Pr. Malir
La pièce était très grande. Un peu trop grande pour un bureau. Pile en face de la porte se trouvait une immense fenêtre, qui était pile à la hauteur des toits alentours. Le bâtiment de l'Académie surplombant ce côté de Fantasmagoria, on était pile à la bonne altitude pour apercevoir la Mer de Nuages, au loin.
Soulijah ne se rappelait même pas combien d'escaliers ils avaient empruntés pour arriver à ce niveau de l'Académie, mais la réponse était sans doute de l'ordre de : beaucoup.
Les murs du bureau de Malir étaient recouverts de livres, placés dans des bibliothèques en bois massif. Ils étaient parfois triés par ordre alphabétique, parfois par couleur. Souvent ils avaient l'air d'avoir été rangés dans le désordre exprès pour donner une impression de désinvolture.
A droite de la pièce se trouvait une grande table sur laquelle était posée une carte très détaillée, avec relief, de Fantasmagoria et d'Aeroth –la distance entre les deux n'était cependant clairement pas à l'échelle- Par-dessus la carte, une statuette en bois représentant un Lullem, d'au moins cinquante centimètres de long, trônait sur un piédestal en métal noir.
A gauche, un grand bureau recouvert de paperasse, avec une immense lampe rectangulaire très moderne.
Et, assis à son bureau, les yeux fixés sur un document qu'il était en train de lire avec attention...
« Malir. »
C'était Throln qui l'avait interpellé.
L'interpellé ne leva pas les yeux de suite de son papier.
Au bout de quelques secondes, il enleva lentement ses lunettes rondes à écailles, les plia, et les déposa délicatement à côté de la feuille qu'il avait sous les yeux. Il alla ensuite poser l'index et le pouce de sa main gauche dans le coin de ses yeux, et frotta lentement, tout en s'affalant en arrière sur sa chaise. Il enleva ses doigts, et mit quelques secondes avant d'ouvrir les yeux. Pendant ces quelques secondes, Soulijah put bien constater ce à quoi il ressemblait : un homme d'âge plus que mur.
Il était plus vieux que Throln, de presque une dizaine de cycles, ça se voyait. Ses cheveux étaient plus poivre et sel que grisonnants. Les rides qu'il avait sur le front et dans le coin des yeux ne trompaient pas. Ni la courbure caractéristique de son dos ou son apparente extrême fatigue.
« Throln Carrer. Ca fait un bail »
Il l'avait dit sur un ton factuel, sans amusement, ni colère. Cela faisait effectivement un bail qu'ils ne s'étaient pas vus. Throln sembla interpréter ces mots comme une invitation, car il s'avança en direction du bureau, et prit place sur l'une des trois chaises qui faisaient face à Malir, en croisant les jambes, l'air désinvolte.
« Quel vent t'amène ? Et qui est ce jeune homme ? »
Encore une fois, son ton ne trahissait aucune émotion concernant la situation, pourtant inhabituelle.
« Le vent du passé. Nous cherchons des réponses. Viens t'asseoir, Soulijah. »
Il obéit, et vint s'installer dans la chaise opposée à celle de Throln, laissant une chaise d'espace entre eux deux, que Throln s'empressa de dégager derrière.
A l'entente du prénom de Soulijah, les yeux de Malir s'étaient plissés. Il avait l'air plus méfiant
« Le vent du passé... tu peux développer ? » Sa curiosité semblait enfin piquée. Il s'était redressé sur sa chaise, et avait posé les deux coudes sur son bureau.
« La débâcle de l'Ile des Gardiens du Ciel. » Dit simplement Throln
Malir ne cilla pas. Il savait que son interlocuteur n'avait pas fini de parler.
« Malir, tu sais que ça fait plus de vingt-cinq cycles... »
« Ca les fera dans trente-sept jours. » Le corrigea Malir
« Oui, bon, vingt-cinq cycles quoi... Bref, il serait temps de me –de nous- dire comment tu t'en es sorti. »
Malir se mit à mordre machinalement sa langue. C'était loin d'être la première fois qu'on lui posait la question, et il avait visiblement une réponse bien rodée. Mais curieusement, il ne semblait pas vouloir la réitérer une nouvelle fois.
« On en a déjà discuté, Throln. De plus, tu ne viens pas me voir pendant près de huit cycles, et tu reviens, sans être annoncé, me demander la seule et unique chose dont je t'ai certifié ne jamais te faire part ? »
Soulijah se faisait le plus petit possible. Déjà car il était intimidé d'être à littéralement moins d'un mètre de deux des Trois Héros, et parce que la tension qui était en train d'être mis en place entre eux le mettait très mal à l'aise.
« Je sais, Malir, je sais. Mais le contexte, aujourd'hui, est tout autre. »
Malir, encore une fois, ne posa pas la question que Throln attendait. Il jouait sur les silences, attendant que Throln aie épuisé tout ce qu'il avait à dire pour donner son avis.
« Tu te souviens de Jvor ? » Il avait lancé ça comme une bombe, la voix grave, et la mine sombre.
Cela n'eut cependant pas tout à fait l'effet escompté
« Il a participé à la Bataille. Je ne le connaissais pas personnellement. »
Throln avait l'air visiblement déçu que Malir ne cherche pas à savoir pourquoi il lui posait cette question. Mais il ne se laissa pas abattre :
« Si je te disais... qu'il n'était pas mort. »
La curiosité de Malir se transforma soudain en intérêt. Il joint ses mains sous son menton et scruta Throln avec une grande attention. Ce dernier jouissait véritablement de l'effet qu'il avait enfin réussit à produire.
Ce fut Malir qui reprit la parole :
« Il y a beaucoup de théories sur les Chutes, et les effets des Flash. Certains pensent, effectivement, qu'ils ne sont pas fatals. Dans certaines contrées d'Aeroth, on a longtemps pensé que ceux qui Chutaient se transformaient en Nuages. »
« Non, non, ce n'est pas de ça que je te parle » Le coupa Throln en secouant la tête.
Malir ne cilla, encore une fois, absolument pas. En tant que professeur, il devait être habitué à ce qu'on le coupe sur un sujet qu'il maîtrisait bien mieux que son interlocuteur.
« Je veux dire qu'il est là. Ici, à Fantasmagoria. Que je –qu'on- l'a rencontré. »
Malir plissa à nouveau les yeux, et fit descendre une de ses mains à sa gorge, pour la gratter machinalement.
« Jvor... serait revenu d'une Chute ? »
« Oui ! » Throln était surexcité à cette idée, alors que Malir était totalement sceptique
« Comment se fait-il qu'il ne se soit jamais manifesté en vingt-quatre cycles ? »
« Parce qu'il est réapparu il y a quelques jours à peine. » Répliqua immédiatement Throln, préparé à la question.
« Donc il aurait disparu dans une Chute il y a vingt-quatre cycles, et ne serait réapparu qu'il y a quelques jours, pour te raconter qu'il a survécu ? » Résuma Malir platement
« Oui ! »
Le professeur ne semblait vraiment pas convaincu. Il y eut un moment de silence, où tout le monde hésitait à prendre la parole, y compris Soulijah. L'attention de Malir se porta alors sur le jeune homme :