1 : un prologue, une renaissance et Saint Charles

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LE CIEL LABOURÉ d'éclairs blancs donnait à Ariel Muller le sentiment d'épier une entité divine déchirer du papier d'aluminium sous l'éclairage cru d'un néon

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LE CIEL LABOURÉ d'éclairs blancs donnait à Ariel Muller le sentiment d'épier une entité divine déchirer du papier d'aluminium sous l'éclairage cru d'un néon. Ou bien était-ce le joint sur lequel il avait tiré avant de partir – le « tire-moi, tire-toi » joint – qui continuait à s'acharner sur son cerveau. Odin l'avait spécialement dosé pour le trajet jusqu'à son nouvel internat (« tu vas  voir, ça va assommer tes pensées plus sûrement qu'un shot de whisky ! du coton dans les oreilles et du bonheur dans les yeux, voilà ce que ça fait ! ») et maintenant que la voiture cahotait sur un chemin serpentant à travers les arbres d'une forêt obscure, Ariel regrettait l'estompement de ses effets relaxants.

Lorsqu'il aperçut finalement le lycée Saint Charles, ce bloc de béton fissuré en forme de grand U, l'adolescent sentit un pincement lui étreindre le cœur et l'estomac. Il détourna les yeux du dortoir qu'il devinait à travers les dernières rangées d'arbres broussailleux pour jeter à ses parents un regard suppliant – regard que seul son père réussit à capturer par le biais du rétroviseur. Sans surprise, il n'en tint pas compte. La façon dont ses narines remuaient sous sa moustache dénotait un mécontentement sincère qu'il ne parvenait plus à réprimer. Le visage d'Ariel s'assombrit et il se tassa sur son siège. 

— Vous pouvez pas me laisser ici – consciemment, j'entends – sans un regard en arrière ! s'indigna-t-il. C'est comme attacher un bébé labrador dans la forêt puis s'en aller tranquillement. Im-par-donn–able.

Son père serra les poings sur le volant et soupira. Longuement, comme pour laisser à Ariel le temps d'assimiler les paroles qu'il venait de prononcer. Souvent, il s'en fichait et profitait de ce temps de silence pour perfectionner l'insolence de ses yeux bleus. Alors, son père soupirait. Encore.

— T'as pas l'air de t'être transformé en bébé labrador dans la nuit donc tout va bien, rétorqua-t-il cependant.

D'un bond impulsif, Ariel détacha sa ceinture pour se glisser entre les sièges de ses parents. Sa mère glapit d'étonnement. Et de désapprobation.

— Regarde ce visage ! s'exclama-t-il en pointant un index sur son nez.

Son père n'eut pas la volonté de feindre l'énervement. Parfois, le comportement volcanique d'Ariel s'avérait réellement épuisant. Et dire qu'il s'était calmé depuis l'enfance.

— J'ai l'air d'un bambin, déplora Ariel en tâtant ses pommettes rondes. Mes cheveux sont tellement doux qu'ils ne réussissent même pas à s'emmêler ! Et mes cils, père, MES CILS ! Ils sont tellement longs qu'on dirait qu'ils font office de prison à mes yeux.

Dans un grognement de dépit, Ariel se redressa et laissa tomber sa frêle carcasse sur la banquette arrière.

— T'as terminé ? demanda son père.

Nouveau grognement.

— Je crois que j'ai le mal de la région, souffla Ariel en épongeant son front du dos de la main. Désolé, il va falloir faire demi-tour.

PERHAPSWhere stories live. Discover now