· 303 avant JC ·

Depuis le début
                                    

Donc, ils s'aimaient. Plus profondément que ce que le cœur humain peut concevoir. Lorsqu'on se connaît depuis l'aube de tous les temps, on a le temps de développer des sentiments frôlant l'infini. Si un jour vous vous faites la réflexion que votre amour pour quelqu'un dépasse les mots, tentez d'imaginer à quel point l'amour entre Crowley et Aziraphale est inexprimable.

L'ange leur servit à tous les deux une coupe du vin préféré de Crowley, dont il miraculait habituellement quelques litres avant sa venue.

Crowley était affalé sur une de ces étranges banquettes qui servaient de support aux romains pour leurs repas. Comme d'habitude, il ne se tenait pas droit, ses membres qu'il ne semblait pas totalement maîtriser repliés ou étalés de part et d'autre de son corps. En même temps, il était en partie serpent, alors Aziraphale lui pardonnait son manque de tenue – à vrai dire, il suffisait que le démon sourie pour qu'il lui pardonne absolument tout.

— Alors, cette mission en Asie ? demanda l'ange avec son éternel sourire empli de tendresse.

Crowley déblatéra la première excuse qui lui passa par la tête. Il était nerveux, pour la deuxième fois seulement depuis le début du Monde, et c'était à nouveau pour la même raison.

Il héla un des esclaves (Aziraphale les traitait si bien que le titre d'esclaves leur allait plutôt mal) pour lui demander du raisin, et observa Aziraphale qui scrutait son visage.

— Tu ne serais pas, par hasard, en train de me cacher quelque chose ? demanda l'ange avec une pointe d'amusement dans la voix.

— Comment ça ? Non, bien sûr que non. Pourquoi je...? Non, non.

Aziraphale ne parvint plus à retenir son sourire lorsque l'esclave revint, sans raisin mais un étui de tissu bordeaux à la main. Il remit l'objet à son maître en lui glissant un mot à l'oreille, avant de les laisser seuls, non sans jeter un regard espiègle au démon. Celui-ci ouvrait des yeux ronds comme des soucoupes, le jaune éclatant de leur iris lui mangeait le visage, fendu des fines lignes sombres formées par ses pupilles. Il commençait à comprendre ce qui se tramait, ce qu'Aziraphale avait préparé, cette assurance tranquille qui le perturbait un peu, ce manque de surprise en le voyant à Rome plutôt qu'à l'autre bout du globe... Aziraphale le connaissait beaucoup trop bien, il ne pouvait plus le surprendre. En revanche, l'ange ne cesserait jamais d'étonner son démon !

Aziraphale s'extirpa de son canapé pour s'agenouiller près de celui de Crowley. Il n'arrêtait pas de rire à moitié, fier de lui, fier de voir cette expression de choc sur ce visage qu'il aimait tant. Il sortit l'anneau d'or tressé de son délicat emballage, et le déposa dans ses mains en coupe.

— Certains humains ont fondé une nouvelle tradition liée au mariage, celle de s'offrir une jolie bague au moment de la demande. Alors... Voilà, Crowley, je voudrais bien t'épouser à nouveau. La première fois, c'était... Wouah... C'était au-delà des mots. Je veux le revivre, à tes côtés, dans cette jolie ville qu'est Rome et que j'affectionne tout particulièrement. Je voudrais me marier avec toi pour fêter nos cinq-cents ans de mariage, Crowley. Un demi millénaire ! Les humains trouveraient ça fou de s'aimer encore, pourtant je n'ai pas le moindre doute quant à notre relation. Notre amour est juste tellement naturel, il va de soi, et sans lui, sans cette relation, le monde serait bien plus froid et triste, plus vide, aussi.

Crowley passa ses doigts dans ses bouclettes blondes.

— Tu as vu, murmura Aziraphale en collant son front au sien, j'ai fait des efforts pour parler de ce que je ressens. Les humains ont créé le roman, il y a peu. J'en ai lu sur l'amour, et j'essaie de m'inspirer de leurs mots. Je suis navré si ce n'est pas ce que tu recherchais, si c'est bien en-dessous de tes attentes... J'aimerais bien faire plus pour toi...

