboyer tandis que je rigole contre sa fourrure, en position fœtale sur le sol, lui contre mon cœur.

– Aouuuh, aouuh... je gémis contre lui.

Le pauvre, je le maltraite vraiment.

Il n'a pourtant pas l'air de se plaindre, car quand je le relâche il se jette sur mon visage qu'il tente de lécher.

– Non, non, non ! je crie en me relevant. Pas bien ! On ne lèche pas !

– Il te faut vraiment un chien Kook, marmonne Jimin, les yeux perdus sur l'écran de son téléphone.

Moi, un chien ? Je manque de ricaner. Si j'avais un animal chez moi, il me détesterait, très certainement. En plus, nous sommes tout le temps en déplacement. Comment trouver du temps pour s'en occuper ?

Taehyung revient avec un bol de fraises tandis que Jimin, avachi dans le canapé, continue de zieuter son téléphone. Je m'apprête à me lever pour le rejoindre, mais Taehyung arrive droit sur moi, son bol toujours entre les mains.

– Ne bouge pas. J'ai retiré les queues et je les ai lavées.

J'ai à peine le temps de comprendre qu'il est déjà devant moi. Et quand il s'agenouille, son visage envahit mon espace vital, ses yeux attrapent les miens. Nous n'avons pas été aussi proche depuis trop longtemps. Perdu dans ses prunelles, je fouille dans l'encre qui me fait face. Mais je ne sais pas lire.

Sa figure s'abaisse, et j'examine ses doigts qui saisissent une fraise. Quand il l'approche de ma bouche, légèrement entrouverte à la vue du joli fruit, je remarque ses yeux, rivés sur mes croissants de chair. Et ce simple regard réveille en moi une chaleur dévastatrice. Bon sang. Je me sens rougir. Mais Taehyung semble concentré sur sa tâche. La pulpe fraîche de ses doigts effleure soudain mes lèvres, puis les touche plus franchement quand elles font glisser le fruit sur ma langue. Ses ongles ripent sur ma bouche quand il retourne chercher un fruit.

– Tu aimes ? il me demande, curieux, ses yeux brusquement plongés dans les miens, un peu hagards.

Mes joues me brûlent encore plus mais je mâche et avale docilement.

– C'est délicieux.

– Les gars, je reviens, je dois passer un appel.

Le temps de lever la tête, je vois Jimin disparaître dans l'entrée puis fermer la porte d'entrée, obnubilé par son écran, heureusement. Et moi, je me sens dépassé par les évènements, dépassé par cette solitude retrouvée, avec lui. On n'est que tous les deux et mon cœur bat la chamade.

Je cherche dans son regard, mais rien ne s'en échappe. Pas perturbé pour un sou, il se contente de saisir une nouvelle fraise pour la faire glisser à nouveau entre mes lèvres.

Et soudain, j'ai envie de fondre en larmes.

Taehyung est en train de me nourrir.

À l'intérieur de mon être, au plus profond, dans le coin le plus reculé, ça me fait quelque chose d'indicible. Je suis bouleversé. Je vois trouble. Les larmes comment à voiler mon regard, mon champ de vision se brouille de plus en plus.

Non, je ne dois pas pleurer. Ce n'est rien pour lui. Il fait ça sans savoir.

Pourtant, il pourrait. Il pourrait lire en moi.

– Mange, murmure-t-il en continuant son manège.

Ses yeux embrassent mes lèvres. J'ai même l'impression que ses mains caressent ma bouche, par moments, mais peut-être que je m'imagine des choses. Et puis je ne suis plus moi. Dans un état second, bercé par les senteurs et le goût de ces fraises outrageusement délicieuses, j'oublie tout. Je n'ai jamais eu aussi faim. Avide, je mange avec plus de gourmandise, en fermant les yeux. Le noir sous mes paupières me libère de toute retenue. Car je ne me maîtrise plus : ma langue s'aventure sur les doigts de Taehyung, et ma bouche les embrasse parfois maladroitement, parce que j'en veux plus, toujours plus...

– C'est bien.

Sa voix grave est comme une caresse sur ma peau. Elle s'échoue sur mon menton, toute proche. Et j'ai l'impression qu'on est enfermés, dans ce microcosme que je ne peux m'empêcher de chérir secrètement. Son odeur, à la fois boisée et mielleuse, m'enserre et me réconforte. Son souffle bute près de mes lèvres humides, couvertes de jus écarlate.

Lorsqu'il ne reste plus rien, Taehyung pose son autre main sur ma joue qu'il caresse délicatement de son pouce, tandis que son nez frôle le mien. Mais son action est trop rapide. La stupéfaction a chassé mes larmes, prêtes à dévaler ma figure.

