5 a viz Gwengolo 2352*

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Nos parents ne sont pas morts en mer. Pourtant en général, au bourg, c'est comme ça qu'on meurt, mais nos parents, non.

En hiver, quand le temps ne permet pas de prendre le large, y a des expéditions dans les terres qui s'organisent. Comme tout a été détruit pendant les Cataclysmes, il y a des milliers de ruines qui pourrissent dans la forêt et les marais alentours.

Nos parents avaient trouvé une grande bâtisse écroulée dont, apparemment, la cave était intacte et accessible. Et les caves, souvent, c'est une manne à matériel. L'alambic du bourg, par exemple, il vient d'une cave.

Sauf que le terrain a glissé alors que le groupe était encore dedans. Ils se sont reçu le manoir sur le coin de la figure. À ce qu'on nous a rapporté (parce que nous, avec Kímon qui était toujours presque bébé, on était resté au village, aux Communs) mon père est mort sur le coup. Ils ont sorti ma mère des décombres et l'ont ramenée.

Un médecin est venu d'Odet pour la soigner. Ça a tenu quelques jours. Elle avait les jambes cassées, mais je me souviens surtout de ses mains et de ses bras complètement bandés. À creuser pour se tirer de la cave effondrée, elle se les était lacérés. Je m'en rappelle très bien, même si je n'étais pas très vieux. J'osais pas les toucher. On ne m'a pas laissé la voir très longtemps de toute façon.

Elle aurait pu survivre — handicapée, le village lui aurait trouvé une place —, mais y a eu l'infection.

Elle allait mieux, et au matin, elle était livide, ruisselante de sueurs froides. Le bourg s'est réuni aux communs, et ils ont décidé de faire appel aux Laborentins. Les Laborentins, de ce que j'ai compris, ce sont des groupes de scientifiques et de sorciers qui restaurent de vieux complexes précataclysmiques et s'en servent pour produire des médecines. Et de la drogue. Personne ne les aime, mais en cas de maladie, on les sollicite, et ça coûte très cher.

Le village a décidé de payer, sans débat.

Sauf que le laboratoire le plus proche est à deux jours de marche. Le temps que le messager l'atteigne, ma mère était morte. Elle aussi.

Kímon et moi, on a déménagé dans les communs. C'est là que Kristen a commencé à s'occuper de nous. De Kímon surtout, puisqu'il était vraiment trop jeune pour se débrouiller seul.

Kristen donnait cours aux enfants du bourg : elle nous a appris à lire et à écrire (c'est elle qui nous a distribué un carnet comme celui où j'écris). Très vite, elle a pris Kímon chez elle, parce que c'était plus pratique. Ça m'avait révolté, à l'époque : je croyais qu'elle voulait me le voler, qu'elle voulait devenir notre mère alors que jamais, jamais elle ne pourrait remplacer nos parents. Évidemment ce n'est pas ce qu'elle voulait. J'ai mis du temps à le comprendre.

Maintenant je vis chez elle aussi.

Le lit de Kímon, à côté du mien, est vide.

J'avais plus que lui.

Kristen, c'est pas pareil.


* 5 septembre 2352

Le carnet de MadenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant