Chapitre 16: Où il est beaucoup question de sorcellerie

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Plusieurs heures passèrent. L'homme-chien était de nouveau affamé. Michael et Aïden décidèrent de déjeuner aussi. La poêle à la main, Aïden s'approcha de Calcifer.

- Vous ne pouvez pas vous contenter de pain et de fromage, pour une fois ? maugréa Calcifer.

Mais il courba tout de même la tête. Aïden exposait la poêle aux courtes flammes vertes quand la voix rauque de Hauru retentit de nulle part :

- Tiens-toi bien, Calcifer ! Elle m'a retrouvé !

Calcifer se redressa comme un ressort. La poêle tomba sur les genoux d'Aïden.

- Il faudra que tu attendes ! rugit Calcifer en lançant une flamme aveuglante à l'assaut de la cheminée.

Sa face bleue se brouilla aussitôt pour donner l'image d'une douzaine de faces bleues, comme sous l'effet d'une violente secousse, et il se mit à flamber dans un puissant vrombissement guttural.

- Ce doit être le signe qu'ils se battent, chuchota Michael.

Aïden suça son doigt brûlé et récupéra les tranches de bacon tombées sur son pantalon. Calcifer se démenait comme un forcené d'un bout de la cheminée à l'autre. Les images brouillées de ses multiples faces passaient du bleu intense à l'azur le plus léger, pour devenir presque blanches. Ses yeux orangés, très nombreux un moment, furent soudain une myriade argentée d'étoiles. Aïden n'avait jamais rien imaginé de pareil.

Quelque chose balaya le ciel au-dessus d'eux dans un souffle effroyable puis une explosion secoua toute la pièce. Un second phénomène du même ordre suivit, avec un hurlement aigu, prolongé. Le bleu de Calcifer vira au noir, et Aïden sentit son épiderme frémir au contrecoup de la magie. Michael gagna tant bien que mal la fenêtre.

- Ils sont tout près ! cria-t-il.

Aïden le rejoignit. Le déchaînement de la magie mettait la salle commune en effervescence. Le crâne claquait des mâchoires en décrivant des cercles, les paquets et sachets tressautaient, les poudres bouillonnaient dans les bocaux. Un livre chuta lourdement d'une étagère et resta ouvert sur le sol, à feuilleter indéfiniment ses pages. À une extrémité de la pièce, des vapeurs parfumées sortaient de la salle de bains en nuages épais ; à l'autre, la guitare de Hauru émettait des sons discordants. Et Calcifer se démenait de plus belle.

Michael posa le crâne dans l'évier pour l'empêcher de tomber à terre tandis qu'il ouvrait la fenêtre et tendait le cou pour voir ce qui se passait. Mais le plus exaspérant, c'était que l'événement avait lieu juste en dehors de leur vision. Dans les maisons d'en face, les habitants étaient à leurs fenêtres ou à leurs portes, le doigt pointé vers une action qui se produisait plus ou moins en l'air. Aïden et Michael coururent donc jusqu'au placard et s'emparèrent des capes qu'ils jetèrent sur leurs épaules. Aïden eut celle qui transformait la personne qui la portait en barbu roux ; il comprenait maintenant pourquoi Calcifer riait quand il avait revêtu l'autre, car Michael était un cheval. Ce n'était pourtant pas le moment de rire. Aïden ouvrit la porte et s'élança dans la rue, suivie par l'homme-chien qui gardait un calme surprenant dans toute cette agitation. Michael trottina derrière eux dans un claquement de sabots, laissant Calcifer passer furieusement par toutes les teintes du bleu, jusqu'au blanc.

La rue était pleine. Tout le monde avait le nez levé. Personne ne songeait à se soucier de détails aussi futiles qu'un cheval sortant d'une maison. Aïden et Michael virent un énorme nuage bouillonner au ras des cheminées. Sa masse noire agitée de violents soubresauts était traversée d'éclairs blancs. Mais très vite, la magie donna forme à un enchevêtrement indistinct de serpents en pleine lutte. Puis cette boule se déchira en deux parties, dans un bruit évoquant celui d'un monstrueux combat de chats. L'une des deux fila en miaulant à tue-tête vers la mer, l'autre la poursuivit en hurlant.

Le château de Hauru ǁ TERMINEEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant