Ex Anima

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Le miroir ne renvoyait pas le reflet escompté. Celui du salon. Axel ne se voyait pas.
Et puisqu'on parlait de choses étranges, le loyer de cet appartement était drôlement bas.

— Où est l'embrouille ? demanda Axel une fois la visite terminée, sur le ton de la rigolade.

Seulement il ne rigolait en rien. À son sourire, l'agent immobilier s'autorisa à sourire aussi, mais passa la main dans sa nuque avec un malaise très clair :

— Tout... tout l'immeuble faisait partie d'un plan logement sociaux, ça n'a pas vraiment marché... Mais tout est rénové à neuf, comme vous avez pu le voir. Le chauffage est central, il n'y a que l'électricité qui soit à votre charge.
— Hum.

Axel était un peu plus grand que l'agent. En se tournant vers lui, il lui lança un sourire carnassier. Il n'était pas dupe.

— Si vous souhaitez réfléchir, on peut peut-être prendre rendez-vous dans la semaine...?

Ce n'était pas une histoire de HLM qui avait mal tourné.
Non, cet immeuble, cet appartement, ils étaient hantés.

— Pas la peine, répondît Axel, avec toujours ce même sourire. Je le prends.

Il était au pied du mur. Sans logement pendant une période de temps trop grande, il apparaitrait comme Marginal.
Manifestement, il allait partager les murs avec un fantôme.

