On Your Own

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 Neil n'avait plus vraiment envie de se battre. En fait, cette pensée avait disparu de son crâne. Évaporée. Mais après tout, cela faisait quelques jours que Neil lui parlait sur instagram. Il avait rarement autant utilisé son téléphone dans sa vie, mais là, il s'y sentait obligé. Il lui partageait toutes les publications les plus drôles qu'il trouvait en ligne, toujours moteur de conversation. Emily. Elle s'appelait Emily Véra, elle avait 15 ans et elle venait de Burnley, et ses parents avaient des origines russes, et il n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi incroyable. Motivé par cette nouvelle rencontre, il avait fait des recherches sur Internet, curieux de savoir ''comment parler à une fille'', ou ''avoir confiance en soi'', puis il avait supprimé son historique par honte. En plus, la plupart des résultats n'étaient que des pièges-à-cons, l'invitant à acheter des formations complètes, ou d'autres programmes payants. Neil était fier de ne pas avoir été pris au piège, et il se doutait que la plupart de ses amis ou camarades de classes se feraient avoir : il était plus intelligent que la moyenne, de ce qu'il savait. Il s'écrasa dans le fauteuil de sa grande chambre, ignorant les bruits de vaisselles cassées au rez-de-chaussée, posant ses pieds emmitouflés dans leurs chaussettes sur le bureau, écrasant son dos vers son téléphone qui se tenait sur ses cuisses, à l'horizontal, lançant un clip d'un vieux groupe que son père devait écouter. Des américains, qui faisaient jouer de leurs guitares dans des sons horriblement grisonnants, ne laissant que peu de place à la qualité, au profit de cette faible fidélité si caractéristique. C'était parfait, et il adorait cette musique. « Cut Your Hair ». Il se demanda si Emily préférait les cheveux longs ou courts, puis il passa sa main dans les siens. Ils n'étaient ni longs, ni courts, ils n'étaient juste vraiment pas soignés, comme sa personne de manière générale. Il devrait changer son style pour tenter de la séduire ? Quoiqu'elle lui avait proposé son instagram le premier jour de leur rencontre, donc il avait déjà dû la séduire. Un sourire confiant apparu sur son visage, alors qu'il fit pivoter son corps pour passer de son bureau à son lit, et ce n'est qu'à mi-chemin qu'on vint l'interrompre d'un rauque et hargneux ''À table'' de la part de sa mère. Il souffla, puis s'exécuta.

Il n'avait rien fait, et pourtant le week-end était passé si vite, et c'était déjà dimanche. C'était ce qu'il se disait alors qu'il mettait nonchalamment des nutriments dans son corps, le regard vide, alors que ses parents faisaient de même. Sa maman, Margaret Wilson venait de Chicago, et son père, Joe Crepeau venait de Bâton-Rouge, et ils s'étaient tous les deux rencontrés lorsqu'ils ont fait leurs études, ici, à Manchester. Ils semblaient être une famille heureuse, mais cela faisait quelques années déjà que son grand frère était parti à l'étranger, et maintenant il était seul avec eux. À vrai dire, ça ne lui posait pas problème, il n'était pas vraiment sociable ni branché ''famille'', et eux non plus, mais par culpabilité, supposait-il, ils essayaient tout de même de tenter d'entretenir une relation parent-enfant à peu près normale.
– Alors, euh, tout se passe bien à l'école ?, fit sa mère, brisant un silence établi qui semblait convenir à tout le monde. Comme agissant au ralenti, Neil leva lentement les yeux, portant son regard dans le regard sinople de sa mère. Elle semblait comme un ange, doux, aux pupilles vertes et aux longs cheveux noirs tombant en rafale derrière son dos, jamais coiffés mais, comme une entité à part entière, prenant toujours une forme convenable socialement. Elle semblait encore dans la trentaine malgré ses quarante ans passés, et elle souriait tout le temps. Neil arriva à la conclusion que Lenny ne devrait jamais la rencontrer, avec son obsession pour les milf. Il chassa les horribles pensées qui venaient dans son cerveau d'adolescent, avant de lui répondre, après une minute entière de silence.
– Oui oui, maman.