Quand j'ouvre les yeux, Yeontan aboie.

– Ah non ! Tu te calmes toi, rouspète Taehyung en lui jetant un regard faussement colérique.

J'ai envie de l'embrasser.

Mais ce n'est pas possible.





Je suis étendu sur mon lit d'enfant, les bras écartés. Le soleil de la fin de journée s'allonge sur mon corps. Et même s'il me réchauffe, ses rayons ne laissent aucunes traces sur ma peau. Je n'ai pas pris de couleurs depuis un long moment. Le printemps a beau s'être invité depuis un mois, je reste blanc, comme un fantôme. Peut-être que la lumière du jour arrive à m'effacer... Ce ne serait pas pour me déplaire.

J'entends soudain mon téléphone vibrer contre ma cuisse. Maladroitement, je le tire de ma poche en soupirant.

Taehyung

Nouveau message

Tiens. Aussitôt, je me remémore l'épisode un peu trop troublant des fraises. Bon sang... Heureusement que Jimin nous as laissés...

Curieux, je me retourne pour m'allonger sur le ventre et déverrouille mon téléphone. Ce n'est pas tous les jours qu'il pense à m'écrire...

Taehyung à 18 h 15
Salut

Franchement ?

J'attends un peu. Il va forcément écrire autre chose. C'est quand même bizarre de me saluer sans raison particulière.

Je décide de ne pas lui répondre tout de suite et me promène un peu sur les réseaux sociaux. Je sais, c'est mal. Mais de temps en temps, je craque juste un peu, pour voir ce qui se raconte...

Les théories sur la nouvelle couleur de cheveux de Jimin ont envahi les réseaux tandis que Jin s'est fait photographier dans un restaurant huppé de Gangnam. Je vois quelques remarques sur mon style vestimentaire.

« Il ressemble à un sac poubelle kkkkk »
« Le mec a oublié qu'il était idol ou comment ça se passe »
« J'adore omg !! »
« trop moche on le reconnaît pas »

Bon O.K., je quitte l'application. Et je repense au SMS de Taehyung que j'ai envie d'ignorer. Sauf que je suis faible. Et curieux.

Moi à 19 h 33
Salut ?

J'ai hésité à ajouter le point d'interrogation.

Taehyung
En train d'écrire...

J'attends.

Il n'écrit plus.

– Jungkook, tu descends ? On va passer à table !

L'appel de ma mère me tire de ma contemplation. Je me lève aussitôt et abandonne mon portable sur le lit, laissant Taehyung de côté, juste le temps d'un dîner avec ma famille.

J'espère qu'il va bien au moins.




Le kimchi de ma mère m'avait terriblement manqué. Repu, je caresse silencieusement mon ventre en émettant un soupir de bien-être. Mon père m'observe d'un air attendri.

– Notre petit Jungkook était en manque de kimchi je crois bien !

– Oh oui, je rigole avec lui.

– Oui enfin... tu n'as mangé que deux bols, et pas le bulgogi, mon lapin, se lamente ma mère.

C'est déjà énorme, si tu savais maman...

Quand je suis arrivé hier, ma mère a littéralement explosé de joie, remerciant le ciel pour ce cadeau d'anniversaire. Junghyun était là. On a passé un moment exceptionnel tous les quatre et ma mère a versé une larme quand je lui ai offert son cadeau : un dessin à l'aquarelle encadré et un nouveau sac à main.

Ma mère adore l'art pictural. Notre maison est remplie de dessins de mon père, mon frère et moi. Nous sommes ses petits artistes... L'ensemble a l'air parfois désordonné, mais chaque œuvre est disposée comme il faut, du moins selon elle.

Depuis que je suis rentré, je suis aux anges, j'en oublie ma vie à Séoul. J'ai l'impression de prendre la place qui me revient, de renouer avec le vrai moi, le Jungkook qui a encore droit aux plaisirs de la jeunesse.

Est-ce que je vis de la bonne manière ?
Pourquoi suis-je seul dans un espace et un temps différent ?



On a fini de manger. J'ai insisté pour faire la vaisselle et ranger la table. Ma mère ne voulait pas mais Junghyun l'a forcée à quitter la cuisine. C'était assez drôle. Je sais qu'elle doit arrêter de me materner, mais secrètement, j'aime plutôt ça.

Junghyun reste discuter un moment avec moi pendant que je savonne nos bols et nos baguettes. Il me pose toujours les mêmes questions.

