La voiture s'arrête enfin devant San Isidro, l'établissement privé dans lequel je suis inscrite depuis deux ans. De derrière les vitres, je contemple ce lieu qui m'a vue grandir ces dernières années et qui n'a, visiblement, pas changé d'un iota. Les mêmes arbres fleuris bordent les allées impeccables, et les mêmes statues grecques aux visages impassibles surplombent le large escalier qui mène aux salles de classes. Je suis frappée par la permanence de ce décor, comme si cet endroit était figé dans le temps, insensible aux tumultes extérieurs. Ce qui est à la fois rassurant et presque grotesque. A peine sortie du véhicule, mes yeux se posent sur différents groupes d'étudiants éparpillés autour des parterres de fleurs soigneusement arrangés. Tiens, les géraniums semblent avoir un peu soif, sous les doux rayons du soleil qui les atteignent à travers les nuages. Une sonnerie de téléphone attire à nouveau mon attention sur les élèves. Certains sont déjà accoudés aux rambardes, fumant une dernière cigarette avant le début des cours, tandis que d'autres se racontent avec excitation les détails de leurs vacances. Leurs rires et leurs voix se mélangent dans un brouhaha léger, ponctué de gestes expressifs et de sourires éclatants. Mais ils ne trompent personne. Au-delà de leur discussions sur le bronzage, les vagues, les cocktails et les flirts estivaux, tous essaient de faire de leur compte-rendu estival une parfaite carte postale. En effet, quelque chose de subtil se joue ici, dès les premières heures de la rentrée, derrière les rires et les accolades : chacun jauge l'autre, l'œil scrutateur et attentif au moindre détail, comme une sorte de compétition qui ne dit pas son nom, dans laquelle chacun tente de tirer son épingle du jeu. Tous semblent vouloir quelque peu enjoliver leurs anecdotes d'une aura plus captivante, afin d'être remarqué par leur auditoire.
Ramon attend patiemment que je lui fasse signe pour repartir. C'est un homme courtois mais peu locace, et d'un respect presque intimidant. Interprêtant mon "Bonne journée" comme un signal de départ, le chauffeur me sourit poliment avant de redémarrer en direction du boulevard principal. Je m'attarde quelques instants sur la berline qui quitte rapidement la voie pour se frayer un chemin avec agilité au milieu de la circulation. Je me demande ce que Ramon pense vraiment de moi et de mon père, en réalité. Même si j'ai détesté mon père lorsqu'il m'a informé qu'il avait engagé un chauffeur pour m'emmener tous les jours à la fac, je ne peux pas nier que ce dernier est aussi serviable que discret. Malgré tout, je ne suis pas dupe. Ce n'est pas tant ma sécurité qui préoccupe mon père, mais plutôt l'idée de garder un œil sur mes déplacements, mes fréquentions, mon quotidien tout entier. Je ne peux m'empêcher de secouer la tête à cette pensée. Ce contrôle voilé et constant me laisse un goût amer, mais j'ai depuis longtemps renoncé à discuter ce genre de décisions. Par volonté de plaire à mon père, ou par facilité, je ne saurais le dire. "Par lâcheté" me souffle ma conscience.
Je pénètre dans l'immense hall qui dessert les différents bâtiments scolaires. L'édifice date de plusieurs siècles mais sa récente remise à neuf a permis de créer un subtil mélange de pierres et de verrières qui lui donne des allures de musée. Le large escalier en colimaçon, chef d'œuvre architectural, trône majestueusement au centre, attirant inévitablement tous les regards. Il grouille déjà d'étudiants, plus ou moins pressés de se rendre dans leurs salles de classe. Bien qu'il soit encore tôt, nombre d'entre eux se pressent de sortir de la cafétaria pour se rendre au niveau des casiers et récupérer leurs manuels. L'ambiance est particulière, faite d'une effervescence à la fois feutrée et bouillannante. Tout ici m'est familier. Pourtant, l'étrange impression de distance que je ressens, comme si j'observais les lieux à travers une vitre floue, m'oppresse. Ces murs, ces escaliers, ces élèves... Je les connais depuis des années maintenant, mais depuis cet été, je me sens comme une étrangère. Comme si je m'étais absentée pendant plusieurs années, comme si tous avaient continué de vivre sans moi. Pourtant, seules les vacances d'été me séparent de mon dernier passage dans ces couloirs. Mais tellement de choses se sont passées au cours de ces dernières semaines. Bien que mouvementées, elles m'ont apportées bien plus que ce que je pensais mériter. Mon esprit vagabonde en repensant à ce week-end à Bordeaux, le dernier en tête à tête avec Ali. Oh, Ali. Il semblait si paisible et heureux tandis que nous déambulions dans les petites rues du centre-ville. Je souris en repensant à nos doigts entrelacés et à son sourire paisible lorsque nous nous promenions le long de la Garonne en début de soirée. Sa voix était douce et chaleureuse alors qu'il insistait pour me prendre en photo devant telle ou telle échoppe insolite. La vie semblait si simple dans une ville inconnue. Le retour à la réalité n'en a été que plus brutal. Ici, appels nocturnes et rendez-vous volés sont les seuls moments qui nous sont accordés. Ma gorge se serre douloureusement et je secoue à nouveau la tête pour chasser cette douleur sourde.
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À Tous nos Secrets [En cours]
RomanceMia est une jeune fille de 20 ans qui étudie dans une université prestigieuse. Riche et confiante, elle est de celles qui savent ce qu'elles valent. Et là, vous vous dites « elle a tout pour elle, quoi ». Eh bien, comme vous, c'est ce qu'ils pensent...