Chapitre XXIII : La légende du spectre

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Le soleil se levait à peine lorsque la Compagnie reprit la route, l'humeur morose par le manque de sommeil durant cette nuit funèbre. Encore à moitié endormi, Bilbo tanguait sur sa scelle, les yeux mi-clos et la tête penchée en avant. La conversation de ses compagnons ne ressemblait ainsi qu'à un simple bourdonnement qui l'empêchait de tomber dans un profond sommeil. Éreinté par la nuit mouvementée, jamais Bilbo ne ressentit un tel besoin de retrouver son lit chaud et confortable dans son trou de Hobbit pour finalement tomber dans les bras de Morphée.

Bilbo se redressa lorsque des rires tonitruants s'élevèrent derrière lui. Le Hobbit se retourna et vit Bofur, Dwalïn et Nori ricaner tout en jetant des regards moqueurs vers Alyson et Thorïn. Si celle-ci se retournait régulièrement, Ecu-de-Chêne semblait les ignorer et se contentait de discuter avec Gandalf, l'air grave.

À sa gauche, l'air penaud, Gaultier gardait la tête basse, tel un enfant ayant commis une bêtise. Le Hobbit fronça les sourcils avant de reposer ses pupilles sur les Nains derrière lui.

- Que se passe-t-il ? Demanda-t-il.

- Demandez à notre poète, ricana Nori.

- Je me demande qui sont les plus à blâmer... Gaultier ou Alyson et Thorïn ? Fit Bofur, une main sur la bouche.

- J'ai hâte de voir sa tête voler ! Ajouta Dwalïn en posant son regard sur le barde.

- Pourquoi donc dites-vous cela ?

Un sourire rempli de malice sur le visage, le Nain au chapeau farfelu fit accélérer son poney pour se mettre à la hauteur du Semi-Homme.

- Surtout, ne faites aucun bruit lorsque je vous aurai mis dans la confidence Bilbo, dit Bofur.

Le Hobbit hocha la tête, curieux.

- Il semblerait que Gaultier ait surpris notre couple royal cette nuit prenant un bain de minuit et...

- Quoi !? S'exclama Bilbo, les yeux écarquillés.

- Chut !! Intervint Dwalïn.

Le Semi-Homme leva la main en signe d'assentiment et se tourna vers Bofur.

- Il semblerait que notre poète soit un sacré curieux, ajouta le Nain au chapeau farfelu.

- Oh quelle horreur ! Fit le Hobbit.

- Je suis d'avis qu'on l'abandonne au bord de la route. C'est ce qu'il mérite, lâcha Dwalïn.

- Je me demande vraiment si Thorïn et Alyson ont réellement suivi le protocole, commenta Nori.

Bilbo, honteux de participer à une telle conversation, se dandina sur sa scelle, le visage rougi par le malaise.

- Si vous voulez mon avis, ça m'étonnerait, répondit le Nain tatoué. Il suffit de les regarder ! Ils sont si secrets !

- Ils ont quand même le droit à une vie privée, objecta Bofur, l'index levé. Nous ne le saurons sans doute jamais.

- Et encore heureux ! S'insurgea Bilbo, désormais rouge comme une pivoine tandis que Thorïn, intrigué par les cris du Hobbit, se retourna, les sourcils froncés.

Le Semi-Homme se racla la gorge et baissa la tête sous les rires du trio. Il soupira et s'empressa d'accélérer la cadence afin de rejoindre Gandalf et Ecu-de-Chêne, de nouveau concentré sur la discussion avec le magicien.

- Maintenant que nos routes se séparent avant l'aube, il est important que vous fassiez preuve de prudence Thorïn.

- Vous nous quittez une nouvelle fois ? Intervint le Hobbit, surpris.

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- Oui, en effet. Les Barbares sont arrivés par bateaux. Or, les côtes du Gondor sont la destination la plus rapide pour débarquer. Je crains que le Royaume ne puisse tenir longtemps contre ces envahisseurs.

- Que préconisez-vous ? Demanda Ecu-de-Chêne.

- Le Roi du Rohan, Fengel, n'est pas un homme sage. Il est avare et buté. Il fait surveiller les frontières de son Royaume, ce qui fait de lui un potentiel danger. Restez le plus discrets possibles.

- J'y veillerai, assura Thorïn.

- J'imagine de toute façon que le pire est derrière nous, dit Bilbo.

- Je n'en serai pas aussi sûre que vous, intervint Alyson. Nous ne venons que de finir la première étape de notre voyage.

La mutante vit le visage du Hobbit s'assombrir. Une vague de compassion l'envahit et elle ne put s'empêcher de lui poser une main réconfortante sur son épaule. Le Semi-Homme lui offrit alors un sourire qu'Alyson lui rendit.

- Le voyage qui vous attend est encore long, fit Gandalf. Long et rempli de dangers. Si trois années plus tôt, vous deviez faire face à Smaug et à Azog le Profanateur, l'ennemi est bien plus puissant aujourd'hui. Une simple erreur pourrait vous être fatale, et c'est pour cela que vous m'attendrez à l'entrée de Fangorn. Vous ne devez en aucun cas entrer dans cette forêt sans moi, insista le magicien, les yeux rivés sur Ecu-de-Chêne.

- Très bien, répondit ce dernier. Nous ferons à votre manière. Du moins, tant que cela est possible.

Gandalf lui jeta un regard de biais, mais ne répliqua rien. Face à ce silence, Alyson se plongea dans ses pensées, l'esprit tourné vers le Rohan. Si le Roi était aussi hospitalier que le magicien le disait, il leur serait difficile de traverser le Royaume. Immense territoire, les hommes du Rohan avaient désormais l'habitude de parcourir les terres du Roi.

Quels sorts subissaient les étrangers ? Voilà une question à laquelle Alyson aurait voulu avoir une réponse.

- Si Fengel connaît la raison de notre venue dans le Rohan, nous n'avons aucune chance d'atteindre Fangorn, dit la mutante. Cette forêt et tout ce qu'elle renferme lui appartiennent.

- En effet, confirma Gandalf. Il vous traquera sûrement. Ça ne fait aucun doute.

Thorïn hocha la tête, les yeux plissés, à son tour plongé dans ses pensées. Le Nain n'appréciait guère d'être considéré comme un simple étranger. Il refusait l'idée de se soumettre comme un simple marchand à cet Homme qui se faisait appeler Roi. Aucun des siens ne devait s'abaisser à la volonté sordide de ce piètre Humain ; à ce souverain de pacotille et ignorant.

- Excusez-moi Monsieur Gandalf, mais beaucoup racontent que le Rohan serait hanté par une créature.

Gaultier s'avança à la hauteur du magicien, son fidèle luth toujours dans le dos.

- Hanté ? Répéta Bilbo, les yeux écarquillés.

Son visage se décomposa sous l'air désolé d'Alyson

- Je n'ai jamais rien entendu d'aussi grotesque, se moqua Thorïn d'un ton dédaigneux. Ces histoires ne sont faites que pour effrayer les enfants... Ainsi que les plus crédules et les plus idiots.

Ecu-de-Chêne posa un regard lourd de sens sur le barde qui, pourtant, ne daigna pas donner d'importance au sarcasme du Nain.

- Les habitants du Rohan pensent en effet que le Royaume est hanté. Certains disent que cette créature est un serviteur du Diable, tandis que d'autres affirment qu'il ne s'agit que de l'esprit d'un guerrier mort au combat il y a bien longtemps.

- Un serviteur du Diable ? Fit le Hobbit tandis que son teint devenait de plus en plus livide.

- Comment connaissez-vous l'existence de cette légende Gaultier ? Demanda Alyson, un air curieux sur le visage.

- Je suis un poète itinérant. J'ai beaucoup voyagé dans ma vie et je connais ainsi maints mythes venant des quatre coins de la Terre du Milieu.

Ecu-de-Chêne leva les yeux au ciel.

- Il existe des poèmes, dont un qui est particulièrement connu au Rohan, continua Gandalf.

- Des sornettes, s'entêta le Grand Nain.

- Contrairement à ce que vous pensez Mon Seigneur, le monde serait bien triste sans ces légendes, contredit Gaultier. Quel est donc ce poème Maître Magicien ?

Gandalf caressa sa longue barbe, l'air songeur avant d'écarquiller les yeux après s'être souvenu des vers.

Deux guerriers, un jour, ont guerroyé.

Le sang, sur le sol, a coulé.

Des complaintes, ces guerriers, ont crié.

Nulle victoire, en ce jour, ne fut gagnée.

Dans des gestes puissants, leurs lames se sont fracassées.

Le malheureux, aveuglé par sa colère et sa détresse

Vainquit. Mais à quel prix ! Son adversaire tomba au bas de la falaise et

L'homme, anéanti, hurlait de douleur face à son visage blessé.

Tandis que Bilbo déglutissait, Gaultier, fasciné, s'empressa de s'emparer de feuilles et d'une plume pour y écrire les vers cités par le magicien.

Mutilé, décharné, le malheureux se retira du monde et,

La solitude, sûrement, devint son tombeau, impossible à trouver.

Charogne ou revenant, beaucoup pensent qu'il n'est qu'une simple légende.

Pourtant, certains entendent parfois, au cœur de la nuit, des pleurs redoutables.

Abominable fantôme que la vie a détruit,

Monstre effroyable que les vivants fuient,

Il hante encore cette terre d'un pas indécis et,

Anonyme, sa carrure désarticulée foudroie les cœurs braves de jadis.

- Vous qui arpentez cette terre depuis des siècles Gandalf, l'avez-vous déjà vu ? Demanda Alyson.

- Non, mais il n'est jamais bon d'ignorer les légendes, répondit le magicien en lançant un regard de biais vers Thorïn. Mais on dit que ce fantôme hante désormais les Montagnes Blanches.

Le magicien se tourna vers le Hobbit, un sourire au coin des lèvres.

- N'ayez crainte cher Bilbo, vous n'aurez pas à vous approcher de ces montagnes.

- C'est vraiment fascinant ! S'exclama Gaultier en gribouillant sur ses partitions. Ce fantôme est une véritable source d'inspiration !

Gandalf tira sur les rennes de sa monture et se tourna vers la Compagnie, l'air grave.

- C'est ici que nous nous séparons. Faites preuve de prudence et ne vous aventurez pas dans Fangorn sans moi.

Alyson hocha la tête tandis que le magicien observa chacun des voyageurs. La mutante devinait qu'il se méfiait de l'entêtement des Nains, notamment de Thorïn. Elle savait qu'il ne ferait preuve d'aucune patience si Gandalf tardait à les rejoindre.

Le vieil homme hocha une dernière fois la tête pour saluer Ecu-de-Chêne avant de bifurquer vers le Sud. S'éloignant à vive allure, le magicien ne devint vite qu'un petit point à l'horizon avant de disparaître sous l'air navré de Bilbo et le regard inquiet d'Alyson. Elle détourna finalement les yeux lorsque Thorïn leur ordonna d'avancer.  

Le Hobbit : Sombres présages [Tome 2]Where stories live. Discover now