Mon frère a toujours essayé de rentrer dans mon monde, il a toujours posé ce regard curieux sur ma personne, et je sais que son attention est sincère. Je sais qu'il m'affectionne. Sauf qu'il n'est pas comme Namjoon, par exemple. Ou même Taehyung, en fait.

Il n'arriverait pas à me comprendre, à comprendre ma vie, mes sentiments. Je le sens, dans son regard. C'est une distance qui n'a aucun remède.

Et puis, pour être honnête, je ne suis pas certain de vouloir qu'un membre de ma famille pénètre cet espace.

Une fois notre discussion terminée, je quitte la cuisine pour chercher un vêtement chaud dans ma chambre. On aimerait bien sortir un peu avec mon frère, juste pour s'aérer, profiter du calme nocturne. J'attrape mon téléphone et enfile un sweatshirt à Junghyun, qui me tombe jusqu'aux cuisses, avant de dévaler les marches.

– Tu vas tomber... m'avertit Junghyun d'un air sévère.

Je lui tire la langue, tout en volant le bob de mon père, toujours accroché à la rambarde des escaliers. Mon frère prévient les parents que nous allons marcher tandis que je sors distraitement mon portable.

J'ai un SMS de Jimin et de Hyejin, une amie proche de mes années de lycée. Mais surtout, j'ai deux messages de Taehyung... Je déverrouille aussitôt l'écran.

Taehyung à 20 h 34
Pardon, je crois que je préfère t'appeler.

M'appeler...? Pourquoi voudrait-il m'appeler ? Est-ce que..?

Je médite le temps de traverser une rue, deux rues avec Junghyun. Et je réponds, bien sûr.

Moi à 20 h 38
Tout va bien ?

Taehyung à 20 h 39
Je ne sais pas.

Je m'arrête net.

« Je ne sais pas. »

– Qu'est-ce que tu fous ?

Mon cœur s'est arrêté.

Je crois que Taehyung va mal. S'il n'est pas clair avec moi, c'est qu'il ne veut pas déranger. Est-ce que je l'appelle ? Pourquoi est-ce qu'il se tourne vers moi ? Il pourrait contacter Jimin. Ou Jin. Ou... bordel, tout le monde, mais pas moi.

– Kook... ça va ?

Je ne sais pas dans quel état il est. Le monde n'existe plus. Je n'entends rien autour de moi.

Il n'y a que Taehyung.

– Je... désolé. C'est Taehyung... Je dois juste lui répondre, je murmure d'un air absent.

Mes yeux et mes mains s'accrochent à mon téléphone, telle une bouée de sauvetage.

Jungkook à 20 h 41
Tu es seul ?

Taehyung à 20 h 41
Oui.

Merde...

Moi à 20 h 41
Tu veux m'appeler ?

Je propose ça sans même savoir si j'ai la capacité de supporter ce poids. Dans quoi tu t'embarques Jungkook...

Je me remets à marcher, la boule au ventre. Junghyun me fixe d'un air inquiet.

– Tout va bien ?

– Hyung... Dis-moi... Tu trouves que je suis immature ?

– Immature ? Non, enfin pas spécialement. Je veux dire, par moment tu as peut-être des tics enfantins, mais tu as toujours été très sérieux et appliqué, même petit. Tu n'as pas été un enfant difficile !

Mon soupir dessine dans la nuit un chemin de buée hasardeux.

– Et... tu accepterais de sortir avec quelqu'un de mon âge, par exemple ?

– Tu convoites quelqu'un de plus âgé ?

Je rougis aussitôt à cette remarque.

– Non...

J'observe le profil de mon frère tandis qu'il réfléchit en fixant la rue d'un air distrait.

– Ce n'est pas une question d'âge en réalité, mais d'attitude... et de fusion dans la relation. Mais pour certains, l'âge est important, surtout en Corée. Même amoureux, je refuserais de sortir avec une fille mineure.

Ce n'est pas le moment d'avoir cette discussion. Les mots de mon frère font remonter en moi une armée d'insécurités et d'amertume.

– Je dois appeler Taehyung, ça ne te dérange pas ?

– Non, du tout. Attends-moi ici, je vais nous acheter des boissons. Assieds-toi sur ce muret !

Aussitôt, il se dirige vers une superette, à 500 mètres de là. Je remercie mon grand bob de mon père qui cache presque tout mon visage.

Taehyung à 20 h 43
Appelle-moi quand c'est bon pour toi.

Moi à 20 h 44
J'appelle.

Dès que j'envoie le message, je sens les battements de mon cœur s'accélérer. Mes mains sont moites. Maladroitement je les essuie contre mon jean. Quelqu'un passe dans la rue... Fort heureusement, c'est un homme d'une cinquantaine d'années qui ne semble pas me reconnaître.

Je déclenche l'appel en me raclant la gorge pendant les tonalités.

– Allô ?

– Salut... Euh...

Je ne sais pas quoi lui dire. Super. Je crois que ma nervosité transparaît beaucoup trop parce que j'entends Taehyung soupirer.

– Désolé, je ne voulais pas te stresser avec mon dernier message. Je voulais juste te parler de la publicité Hyundai...

Je fronce les sourcils, plutôt surpris par son approche.

– ...Euh... Oui ?

– Ça ne te dérange pas si on échange nos plages horaires ? Je ne pourrai pas me libérer le mardi. Tu rentres quand de Busan ?

C'est une blague ?

Dites-moi que c'est une blague.

Heureusement que je suis assis. Mon cœur freine brusquement.

– Je rentre demain, je souffle.

– D'accord, ça pourrait coller tu penses ?

– J'imagine oui...

Je suis dans un état second. Alors, c'est juste pour ça qu'il m'appelle ?

Est-ce qu'il m'a utilisé ? J'entends sa voix, à l'autre bout du fil, sans saisir le moindre sens à ses mots, à ses phrases. C'est un long discours pourtant. Pourquoi faut-il que je n'arrive pas à le suivre à cet instant ?

« Les sentiments te rendent faible, Jungkook », j'entends dans ma tête.

Non, non pitié. Tout mais pas ça.

Mon souffle s'accélère.

Quand Junghyun revient avec nos boissons, je lève sur lui mon regard brillant, et je le supplie silencieusement de me tirer loin de toute cette merde. Je lui demande avec les yeux de m'arracher ce téléphone portable de l'oreille. De m'arracher Taehyung du cœur, de l'effacer de ma mémoire et de mon corps.

Mais comme toujours, Junghyun ne comprend jamais vraiment mon regard.

– ...vraiment triste pour nous.

Silence.

– Jungkook ?

Je reconnecte aussitôt. Mais aucun son ne sort de ma bouche.

Mes larmes dévalent la pente rebondie de mes joues.

Ces putains de joues pouponnes que tu adorais tripoter Taehyung.

Je sens Junghyun attraper le téléphone.

– Je suis désolé, il te rappellera.

Et il raccroche aussitôt.

Je veux Hobi. Je veux que Hobi me prenne dans ses bras. Qu'il caresse mes cheveux en murmurant que tout ira bien, que ce n'est pas grave de pleurer, qu'au contraire c'est mieux de pleurer. Il vaut mieux que ça sorte non ?

J'ai le souffle qui s'accélère, sort en saccades de ma bouche.

– Jungkook, qu'est-ce qui t'arrive...

Junghyun s'agenouille face à moi, posant ses mains sur les miennes, sur mes genoux.

– Je ne comprends pas... j'ai l'impression qu'on t'a cassé...

Je gémis en fermant les yeux, rentre la tête, me recroqueville sur moi-même, sans parvenir à calmer ma respiration.

J'ai honte, je me sens immonde. Je ne veux pas qu'il me voit ainsi.

– Comment te réparer...

Je ne sais pas.

Je ne sais pas.



J'ai supplié Junghyun de ne rien dire aux parents. Je ne veux pas qu'ils s'inquiètent.

On a bu en silence nos boissons. Il m'avait pris une brique de lait à la banane.

J'ai vu que Taehyung m'avait renvoyé trois nouveaux messages. Mais je ne les ai lus qu'une fois rentré, réfugié dans mon lit.

Taehyung à 20 h 58
Tout va bien ? Tu es avec ton frère ?

Taehyung à 21 h 12
Réponds-moi s'il te plaît... Je m'inquiète pour toi.

Taehyung à 22 h 10
J'ai essayé de t'appeler. Envoie-moi quelque chose s'il te plaît Jungkook... N'importe quoi. J'ai besoin de savoir que tu vas bien, surtout en ce moment.

Pourquoi a-t-il l'air si préoccupé à mon sujet uniquement dans ses messages ? Une colère sourde gronde en moi, mais je l'étouffe et lui réponds de la manière la plus distante possible.

Moi à 22 h 45
Je vais bien. Pardon. C'est bon pour mardi. Bonne nuit Taehyung.

Taehyung
En train d'écrire...

Taehyung à 22 h 46
C'était ton frère, tout à l'heure ?

Moi à 22 h 46
Oui.

Je n'attends plus rien de lui. Pour éviter de trop penser à notre échange de ce soir, je décide d'aller voir les messages que Jimin m'a laissés.

Jiminie à 17 h 30
Alors Kookie, tout va bien chez tes parents ? C'était cool de déjeuner chez Tae tous les trois, il faudra se refaire ça.

Sans moi.

Jiminie à 21 h 24
Hey tout va bien ? Taehyung vient de m'appeler, je crois qu'il est inquiet. Et moi aussi je le suis. Ne nous laisse pas dans le brouillard, s'il te plaît...

Jiminie à 22 h 48
Donne un signe de vie quand même. S'il te plaît 💜
Je vais dormir. Je t'aime.

Je me sens trop coupable de les inquiéter autant. Pourquoi faut-il que je sois le putain de maillon faible de ce groupe ? J'ai tout fait pour être comme vous vouliez. J'ai grandi, j'ai discipliné mon corps, j'ai entraîné ma voix, jour et nuit, j'ai canalisé mes émotions, j'ai accepté la décision de Taehyung... Que vous faut-il de plus ?

Moi à 22 h 53
Pardon Jiminie, je profite vraiment de ma famille ici. Je vais bien ne t'en fais pas. Bonne nuit ♥️

Quand je reçois un message de Taehyung, mon cœur reprend sa course folle...

Taehyung à 22 h 55
Il s'est passé quelque chose ?

Je reste figé face à l'écran. Je devrais l'ignorer, mais...

Moi à 23 h 12
Non ?

Taehyung à 23 h 13
Arrête de mentir. Je vois bien que tu vas mal. Tu n'arrives même pas à faire semblant. Tu crois que le mensonge te protègera jusqu'à quand ? Jusqu'à ce qu'on te perde ? C'est ça que tu veux ?

Il me confronte, essaie de m'énerver un peu, pour me tirer les vers du nez. Mais je ne rentrerai pas dans son jeu. Je le connais suffisamment.

Moi à 23 h 15
Mais de quoi tu parles ?

Taehyung à 23 h 16
Tu n'es qu'un égoïste.

Pardon ?

PARDON ?

Moi à 23 h 16
Moi ?

Taehyung à 23 h 18
Oui toi. Tu t'enfermes dans ton mal-être sans rien nous dire. Ça fait un moment que les garçons sont inquiets tu sais ? On échange régulièrement pour savoir qui a des nouvelles de toi. Je te le demande à nouveau : est-ce qu'il s'est passé quelque chose ? Ne mens pas.

Je fonds en larmes. Alors toutes les fois où j'ai cru qu'il était inquiet... Tous ces regards, ces mots, ces attentions... tout ce que j'ai pris pour une trace d'affection... c'était juste professionnel ? Juste pour satisfaire les garçons et leur inquiétude inutile ?

Alors il m'a vraiment abandonné ?

Et cette question, que je ne peux m'empêcher de ressasser fait éclater mon cœur en mille morceaux. Encore. Encore. Si seul. Je suis si seul.

Je gémis comme un animal blessé, me recroqueville sur moi-même, mords mon oreiller, suffoque. Et sans réfléchir, je lui écris ce que je hurle à l'intérieur de moi depuis des mois.

Moi à 23 h 45
J'en peux plus.

Taehyung à 23 h 45
Appelle-moi.

Moi à 23 h 45
Non.

Il m'appelle, mais je l'ignore. Je suis dans un tel état de détresse que je ne fais plus écran entre mes pensées et mes mots.

Il arrive toujours, toujours, à me pousser dans mes retranchements.

Moi à 23 h 45
Je peux pas parler

Taehyung
En train d'écrire...

Moi à 23 h 46
Je ne sais plus quoi faire pour que vous soyez contents de moi.

Il s'est arrêté d'écrire. Je crois qu'il est attentif.

Moi à 23 h 48
Tu m'as abandonné et j'ai cru mourir, mais j'ai réussi à passer au-dessus, j'ai compris que tu ne voulais pas d'un gamin. Aujourd'hui je n'arrive même pas à me définir. Je suis encore au point zéro, et toi tu es là-haut. Laisse-moi maintenant.

Je coupe mon téléphone. C'est trop pour moi, et au plus profond de mon cœur, là où tout n'est plus que ruines, je sais que je suis incapable de supporter sa réponse, quelle qu'elle soit.

_____________

Les phrases en gras et en italiques sont des paroles de My Time.

NDA
J'espère que vous aimez ce premier chapitre sinon ! Il est assez long, j'ai tendance à trop écrire... :(
Et puis ben.. c'est un début lol.

Forlasass

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