Neil était un enfant gentil. Il n'avait pas vraiment fait de crise d'adolescence, et il n'était pas près d'en faire une, et il s'était toujours dis que c'était une de ses grandes qualités, de ne pas être un petit con borné, mais aujourd'hui il se sentait mal. Sans pour autant fuguer ou insulter sa famille, il savait qu'il avait blessé sa mère, car il se doutait qu'elle voulait avoir des détails, mais Neil n'avait aucunement envie de lui en parler. Il pouvait ressentir, de l'autre bout de la table, le cœur meurtri de sa mère, qui devait se sentir comme les mères dans les films de drame, où l'enfant neuroatypique est séparé de sa famille à cause de ses ''demandes spéciales''. Neil avait toujours trouvé ce genre de films stupides, car il se doutait que c'était le genre de drames que toutes les familles traversaient. N'importe qui dans une famille est créateur de conflit, car chaque membre est un individu distinct, attaché dans cette mini-société ''obligatoire'' par des gens avec qui ils ne partagent que le sang. Selon Neil, ce genre de situations, ça ne pouvait créer que des conflits. Malgré ses seize ans, il l'avait déjà expérimenté. Chaque être humain, enfant, adulte, saint ou serial killer, chaque être humain était un sale con perdu, nombriliste, et détestable par sa propre individualité. Il avait pu en parler un peu avec Emily, mais elle ne réfléchissait pas vraiment comme ça, elle. Elle avait ses propres problèmes, et elle se penchait sur ces derniers avant tout le reste. Il comprenait, pourquoi se différencier de la masse ? Ce n'était pas comme si lui-même faisait des efforts pour cela non plus, il venait de blesser sa mère pour ne pas parler de sa vie de tous les jours, et il ne savait toujours pas si il était motivé par la peur, ou simplement la fainéantise. Sa mère brisa le silence à nouveau, un peu gênée par la situation.
– Je voulais m'excuser pour tout à l'heure. Je me suis emportée sur ton père, il a encore-... Enfin bref, ce n'est pas le sujet. Je m'excuse.
– Oh, t'inquiète, j'avais mes écouteurs, j'ai rien entendu., répondit-il sans lever les yeux de son plat. Il mentait. Il n'avait même pas d'écouteurs. Mais il ne voulait pas vraiment s'immiscer dans ce débat lui, puisqu'il connaissait sa mère : elle voudra le rattacher à sa cause, juste pour condamner les comportements de merde de son père. Il le savait, son père se comportait comme une merde, mais les méthodes de sa mère le forçait à l'idéaliser, car elle était comme ses cheveux, une masse sombre de chaos qui réussissait tant bien que mal à ressembler à quelque chose pour chaque œil extérieur. Joe, comme toujours après une dispute, avait déjà roulé le fruit de son pêché, et Neil ne pouvait s'empêcher de quitter les lieux en vitesse pour pas avoir à parler plus longtemps à ses parents. Il posa son assiette, son verre, et ses couverts dans le fond du lavabo, et il prit sa veste, prévenant sa famille.
– Je pars ! Faire une petite marche, pour bien dormir avant la reprise.
Et si son mensonge était peu convaincant, il n'allait pas pour autant attendre la réponse de ses parents, ouvrant la porte et la refermant sur le champ. Il entendait dans le fond de son crâne la musique de Stephen Malkmus qu'il avait écouté plus tôt, et il souriait comme un crétin, désireux de la faire découvrir à sa nouvelle amie. En fait, elle était tout sauf une amie à ses yeux, et il voulait tout découvrir avec elle. Son premier amour, la première fois qu'il découvrirait un lieu plus loin que l'Angleterre, son premier concert, festival. Tout. Il fallait qu'elle soit tout pour lui, et c'était pour cela qu'il avait organisé un rendez-vous avec elle après manger. Il voulait se souvenir des années 90 avec elle, alors qu'il ne les avait jamais vécu, il voulait lui parler de sa jeunesse encore en cours, lui parler d'un passé inventé comme pour oublier son présent, l'espace d'une seconde, et il voulait qu'elle fasse de même. Qu'elle oublie avec lui. Malgré son jeune âge, il était persuadé que c'était ça l'amour, pas comme les conneries mièvres que l'on raconte à la télé ou au cinéma, il se doutait que l'amour c'était oublier avec quelqu'un. Il ne pouvait pas se conforter dans l'idée qu'il fallait aimer le monde pour aimer un individu, et il était persuadé qu'à l'inverse, il fallait détester le monde. Le haïr de manière tellement irascible que se rallier avec quelqu'un pour cracher dessus était la seule solution pour le supporter. C'était comme ça qu'il imaginait son présent, pas particulièrement son futur. Il avait vu ses parents, il savait comment c'était le futur. Les vieilles personnes étaient anxieuses, mais surtout, les vieilles personnes n'avaient aucune idée de ce qu'elles faisaient, et pourtant, elles remplissaient leurs cerveaux de convictions, de certitudes, alors qu'ils vivent dans l'ombre. La société, c'était tout pourri, mais Neil se sentait bien. Il savait qu'il y réfléchissait trop, mais il se disait que c'était plutôt tous les autres qui n'y réfléchissaient pas assez. Il savait que derrière lui, ses parents allaient encore s'engueuler, profitant de l'absence du garçon, et lui, il s'en fichait. C'était leur choix à eux d'être con, et lui, il avait encore toute la vie pour faire les bons choix, et il se sentait déjà bien parti. Emily semblait un super choix, même si elle fumait, qu'elle ne