Le démon l'embrassa sans attendre la fin de sa phrase, encore et encore, sans plus jamais vouloir lâcher ses lèvres. Il dégringola de son sofa, entraînant au passage Aziraphale pour le coucher sur le sol, sous lui, et glisser ses mains sous sa tunique, avide de sentir sa peau, ivre de son odeur, de son goût, de ses halètements. Comment lui, une créature à la base divine, un être céleste, non lié aux limites physiques s'appliquant aux humains, comment avait-il pu tomber autant amoureux des plaisirs de la chair ? Comment en était-il venu à sentir cette irrésistible attraction entre son corps et celui d'Aziraphale ? Et comment avait-il fait pour entraîner l'ange dans son vice ? C'était un miracle, sans doute...

Laissons-leur un peu d'intimité, si vous le voulez bien, et poursuivons notre récit quelques jours plus tard.

Ils étaient montés à bord d'une barque qui serpentait paresseusement le long de la côte, mystérieusement animée par une force invisible. L'ange et le démon se faisaient face en souriant bêtement, l'un tout de blanc vêtu, si rayonnant de bonheur qu'il en devenait éblouissant, et l'autre chez qui les seuls éclats de lumière étaient ses cheveux flamboyants et son sourire éclatant, celui qu'il accordait seulement à son mari.

— C'est la troisième fois qu'on se marie, fit remarquer à haute voix Aziraphale.

— Effectivement, répondit Crowley en renversant la tête en arrière, yeux clos.

— C'est un peu étrange. Les humains ne se marient pas plusieurs fois.

— Sommes-nous des humains ? interrogea le démon en haussant les sourcils.

En voyant que le sourire niais de son mari avait disparu, il se redressa et perdit son air nonchalant. Le même schéma se répétait : son ange qui perdait soudain confiance en lui, en eux, en l'existence, alors qu'ils étaient sur le point de s'échanger leurs vœux.

— Azi, mon ange, bien sûr qu'on est étranges et bizarres et pas humains. C'est normal, c'est ce qu'on est et on ne peut pas le changer, mais ce n'est pas pour autant une mauvaise chose, tu le sais, n'est-ce pas ?

— Je sais... Je me sens un peu mélancolique lors des moments importants de mon existence. Je suis navré, vraiment, je ne comptais pas gâcher l'instant.

— Ça ne fait rien, murmura Crowley d'une voix suave.

Il sentait son désir se réveiller en observant l'ange regagner peu à peu son assurance. Il posait à présent sur lui un regard de prédateur, empli d'une envie insatiable et de promesses brûlantes.

— Oh, je connais ces yeux-là, sourit Aziraphale en rougissant. Attendons d'avoir fini notre petite cérémonie, veux-tu ?

— Très bien, je te laisse prononcer tes vœux, capitula Crowley.

Il n'écouta pratiquement pas un mot de ce que l'ange raconta, pourtant Aziraphale avait fait d'énormes progrès en matière d'expression de ses sentiments. Tout ce qui se disait dans la boîte crânienne du démon tournait autour de « bon sang qu'est-ce qu'il est magnifique », « j'ai terriblement envie de croquer ce sourire », ou encore « j'ai une chance insolente d'être son mari ».

— Et je t'aime, conclut Aziraphale avec un léger soupir d'aise. Je t'aime tellement.

L'ange se sentait mieux que jamais. Parfaitement à sa place, sur Terre, tout près de Crowley, sur cette barque voguant tranquillement sur les flots turquoises de la Méditerranée antique.

— Ai-je réellement besoin de répondre par un joli discours ? demanda Crowley à mi-voix, l'émotion lui obstruant la gorge.

— Bien sûr que non, mon cher, fais comme tu le sens...

Alors Crowley se leva, déploya ses immenses ailes de jais en tendant la main à son mari, et, main dans la main, ils s'envolèrent dans un tourbillon de délicates plumes blanches et noires.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 20, 2022 ⏰

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Les mille et un mariages d'Aziraphale et CrowleyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant