"Nous ne pouvons pas devenir ce que nous voulons être en restant ce que nous sommes" - Oprah Winfrey
[Vendredi 23 Octobre, 17 heures 11, Lycée Collinwood]
Je touche nerveusement mon lobe d'oreille en regardant par la fenêtre de la salle d'étude du Lycée Collinwood. La surveillante entre alors dans la pièce, paquet de feuilles à la main, et les poses sur le bureau.
- Bon, Monsieur Riton m'a donné ça à vous faire faire. C'est le travail que vos camarades ont fait ce matin. Commence la surveillante. Une fois finis, vous copierez le règlement jusqu'à la fin de votre colle.
James pouffe légèrement de rire sous le regard noir de la surveillante.
-Non mais vraiment ? On copie le règlement ? Mettez-vous à la mode m'dame, ici on est au lycée, plus au collège.
- Peut-être que toi ça ne te fait rien James, mais je suis sûr que ça sera une leçon pour Elliot. Sur ceux au travail. Je serais dans la salle d'à côté alors pas de bruit.
Elle nous distribue les feuilles puis les dictionnaires avant de sortir de la salle d'étude en fermant la porte derrière elle.
Une fois la porte fermée, je baisse les yeux vers la feuille d'exercice. James se lève et se dirige vers les étagères de livre près du bureau des surveillants pour fouiller à la recherche d'un livre intéressant pour passer l'heure.
Je relève lentement la tête vers lui.
- Qu'est-ce que tu fais... ?
-Pas envie de faire leur boulot à deux balles. Je cherche un livre cool à lire. Répond-il simplement.
- Parle moins fort... Je chuchote à nouveau. Et pourquoi tu m'as accompagné en colle alors si c'est pour ne rien faire ?
- Tu te feras moins chier s'il y a quelqu'un avec toi comme ça. Dit-il sans baisser le volume de sa voix.
Je soupire avant de remettre mes yeux sur ma feuille d'exercice. Franchement, ils auraient pu me faire faire mon heure de colle pendant l'étude. Bon, j'imagine que se serait plus vraiment une punition s'il n'y avait pas d'heures supplémentaires.
- Écoute... Je compte faire le boulot qu'elle nous a donné. Je ne devrais même pas être en colle...
Je sens son regard sur moi tandis que je commence à rédiger le premier exercice.
-J'pensais pas que t'étais ce genre d'intello qui adorait le boulot. Finit-il par dire.
-De 1, je ne suis pas un "intello" et de 2, je hais ce mot. Je fais juste preuve d'intelligence pour ne pas retourner en colle la prochaine fois. Tu devrais prendre exemple.
Mes yeux se posent de nouveau sur lui dès que je l'entends rire. Qu'est-ce qui est drôle au juste ?
- De 1, je suis en colle car tu m'as parlé et de 2, ne me dis pas que c'est ta première colle ?
Je le fixe sans répondre et il arrête de rire. J'ai vraiment une tête de cancre ou quoi?
-Attends... Vraiment ? Je pensais que t'étais le parfait populaire qui faisait chier en cours.
- Ouais t'as jugé au premier regard quoi... Je suis loin d'être comme ça.
Je repose mes yeux sur ma feuille, vexé. Quoi ? C'est chiant qu'un gars qui sort de nulle part dise des choses sur toi comme s'il te connaissait ! Certes, je n'étais pas le meilleur des élèves au collège... Mais maintenant je suis stable !
-Oh, j'ai vexé Elliot.. Dit-il d'un air narquois.
Je ne réponds rien, continuant à rédiger mon exercice. Je l'entends finalement s'avancer vers moi. Il prend ma feuille d'exercice et avant que j'eu le temps de dire quoi que ce soit, la déchire sous mes yeux.
Je me lève brusquement et l'attrape par le col.
-Putain t'es sérieux ? ! C'est quoi ton problème ? !
-Écoute, je suis venu avec toi car j'pensais qu'on allait s'amuser, ne pas faire des exercices. Dit-il sans grande réaction.
-Je t'ai jamais demandé de m'accompagner en colle abruti !
-Y'a quoi de marrant à faire l'enfant parfait ? On a qu'une vie, sérieux ! On est des ados, faut profiter et pas juste suivre bêtement un rythme imposer par les autres ! Quand ce sera trop tard, tu diras que t'as fait quoi de ta vie? "Papa a constamment suivi les règles sans jamais se remettre en question!". J'suis sûr que t'as envie de tout balancer et de t'éclater !
-Tu ne me connais pas James, ne fais pas comme si tu me connaissais depuis 10 ans sérieux alors que t'es arrivé depuis 2 jours ! On n'est pas tous comme toi !