se sentait pas toujours bien, et qu'elle n'avait pas une bonne relation avec ses parents. Il arriva le premier, et même si on était encore en automne, la nuit tombait super vite. Il faisait sombre, et il s'installa sur le banc sur lequel ils s'étaient donnés rendez-vous. C'était froid. En fait, l'air était très frais, et il se maudit de ne pas avoir pris son bonnet et son écharpe. Vraiment, ça ne lui aurait rien coûté et il aurait été confortable, en plus, il fallait être honnête avec lui-même, et le bonnet, ça lui allait vraiment bien. Peut-être parce que ça cachait l'arnaque qu'était ses cheveux mi-bouclés, mi-démon biblique. Il rabattit ses jambes sur lui-même, en regardant les gens passer, l'œil paranoïaque. Tous ces gens qui passaient, tard le soir, il se demandait ce qu'ils pensaient. Il aurait adoré pouvoir être voyeur de leurs pensées, lire dans leurs esprits simples, comprendre leurs préoccupations et se moquer de ces dernières. Être en retard pour voir leurs chats ? Trouver la nuit belle ? C'était des considérations ridicules. Il détendit à nouveau ses jambes, s'étirant, en regardant l'heure d'un œil distrait. Elle était en retard. Il avait pensé l'espace d'un instant qu'elle était entrain de lui poser un lapin, et qu'il allait être ridicule d'avoir pensé autant de bien d'elle, et d'avoir espéré qu'elle soit un bon choix. Paniqué, il attrapa son téléphone, pianotant rapidement un message. Puis il l'effaça, soufflant. Il ne fallait pas se ridiculiser plus. Pleins de gens passaient devant lui, mais il aurait aimé être seul. Pour ne pas se rendre compte du temps qui passait, pour ne pas se rendre compte que cela faisait déjà quinze minutes qu'il avait perdu espoir. Mais pourquoi pas juste prétendre être seul ? Il haussa ses épaules, pour lui-même, attrapant son téléphone, et passant Cut Your Hair, le son à fond. Ce n'était pas grand-chose, mais ça volait des regards aux passants, et Neil, au moins, se sentait mieux. Il regardait partout, croisant son regard avec d'autres comme pour les obliger à continuer leurs routes. Dans le fond, il était extrêmement vexé et honteux, mais personne n'avait besoin de le savoir. Il s'écrasa un peu plus sur son banc, inspirant alors que la musique était encore plus déconstruite par les faibles hauts-parleurs du téléphone, collés sur le banc. Son regard se porta sur les bâtiments, magnifiques, portant en reflet la lune naissante qui se dessinait dans le geai du ciel. On ne voyait pas les étoiles, c'était immaculé. Il trouvait la nuit belle, et la lune magnifique, et il aurait aimé partager ça avec n'importe qui. Son téléphone vibra deux fois. Il prit une minute à regarder la lune, attendant la fin de la musique, avant de l'attraper et de voir de quoi il en retournait. Il plissa les yeux, cliquant sur les notifications instagram avant de découvrir les messages d'Elijah. Il avait créer un groupe avec toute la classe, invitant tout le monde à une soirée pour fêter « sa moyenne au devoir ». Cela vola un rire à Neil, malgré la situation. Sacré Elijah, il était irrécupérable. L'idée d'une soirée lui fit plaisir, d'autant plus qu'il avait invité la totalité de la classe, et il se doutait qu'Emily allait venir. Tout le monde à 16 ans adorait les soirées, après tout, et c'était le moment parfait pour conclure avec elle. C'était peut-être un peu tôt, mais Neil voulait y croire, ça marchait souvent bien vite dans la vraie vie, comme dans les films de romance. Il ferma les yeux, imaginant qu'Emily pouvait être son premier baiser. Enfin, il avait déjà eu un premier baiser, mais c'était une fille qui avait eu un défi de l'embrasser « lui », et il avait été ridiculisé par ça durant tout le collège, et il était content que personne ne sache cela au lycée. Il regarda autour de lui, plus de musique ni de gens qui passaient, seul avec la lune. Il commençait à se sentir trop seul, ironiquement. Il répondit à Elijah rapidement, tout en commençant à se lever, lui faisant savoir qu'il était motivé. Il était parti pendant une heure, pour rien. Pour s'asseoir seul sur un banc, entouré par des inconnus qui le jugeaient en passant, seulement accompagné par un terrible sentiment qui tordait son cœur. Il avait été trop confiant en lui-même, à croire que c'était si facile, à croire que quelqu'un s'intéresse vraiment à lui. Ou peut-être bien qu'elle avait eu un empêchement. C'était sûrement ça, c'était improbable qu'elle lui pose un lapin alors qu'elle avait été adorable avec lui de puis le premier jour. Il inspira une grande bouffée d'air fraîche, sur le chemin du retour, tentant de faire partir le sentiment de tristesse par la logique : elle lui parlait souvent au lycée, elle lui répondait tout le temps sur Instagram, et elle avait été toujours super sympa avec lui. Un démon vint s'immiscer dans ses pensées, le faisant remarquer qu'elle ne lançait pas pour autant les discussions sur les réseaux, et qu'elle n'était même pas venue s'excuser pour le lapin. Neil se maudissait, lui et son for intérieur qui le forçait à douter de tout, et il passa le pas de la porte, se reprenant en main pour afficher le visage le plus neutre à ses parents. Il ne fallait surtout pas qu'ils discutent avec lui, de quoi que ce soit, alors il était très important de paraître le plus robotique possible, et de ne pas amener la discussion non plus.