—–—

Il s'appelait Axel Montague, c'était son vrai nom. Il avait eu, hélas, la malchance de naître roux, ce qui était très rare, alors bien entendu, tous les clichés racistes le chassaient de la moindre opportunité d'emploi. Il avait dû s'inventer une vie de développeur-programmeur. Freelance, la façade parfaite.
Personne ne voulait de lui quand il était Axel. Mais quand il enfilait son sweat à capuche turquoise, c'était fou, tout le monde se mettait à l'adorer. Quand il mettait son sweat turquoise, il devenait le dealer du coin.
Il vendait des petits sachets de poudre rose, pliés en triangle dans un papier fin, et tatoués d'un smiley. On se serait étonné de ce choix de carrière, pour quelqu'un comme lui qui cherchait tellement à faire profil bas. Mais Axel était plus malin que ça. Si jamais on le pinçait, il voulait tomber pour traffic de drogue. Aux yeux de la loi, c'était bien moins grave que ce qu'il faisait vraiment.
Car finalement, tous les clichés racistes avaient raison pour lui.
Il était roux, il avait les yeux verts. Il était une sorcière.
Pas étonnant que sa petite poudre rose ait autant de succès. Si tous ces abrutis avaient seulement su qu'ils avalaient du sucre et de la magie. S'ils savaient seulement pour quoi leurs mains se mettaient à trembler quand ils n'en avaient plus.
Il n'y avait plus de peine de mort depuis longtemps, dans tout Sandra. Plus pour les sandres, les citoyens. Mais voilà, légalement, les sorcières n'étaient pas des citoyennes. Légalement, elles n'étaient même pas des chiens. Elles étaient la maladie que Sandra tentait frénétiquement de guérir de son territoire. De purger. À grand coup de zèle, et grands coups de feu.
Une sorcière. Il n'existait pas de terme masculin pour ça. Les sorciers, ce n'était pas la même chose, c'était des imposteurs. De petits magiciens de pacotilles, juste bon à faire sortir des chauves-souris de leurs chapeaux. Non, Axel était une véritable, une authentique sorcière. Et c'était plutôt cliché, de se retrouver dans un appartement hanté, hein ?
Bah... Les gens étaient tellement effrayés par le surnaturel que s'en était devenu tabou. Le gouvernement sandre s'en était assuré. Alors si la petite agence qui possédait le bâtiment voulait continuer de le louer, et même d'exister, la dernière chose qu'ils allaient faire serait appeler un Exorciste d'Etat. Ou attirer l'attention sur eux de quelque manière que ce soit.
Et c'était parfait, pas vrai ? C'était, en tout cas, le meilleur contexte qu'Axel puisse espérer, dans sa... situation. Son état, sa rousseur.
Ainsi, la semaine suivant sa première visite, il avait emménagé.
Et durant les premiers mois, pas de signe d'un fantôme. Ça voulait dire qu'il n'était pas hostile, ou en tout cas, pas territorial.
Axel ne s'était pas trompé dans sa première lecture des lieux, il y avait bien un esprit ici, celui d'une personne décédée. Il aurait pu parler d'énergie résiduelle, de saveur spirituelle dans l'air, de trace, mais il avait utilisé une méthode de détection bien plus pragmatique. Il avait regardé son téléphone.
À l'extérieur, dans la rue. il y avait une connexion qu'on pouvait en toute franchise qualifier de merdique. Et dès qu'on entrait, dès qu'on ouvrait la porte de l'appartement, le wi-fi et la 4G devenaient excellents ? Ça n'arrivait que dans les contes de fées. Ou dans les lieux hantés par un certain type d'esprit. Celui qui avait essuyé une mort violente. L'intensité de ce qui restait derrière eux amplifiait toutes les sortes d'ondes, de champs électriques ou magnétique.
Donc non seulement il y avait un esprit dans cet appartement, mais en plus il avait été tué, horriblement assassiné. Et paradoxalement, il n'y eu aucune trace de lui, à part ce wi-fi d'excellente qualité. Rien. durant les premiers mois, au moins.
Le premier contact finit par arriver.
Axel se levait à l'aurore, pour préparer sa petite poudre rose. À une heure à laquelle les gens dormaient encore, mais où la nuit était claire, pour se dissimuler au mieux. Qu'on ne perçoive pas le moindre éclat de lumière, que personne ne soupçonne rien. Après tout, il aurait suffi d'un seul coup de fil pour que la police militaire vienne frapper à sa porte en criant sorcière. Et après quelques heures d'interrogation, en espérant pour le scénario chanceux, elle l'achèverait d'une balle dans la tête. Pour Axel la discrétion n'était pas une option.
Alors il passait le plus clair de son temps dans le silence quasi complet. Il y a une chose que l'on se dit toujours, quand on entend craquer les vieilles bâtisses, les planchers secs. C'est la maison qui vit. Mais Axel était plus avisé que ça.
Il n'allumait pas la lumière, quand il pratiquait la magie. Aussi, depuis quelques heures, il était plongé dans une pénombre silencieuse, presque comme si elle retenait son souffle. La cuisine était étroite, tout l'était dans cet immeuble. L'absence de bruit était ponctuée de sons à peine présents, presque piqués en filigrane sur le paysage audible. C'était les chauffages, les canalisations d'eau. Les courants électriques. La respiration d'Axel.
Il respirait en silence, lui aussi. Il s'y était surpris plusieurs fois. Pour ne pas attirer l'attention. Devenir invisible. Il avait toujours eu le pas de velours, presque comme un voleur. Un assassin. Souple comme une ombre. Il l'était, cette ombre, celle de chacun de ses clients, quand ils léchaient leur papier plié en triangle. Il était derrière eux à chaque fois, sans bruit.
Au rythme du murmure qu'on n'entendait pas, Axel pilait doucement des morceaux de sucre et quelques épices dont il avait le secret. Il récitait la formuler dans sa tête, et avec le bout de ses doigts. La pénombre rendait tout ce qui était blanc aussi sombre que du rouge sang. Personne ne s'était demandé pourquoi la poudre était rose.
Avec une cuillère toute particulière, Axel en appliqua des quantités régulières sur ses petits carrés de papier, déjà estampillés de son smiley. Il prépara chaque dose, une centaine, et ensuite, méticuleusement, les plia.
Ce traffic de drogue, d'hallucinations et d'addiction, était incroyablement rentable pour lui. Ça ne lui coûtait que le prix du sucre, du papier, et de l'encre pour le tampon du smiley. Ça, et le prix du temps, aussi. Ce n'était pas cher payé pour gagner sa vie.
Ce n'était pas cher payé pour ruiner les leurs. Les sandres... contrairement à lui, quand sa vie avait été ruinée, ils revenaient pour en demander toujours plus. Ils se sentaient tellement atypiques, d'une manière tellement intéressante, qu'ils revenaient et se vantaient de le faire.
Ils se congratulaient de connaître un dealer, de consommer des substances douces, si bien que sans ce confortable statut social de pseudo marginaux, ils n'étaient plus rien. La véritable addiction, elle était là.
Tous les triangles furent pliés. Et l'aube commençait à se lever. C'était bientôt l'heure. Axel, satisfait par anticipation, se leva pour aller chercher son sweat turquoise.
Il cachait sa marchandise dans les manches de celui-ci. Il n'était pas une sorcière pour rien, même si ce n'était pas un tour très complexe. D'ailleurs, il aurait pu le faire dans n'importe quel vêtement, mais il préférait rester organisé. Ne pas s'éparpiller, garder le contrôle.
Il y avait deux portes, à la cuisine. La première menait au salon, et éventuellement à la porte d'entrée, et la seconde, au couloir étriqué qui ouvrait à droite sur la salle de bain, les toilettes, et enfin, la chambre. Le sweat de dealer était dans la chambre, caché dans une armoire qui apparemment venait avec les murs.
Axel s'engagea dans le couloir. Il y posa un pied. Et sous celui-ci, comme jamais auparavant, le plancher craqua au point de l'en faire sursauter. Dans le silence quasi-total, ce fut comme un long gémissement, presque un pleur. Axel tenta malgré tout un autre pas, et ce fut encore pire. Le sol paraissait se tordre et craquer de douleur sous la sorcière, dans un vacarme assourdissant.
Et tout ce bruit, bien sûr, attira l'attention de quelqu'un. N'est-ce pas ? Quelqu'un au bout du couloir. Axel ne le remarqua pas tout de suite. Mais il vit, du coin des yeux, la porte du fond s'ouvrir lentement. Il en sortit une lumière orangée. Pas naturelle, et pourtant pas électrique. Vacillante. Comme des flammes.
Un frisson lui parcourut le dos du bas des reins jusqu'à la nuque. Il savait ce que c'était. Il le sut quand une forme bougea, au fond du couloir. Quand elle s'extraya lentement par la porte entrouverte. Une forme noire, une... silhouette. Humaine.
La frayeur se répandit en Axel instantanément, comme une vague de sang glacée projetée sous sa peau par son cœur soudain affolé. Il se retrouva paralysé. Il savait ce que c'était, en face de lui. Un esprit. Un esprit capable d'ouvrir les portes. Une forme à peine humanoïde, noire et brisée, qui sortit de la chambre sans faire le moindre bruit. La lumière mourut derrière elle, et bientôt il n'y eu plus rien à voir. Les yeux d'Axel auraient eu besoin de plus de temps pour s'habituer à cette obscurité glaciale. Mais ils n'en eurent pas.
Le plancher se mit à crier à nouveau. Ce n'était pas Axel. Il n'avait pas bougé.
Un autre grincement. Toujours plus fort, comme si les lattes étaient éprouvées par le poids d'une tonne.
Un autre. Plus proche.
Est-ce que ça s'accélérait...?
Un autre. Un autre. Un autre. OUI ! Axel, de terreur, parvint à bondir en arrière, désarçonné par le parquet qui maintenant hurlait à la mort. Mais retourner dans la cuisine n'allait pas l'aider. Le sol de tout l'appartement était fait de parquet.
En quelques secondes à peine, la silhouette émergea du couloir. Elle partait en miette comme un morceau de charbon trop brûlé. Elle n'avait plus de tête.
Plus de bras gauche.
Plus tout à fait de jambes.
Axel savait ce qu'il avait en face de lui mais savoir n'aidait en rien. Cette chose était morte. Il n'y avait rien qu'elle craignait. Alors que lui, vivant, il était fragile. La panique qui s'agrippa soudain à lui était ce qu'il y avait de plus naturel. À chaque pas de l'esprit, le plancher vacillait avec une plainte si violente qu'elle en devenait douloureuse. La silhouette se mit à courir.

Kingdom Hearts - Ex AnimaWhere stories live. Discover now