-Bien sûr que si on a tous besoin de s'éclater dans la vie ! C'est quoi le problème ? Tes parents ? Ils vont juste t'engueuler, détends toi ! Dit-il énervé, retirant son col de mon emprise.
- Bah non ils ne vont pas juste "m'engueuler"! Si c'était le cas tu crois que je les ferai mes exercices à la con ? !
Il me regarde surpris. Bon... Ok, j'ai peut-être un peu balancé mon incroyable et palpitante vie de famille. Génial... Comme quoi "Ne jamais s'exprimer quand on est en colère et régler une dispute après" est véridique. On dit des choses bien trop vraies sur nous-même quand la rage prend le dessus.
Il affiche une moue triste que je pourrai presque trouver mignon si on n'était pas dans cette situation. Il prend ensuite simplement sa feuille d'exercice et la pose sur mon bureau.
Je la fixe un petit moment qui me semble durer une éternité. Perdu dans mes pensées, je réfléchis à plein de choses. Mon père, sa réaction, l'enfant parfait que je dois être puis mes pensées se posent sur James... C'est quoi l'éclate au juste ? S'amuser entre ados, aller à des fêtes ? Je ne connais pas tout ça... Et soudainement, je me demande si je suis capable de ne pas être ce gamin parfait une fois dans ma vie. Je suis tellement indécis que dès qu'on trouve les bons mots, je remets tout ce que j'ai fait jusqu'ici en question. C'est au tour de James de me mettre le doute. Regretterais-je plus tard de ne pas avoir été moi-même et d'avoir fait en sorte de tout faire comme mon père le voulait?
Je soupire et lui rends sa feuille qu'il reprend surpris.
-Hein ? Je pensais que...
-J'en ai marre de faire l'enfant parfait ce soir... T'as dit que tout le monde devait s'éclater ? Essayons. Voyons si j'ai besoin de m'éclater.
Il me regarde un instant pas réellement sûr de lui avant qu'un sourire malicieux traverse son visage. Il s'approche de la fenêtre de la salle d'étude du rez-de-chaussée avant de l'ouvrir.
- J'en étais sûr! J'me demande à quoi il ressemble l'autre Elliot. S'esclaffe James.
Je réfléchis un instant. Je pense avoir oublié quel genre de gars je suis. Au collège, j'étais le fauteur de troubles, j'étais vraiment un sale gosse. L'image du cancre qu'il avait de moi n'était pas totalement fausse comme quoi... Pour toute réponse, je range mes affaires, mets mon sac sur mon dos et m'avance vers la fenêtre avant de passer de l'autre côté, atterrissant à l'extérieur du bâtiment. Il range à son tour ses affaires et me suit en souriant.
-Tu ne crains pas la moto j'espère ? Me demande-t-il en se dirigeant vers le parking du Lycée.
- T'as le permis ?
-Ouais, si on veut.
-C'est censé me rassurer..?
Il rit de nouveau avant d'escalader la petite murette nous séparant du parking. Je le suis espérant qu'il sache conduire une moto et que ce qu'il a dit n'est qu'une simple blague.
Ce soir-là, j'ai laissé l'enfant parfait dans cette salle d'étude. Et puisque je pensais que je pourrais le redevenir, je ne me suis pas inquiété. Mais j'aurai dû, car ce soir-là, il avait complètement disparu...
[Vendredi 23 Octobre, 17 heures 32, Lycée Collinwood]
- On va où ? Demande-t-il en sortant ses clés.
-Chez toi ?
Nous montons tous les deux sur sa moto après avoir sorti les casques du coffre de son véhicule, moi derrière lui, tandis qu'il se tait l'air de réfléchir à ma proposition, avant de soupirer.
-Je ne préfère pas.
-Pourquoi ça ? Tes parents ne peuvent pas être pires que les miens ! Dis-je en riant légèrement pour détendre l'atmosphère.
Il me sourit doucement venant mettre le casque sur sa tête et enfoncer ses clés dans le tableau de bord faisant démarrer sa moto.
-Ce n'est pas ma famille le problème. C'est plus... Le quartier.
-Un quartier de dealeur ? T'es un gangster ?
Il s'éclate de rire. Il existe des quartiers de dealeurs? Je me doute qu'il ne vaille mieux pas trainer dans les parcs ou dans les ruelles sombres la nuit... Mais de là à avoir des quartiers?
-Ne dis plus jamais un mot pareil ! C'est ridicule ! Dit-il en pouffant de rire.
Je le suis dans son fou rire puis il reprend un peu plus sérieusement.
-Non, en vrai, je peux toujours te ramener et tes parents ne sauront pas pour la colle.
-Tu m'as demandé d'être moi James, je suis moi. Et le moi que je connais sans moque de l'avis de ses parents. Sortons juste au parc !
-T'es sûr ? J'veux dire... Tes parents enfin... De ce que j'ai compris...
-Je suis sûr. Je le coupe.
-Ok blondinet, alors allons au parc.
-Mais... J'suis pas blond premièrement! Châtain foncé s'il te plait!
-C'est ça p'tit blond, allez grimpe.
Je fais la moue et monte derrière lui en tenant son T-shirt. Pas que je ne suis pas à l'aise mais pas à l'aise du tout à moto ! Bon, en tout cas, je suis assez content de la journée, j'ai bien fait de pas la rater même si je me sens encore un peu malade.
La route défile et le paysage change. On voit déjà le parc de loin, impossible de le rater avec ces grands chênes.
Il se gare sur une des places du parking alors qu'on descend tous les deux. On marche silencieusement vers le parc. Je regarde les terrains de jeux et les bancs. Les enfants ont l'air de s'amuser après l'école et plusieurs groupes d'adolescents traînent près des assises. J'avais presque oublié l'atmosphère joyeuse de ce genre d'endroit...
J'y venais souvent quand j'étais gamin. Pour être seul... Pleurer sûrement, loin de tout... Ce n'était pas glorieux mais j'en avais besoin, aujourd'hui encore d'ailleurs même si je n'en ai plus l'occasion. Enfin, voilà des années que j'y étais pas allé, depuis le collège je crois.
James monte sur la cage à poules et s'y assoit. Je le regarde faire en restant debout face à lui.
– Ça fait du bien de sortir ! Une minute de plus au lycée et je pétais un câble ! S'exclame-t-il en soupirant.
Je ris légèrement tandis qu'il me sourit.
-J'attends tes remerciements pour cette idée de génie.
-Dans tes rêves blondinet. Me répondit-il en souriant.
Je lève les yeux vers le ciel avant de poser ma main sur les barres de la cage. Ce surnom me fait rire, je ne suis vraiment pas blond mais alors vraiment pas ! Opposé total je dirais même !
-Tu viens souvent ici... bouclette ?
Il s'éclate de rire.
-Oublie ce surnom ridicule blondinet !
-Oublie le mien alors bouclette.
Il passe sa main dans ses cheveux bouclés. Je trouve que ça lui fait vraiment quelque chose. Ses cheveux sont bruns bouclés et concordent parfaitement avec sa peau légèrement bronzée et ses yeux verts. Je n'avais pas vraiment pris le temps de le regarder... Non ça c'est faux, j'essaye de me le dire à moi-même... Mais il est vraiment beau garçon, enfin, ça ne m'étonne pas vu que toutes les filles le veulent !
-Je n'oublierai pas ton surnom, il te fait chier donc c'est bien. Me dit-il en souriant.
-Mouais mouais... Mais je ne suis pas blond. Je ne sais pas si tu le vois bien ?
-Je le vois, mais châtaignier c'est encore pire, donc contente-toi de blondinet !
-Tu pouvais aussi juste m'appeler Elliot... Je fais légèrement la moue alors qu'il se baisse pour pincer ma joue.
- Ne boude pas. Dit-il en riant doucement. Et pour répondre à ta question, très souvent. Et toi ?
-Plus maintenant, mais l'endroit est sympa !
-Le parc est cool, t'auras plus l'occasion de venir avec moi maintenant. Il me sourit et se redresse.
Je lui souris. J'avais oublié que ça pouvait être si simple d'avoir des amis. En tout cas, il a sous-entendu qu'on viendrait souvent ici ensemble et d'un côté, je trouve ça vraiment super.
-Je te présenterai à mes potes demain ! Je m'exclame en souriant.
Son visage se renferme immédiatement.
-Hum... Je ne préfère pas. Il soupire et descend de la cage à poule.
-Pourquoi ? Ta peur d'eux ? Dis-je en riant doucement.
-Non c'est que... Je préfère rester avec toi, enfin que toi... J'suis pas très à l'aise avec eux... Je n'aime pas trop les gens en général en fait... Et dans ce lycée il put tous le fric, sauf toi.
Je ne sais pas si je dois me sentir honoré ou énervé d'un coup. Enfin... C'est toujours plaisant quand quelqu'un dit qu'il t'apprécie... Tu te sens aimé pour de vrai. Et puis bon, ne pas "puer le fric" est pour moi le plus beau des compliments! On ne m'associe pas à ma famille de cette manière au moins.
-E-eh bien... Merci ? Mais il y en a beaucoup comme moi tu sais !
-Même, m'en fiche...
Il détourne le regard, on dirait un enfant qui boude ou fait sa crise.
-Un vrai gamin ce mec!
-Je ne te permets pas déjà blondinet.
-La palourde a dit quelque chose ? Je lui souris tandis qu'il tire à nouveau ma joue.
- La palourde a surtout la dalle, t'aurais à manger ? De la viande genre ?
- Aie ma joue! Je grimace. De la viande ? Mais il est à peine 18 heures !
-Pas d'heure pour manger ! Tu me payes de la viande ?
-Tranquille ? Tu ne veux pas un taco aussi ?
Il me fait un grand sourire. Moi ? Trop facile à convaincre ? Ouais.
[Vendredi 23 Octobre, 18h02, Parc]
Je sors du KFC avec les wings à emporter et me dirige de nouveau vers le parc. J'espère que je ne l'ai pas trop fait attendre. Enfin, il n'avait qu'à m'accompagner aussi !
Je sursaute à l'entente d'une phrase qui ne me fait pas vraiment plaisir à entendre... Je m'avance avant de remarquer deux hommes près de James et d'une fille. James à l'air très énervé tandis que la jeune femme se tient derrière lui. Les deux hommes face à lui, eux, semblent tout autant énervés.
-T'as un problème putain de pédés ? ! Crie le premier des deux hommes.
-C'est toi mon problème connard ! S'énerve James.
-Oula j'ai peur... Ris le second gars.
Dans quoi il s'est encore fourré ? Plusieurs personnes se stoppent et regardent la scène tandis que la jeune femme tente de calmer James. Je m'approche doucement ne comprenant pas vraiment comment une dispute aves ces inconnus a pu commencer.
-James.. S'il te plaît... Demande-t-elle doucement.
-Ouais "James", écoute la demoiselle ! S'éclate de rire une nouvelle fois le second.
-Ne t'approche même pas d'elle toi ! Crie de nouveau James en serrant ses poings.
-Quoi ? Ce n'est pas notre faute, elle nous cherche avec sa tenue d'aguicheuse !
-Elle ne met pas sa tenue pour tes putains de fantasme à la con ! Elle s'habille comme elle veut putain de connard ! Approche toi encore une fois d'elle et je refais ton portrait!
-A t'entendre, on dirait que j'allais la violer... Toucher ce n'est pas violer ! S'exclame de nouveau le premier en criant.
-Et mon putain de poing dans ta gueule ce n'est pas frapper peut-être ? ! Elle te l'a autorisé ? ! Ose la toucher et je t'arrache le peu de couille que tu as !
-Répète ? ! Hurle presque le premier gars avant de venir frapper au ventre James.
Personne ne bouge son cul c'est dingue ! Maintenant que je comprends que ces mecs sont bien des pourris, je lâche la nourriture et cours vers eux pour les stopper, ou au moins tenter de faire un truc ? Appeler les flics déjà non ? ! Je ne sais pas quoi faire !
James lui rend ses coups un à un. Je l'attrape par l'épaule pour tenter de l'arrêter. L'autre mec stoppe son pote à son tour.
-Ta gonzesse est venue t'aider ? ! S'éclate de rire le type en reprenant son souffle.
-Ferme ta gueule ! Crie de nouveau James.
-C'est bon mec arrête... On se casse, ils ont appelé les flics... Dit doucement le second avant de partir en courant avec son ami.
Je soupire. Je déteste voir les gens se battre... Enfin bon, dommage que les flics ne soient pas arrivés plus tôt pour attraper ces connards ! Je me tourne vers la jeune femme pour lui demander si tout va bien. Enfin, ça c'était avant que James ne me pousse en se mettant à jurer.
-Pourquoi tu nous as arrêtés ? ! J'allais l'éclater et il aurait regretté ce qu'il a fait !
-Wow wow ! Doucement mec ! Ça ne servait à rien de se battre ! Je comprends que tu es énervé il y a de quoi ! Mais j'voulais pas que tu te retrouves chez les flics ou que tu sois blessé.
-'tain... Tu casses les couilles !
-James... Sois gentil avec lui... Demande gentiment la jeune femme.
Il grogne simplement. Tandis que je m'apprête à demander de nouveau à la jeune femme si elle va bien, pour m'y assurer, mon téléphone vibre dans ma poche. Je le sors venant l'allumer avant de le regarder. Je me fige sur place à la vue des notifications qui inondent mon téléphone.
18h30... 7 appels manqués de mon père... Un appel entrant... Le dîner d'affaires...
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