Ses parents étaient tous les deux calmes, devant la télévision.
– Oh tu es de retour mon cœur ! C'était bien ta balade.
Neil gâta sa mère d'un sourire courtois, lui répondant en passant dans le salon, jetant un œil sur ce qu'ils regardaient :
– Oui. C'était super calme.
Il regarda son père, affalé sur son fauteuil qui semblait sourire, apathique, et voulut lui conseiller la musique qu'il venait de découvrir. Mais, maintenant, rien que de parler de cette musique l'associait à ce sentiment désagréable. Cette torsion, au fond de son corps, cette tristesse provoqué par la solitude et la beauté de la lune, dont il était seul témoin. La musique, à cause d'un évènement, avait changé de sens. Elle n'était plus une musique lo-fi tout à fait sympathique, plus des belles guitares explosives et un chant chaotique qui amenaient à une mélodie étrangement ordonnée, mais juste l'alliage des sentiments qu'il avait vécu. Il avait ressenti la même chose avec Veterans of The Psychic Wars, qui lui provoquait des vibrations des plus agréables depuis qu'il l'avait écouté pour la première fois avec Emily. La musique, le rock, le rap, la pop, tout ça, ça n'avait pas de sens. Tous les messages politiques, les paroles sur la vie dramatique des chanteurs ou les éloges à la drogue, ce n'était pas l'important. L'essentiel de la musique, c'était les sentiments que vivait celui qu'il écoutait. Une musique pourrait être la meilleure du monde objectivement, si elle ne se mêlait à aucune vie, si elle n'était représentative d'aucun évènement pour personne, elle ne serait rien. Le son avait besoin d'être écouté pour prendre du sens, d'être écouté dans un moment de vie, de donner sens à ce moment de vie comme l'émerveillement d'un instant. Si les gens entendaient simplement une chanson, elle n'aurait aucun sens, mais bien heureusement pour la musique, certaines personnes écoutaient les musiques, et vivaient avec. Emily, comme son père, vivaient la musique. Lui, avant cette rencontre, ne faisait qu'entendre, appréciant l'art de loin. Mais ça ne pouvait pas s'appréciait de loin. Ça ne pouvait pas se comprendre de loin, et c'était la proximité qui donnait son sens à ce qui venait à ses oreilles. En fait, c'est que la musique ne venait pas à ses oreilles, mais directement à son cœur et c'était ce qui lui donnait autant de force, cette force de la nostalgie, cette force du souvenir, mais aussi ce pouvoir réformateur du présent : tout moment pouvait être spéciale si la musique était bonne. Peut-être qu'il aurait haï Emily si il n'y avait pas Blue Oyster Cult ? Peut-être qu'il s'était finalement épris d'un moment, réformé par la musique, plus que d'une personne ? Peut-être que si la musique avait été différente, il aurait été qu'un ami avec Emily ? Peut-être même que si il n'avait pas écouté Pavement sur le banc, il n'aurait pas ressenti la tristesse de la chanson ? Peut-être qu'il aurait simplement oublié Emily, serait passé à autre chose ? Il regarda ses mains, se tenant encore dans le salon, alors que toutes ces pensées avaient duré qu'un instant. Il savait ce qu'il voulait faire. Sa vie, il savait où il voulait qu'il la mène.

– Papa ? Tu peux m'apprendre la guitare ?

La mer est le lieu idéal pour penser au futurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant