Assise sur son nouveau lit, Kasuga essaya de trouver du courage pour envoyer un message à son ancien tuteur.
Ils ne s'étaient pas vus depuis son départ au laboratoire et il ne l'avait jamais contacté depuis. Elle se demanda pendant un moment si sa gentillesse n'était qu'un mirage. Les parents ou personnes soucieuses envers quelqu'un, paraît-il, tentaient de s'informer le plus souvent possible d'un proche loin d'eux. Mais là, absolument rien.
Comme si le destin n'était pas satisfait de tous ses tracas, après leurs achats indécents dans le centre commercial, l'adolescente eut le malheur de poser une seule question. Celle qui briserait le semblant de confiance qu'elle avait en son frère. Ils mangeaient tous les deux un repas riche en gras et toxique par rapport à son régime initial prescrit par sa nutritionniste. Kasuga devait savoir combien il restait pour terminer la fin du mois.
Kiyouji s'était figé avant de se mettre à rire nerveusement. Il lui montra les factures élevées, puis pointa du doigt les placards presque vides. L'homme n'avait presque rien gardé pour les nourrir.
« Bon bah on va manger de l'eau pendant quinze jours. »
Avait-il dit le sourire maladroit aux lèvres. Sans remarquer l'air sombre de sa pauvre sœur. Ils avaient savouré leur dernier repas correct avec les larmes aux yeux.
D'un énième souffle, la blonde laissa tomber sa tête sur le coussin. Ils étaient mal barrés. Elle qui comptait participer complètement aux cours de sport se trouvait dans une situation bien délicate. Elle ne pourrait pas supporter l'entraînement intensif de Karasuma avec le ventre vide. Au risque qu'un assistant social soit appelé pour surveiller son grand frère immature, Kasuga ne pouvait rien dire à personne. Juste encaisser et acquiescer avec le sourire.
Face à son miroir, ses deux pouces tirèrent le coin de ses lèvres vers le haut. Ses yeux lavande encraient dans son esprit comment, quand et pour qui elle devait faire cette grimace calculée. Puis, elle adoucit ses yeux dans l'espoir d'assembler le tout dans une expression douce.
« Ce n'est pas encore ça, intervint Kiyouji. Relâche tes épaules et penche un peu la tête sur le coté. Aussi, détends les muscles de ton visage. »
L'interpellée eut pendant quelques instants un visage vierge avant de suivre les conseils de son aîné. Ce nouveau air semblait en effet plus affectueux et moins forcé. Elle le vit dans le reflet lever les pouces et sourire avant de tomber paresseusement dans son lit. L'aîné l'entraînait depuis une bonne heure à pratiquer ses masques faciaux.
« Kasuga, je m'ennuie ! Arrête de faire la tête. »
Comme si quelqu'un avait entendu son appel, un certain professeur déguisé pitoyablement en humain apparut à la fenêtre. Kiyouji regarda longuement Koro et le poulpe retourna le regard avant de s'affoler.
« C'est qui ? Un cambrioleur ? Qu'est-ce qu'il est laid, ce mec... »
La blonde leva la tête pour voir son professeur se retenir désespérément au bord et la supplier de l'aider. Elle soupira et ouvrit sa fenêtre, le professeur rentra deux tentacules pour un meilleur maintient. Le bleu ne semblait pas particulièrement choqué que quelqu'un soit face à lui, suspendu à plusieurs étages du sol. Au contraire, il était très amusé par la situation.
« Je suis son professeur ! s'agita l'inhumain.
- Oh, salut ! Moi c'est son frère.
- Monsieur Koro, voici mon grand frère Kiyouji. Nous vivons ensemble depuis peu. Pourquoi êtes-vous venu jusqu'ici ? Y a-t-il eu un problème ? »
Le poulpe lui offrit un papier avant de reprendre son équilibre, trop conscient du regard analytique de l'homme. Kiyouji ne devrait pas être au courant de son existence même avec ses liens de sang avec les meilleurs scientifiques du pays, espérait la jeune sœur.
« Une fête ? demanda la blonde après avoir lu la fiche. A la gare de Kunugigaoka à dix-neuf heures... Je ne pourrais pas venir, Monsieur. Il faut s'habiller d'une tenue traditionnelle ou quelque chose du genre, non ? De plus, nous avons encore des cartons à ouvrir.
- J'ai entendu parler de cet événement ! s'exclama joyeusement le bleu. Y'a vraiment une tenue obligatoire pour y aller ? Mince, tant pis. De toute façon la gare est à trente bornes d'ici.
- Non, rien n'est obligatoire ! rectifia le professeur. Vous pouvez venir comme vous êtes maintenant et même en pyjama. Tout est bon.
- Je pense que je risque de me faire arrêter si je viens nu, songea à voix haute Kiyouji. Mais c'est vraiment autorisé ? Super !
- Quoi ? Non, attendez ! »
Koro tenta désespérément de résoudre le malentendu alors que la fille préparait déjà son sac en prévision. Un festival était quelque chose qu'elle-même n'avait jamais fait, et son frère sauterait certainement sur l'occasion de s'amuser et tenter de nouvelles choses dans un même temps.
Quand Kiyouji termina son débat, enfila un t-shirt tendance et que le professeur partit prévenir d'autres de ses élèves, ils sortirent tous les deux avec des sacs vides dans les bras, un peu d'argent dans la poche et la conviction d'obtenir le maximum de prix.
Pendant leur longue route où le bleu ne regardait même pas des deux cotés avant de traverser, Kasuga se demanda si il était vraiment étranger de sa mission d'assassinat. Il fouillait souvent dans le bureau de leur père pour s'occuper et chercher des choses compromettantes pour pimenter un peu son existence.
Sa connaissance sur Koro ne serait pas une très grosse surprise. Mais avant qu'elle ne puisse demander ou dire quoique ce soit, ils arrivèrent au petit festival et elle n'eut pas le cœur de le sortir de sa rêverie. Les yeux de son aîné scintillaient d'excitation.
Une autre tête bleue attira son attention sur son camarade de classe. Nagisa lui fit un signe de main et un sourire quand il la vit et s'avança, Kayano à sa droite. Les deux s'inclinèrent brièvement devant son frère par politesse quand il toussa pour faire signe de sa présence.
« Salut, Kakuei ! s'exclama Kaede. Je suis contente que tu aies pu venir. Nous ne nous sommes pas vus pendant si longtemps, tu n'imagines pas tout ce qui est arrivé à Okinawa...
- On a failli mourir, ajouta nerveusement Shiota. »
Le frère nota avec surprise qu'ils appelaient sa sœur par son prénom. Avec l'attitude maladroite de Kakuei, il s'attendait à ce qu'elle soit plus seule qu'autre chose. De son coté, cette dernière était dans un tout autre esprit : soulagée de voir que Nagisa aussi s'était vêtu simplement.
Pour la deuxième fois de la journée, Kiyouji se présenta paresseusement aux deux adolescents. Tandis que lui allait dans le stand de boissons pour boire et manger à l'œil, Kasuga suivit ses camarades de classe. D'un seul regard, le frère et la sœur commencèrent un concours de celui qui reviendrait à la fin de la nuit avec le plus de nourriture et cadeaux.
Même si la fille aux yeux d'améthyste ne participait pas complètement aux cours de sport, il lui arrivait parfois de s'entraîner au tir et au lancé de couteaux. Elle avait un net avantage et gagnait la plupart des prix, ruinant les stands, avec ses amis.
« Je suis désolée, Monsieur.
- Partez ! s'exclama le vieil homme. »
Chiba et Hayami à ses cotés soupirèrent de tristesse. En tant que meilleurs tireurs de la classe, ce stand était bien trop facile pour eux. Kasuga rit et leur tapota le dos à chacun avant d'aller au prochain.
Un peu plus loin, le garçon au teint bronzé mangeait tout ce qu'il pouvait. Plutôt dérangé par cette jolie blonde plantureuse qui lui faisait de l'œil depuis cinq minutes.
« Pas intéressé, répéta-t-il une énième fois quand elle tenta de s'accrocher à son biceps.
- Quel insensible... Serait-ce le frère de Karasuma ?!
- Je dois y aller, bonne soirée. »
Le trentenaire se leva pour aller à sa prochaine victime, déjà trois sacs pleins dans les bras. Il restait ennuyé mais surtout confus de l'attention qu'on lui consacrait, lui qui ne se considérait que dans la moyenne et encore. L'homme se dit que cette jolie blonde était juste trop éméchée pour estimer correctement la qualité. Bien que Kiyouji s'en fichait, étant de très loin un partisan des jeux de l'amour.
Alors qu'il faisait un détour pour aller aux toilettes publiques, le frère sentit une présence écrasante dans son dos.
Il frissonna de tout son long. Quand le bleu se retourna, le cœur battant, la chose sembla disparaître et la sensation de yeux sur lui partie aussi vite qu'elle était venue. Ses épaules se détendirent et il zieuta rapidement chaque recoin autour de lui. Kakuei ne comprenait pas pourquoi il se sentait aussi oppressé, et il n'allait pas attendre de le découvrir.
Mais on l'arrêta brusquement. L'homme ressentit le métal froid d'une chaîne écraser sa trachée à l'en faire suffoquer. Il tenta désespérément de frapper son agresseur. Mais son poing rencontra le vide.
« Q-Qu'est-ce que...
- Grand frère ? »
Kasuga l'attrapa par le bras, lui arrachant le début d'un cri et un sursaut violent. Il se sentait mal et anxieux pour la première fois de sa vie en la regardant. Il passa ses mains sur son cou, la douleur disparue, avant de retourner ses yeux de feu sur son visage surpris et effrayé.
« Ç-Ça va ? Est-ce que je t'ai fait peur, grand frère ? Je suis tellement désolée si c'est le cas ! »
Dans le reflet de l'eau, Kiyouji remarqua qu'il n'y avait pas le moindre trace sur son cou. Mais la sensation fantôme du métal sur le point de lui briser la nuque et le claquement des chaînes étaient toujours claires et nettes dans sa mémoire.
L'aîné secoua sa tête. Impossible de savoir ce qui venait de se passer clairement. L'homme fit un bref sourire à la cadette en attente de la moindre réaction nocive de sa part et retourna à la fête.
« Désolé, oublie ça.
- P-Pardon si j'insiste mais... Est-ce que tu te sens bien ? Je t'ai entendu crier.
- Tout va très bien, vraiment. »
Son ton glacial la fit s'arrêter sur ses pas. Même si il ne voulait rien dire, Kasuga l'avait vu. Cette lueur de peur intense dans ses yeux.
Mais elle ne put rien demander de plus qu'un coup de feu retentit. La dernière festivité avait commencé : les feux d'artifices. Contrairement à ce qu'elle pensait, seule et perdue, la blonde n'apprécia pas le spectacle comme elle l'espérait. L'adolescente se sentait trop inquiète pour son aîné.
Un peu plus tard, sur le chemin du retour, Kasuga se retrouva à marcher patiemment aux cotés de son tuteur silencieux. Il s'était arrêté aux trois sacs et elle à deux de jouets et trois de nourritures. Ils pourraient faire cinq ou six jours maximum.
« Koro... Quel nom bizarre, déclara-t-il finalement. Au fait, Kasuga, quand comptais-tu me prévenir ? »
Elle se figea. L'autre Kakuei s'arrêta sur ses pas pour se retourner et la regarder avec son sourire énigmatique de signature. Les engrenages fonctionnaient dans son crâne et se voyaient presque dans ses yeux plissés malicieusement sur son visage afin de récolter la moindre expression pouvant la trahir.
Mais dans ce petit jeu, Kasuga excellait aussi bien que lui. Pour son bien et le sien, elle joua l'ignorante.
« De quoi parles-tu, grand frère ? »
Elle fut perturbée par son changement de comportement. Même si son frère était du genre à passer à autre chose rapidement, l'enfant ne l'était pas. Encore moins quand il avait l'air si effrayé et perdu quelques minutes plus tôt.
« Hah, tu penses vraiment que je suis si ignorant ? fit-il en frottant un doigt au milieu de sa tempe couverte de son bandana. Je vois tout. Je vois aussi comment tu vas mourir, sœurette. »
Ils n'avaient jamais évoqué l'expérience de leur mort. La blonde sentit son cœur se tordre de malaise. Allait-elle vraiment mourir à la fin de l'année scolaire ? Kiyouji suivrait-il juste après ? Elle secoua légèrement sa tête pour s'échapper de ses réflexions. Il cherchait à la déstabiliser en changeant de sujet.
« Qu'est-ce que tu sais ?
- Tout et rien à la fois. »
L'homme sourit avant de reprendre la route.
Il ne savait pas si le destin pouvait être changé. Encore moins si sa mort était inévitable.
Mais Kiyouji n'allait pas rester les bras croisés.
《 Trouble de la personnalité : « Modalités de comportement profondément enracinées et durables consistant en des réactions inflexibles à des situations personnelles et sociales de nature très variée. Ils représentent des déviations extrêmes ou significatives des perceptions, des pensées, des sensations et particulièrement des relations avec autrui par rapport à celles d'un individu moyen d'une culture donnée.» selon l'OMS dans la CIM.》