1. Sous la mer

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Tout cette affaire commença en fin de printemps 1413. J'étais alors dans la petite ville de Vanilir situé à quelques lieux à l'est de Valyr. La petite bourgade s'était spécialisée au fil du temps dans la création de colliers de perles, et c'était un commerce florissant *.

Ce jour là, je croisais un négociant en drap que je connaissait depuis plusieurs années et qui faisait le chemin entre la vallée d'Ylir et Ilardi. Nous partagions un certain nombre d'intérêts communs, notamment les enluminures du Xe siècle, et une sincère amitié s'était développée entre nous. C'est de sa bouche que j'appris cette affaire.

Deux jours plus tôt,alors qu'il vendait ses draps dans le port de Valyr, un navire était revenu. Il faisait parti d'une flottille de cinq bâtiments qui avaient quitté la ville au début du printemps, les cales chargés de soie de Dagatis et - plus précieux - de bois elfique. Ils prenaient la direction de l'Archipel du Scorpion et des cités portuaires du sud.

Des quatre navires qui l'accompagnait, point de nouvelles. Mais celui qui était revenuétait dans un sale état : deux des trois mâts avaient été arrachés et les voiles présentaient de grande déchirures à de multiples endroits. De plus - me confia le marchand à voix basse -le côté gauche du navire était bizarrement enfoncé au niveau du banc de nage, comme si quelque chose l'avait violemment heurté.Cette réapparition avait causé énormément d'émoi et toute la ville n'avait pas à résonner des rumeurs les plus folles.

Quant aux marins,m'apprit-il, ils avaient encore plus mauvaise mine que leur navire.Après avoir fait leur rapport à la Guilde qui les employait, ils s'étaient cloîtrés dans leurs baraquements sur le port et avaient depuis refusés de reprendre la mer.

Il n'était pas rare qu'un navire se perde en mer : la chose était même répandue,ce qui avait permit l'épanouissement de flopées d'assureurs. Toutefois, après avoir entendu cette histoire, je ne pu m'empêcher de ressentir une forte curiosité : la réaction des marins notamment me surprenait. J'échangeai encore un peu avant mon ami, avant qu'il ne reprenne la route. Cette histoire ne cessait de m'intriguer. Je décidai alors d'aller me renseigner sur place afin d'en apprendre plus.. Je rangeai mes affaires et partit immédiatement. La route filait tout droit vers la ville et le relief était plat : j'y parvenait quelques heures seulement après la tombée du jour.


Dès le lendemain matin,d'aussi bon heure qu'il est possible pour un homme déjà âgé,j'allai trouver les marins. Ils étaient quinze, dont leur capitaine,retranchés dans leur baraquement près de la mer. Ils me regardèrent d'abord d'un œil suspicieux, puis consentirent finalement à parler. C'étaient des hommes grands et solides, et leurs mains calleuses prouvaient leur long service en mer. Pourtant, ils blêmirent tous lorsque le capitaine commença son récit.

Son navire, la Perle Bleue, avait pris la mer au début du printemps en compagnie de cinq autres navires : Le Crabe,La Nymphe, LeFlot d'Argent, Le Lord Valyr etLa Fille de Joie.

Le début du voyage se déroula à merveille : un vent favorable poussait les navires et le ciel était bleu pur. Les seuls nuages visibles étaient blancs et moutonneux. Les marins se jetaient des quolibets hilares et tous pensaient revoir le pays avant le début de l'hiver, les soutes chargés d'épices. Seul les vieux marins à la barbe grise restaient sceptiques : ils savaient comme le temps en mer pouvait être changeant. 

La flotte commerciale quittait Port-en-Roche, dernier port avant la longue traversée jusqu'à l'Archipel, lorsque les premières gouttes de pluie arrivèrent. Ils avaient fait le plein d'eau et de nourritures et ceux qui le désiraient avaient pu se divertir avec les femmes-guerrières qui dirigeaient le port : ce début de pluie ne leur fit pas peur.  L'averse qui les suivit pendant les jours suivant - si elle leur gela les os et trempant leurs vêtements - ne les décontenança pas plus. Ils entreprirent de contourner la péninsule de la désolation, et ces côtes noirâtres et déchiquetées, maudites par les déesses elles-même. A cet endroit, d'imposants récifs surgissaient des fonds marins, tels d'immenses piques de roches. Toutefois, les plus rapprochées laissaient assez d'espace entre elles pour laisser passez trois navires côte à côte.

Ce fut cette nuit là que l'orage tomba. La mer jusqu'alors placide se déchaîna dans l'obscurité. Les marins avaient repliés les voiles et ne manœuvraient plus qu'à la force des rameurs, alors que les navires étaient soulevés par les vagues tels des brindilles. C'est à ce moment que sombra la Nymphe : une vague l'envoya se fracasser contre la paroi d'un récif.

La Perle Bleue se retrouva alors à la tête de la flotte. Derrière suivait Le Crabe, puis Le Lord Valyr et La Fille de Joie, presque côte à côté. Enfin, bon dernier, le Flot d'Argent. Le capitaine hurlait des ordres à ses subordonnés alors que la nature se déchaînait tout autour et qu'il pleuvait sur lui l'équivalent d'un lac. Il accueillait cette tempête avec son sang froid habituel. Un éclair éclata dans le ciel et la mer fut éclairée comme en plein jour. C'est alors qu'un marin poussa un cri à réveiller les morts et qui renvoya le bruit de la mer déchaînée à un simple murmure. Un jeune mousse tomba des cordages et se rompit le cou sur le pont, un autre compissa ses braies, tous se retournèrent. Le capitaine sentit son cœur lui remonter jusqu'à la gorge et faillit lâcher le gouvernail avant de se tourner vers le marin en question qui, l'œil blanc, pointait une des immenses piques de roches qu'ils venaient de dépasser.

Le capitaine m'apprit qu'il était mort quelques jours plus tard, le visage livide et marmonnant des paroles incohérentes. Car il y avait quelque chose d'accroché à ce récif, que la lumière de l'éclair avait permis au marin de distinguer. Les déesses firent preuve de miséricorde, car la foudre ne vint pas de nouveau l'éclairer.

Aucun ne fut capable de me dire qu'elle était cette terrible chose :le capitaine jura sur les trois déesses avoir vu une forme toute en longueur accrochée à la roche ; un mousse dit qu'il avait distingué des pattes, semblable à celles d'un crabe et plusieurs acquiescèrent. Un autre enfin, déclara avoir aperçu les reflets de deux yeux : et lorsqu'il avait voulu regarder de plus près, il en avait vu deux autres, juste au dessus des premiers. Ils furent cependant tous d'accord toutefois pour dire que la chose était gigantesque.


Le capitaine aperçut une ombre serpentine fondre dans les flots,soulevant une gigantesque vague au bas du récif. Le flot d'Argent se trouvaient trop près : l'eau le submergea.


Références :

* Rapport numéroté 11334 intitulé Grand et Petit Commerce sur les côtes de Coroïs, 1358 ap. G.D

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