(Trois ans plus tôt)
Joel et moi venions de revenir de Cheyenne.
Il m'avait préparé son célèbre double hamburger avec supplément de bacon et on les avait dégustés devant « Un monde parfait » avec Kévin Costner et Clint Eastwood. Ce film racontait l'histoire d'un cambrioleur qui avait mal tourné et qui lorsque son complice tente de tuer leur otage, un jeune garçon, il l'élimine et part avec l'enfant.
Ils vont vivre une magnifique aventure à deux et se rapprocher alors que rien ne semblait aller dans ce sens. Notre histoire en quelque sorte.
Après le film, j'aidais Joel à faire la vaisselle.
- Comment va Dina ?
- Ça va. Elle est allée passer la soirée avec Jesse pour se remettre de ses émotions.
- Ouais, on a eu une grosse journée aujourd'hui.
- Je commence à m'y faire depuis le temps. Mais quand-même...des trafiquants d'organes.
- Tu ne pourras jamais t'y faire.
Je rangeais des assiettes dans le placard et dit :
- Merci d'être venue me libérer.
- C'est normal.
Je pris mon manteau et franchissait la porte de la maison que je fermais derrière moi et alors que je poussais le portillon, j'entendais la porte s'ouvrir encore.
- Et c'est tout ?
Je me retournais, ne comprenant pas.
- Quoi c'est tout ?
- Tu t'en vas comme ça ?
- On a passé une chouette soirée, on a regardé un bon film, qu'est-ce qu'il te faut de plus ?
- Ça te suffit peut-être mais pas à moi. Je veux qu'on retrouve une vraie relation toi et moi.
- Rêve toujours.
- Je sais ce que j'ai fait Ellie. Je sais que je n'irais pas au paradis quand mon heure viendra. Mais j'avais quand-même l'espoir de croire qu'avec le temps, tu aurais pu comprendre que ce que j'ai faits était ce qui me semblait juste.
- Ce qui te semblait juste ?
Je le regardais comme s'il était devenu cinglé.
- Massacrer tous ces gens, c'était juste pour toi ? Non, tu veux que je te dise la vérité ? Tu as agi pour ta gueule Joel. Tout-ça parce que tu as été seul une majeure partie de ta vie et que tu avais peur de le redevenir. C'était la seule raison.
Il fixait mon regard et ses yeux lançaient des étincelles. Je savais bien ce qu'il avait enduré et j'étais consciente que ce n'était pas bien de lui dire ça mais c'est ce que je ressentais.
- Tu m'as percé à jour.
- Quoi ?
- Tu as mille fois raison, j'ai agi par pur égoïsme. La première fois qu'on est arrivée à Jackson et que je t'ai livré à Tommy pour qu'il t'accompagne chez les lucioles, tu m'as dit que tu ne voulais plus être seule.
Je m'en souvenais très bien. Je lui avais dit que je ne serais jamais en sécurité avec un autre que lui parce que j'aurais encore plus peur
- C'était-il y'a longtemps.
- Or, ajoutait-t-il en faisant mine de ne pas m'avoir entendu, c'est mon cas aussi comme à beaucoup de gens. Et, c'est ce qui serait arrivé si je t'avais perdu. J'aurais pu finir comme Bill, paranoïaque, reclus et ne voulant plus voir personne. Avec tous ceux qu'on a perdu c'aurait été compréhensible : Tess ; Henri ; Sam ; ton amie Riley aussi, tes parents, tous morts à cause de cette foutue épidémie.
A mesure qu'il énonçait tous ces noms j'essayais de me souvenir le plus précisément d'eux ou, dans le cas de mes parents, de les imaginer.
- Et c'est pour ça qu'il fallait faire quelque chose.
- Peut-être pour ces gens-là, mais tous ne le méritaient pas. Souviens-toi de David, ce chef de cannibales qui mangeait des humains et était prêt à faire de même avec toi, voir pire peut-être. Ou mieux encore : Marlène, la supposée meilleure amie de ta mère qui était prête à te tuer pour ce remède. Et tous ces chasseurs qui ont essayé de nous abattre. Non, j'ai préféré me concentrer sur les humains en qui je croyais. Alors je me fiche que tu comprennes ou pas mais ne t'attends pas à ce que je regrette ce que j'ai fait
Je m'approchais de lui et dit :
- Avant de te rencontrer, je n'avais aucune liberté. Je n'avais jamais pu décider de ce que je voulais faire de ma vie car le destin a toujours été contre moi.
- Je sais.
- Bon sang, la ferme et écoute-moi :
Il s'assit sur la terrasse et faisait un signe vers moi pour m'inciter à poursuivre.
- Tous ceux que tu as cité, je n'ai jamais oublié comment ils sont morts.
Depuis mon enfance, je n'ai jamais pu prendre ma vie en main. Mon père m'a abandonné à la naissance ; ma mère est morte en me donnant la vie et dès ce jour-là, j'ai perdu mes deux parents.
C'aurait surement été plus facile s'ils avaient été là, mais ça n'a pas eu lieu. Alors on m'a forcé à passer quatorze ans de ma vie en zone de quarantaine. On m'a empêché d'avoir une enfance normale. Et puis j'ai rencontré Riley. Pour la première fois de ma vie, il y'avait quelqu'un avec qui je m'entendais bien.
J'avais une amie.
Mais elle s'est faite mordre et je l'ai perdue. Et j'ai survécu à cette morsure, alors je me suis dit que pour une fois j'allais faire quelque chose de bien dans ma vie. Que je pouvais être utile à de nombreuses personnes.
Et puis je vous ai rencontré toi et Tess. Et celle-ci est morte parce qu'elle voulait nous protéger. Par la suite, on a rencontré Henri et Sam avec qui on a fait un bout de chemin. On s'entendait bien. Mais Sam s'est fait mordre et Henri a dû le tuer avant de retourner l'arme contre lui.
Toutes ces pertes qu'on a vécues, je les encaissais. Même si ça faisait mal, je gardais toute cette peine accumulée en moi et je la transformais en force. Car ça me rappelait toujours pourquoi je devais le faire.
Je voulais faire en sorte que personne d'autre ne devienne une nouvelle Riley ou un nouveau Sam.
Alors je m'étais décidée et quand on est arrivé, j'étais prête. Pour une fois, j'étais prête à décider de ce que je voulais faire de ma vie. Mais toi, tu m'en as empêché. J'avais fait mon choix, mais tu en as décidé autrement. J'aurais pu le faire. Je le sentais, mais tu as décidé de me priver de cette chance.
Et ce n'est pas ça le pire.
Le pire de tout, dans l'histoire, c'est que je t'ai demandé à plusieurs reprises si tu m'avais dit la vérité. Mais toi, tu n'as fait que me mentir, encore et encore.
Tu étais celui en qui je croyais le plus. Celui dont je n'aurais jamais cru qu'il me ferait souffrir. Et finalement, tu es celui qui m'a causé le plus de peine. Ça ne changera rien à tout ce que tu as fait pour moi, mais rien ne pourra redevenir comme avant entre nous.
Il soupirait et levait la tête vers les étoiles.
- Je le sais très bien. Je ne me fais pas d'illusions. Mais laisse-moi te dire une dernière chose : un jour, tu auras surement toi aussi des enfants. Tu les aimeras comme je t'aime et tu leur promettras d'être toujours là pour eux.
Et il y'aura des gens qui tenteront de leur faire du mal, alors tu sortiras les griffes, et tu feras des choses pour lesquelles ils te détesteront énormément. Mais tu continueras de les aimer peu importe les vacheries qu'ils te balanceront. Parce que tu sais que tout ce que tu as fait, c'était pour les protéger. Pour leur donner les chances que tu n'as pas eu et un meilleur avenir. Et quand ce jour-là arrivera, alors tu comprendras pourquoi j'ai fait ça.
Il se levait et rentrait dans la maison.