01. les cris sourds

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Il y avait quelque chose chez Aurore qui plaisait à Andrea et tout chez Andrea qui plaisait à Aurore. Aurore, elle était amoureuse d’Andrea, ça se voyait comme le pif au milieu de la figure. Andrea, elle, ne savait pas trop ce que le prénom d’Aurore signifiait pour elle, alors la personne, encore moins. Mais ce n’était pas si grave que ça, parce qu’Aurore elle voulait bien vivre avec ça. Mieux valait la moitié d’une Andrea que pas d’Andrea du tout.

Il y avait quelque chose chez Oscar qui poussait Sheryl à l’aider à prendre confiance en lui et tout chez Sheryl qui redonnait confiance en lui-même à Oscar. Oscar, il ne voulait être qu’avec Sheryl, c’était aussi certain que le soleil qui brille le jour. Sheryl, elle, vivait comme elle pouvait, avec ses angoisses et son passé. Mais ce n’était pas si grave, parce qu’Oscar, il voulait bien vivre avec ça. Mieux valait se focaliser sur les problèmes de Sheryl que sur les siens.

Et puis il y avait Marcus. Celui qui donnait tout et ne recevait pas tout le temps en échange. Mais il s’en fichait bien que les gens lui portent de l’attention ou non. Ça lui faisait du bien d’aider les autres et de les voir heureux. Ça le rendait heureux à son tour. Alors Marcus, il continue de donner sans vraiment se demander quand est-ce qu’il recevra. Même si, au fond de lui, il espère que c’est bientôt. Et ça pourra bien venir d’une fille comme d’un garçon ou de quelqu’un de non-binaire, Marcus il s’en fichera, parce que pour lui, le sexe ça ne compte pas.

« T’es vraiment chiante, putain. »

Si l’on croyait Andrea, Aurore était une fouteuse de merde. Mais ça, elle le disait juste parce qu’elle avait peur de dire à tout le monde qu’elle était carrément dingue d’elle. Les élèves du Lycée Saint-Exupéry s’en foutaient probablement de qui sortait avec qui. Tous les élèves de terminale étaient beaucoup trop focalisés sur les révisions du bac blanc à venir pour en avoir quelque chose à foutre qu’une fille en aime une autre. Mais Andrea, elle ne s’en moquait pas tellement de tout ça. Elle était toujours mortifiée d’avoir embrassé Marcus lors d’un road trip cet été, même si Marcus semblait avoir déjà laissé tout ça derrière lui.

« Si tu faisais vraiment tes devoirs et que t’arrêtais de me demander les miens à chaque fois, peut-être qu’alors je te les donnerais. Mais franchement Andrea, pas tous les jours quoi ! »

« Mais tu sais bien que j’arrive à rien sans toi… »

Les ronchonnements et les compliments à peine déguisés d’Andrea, c’est ce qui faisait vraiment craquer Aurore. Alors avec un soupir de désespoir et un sourire en coin, elle avait tendu sa copie à Andrea.

Même si les élèves du lycée Saint-Exupéry se ressemblaient tous, il y avait ce groupe de cinq jeunes pas comme les autres. Beaucoup ne faisaient pas attention à eux, mais ceux qui le regardaient, ne serait-ce que de loin, se rendaient probablement compte que ce groupe n’était pas tout à fait comme les autres groupes de lycéens. Ils semblaient s’être bien trouvés, tous avec une particularité. Andrea n’y pouvait rien du tout si ses deux yeux n’étaient pas de la même couleur et Oscar ne pouvait pas changer le fait qu’il semblait y avoir plus de taches de rousseurs que de peau immaculée sur son corps. Malgré toutes les pommades et crèmes du monde, Sheryl ne pouvait pas effacer ses vergetures, mais elle se disait qu’elle pouvait plus les cacher qu’Aurore ne pouvait camoufler sa peau bicolore. Marcus, lui, personne ne savait quand ni comment il avait perdu sa jambe et personne ne semblait avoir le cran de lui demander.

Alors ce petit groupe de potes faisait parfois parler au sein des autres groupes d’élèves du lycée Saint-Exupéry, mais ils semblaient s’en ficher comme de la peste. Aucun d’entre eux n’avait échappé aux critiques au long de leur vie et ce n’était pas une de plus ou une de moins qui les blesserait réellement. Pas depuis leur road trip de l’été dernier, où ils s’étaient jurés d’accepter leur particularité physique. Où ils étaient devenus les êtres de lumière, d’après Marcus.

Ce road trip, ils l’avaient fait sur un coup de tête et si quelqu’un s’aventurait à leur demander comment ça s’était passé, les cinq jeunes auraient avoué que c’était franchement super. Mais en vrai, ce n’était pas que ça. Sur le coup, tout allait bien, malgré les deux-trois appels de parents paniqués ne trouvant plus leur gosse dans leur lit. Mais à leur retour, c’était bien pire que quelques appels téléphoniques rythmés de cris et parfois de pleurs et de larmes. Leur retour avait été beaucoup plus brutal que ça.

Ça avait commencé par la mère de Sheryl, qui les avait tous vachement engueulés parce que bon, on ne vole pas un monospace – même si c’est celui de sa mère – sans en subir les conséquences. En plus, aucun d’eux n’avait le permis. Ensuite, ils étaient chacun rentrés chez eux et quatre colères avaient éclatées dans leur petit village, si bien que lorsqu’une était hors de portée, on en entendait déjà une autre.

Les parents d’Andrea l’avaient privée de sortie jusqu’à la fin des vacances d’été. Andrea, ça l’avait pas mal peinée parce qu’elle commençait vraiment à apprécier Aurore de plus en plus et sortir avec elle – au sens propre comme au figuré – était devenue une de ses activités préférées. Mais elle comprenait que partir sans laisser de nouvelles, c’était un peu moyen quand même.

Oscar, lui, il avait un peu moins essuyé les accusations et les cris. C’est peut-être parce qu’il avait pensé à laisser un petit mot sur la table de la salle à manger avant de partir. « Je pars en voyage avec mes amis, ne m’attendez pas pour dîner ». C’était trois fois rien, mais déjà ça. Et ce petit mot, il avait été partagé entre les parents des cinq gamins, ce qui leur avait peut-être évité une engueulade encore plus sévère.

Aurore, elle avait remercié Oscar d’avoir eu la présence d’esprit de laisser ce mot et s’en voudrait à vie de ne pas avoir eu la présence d’esprit de faire de même. Par chance, ses parents avaient été absents deux semaines durant et seule sa sœur avait remarqué sa disparition. Elle s’était un peu inquiétée au début et avait su le faire comprendre à Aurore, mais tout avait été assez vite oublié.

Chez Marcus, ça avait été une tout autre histoire. Son père avait pris sa voix basse, presque chuchotée, signe qu’il était trop énervé pour crier. Quand le père de Marcus criait, ça durait une bonne minutes et basta. Quand il parlait bas, si bas que Marcus devait tendre l’oreille pour l’entendre, ça voulait dire tout autre chose. Cette voix basse rimait souvent avec punition et ceinturon. Cette fois-ci, comme toutes celles d’avant, Marcus avait fait les frais de la colère immense de son père. Il ne lui en voulait pas tellement, parce qu’il trouvait ça assez légitime, après tout, d’être autant énervé. Quand sa mère avait appris la nouvelle du retour de son fils en rentrant du travail, ce n’était pas un murmure ou des cris qui étaient sortis de sa gorge. En fait, c’était quelque chose de bien pire aux yeux de Marcus. Bien pire que les chuchotements ou les coups de son père. L’indifférence. Un simple « meh » prononcé comme on jette un mouchoir sale, suivi d’un « si t’as faim, prend le reste de soupe d’avant-hier soir ». Alors Marcus, il n’avait pas moufté, trop blessé par la boucle de la ceinture de son père et la voix robotique indifférente de sa mère. La soupe était froide et grumeleuse, mais ce soir-là, il ne s’en était pas plein.

Désormais, les cinq jeunes étaient de retour sur les bancs du lycée Saint-Exupéry et c’était peut-être mieux comme ça. Et entre leurs insultes affectueuses et leurs devoirs passés de mains en mains, personne ne se doutait qu’Andrea allait affronter la pire facette de ses parents. Personne ne se doutait que Sheryl allait apprendre une nouvelle déterminante pour son futur. Personne ne se doutait qu’Oscar vivrait une des pires expériences de sa vie. Personne ne se doutait qu’Aurore allait avoir plus d’une fois le cœur brisé. Mais surtout, personne ne se doutait que, sous une des lames de son parquet, Marcus cachait un bien plus gros secret que celui des coups de son père.

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⏰ Last updated: Nov 21, 2020 ⏰

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